Chapitre 4. L’accès à l’information, un levier pour des écosystèmes médiatiques efficaces en Tunisie

L’accès à l’information (AI) est une composante primordiale du gouvernement ouvert et un outil clé pour les journalistes. Ce chapitre examine comment le cadre institutionnel de l’AI en Tunisie contribue aux principes du gouvernement ouvert et recense les paramètres favorisant l’usage de ce cadre par les journalistes, les médias et les citoyens. Il propose en outre des recommandations sur la manière d’améliorer la mise en œuvre de ce cadre et d’optimiser les usages qu’en font les journalistes en vue d’accroître la transparence et la participation tout en facilitant l’utilisation et la compréhension de l’information gouvernementale par les citoyens et les journalistes.

    

Le droit d’accès à l’information et aux données gouvernementales est un principe clé du gouvernement ouvert. Fondement des efforts pour accroître la transparence et permettre à la population de mieux comprendre les fonctions gouvernementales, l’AI permet aux différentes parties prenantes d’être tenues informées des questions qui les concernent, favorisant ainsi une participation utile à la vie publique (Access Info et n-ost, 2014). Par ailleurs, l’AI permet aux citoyens et aux journalistes de demander aux autorités une plus grande redevabilité en pointant les problèmes et en analysant les actions et les décisions prises par le gouvernement.

Les retombées positives de l’AI dépendent « à la fois de la volonté du gouvernement d’être transparent, et de la capacité des citoyens à demander et utiliser l’information » (Mcloughlin et Scott, 2010). À cette fin, les analyses des systèmes d’AI dans les différents pays et de leurs effets sur la bonne gouvernance, se doivent de prendre en compte le cadre légal, les structures administratives aussi bien que les parties qui ont accès à l’information publique, dont les médias.

En ce qui concerne notamment le rôle des médias en matière d’AI, l’économiste Joseph Stiglitz a insisté sur le rôle décisif des journalistes dans la correction des « distorsions systématiques entre, d’une part, la tentation du gouvernement de conserver la mainmise sur une information qui est une source de pouvoir, et l’ouverture d’un accès à l’information aux journalistes et au public » (Stiglitz, 2008). Ce chapitre explore dans quelle mesure le cadre de l’AI en Tunisie contribue aux principes du gouvernement ouvert, en insistant en particulier sur le rôle des médias et les défis qu’ils affrontent en regard du nouveau cadre juridique de l’AI. Il explore aussi les voies par lesquelles la Tunisie peut renforcer la transparence pour remplir les objectifs que s’est fixés le pays dans le domaine du gouvernement ouvert.

Le rôle des journalistes en matière de promotion de la transparence

L’accès à l’information et aux données publiques est une composante essentielle de l’interaction entre journalistes et gouvernements (voir Encadré 4.1 pour une étude de cas du Brésil). Sur ce plan la législation tunisienne, dans l'esprit de la Constitution de 20141, et avec le décret-loi n° 115 relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics, remplacé par la loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit d’accès à l’information sont comparables à la législation de 97% des pays de l’OCDE qui ont adopté des lois similaires2. De manière générale, l’objectif des lois d’AI est de mieux garantir l’accès du public aux données gouvernementales afin de mieux combattre la corruption, de promouvoir une bonne gouvernance ainsi que de renforcer la participation du public au processus de prise de décision.

Encadré 4.1. L’utilisation de la Loi sur la liberté de l’information par les journalistes au Brésil

L’expérience des journalistes brésiliens en matière de législation d’AI, laquelle est entrée en vigueur en 2012, met en évidence l’importance de cette dernière dans l’appui à la promotion de la transparence et de la responsabilité par les médias. Un an et demi après l’adoption de la législation, au moins 68 médias ont publié 802 articles issus de l’information obtenue grâce à la loi. « Bien que l’on ne sache pas toujours qui remplit les formulaires de demande d’information – la loi n’exige pas des demandeurs qu’ils s’identifient – il est certain que les journalistes tirent profit de cette législation ». Dans un cas, le quotidien national O Globo a publié un article sur « l’impact du programme d’aide sociale Bolsa Familia 10 ans après son entrée en application. 98 jours et deux appels ont été nécessaires, mais le journal a fini par obtenir toutes les données sur la totalité des bénéficiaires de Bolsa Familia dans le pays. Il a par la suite créé une base de données interactive (en montrant par exemple quelles régions comptaient le plus grand nombre de bénéficiaires et quels avaient été les résultats des élections dans ces régions), et les journalistes ont complété cette information par des enquêtes de terrain et des interviews avec les personnes concernées, offrant ainsi des récits plus exacts ».

Source : Rodrigues, Fernando (2014), FOIA in Brazil: Still an Uphill Battle, but a Leap in the Right Direction tire de « Transparency and Accountability: Journalism and access to public information in Latin America and the Caribbean », A Report of the 2013 Austin Forum on Journalism in the Americas, Knight Center for Journalism in the Americas, University of Texas at Austin, https://knightcenter.utexas.edu/books/AustinForum2013Booklet.pdf.

Concrètement, des systèmes d’AI efficaces permettent aux journalistes d’enquêter sans dépendre de ce que les gouvernements décident ou non de partager, et contribuent ainsi à l’amélioration de la qualité de la couverture médiatique. Les journalistes utilisent généralement les lois d’AI lorsqu’ils « ne peuvent obtenir les documents par d’autres moyens (…), lorsqu’ils veulent obtenir une information « brute » ou non préalablement traitée, ou lorsqu’ils ont pour objectif de mettre au jour des cas de corruption ou des scandales dans l’arène politique » (Bertoni, 2012). L’information ouverte aux journalistes par les lois d’AI concerne souvent l’utilisation par les autorités des ressources publiques, et notamment les dépenses sociales, les ressources naturelles, l’éducation, les frais de mission et les questions environnementales et sanitaires (Bertoni, 2012). Même lorsque les lois d’AI ne sont pas une source primaire d’information pour tous les journalistes, compte tenu de la longueur des délais d’obtention des données – le temps de soumettre une demande, d’attendre la réponse et parfois de faire appel, problèmes évoqués plus loin dans ce chapitre –, l’existence d’un système robuste demeure un facteur déterminant de la capacité des journalistes, en particulier des journalistes d’investigation, de jouer efficacement leur rôle. Ces difficultés montrent en outre l’importance pour les journalistes des obligations de publication proactive, susceptibles de leur épargner les formulaires de demande. La publication rapide de l’information par les administrations est bienvenue au regard des attentes des journalistes en matière de publication de leurs articles (Encadré 4.2).

Encadré 4.2. L’utilisation par les journalistes de dispositions incitant à une publication proactive de l’information : le cas des subventions agricoles de l’UE

L’usage de l’information obtenue dans le cadre de la législation sur l’AI peut favoriser une publication proactive des données. « Les efforts pour rendre plus transparent le système des subventions agricoles de l’Union européenne constituent un exemple à grande échelle. En Europe, un réseau de journalistes a utilisé les demandes d’AI pour rassembler les données sur les bénéficiaires de chaque centime d’euro des 55 milliards de subventions agricoles dépensées chaque année dans l’UE. Le premier pays qui a rendu publiques ces données fut le Danemark en 2004, suivi du Royaume-Uni en 2005. Cette information a été diffusée sur le site Internet Farmsubsidy.org. Les articles consacrés à l’identité des bénéficiaires de ces subventions qui en ont résulté (et dans certains cas les scandales) ont connu une large diffusion et ont contraint les pays les moins transparents de l’UE à ouvrir leurs données. Une directive de l’UE a ensuite été adoptée qui exigeait une divulgation avant le 30 avril 2009, ce qui a permis la publication de nouvelles données très riches, et l’identification des principaux bénéficiaires des subventions agricoles européennes, petits propriétaires fonciers ou larges compagnies multinationales ».

Source : Darbyshire, Helen (2010), Proactive Transparency: The future of the right to information? A review of standards, challenges, and opportunities, World Bank Institute, Governance Working Paper Series http://siteresources.worldbank.org/WBI/Resources/213798-1259011531325/6598384-1268250334206/Darbishire_Proactive_Transparency.pdf.

Une législation rigoureuse de l’AI, et sa mise en œuvre effective, renforcent la capacité des médias de promouvoir la voix des citoyens : certains articles rédigés par les médias peuvent par exemple mobiliser le public et affirmer son rôle dans le cycle d’élaboration des politiques publiques et la détermination des priorités politiques, en aidant les citoyens à suivre et évaluer la qualité des services de l’administration (Banque mondiale, 2017). En attirant l’attention sur les enjeux les plus saillants et en les clarifiant, les médias peuvent en effet amener des groupes de population diversifiés à comprendre, discuter et influencer les enjeux de la vie publique (Taylor, 2017). L’utilisation par les médias des dispositions de l’AI peut enfin constituer un mécanisme d’auto-consolidation en appui à une meilleure promotion et une compréhension accrue des avantages de la législation d’AI, puisqu’en exerçant leur droit d’obtenir l’information et d’y consacrer des articles, les journalistes font connaître l’existence de la législation, attestant ainsi son efficacité (Bertoni, 2012). De cette manière, les journalistes peuvent remplir une fonction critique en contribuant à faire pression sur le gouvernement pour améliorer encore la transparence.

Les efforts relatifs aux données publiques ouvertes, viennent en outre compléter les initiatives d’AI en offrant au public d’autres voies d’accès aux données. Les principes communs des données ouvertes exigent que les données publiées par les gouvernements soient disponibles gratuitement, réutilisables et lisibles par un système informatique, afin « qu’elles permettent, orientent, confortent l’accès, l’usage et la réutilisation des (…) données pour accroître l’ouverture et la transparence, et favoriser l’implication du public dans l’élaboration des politiques, la création de valeur publique et la conception et la fourniture de services, selon les termes de la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur les stratégies numériques gouvernementales (OCDE, 2015). Une étude a toutefois relevé que les journalistes étaient rarement considérés par les gouvernements comme des utilisateurs finaux des données publiques, et qu’une diffusion irrégulière ou lente de ces données ne pouvait satisfaire les besoins des journalistes (Stoneman, 2015). Étant donné les ressources et l’expertise que ces derniers peuvent apporter à l’analyse et à la visualisation des grands ensembles de données, l’information numérique ample et diverse peut cependant être une source utile.

À la suite surtout de la consolidation par la Tunisie du cadre légal en faveur de l’ouverture adopté en 2011, tel qu’évoqué ci-dessous, le gouvernement a pris diverses initiatives opportunes. Outre les portails de plusieurs ministères tel ceux du ministère des Finances, de l’Industrie ou d’autres, on peut citer :

L’importance des données ouvertes en Tunisie est aussi reflétée par les Plans d’action nationale pour le PGO. Le premier plan (2014-2016) comportait des engagements sur la mise en œuvre de l’AI et les données ouvertes. Ce choix fut consolidé dans le cadre du deuxième plan (2016-2018) qui inclut des engagements sur la mise en œuvre des plateformes de données ouvertes et un décret renforçant le cadre institutionnel de l’AI3. En 2018, l’Unité de l’administration électronique au sein de la Présidence du gouvernement a entamé des discussions au sujet de la rédaction d’un décret promouvant, clarifiant et normalisant les actions gouvernementales en matière de données ouvertes (Tunisie numérique, 2018).

Ces efforts du gouvernement tunisien se voient complétés par des organisations de la société civile et des médias locaux ainsi que par certains bailleurs internationaux œuvrant pour renforcer la capacité des journalistes à utiliser les données publiques ouvertes. Des Hackathons4 du journalisme centré sur les données (http://www.datajournalism.tn/) ont de ce fait été organisés ainsi que des ateliers sur des problématiques similaires (https://www.cfi.fr/en/news/pagof-data-journalism-workshops-tunisia).

En France, la loi sur les données ouvertes - loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique – reconnaît le rôle des médias pour contribuer à la transparence et aux données ouvertes au nom de la pluralité de la vie politique. Cette loi oblige par exemple les radios et télévisions à transmettre « les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) » qui les communique à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Comme indiqué dans l’Examen de l’OCDE du Gouvernement ouvert en Tunisie, le gouvernement devrait continuer à privilégier les efforts de renforcement de l’utilisation stratégique des données en faveur de la transparence et de l’engagement des citoyens, en plus d’étendre ses prestations numériques en ligne. Il pourrait s’agir par exemple de travailler avec les médias et le public afin de déterminer quelles données devraient être priorisées et comment les présenter, ainsi que d’encourager la coordination entre les responsables travaillant sur les données ouvertes et ceux en charge de l’AI (OCDE, 2016). Les données ouvertes ne sont cependant que l’un des facteurs qui favorisent les initiatives de gouvernement ouvert. La liberté de diffuser, d’analyser et réutiliser les données, et d’y réagir, sont d’autres éléments déterminants au service des objectifs du gouvernement ouvert.

Le cadre légal en faveur de l’AI en Tunisie

Si le cadre légal tunisien en matière d’AI a évolué ces sept dernières années, la Tunisie était dès avant 2011 signataire des conventions internationales promouvant la transparence et l’AI, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (signé en 1968 et ratifié en 1969)5 et la Convention des Nations-Unies contre la corruption (signée le 30 mars 2004 et ratifiée le 23 septembre 2008).6

Bien avant les avancées de 2016, l’adoption du décret-loi n°41 du 26 mai 20117, relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics tel que modifié et complété par le décret-loi n°54 du 11 juin 20118, a garanti l’accès aux documents administratifs et clarifié les exceptions en la matière. La Tunisie est le deuxième pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) à adopter une législation d’AI, et le décret-loi a joué un rôle décisif dans l’adhésion de la Tunisie au PGO en 2014 (OCDE, 2016). Malgré son importance de modèle régional, de nombreux rapports soulignaient les pistes d’amélioration possible pour rapprocher cette législation avec les normes internationales, notamment en matière d’exceptions, en ajoutant le « critère du préjudice» et le « critère d’intérêt public», en mentionnant la nécessité de formation des responsables de l’information, en élargissant la liste des organismes publics concernés, et en étendant ce droit à l’information de manière générale au-delà des seuls documents administratifs (article 19, 2011). Le décret-loi, en outre, n’a pas instauré de commission indépendante de surveillance de la mise en œuvre de l’AI, et ne prévoyais que des sanctions disciplinaires pour les fonctionnaires qui ne respecteraient pas ces dispositions sans les spécifier pour chaque infraction.

En novembre 2011, la Tunisie a également adopté deux décret-lois consacrés à la liberté d’expression et des médias qui ont étendu le périmètre de la législation tunisienne sur l’AI. L’article 10 du décret-loi 115/2011 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition a notamment confirmé le droit d’accès des journalistes à l’information et aux nouvelles, données et statistiques (Mir, 2012). L’article 4 du décret-loi 116/2011 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et portant création de la Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle (HAICA)9 affirme quant à lui que tous les citoyens ont le droit d’accéder à l’information et à la communication audiovisuelle. Ces deux décret-lois montrent que l’AI, au-delà de l’accès aux documents administratifs, a été considéré comme un élément essentiel de l’environnement médiatique dès le début du processus de réforme en cours, sans pour autant spécifier comment obtenir cet accès.

En 2014, la nouvelle constitution vient réaffirmer le droit à l’information. Son article 31 garantit notamment les « libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication », et dispose que « aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés». L’article 32 ajoute que « l’'état garantit le droit à l'information et le droit d'accès à l'information. L'état œuvre à garantir le droit à l'accès aux réseaux de communication ». L’article 65 dispose en outre que les lois relatives à « l’organisation de l’information, de la presse et de l’édition » auront statut de lois organiques. Ainsi, la Constitution affirme le rôle important des médias y compris les médias sociaux, en tant que vecteurs de diffusion de l’information.

Le droit à l’information prévu par la Constitution est entré en vigueur avec la loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016 (et remplaçant le décret-loi de 2011)10. Une des avancées majeures de cette loi et qu’elle porte sur l’ensemble de l’information gouvernementale enregistrée (et non les seuls documents administratifs, tel qu’était le cas limité par le décret-loi de 2011). Par ailleurs, la loi garantit dans son article 2 un libre accès sans condition de justification à l’information détenue par les organismes de l’État, y compris les ministères et les différents organismes sous tutelle publique à l’intérieur ou à l’étranger, la présidence de la République et ses organismes, la présidence du gouvernement et ses organismes, les entreprises et les établissements publics et leurs représentations à l’étranger, les collectivités locales, l’assemblée des représentants du peuple, les organismes publics locaux et régionaux, la Banque centrale, les instances judiciaires, le conseil supérieur de la magistrature, la Cour constitutionnelle et la Cour des comptes, les instances constitutionnelles, les instances publiques indépendantes et instances de régulation, et enfin les organisations et les associations et tous les organismes bénéficiant d’un financement public, ainsi que les personnes de droit privé chargées de gestion d’un service public. Elle clarifie par ailleurs les obligations de publication proactive dans une forme intelligible en demandant aux services concernés de rendre publics leurs politiques et programmes en matière de contrats publics, budgets, textes juridiques, marchés publics programmés etc., et d’actualiser l’information tous les trois mois ou lorsque les données changent (articles 6 et 7). La loi prévoit par ailleurs une amende en cas d’obstruction volontaire de l’AI, des sanctions pénales pour endommagement délibéré de l’information (article 57), et de poursuites disciplinaires (prévues par l’article 58). Voir OCDE (2019) pour plus de précisions sur la loi organique 2016-22 de mars 2016).

L’analyse réalisée conjointement par le Centre for Law and Democracy et Access Info Europe indique que la Tunisie dispose d’un des cadres légaux les plus solides au monde en matière de garantie de l’accès à l’information, en se situant au 11ème rang sur 110 pays, sur la base d’un système de notation incluant des indicateurs relatifs au droit d’accès, à son étendue, aux procédures de demande d’information, aux exceptions et refus, aux appels, sanctions et protections, ainsi qu’aux mesures promotionnelles (RTI Rating, 2018). La législation tunisienne est aussi favorablement évaluée en regard de celles des pays de l’OCDE ; alors que presque tous les gouvernements garantissent l’accès à l’information au niveau du gouvernement central et de l’exécutif, 70% incluent les autorités territoriales et moins de la moitié fournissent un accès à l’information des organes législatifs, judiciaires et autres (OCDE, 2017). En ce qui concerne la publication proactive, tous les pays de l’OCDE publient de manière proactive l’information, et pour 72 % d’entre eux, c’est la législation d’AI qui l’impose pour certaines catégories d’information (comme les documents budgétaires, les rapports annuels et les rapports de contrôle) (OCDE 2011).

Les analyses de l’OCDE démontrent que les progrès réalisés sur le plan légal ne se concrétiseront pas si les mécanismes de mise en œuvre ne sont pas établis. La création par la loi d’une autorité publique indépendante, l’Instance nationale d’accès à l’information (INAI), chargée de surveiller la mise en œuvre de la législation et de se prononcer sur les recours concernant les demandes d’accès à l’information a été primordiale dans ce cadre. Elle a le pouvoir d’émettre des jugements/décisions exécutoires. Elle joue également un rôle consultatif pour les projets des textes. L’INAI doit aussi rédiger un rapport public sur le nombre des demandes d’information, d’appels, de réponses et de décisions, et promouvoir une culture d’accès à l’information au moyen d’activités de sensibilisation et de formation du public (article 38). Plus particulièrement, les rapports de l’INAI aideront les journalistes à rendre publics leurs réussites et les difficultés rencontrées en matière de mise en œuvre de la législation d’AI.

L’INAI est composée de neuf membres, dont son président, un juge administratif, un juge judiciaire (vice-président), un membre du conseil national des statistiques, un professeur universitaire spécialisé en technologie de l’information, ayant un grade de professeur d’enseignement supérieur ou de maître de conférence, un expert en documents administratifs et en archives, un avocat, un journaliste, un représentant de l’Instance nationale de protection des données personnelles, qui y a assumé des responsabilités pendant au moins deux ans, et un représentant des associations actives dans les domaines ayant lien avec l’AI. En février 2017, la Commission électorale de l’Assemblée des représentants du peuple a examiné 118 candidatures, à partir desquelles neuf membres ont été élus en juillet 2017 (Bellamine, 2017).

L’instance a depuis commencé ses travaux à plusieurs niveaux. D’un point de vue juridictionnel, avec près de 400 affaires qui ont été enrôlées depuis le début de l'année 2018 et jusqu'à 145 décisions rendus, dont la plupart ont été déjà exécutées, et au niveau de sa mission de contrôle du respect des obligations des organismes assujettis à la loi de leurs engagements en matière de publication proactive de l'information, ou encore au niveau de la promotion de la culture de l'AI et ce, à travers l'organisation en coordination avec les structures publiques et les organisations de la société civile, de plusieurs événements de sensibilisation et de formation (octobre 2018). L’INAI joue ainsi un rôle déterminant pour une mise en œuvre effective de la loi, en permettant au public et aux médias de bénéficier des dispositions de la loi, et en veillant à la mise en œuvre de la responsabilité du gouvernement dans ce cadre. La présence d’un représentant des médias favorisera par ailleurs une meilleure prise en compte des besoins et difficultés des journalistes dans leurs efforts d’AI. Le rôle des médias a d’ailleurs été relevé par le président de l’INAI, qui a souligné « l’importance d’une participation active de la société civile et des médias dans la mise en œuvre de la législation d’AI » lors de l’inauguration de l’INAI en septembre 2017 (UNESCO, 2017).

Des opportunités demeurent pour renforcer davantage l’AI en Tunisie. À titre d’exemple, alors que l’article 24 dispose que l’information ne peut être refusée « que lorsque ceci entraînerait un préjudice à la sécurité́ ou la défense nationales ou les relations internationales y liées ou les droits du tiers quant à̀ la protection de sa vie privée, ses données personnelles et sa propriété́ intellectuelle », le Programme d’évaluation du droit à l’information a constaté que toutes les exceptions ne sont pas rapportées au préjudice potentiel, ce qui a pour effet d’accroître la marge de discrétion d’un gouvernement qui n’est pas tenu de prouver que la révélation d’une information donnée entraînerait des préjudices (RTI Rating, 2018). En outre, il n’existe pas d’obligation générale imposant aux autorités publiques de répondre aux demandes aussi vite que possible (bien que la loi fixe un délai maximal de vingt jours à compter de la réception de la demande, et des délais plus courts dans certains cas, par exemple lorsque la vie ou la liberté d’une personne est en jeu) (RTI Rating, 2018). L’obligation d’imputer toutes les demandes à une personne morale ou physique, en fournissant noms et adresses, reste enfin une difficulté qui peut empêcher un bon fonctionnement de la législation (OCDE, 2016).

Tout en notant que la loi n° 2016-22 sur l’AI est une loi organique, et que par conséquent ses dispositions sont supérieures à celles d’autres lois ou décrets, le cadre légal tunisien mériterait certaines révisions pour assurer une meilleure cohérence. La loi n°83-112 du 12 décembre 1983, toujours en vigueur et portant sur le statut général des personnels de l'État, des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif, stipule par exemple que tout agent public « est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et informations » ; elle prévoit des sanctions lorsque cette règle est violée11. Cette obligation de secret professionnel est réaffirmée par le Code pénal (Tunisie, 2012)12.

L’incertitude juridique a parfois été accentuée par le gouvernement, en dépit des progrès effectués. Le gouvernement avait par exemple promulgué une circulaire (n°4 – 2017) relative à l’organisation du travail des cellules chargées de l’information et de la communication relevant des ministères et des établissements et entreprises publics, qui venait restreindre le partage d’information des agents publics avec la presse, dans la continuité du décret N°4030 d’octobre 2014. Cette circulaire affirmait qu’aucun fonctionnaire en dehors des porte-parole ne pouvait s’adresser aux médias sans avoir préalablement obtenu l’autorisation de le faire (HuffPost, 2017). Elle prévoyait aussi d’interdire aux fonctionnaires de faire des déclarations « violant le secret professionnel et la préservation des intérêts supérieurs de l’État », d’empêcher « la révélation de documents et d’informations officiels susceptibles d’être communiqués au public » ainsi que les « déclarations trompeuses ou erronées » en relation avec leur activité et leur institution ». Sous la pression notamment des journalistes et des organisations de la société civile, le gouvernement a finalement suspendu la circulaire.

Comme mentionné plus haut, l’adoption par la Tunisie du premier décret-loi d’AI en 2011 a facilité l’adhésion du pays au Partenariat pour un Gouvernement ouvert en 2014. Dans son second Plan d’Action National (pour la période 2016-2018), la Tunisie a inclus un engagement à moderniser son cadre réglementaire pour concrétiser le droit d’accès à l’information, avec pour objectif principal de « promouvoir l’application de la loi sur le droit d’accès à l’information et (d’)adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir l’accès à l’information de manière volontaire ou sur demande ». Le Plan intègre aussi un engagement relatif au renforcement de l’accès aux documents détenus par les Archives nationales, dans l’intention de faciliter l’accès électronique aux documents et d’offrir aux médias la possibilité d’une réutilisation des données (République de la Tunisie, 2016). Des progrès ont été accomplis sur ces deux plans, dont la création de l’INAI, la formulation d’un Plan d’action national pour faciliter la mise en œuvre de la législation et la une plateforme des archives en cours de développement (Présidence du gouvernement, 2017). L’inclusion de ces deux engagements et la reconnaissance de leur portée pour les médias dans le cadre d’une plateforme publique et internationale comme le PGO sont un symbole important de la pertinence de cette question dans la promotion de l’expression des citoyens et des principes du gouvernement ouvert.

Les difficultés rencontrées par les journalistes dans la concrétisation du cadre de l’AI en Tunisie

De manière générale, les obstacles à l’accès à l’information et aux données publiques sont de diverses natures. Il y a ceux créés par le cadre légal en matière d’AI et dans d’autres domaines, ceux liés à la mise en œuvre de la législation faute de capacité ou de volonté des organismes publics de s’y conformer, en passant par les obstacles nés du manque de connaissance de leurs droits ou de capacité de les mobiliser par les journalistes et des citoyens. Offrir à tous les groupes sociaux un accès à l’information n’est donc qu’une première étape. De manière générale, les États doivent aussi envisager de formuler une stratégie en matière de participation citoyenne, et de mettre en place un cadre légal relatif aux archives nationales, au gouvernement numérique et aux données ouvertes, à la lutte contre la corruption et la protection des dénonciateurs, etc. (OCDE, 2017). En Tunisie la loi n° 88-95 du 2 Août 1988 relative aux archives pourrait être améliorée pour la mettre en phase avec la loi de l’AI. Le cadre en matière des données ouvertes est en cours de préparation, pendant que le cadre relatif à la lutte contre la corruption nécessite des textes d’application. Par ailleurs, l'Assemblée des représentants du peuple en Tunisie adopté la loi organique 2017-10 du 7 mars 2017 relative à la dénonciation et la protection des dénonciateurs. Au titre de l’article 17, la législation établit les conditions et mécanismes dans le cadre desquels les dénonciateurs peuvent faire état d’un cas de corruption, ainsi que les procédures mobilisables aux fins de protection des dénonciateurs, et les sanctions qui s’appliquent lorsque leur identité est divulguée. La loi œuvre en outre à la protection des agents publics qu’elle garantit face à d’éventuelles représailles de la part de leurs pairs ou supérieurs hiérarchiques (US Department of State, 2017 ; Middle East Monitor, 2017). De telles protections des dénonciateurs permettent aux médias sociaux et traditionnels de mieux veiller à la responsabilité des gouvernements, qui doivent rendre compte de leurs actes.

Le système d’AI de la Tunisie peut être renforcé afin d’accroître la transparence et la redevabilité en consolidant la capacité des médias à utiliser les dispositions existantes. Selon les organisations de la société civile et les journalistes interrogés par l’OCDE, par exemple, les réponses aux demandes officielles d’information arrivent trop tardivement pour être utiles, et parfois n’arrivent jamais. Dans une étude réalisée entre janvier et août 2017, l’ONG tunisienne I-Watch a par exemple déposé 58 demandes d’accès à l’information auprès de diverses agences publiques ; elle n’a reçu de réponse que dans 34% des cas (I-Watch, 2017). Les rapports de l’INAI sur la mise en œuvre de la législation permettront de mieux identifier les domaines d’amélioration possibles.

Les entretiens menés par l’OCDE ont en outre mis en exergue la centralisation de la diffusion de l’information par le gouvernement central, la législation n’ayant pas encore eu de traduction suffisante à l’échelon territorial. C’est un défi particulier pour les médias locaux et associatifs. Étant données l’importance et la portée de la couverture médiatique locale au regard du quotidien de la population, et les conséquences des informations publiées par la presse locale sur les enquêtes et recherches à une plus large échelle, le renforcement de la mise en œuvre de l’AI à l’échelon local est un élément décisif en faveur d’un écosystème médiatique vigoureux.

I-Watch a par ailleurs constaté que dix ministères n’actualisaient pas régulièrement leur information publique – alors que l’article 7 de la loi leur enjoint de le faire tous les trois mois. L’ONG a aussi montré que la plupart des organismes publics et organisations gouvernementales, ainsi que la Banque centrale, ne proposaient pas sur leurs sites Internet de pages dédiées à l’accès à l’information (I-Watch, 2017). L’application disparate de la législation selon les ministères et échelons gouvernementaux n’est pas propre à la Tunisie. Dans toute la région, les organismes publics, particulièrement au niveau local, publient rarement l’information de manière proactive et répondent difficilement aux demandes d’information. Le manque de ressources humaines, l’insuffisance de l’organisation interne de documents et archives et de systèmes de classification l'expliquent partiellement. Lors des formations organisées par l’OCDE pour les agents publics locaux, plusieurs participants ont indiqué être confrontés à ce gendre de difficulté (OCDE, 2019).

Si tous les problèmes évoqués empêchent une mise en œuvre effective de la loi et ne permettent pas aux journalistes de tirer profit d’une transparence accrue, diverses solutions permettraient des améliorations rapides et significatives, telles la nomination de responsables de l’information au sein des ministères et des administrations locales (déjà en cours), l’augmentation des ressources et des effectifs et l’incitation à une publication proactive de l’information. D’autres difficultés sont plus structurelles, car liées à la culture et aux traditions de transparence du pays. L’adoption assez récente par la Tunisie d’une législation d’accès à l’information exigera un effort accru de formation et de renforcement de capacités, sur la base des initiatives déjà prises par le gouvernement et plusieurs acteurs nationaux et internationaux dans ce domaine, si l’on veut parvenir à enraciner une culture d’ouverture au sein de l’administration publique nationale comme territoriale.

Cela nécessitera par ailleurs d’instaurer une communication publique qui soutienne la transparence et l’accès à l’information, basée sur le principe d’égalité de l’accès avec des structures et procédures claires et transparentes. Dans ce sens, les communicants publics jouent un rôle important et devraient se positionner comme des avocats de la transparence en agissant en complémentarité avec les chargés de l’accès à l’information. Ce point est d’autant plus important dans un contexte où il n'existe pas encore de chargés de l’AI dans toutes les administrations. Tandis que le chargé de l’accès à l’information est responsable de la mise en œuvre des structures de la publication proactive conformément à la loi, les communicants se doivent d’assurer la diffusion des informations auprès des médias. En outre, ces derniers peuvent informer l’administration des données le plus demandées par les journalistes. Les communicants pourraient également faciliter le travail des agents chargés de l’accès à l’information dans la recherche de l’information auprès des différents services et en aidant chaque organisme à élaborer son rapport sur la mise en œuvre de la loi d’AI. Dans cet esprit, ils pourraient aussi participer aux commissions consultatives chargées de l’AI que la loi autorise chaque organisme à créer. Les communicants publics ont ainsi plus que jamais un rôle à jouer dans la divulgation de l’information utile aux journalistes et aux citoyens (Encadré 4.3 sur le travail mené par l’OCDE sur l’appui au gouvernement de Tunisie dans ses efforts pour renforcer sa communication publique et l’accès à l’information, et l’Encadré 4.4 sur la série d’ateliers conçus pour améliorer la mise en œuvre de l’AI par l’administration des États-Unis). Cependant, il est important de veiller, comme mentionné préalablement, à ne pas créer une confusion entre chargés d’accès à l’information et communicants, en clarifiant les rôles de chacun, notamment au vu des défis différents auxquels font face ces deux profils.

Encadré 4.3. Le soutien de l’OCDE au réseau tunisien de la communication publique

En mai 2018, dans le cadre du projet « Voix Citoyenne en Tunisie », l’OCDE a soutenu l’organisation d’un atelier pour les membres du réseau des responsables de la communication, l’INAI et les responsables de l’AI afin de sensibiliser les participants aux opportunités offertes par la législation nationale en matière d’AI. L’atelier a en outre permis aux participants de discuter des possibles synergies entre communicants publics et responsables de l’AI, et de mieux cerner leurs diverses responsabilités en évitant les chevauchements de leurs activités et rôles aux yeux des citoyens. L’atelier a renforcé une discussion centrée sur le rôle et le potentiel d’une publication proactive et d’une communication stratégique, particulièrement en ce qui concerne les réseaux sociaux.

Source: Atelier OCDE

Encadré 4.4. Les ateliers du Bureau pour la politique d’information du Département de la Justice des États-Unis

« Le Bureau pour la politique d’information du Département de la Justice des États-Unis (OIP) a lancé en 2014 une série d’ateliers sur les bonnes pratiques dans le cadre du Second Plan National d’Action pour le Gouvernement ouvert, et particulièrement de son engagement de moderniser la Loi sur la liberté de l’information (LLI) et d’améliorer les processus dans ce domaine. Chaque atelier porte sur une thématique de la LLI, un panel de représentants partageant des expériences, leçons et stratégies de succès dans ces domaines. Au travers de ces ateliers, les agences peuvent continuer à apprendre les unes des autres et consolider leurs succès au bénéfice de l’administration LLI dans l’ensemble du gouvernement ». De mai 2014 à août 2017, les ateliers ont abordé les thèmes et bonnes pratiques suivants :

  • La réduction des arriérés et l’amélioration des délais : Obtenir l’appui des dirigeants à une administration LLI efficace ; examiner de manière routinière les paramètres de traitement des demandes ; assurer une responsabilité en définissant des objectifs et en récompensant les équipes lorsqu’elles satisfont aux objectifs chiffrés ; former les personnels à la LLI ; utiliser un processus à canaux multiples pour éviter que des demandes simples soient paralysées ; prioriser les demandes anciennes.

  • Publication proactive et amélioration de l’utilité de l’information en ligne : Identifier avec les services de programmation les opportunités d’une publication proactive ; rendre l’information en ligne utilisable, et non pas seulement accessible ; mobiliser l’expertise existante en dehors des services LLI, comme un Directeur de l’Information ou des experts venus d’autres services de l’État ; collaborer avec des acteurs externes, comme le public et les partenaires.

  • Les bonnes pratiques aux yeux des demandeurs : Maintenir une communication fréquente et dense avec les demandeurs ; expliquer le type d’archives conservées par les agences ; actualiser les coordonnées des demandeurs ; rendre les archives en ligne repérables et accessibles.

  • Mobiliser la technologie pour améliorer les processus LLI : Utiliser toutes les ressources disponibles de l’agence ; collaborer activement avec les professionnels des technologies ; examiner les différents usages des technologies au service de l’ensemble du processus LLI, comme les plateformes de collaboration en ligne pour favoriser le traitement de la LLI ; évaluer de manière constante l’efficacité des outils ; utiliser des outils sophistiqués d’examen des documents.

  • Service consommateur et résolution des litiges : Communiquer avec les demandeurs tout au long du cycle de demande ; documenter les discussions avec le demandeur ; recourir à un traitement à canaux multiples pour améliorer le service au consommateur et assurer un traitement rapide des demandes les plus simples.

  • Programmes de formation (y compris pour les petites agences) : Renforcer le message que la LLI est de la responsabilité de chacun ; être créatif quant à la manière d’offrir des formations ; adapter la formation LLI aux besoins spécifiques du personnel de l’agence concernée ; récompenser et rendre attractif la formation LLI.

  • Collaborer pour obtenir des résultats : Les agences et les demandeurs travaillent ensemble tout au long du processus LLI : Informer, éduquer et travailler de manière collaborative avec les demandeurs tout au long du processus LLI ; construire une relation de confiance entre demandeurs et personnels de l’agence en insistant sur le gain réciproque ; utiliser un langage simple et précis en communiquant avec les demandeurs ; recueillir les opinions de la communauté des demandeurs.

  • Bonnes pratiques d’auto-évaluation et amélioration des processus LLI : Les agences devraient régulièrement organiser des auto-évaluations de leurs programmes de LLI ; le nouvel Outil d’auto-évaluation de l’OIP est une ressource utile pour ce faire.

Source : Department of Justice des États-Unis, site Internet de l’Office of Information Policy, Best Practices Workshop Series, consulté en mai 2018, www.justice.gov/oip/best-practices-workshop-series.

Les entrevues menées par l’OCDE mettent en évidence par ailleurs la nécessité de nouveaux efforts pour renforcer la prise de conscience par les citoyens, les organisations de la société civile et les journalistes eux-mêmes du potentiel de l’information disponible et au processus de recueil des données. Des études portant sur des pays membres et partenaires de l’OCDE révèlent un besoin de formation pour permettre aux journalistes d’accroître leur compréhension des cadres légaux, des mécanismes de soumissions des demandes et d’appel, ainsi que leur connaissance des informations disponibles auprès des différents organismes (voir Encadré 4.5 pour une description des initiatives de l’OCDE en la matière). Améliorer la capacité d’organisation des journalistes, d’analyse et de visualisation des données publiques accroîtrait en outre leur saisine de leurs droits en matière d’information (Harlow, 2014).

Encadré 4.5. L’appui actuel de l’OCDE à l’AI en Tunisie

L’OCDE, en coordination avec l’INAI et l’organisation non-gouvernementale Article 19, a créé un guide pour informer les citoyens et les journalistes au sujet de la législation sur l’AI en Tunisie. Ce guide explique les dispositions et processus en matière de droit à l’information en Tunisie, et est conçu pour promouvoir une réforme du secteur public inspirée par les principes de transparence, de participation des citoyens et de responsabilité. Le guide a été rendu public le 19 juin 2018 au cours d’un atelier visant à informer les journalistes et la société civile au sujet de l’importance du droit d’accès à l’information. Des sessions complémentaires ont intégré une actualisation des évolutions de la mise en œuvre du droit d’accès à l’information en Tunisie, ainsi que des concepts et exemples liés aux données ouvertes et à la réutilisation des données.

Source: travail personnel des auteurs.

D’autres obstacles à la concrétisation de la législation tunisienne d’AI existent, parmi lesquels le manque de confiance des citoyens dans le gouvernement et leur mauvaise compréhension de la manière dont l’information peut être utilisée pour responsabiliser les autorités (Dreisbach, 2017), un constat partagé par de nombreux pays de l’OCDE. La mission d’examen par les pairs de l’OCDE a constaté que les journalistes dépendent souvent de contacts personnels avec des responsables de la communication, tandis que ces derniers ne se perçoivent pas toujours comme autorisés à partager l’information sans l’autorisation de leurs supérieurs. Même si le problème n'est pas nouveau, il a été renforcé, en partie par le décret du 3 octobre 2014 portant approbation du code de conduite et de déontologie de l’agent public13 et en partie par l’héritage de la circulaire n°4 en dépit de sa suspension. Les entretiens ont montré que cette circulaire avait en effet créé un climat peu favorable au partage de l’information par les fonctionnaires.

Recommandations

La Tunisie a fait d’important efforts d’amélioration de son cadre légal en appui à l’AI ; elle continue à renforcer sa capacité institutionnelle et la culture requises pour une complète mise en œuvre de la législation. Lors de l’atelier organisé en mai 2018 en Tunisie par l’OCDE, partiellement consacré à l’AI, les intervenants ont par exemple mis l’accent sur le rôle décisif de l’AI dans le renforcement de la confiance publique dans l’administration, dans la mesure où il consolide les progrès réalisés dans le cadre des réformes de gouvernement ouvert, ainsi que dans l’appui à un écosystème médiatique libre. Les participants ont souligné l’importance d’une sensibilisation des journalistes et du public aux droits et procédures prévus par le cadre légal du pays. Alors que de nombreuses formations ont été organisées à l’attention des journalistes et des responsables gouvernementaux, notamment par Article 19, l’OCDE, l’UNESCO ou la Banque mondiale, la pression pour une transparence plus grande bénéficierait d’un appui constant à la sensibilisation des agents gouvernementaux, des journalistes et du public en général.

Améliorer l’AI ne peut toutefois se faire en vase clos. Tirer profit d’une transparence, d’une responsabilité et d’une participation citoyenne accrues rendues possibles par le droit à l’information, suppose que les médias aient la capacité et l’espace pour publier l’information, et que d’autres moyens de favoriser l’implication existent, comme la promotion de l’engagement des citoyens au travers de mécanismes distincts des demandes d’information et de l’obligation faite aux autorités locales de communiquer et de justifier plus ouvertement leurs décisions. Pour contribuer aux objectifs plus larges du gouvernement ouvert, l’information doit faire écho aux vies quotidiennes des citoyens et répondre aux attentes du public. Les médias doivent donc, compte tenu de leur position, participer à ce débat. Fournir un accès à l’information est donc essentiel mais ne suffit pas à consolider le gouvernement ouvert ou à améliorer la gouvernance. L’OCDE recommande par conséquent au gouvernement tunisien :

  • De continuer à nommer et à former des responsables de l’information dans les différents ministères et administrations territoriales afin d’améliorer la mise en œuvre de la loi aux échelons national et local. Il est également recommandé la mise en place d’un programme de formation (et de formation des formateurs), ainsi que l’inclusion de ces formations dans les cursus des fonctionnaires.

  • D’harmoniser le cadre juridique afin de renforcer la mise en œuvre du droit de l’accès à l’information en s’assurant par exemple de l’intégration de ce droit dans les textes en cours d’élaboration relatifs aux médias audio-visuels et à la presse.

  • Afin de renforcer le rôle que les communicants publics pourraient jouer pour consolider le travail des chargés de l’accès à l’information, il serait opportun de clarifier leurs relations dans les textes d’application, les guides pratiques et manuels de procédures, de proposer des formations continue en la matière et de proposer des passerelles d’échanges d’expériences.

  • D’offrir de manière régulière et systématique des rencontres de coordination et d’interaction entre les responsables de l’information, les agents travaillant dans le cadre des initiatives relatives aux données publiques ouvertes, les responsables de la communication, les journalistes et les représentants de la société civile, afin de faciliter la compréhension des manières d’améliorer l’utilité de la publication de l’information et des données pour le public et les médias. De telles rencontres, éventuellement organisées au travers du réseau des responsables de la communication, pourraient résoudre des difficultés faisant obstacle à une bonne mise en œuvre de la législation d’AI, de hiérarchiser les ensembles et les formats de données les plus utiles et de faire connaître l'existence d'une telle plateforme et ses possibles usages.

  • De continuer à travailler avec les organisations de la société civile et les médias à la formulation d’orientations favorisant une mise en œuvre de la législation.

  • De conforter et d’intensifier les efforts de sensibilisation du public au moyen d’une meilleure communication autour des retombées positives de la loi et d’une disponibilité plus grande de l’information, par exemple en concevant des matériaux de formation à destination du public et des journalistes, et des campagnes de communication afin de s’assurer que les journalistes et le public comprennent mieux leurs droits d’AI.

  • De s’assurer que l’INAI dispose des ressources financières et humaines nécessaires pour remplir son rôle de surveillance de la mise en œuvre de la législation d’AI.

  • De promouvoir la collaboration entre l’INAI et d’autres institutions gouvernementales, des médias et de la société civile (comme les médias, la HAICA, le Conseil de la presse, etc.) afin d’examiner la mise en œuvre du cadre de l’AI et de recommander d’éventuels changements.

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Notes

← 1. Lien vers la Constitution de la Tunisie de 2014, www.legislation.tn/sites/default/files/news/constitution-b-a-t.pdf.

← 2. Seul le Luxembourg ne dispose pas d’une législation en matière d’AI.

← 3. www.ogptunisie.gov.tn/.

← 4. Un événement où un groupe de développeurs volontaires se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative.

← 5. L’article 19 de la Convention dispose que « Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix » (HCDH, 1968). Consulté via la Collection des traités des Nations Unies : https://treaties.un.org/Pages/Home.aspx?clang=_fr (consulté en avril 2018).

← 6. La Convention promeut la transparence dans le domaine des activités de lutte contre la corruption (article 5), de la gestion des ressources humaines et du financement des partis politiques (article 7), des marchés et des finances publics (article 9), et de la reddition de comptes publique (article 10). L’article 13 promeut le renforcement de la transparence dans un effort pour « promouvoir la contribution du public aux processus de prise de décision », et appelle notamment les pays à garantir que « le public ait un accès effectif à l’information. Consulté via la Collection des traités des Nations Unies : https://treaties.un.org/Pages/Home.aspx?clang=_fr (consulté en avril 2018).

← 7. www.legislation.tn/fr/detailtexte/D%C3%A9cret-loi-num-2011-41-du----jort-2011-039__2011039000412?shorten=lGMi.

← 8. www.legislation.tn/fr/detailtexte/D%C3%A9cret-loi-num-2011-54-du----jort-2011-043__2011043000542?shorten=iaXW.

← 9. Lien vers le texte du Décret-loi 116 de 2011 (Décret 116/2011) (en français) : http://www.inric.tn/fr/decret.pdf.

← 10. Lien vers le texte de la Loi organique 2016-22 du 24 mars 2016 (en français) : www.legislation.tn/fr/detailtexte/Loi-num-2016-22-du----jort-2016-026__2016026000221?shorten=TccG, http://www.rti-rating.org/wp-content/uploads/Tunisia.pdf ; lien vers le Rapport d’évaluation et l’analyse de RTI http://www.rti-rating.org/country-data/scoring/?country_name=Tunisia.

← 11. Lien vers la loi : www.collectiviteslocales.gov.tn/wp-content/uploads/2016/10/Loi-n%C2%B0-83-112-du-12-d%C3%A9cembre-1983.pdf et lien vers le Code pénal : www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/61250/60936/F1198127290/TUN-61250.pdf.

← 12. Particulièrement dans son article 109, qui prévoit une sanction pour l’agent public « qui, indûment, communique à des tiers ou publie, au préjudice de l'État ou des personnes privées, tout document dont il était dépositaire ou dont il avait connaissance à raison de ses fonctions », et dans son article 253, qui dispose que « Celui qui, sans y être autorisé, divulgue le contenu d'une lettre, d'un télégramme ou de tout autre document appartenant à autrui, est puni de l'emprisonnement pendant 3 mois ». Lien vers le Code pénal : www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/61250/60936/F1198127290/TUN-61250.pdf.

← 13. www.legislation.tn/fr/detailtexte/D%C3%A9cret-num-2014-4030-du-03-10-2014-jort-2014-090__2014090040303.

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