Guerre en Ukraine : Conséquences économiques et sociales et implications pour les politiques publiques

  • La principale conséquence de la guerre en Ukraine réside dans les pertes de vies humaines et la crise humanitaire associée à la multitude de personnes assiégées et déplacées. Elle est cependant aussi lourde de conséquences économiques multiples.

  • Avant que la guerre n’éclate, on anticipait un retour à la normale de la plupart des principales variables macroéconomiques mondiales en 2022-23, après la pandémie de COVID-19.

    • Selon les projections, la croissance mondiale devait renouer en 2023 avec des taux similaires à ceux observés immédiatement avant la pandémie.

    • On tablait sur un retour au plein emploi dans la plupart des économies de l’OCDE d’ici à 2023, ainsi que sur une convergence de l’inflation vers des niveaux proches des objectifs visés par les autorités, quoique à un horizon plus éloigné et à partir de niveaux plus élevés que ceux précédemment anticipés dans la plupart des pays.

    • On s’attendait également à une normalisation des politiques macroéconomiques, l’orientation exceptionnellement accommodante de la politique monétaire étant progressivement réduite et les mesures budgétaires d’urgence, adoptées pour faire face à la pandémie, étant démantelées peu à peu.

  • Bien que la Russie et l’Ukraine aient un poids relativement modeste en termes de production, ce sont de gros producteurs et exportateurs de produits alimentaires, de minerais et de produits énergétiques essentiels. La guerre a déjà provoqué des chocs économiques et financiers d’une ampleur considérable, en particulier sur les marchés de matières premières, où les prix du pétrole, du gaz et du blé ont grimpé en flèche.

  • Les variations des prix des matières premières et les fluctuations des marchés financiers observées depuis l’éclatement de la guerre pourraient se traduire, si elles s’inscrivaient dans la durée, par une réduction de la croissance du PIB mondial de plus de 1 point de pourcentage la première année, accompagnée d’une grave récession en Russie, et par une hausse de l’inflation mondiale mesurée par les prix à la consommation de 2½ points de pourcentage environ.

  • Des mesures de soutien budgétaire judicieusement conçues et bien ciblées pourraient réduire l’effet négatif induit sur la croissance, tout en n’entraînant qu’un surcroît limité d’inflation. Dans certains pays, il est possible de les financer par la taxation des profits exceptionnels.

  • Face à un nouveau choc négatif d’une durée et d’une ampleur incertaines, le principal objectif des autorités monétaires devrait rester de veiller à ce que les anticipations d’inflation restent bien ancrées. La plupart des banques centrales devraient maintenir leur cap d’avant la guerre, hormis dans les économies les plus durement touchées, où une pause pourrait s’avérer nécessaire pour évaluer pleinement les conséquences de la crise.

  • À court terme, de nombreux gouvernements vont devoir amortir l’impact du renchérissement de l’énergie, diversifier leurs sources d’énergie et réaliser des gains d’efficacité énergétique dans toute la mesure du possible. S’agissant des produits alimentaires, une augmentation de la production dans les pays de l’OCDE, une absence de réaction protectionniste et un soutien multilatéral en logistique aideront les pays les plus affectés par les perturbations des approvisionnements en provenance de la Russie et de l’Ukraine.

  • La guerre a souligné l’importance de réduire au minimum la dépendance à l’égard de la Russie pour certaines importations essentielles. Les responsables politiques doivent reconsidérer la pertinence de l’organisation du marché dans l’objectif d’assurer la sécurité énergétique et mettre en place des incitations pour faciliter la transition vers une économie verte à travers un soutien public.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie constitue une crise humanitaire majeure qui affecte des millions de personnes, et un grave choc économique dont la durée et l’ampleur sont incertaines. Cette note présente une première évaluation de l’impact potentiel du conflit sur l’économie mondiale, fondée sur les chocs observés jusqu’ici, et de ses conséquences pour les politiques publiques.

Avant le conflit, on s’attendait à ce que la reprise mondiale consécutive à la pandémie se poursuive en 2022 et 2023, étayée par la progression régulière des efforts mondiaux de vaccination, des politiques macroéconomiques expansionnistes dans les grandes économies et des conditions financières favorables. D’après les projections des Perspectives économiques de l’OCDE de décembre 2021, la croissance du PIB mondial devait s’établir à 4.5 % en 2022 et à 3.2 % en 2023 (Graphique 1, partie A). Par la suite, les données des comptes nationaux et les indicateurs à haute fréquence du début de l’année 2022 sont restés globalement en phase avec ces perspectives, l’activité économique rebondissant rapidement après les perturbations provoquées par le variant Omicron dans la plupart des pays (Graphique 1, partie B). Parallèlement, la hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie, les difficultés d’approvisionnement liées à la pandémie et un redressement rapide de la demande à partir de la mi-2020 ont entraîné une accélération et une généralisation de l’inflation dans la plupart des économies de l’OCDE, en particulier aux États-Unis, en Amérique latine et dans de nombreux pays d’Europe centrale et orientale.

La guerre en Ukraine a provoqué un nouveau choc d’offre négatif pour l’économie mondiale, alors même que certaines des difficultés liées aux chaînes d’approvisionnement observées depuis le début de la pandémie semblaient commencer à se dissiper. Les effets de la guerre se diffuseront via de nombreux canaux différents et évolueront probablement si le conflit s’aggrave encore.

À certains égards, la Russie et l’Ukraine jouent un rôle direct modeste dans l’économie mondiale. Ensemble, elles ne représentent que 2 % environ du PIB mondial aux prix du marché et une proportion similaire du commerce mondial total, sachant que leurs échanges bilatéraux restent limités avec la plupart des pays (Graphique 2). Leurs liens financiers avec les autres pays sont également faibles de manière générale. Les stocks d’investissement direct étranger (IDE) en Russie et d’investissement direct russe dans les autres économies représentent entre 1 % et 1½ pour cent du total mondial. Les créances transfrontalières consolidées des banques déclarant à la Banque des règlements internationaux (BRI) sur les résidents de la Russie et de l’Ukraine représentaient moins de 0.5 % du total mondial au troisième trimestre de 2021.

Il existe cependant un domaine dans lequel la Russie et l’Ukraine ont indéniablement une influence importante sur l’économie mondiale : les marchés de matières premières, sur lesquels ils constituent des fournisseurs essentiels pour un certain nombre de produits. À elles deux, la Russie et l’Ukraine représentent environ 30 % des exportations mondiales de blé, 20 % pour le maïs, les engrais minéraux et le gaz naturel, et 11 % pour le pétrole. En outre, dans le monde entier, des chaînes d’approvisionnement dépendent des exportations de métaux en provenance de la Russie et de l’Ukraine. La Russie est un fournisseur majeur de palladium, qui est utilisé dans les convertisseurs catalytiques des véhicules automobiles, et de nickel, qui est employé pour la production d’acier et la fabrication de batteries. La Russie et l’Ukraine sont également des sources de gaz rares comme l’argon et le néon, utilisés dans la fabrication de semi-conducteurs, et de gros producteurs d’éponges de titane, employées dans l’industrie aéronautique. Les deux pays disposent également de réserves d’uranium importantes à l’échelle mondiale. Les prix de nombre de ces matières premières ont fortement augmenté depuis le début de la guerre, même en l’absence de perturbation sensible des volumes de production ou d’exportations (Graphique 3).

Un arrêt complet des exportations de blé de la Russie et de l’Ukraine se traduirait par de graves pénuries dans un grand nombre d’économies de marché émergentes et de pays en développement. Il en résulterait un risque aigu non seulement de crises économiques dans certains pays, mais aussi de catastrophes humanitaires, accompagnées de fortes augmentations de la pauvreté et de la faim. La désorganisation de la fabrication d’engrais risque de rendre ces perturbations plus durables, en mettant à mal l’offre de produits agricoles au cours des prochaines années. Dans de nombreuses économies du Moyen-Orient, les importations de blé en provenance de la Russie et de l’Ukraine représentent environ 75 % des importations totales de cette céréale (Graphique 4).

Malgré le faible poids économique de la Russie, la guerre et les sanctions connexes provoquent déjà des perturbations à caractère mondial via ses liens financiers et économiques avec le reste du monde. Les sanctions financières adoptées à l’égard de la Russie ont été ciblées sur des individus et des banques spécifiques, elles ont réduit l’accès aux capitaux étrangers et ont gelé les réserves de change détenues par la Banque de Russie dans les économies occidentales. En conséquence, le rouble s’est fortement déprécié, le taux directeur de la Banque de Russie a augmenté de 10.5 points de pourcentage pour s’établir à 20 %, et les primes de risque sur la dette souveraine russe se sont envolées. Des retards et des difficultés de réalisation des paiements internationaux perturbent les échanges et pourraient se traduire par des défauts de paiement en Russie. Un resserrement des marchés financiers s’est également produit dans le monde entier, compte tenu d’une accentuation de l’aversion pour le risque et de l’incertitude, sachant que des hausses des primes de risque et des dépréciations monétaires ont aussi eu lieu dans de nombreuses économies de marché émergentes, et dans les pays d’Europe centrale et orientale ayant des liens économiques relativement étroits avec la Russie. Des vols commerciaux transportant des passagers et du fret sont par ailleurs déroutés ou annulés purement et simplement, ce qui alourdit le coût des activités économiques, tandis que de nombreuses multinationales ont suspendu leurs activités en Russie.

Le conflit pourrait aussi avoir des répercussions à plus long terme, notamment des pressions exercées en faveur d’une augmentation des dépenses de défense, une modification de la structure des marchés de l’énergie, une fragmentation potentielle des systèmes de paiement et une modification de la composition en devises des réserves de change. Une nouvelle division du monde en blocs séparés par des barrières entraînerait la perte de certains des gains tirés de la spécialisation, des économies d’échelle ainsi que de la diffusion des informations et des savoir-faire. L’exclusion du système de messages SWIFT pourrait accélérer les efforts déployés pour mettre au point des solutions alternatives. Il en résulterait une diminution des gains d’efficience découlant de l’existence d’un système mondial unique, et éventuellement une réduction du rôle prédominant joué par le dollar des États-Unis sur les marchés financiers et dans les paiements transfrontaliers.

L’ampleur de l’impact économique du conflit est très incertaine et dépendra en partie de la durée de la guerre et de l’action menée par les pouvoirs publics, mais il ne fait aucun doute que la guerre pèsera fortement sur la croissance mondiale à court terme et exacerbera considérablement les tensions inflationnistes.

Des simulations réalisées à titre indicatif donnent à penser que la croissance mondiale pourrait être amputée de plus d’un point de pourcentage et l’inflation mondiale augmenter de près de 2½ points de pourcentage durant la première année pleine suivant le début du conflit (Graphique 5). Ces estimations reposent sur l’hypothèse que les chocs observés sur les marchés financiers et les marchés des matières premières au cours des deux premières semaines du conflit persisteront pendant au moins un an, et intègrent une récession profonde en Russie, caractérisée par un recul de la production de plus de 10 % et une hausse de l’inflation de près de 15 points de pourcentage. (L’ensemble des facteurs pris en compte sont présentés dans l’Annexe technique.)

  • L’impact des chocs varie selon les régions, les économies européennes prises dans leur ensemble étant les plus durement touchées, en particulier celles qui partagent une frontière avec la Russie ou l’Ukraine. Cela s’explique par la hausse plus marquée des prix du gaz en Europe que dans d’autres régions du monde, ainsi que par les liens économiques et énergétiques relativement étroits que les pays européens entretenaient avec la Russie avant le conflit.

  • Les économies avancées de la région Asie-Pacifique et du continent américain ont des liens de commerce et d’investissement plus ténus avec la Russie, et certaines d’entre elles sont productrices de matières premières, mais leur croissance se trouve tout de même ébranlée par l’affaiblissement de la demande mondiale et par l’impact de la hausse des prix sur les revenus et les dépenses des ménages.

  • Les taux de croissance des économies de marché émergentes témoignent d’une production plus vigoureuse dans certaines économies productrices de matières premières face à un fléchissement plus marqué dans les grandes économies importatrices, ainsi que les effets négatifs de l’augmentation des primes de risque sur les investissements. La hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie se traduit en outre par une accélération de l’inflation plus forte que dans les économies avancées.

  • Les autorités monétaires réagissent à la remontée de l’inflation à l’échelle mondiale en relevant les taux d’intérêt directeurs d’un peu plus de 1 point de pourcentage en moyenne dans les grandes économies avancées et de 1½ point de pourcentage dans les grandes économies de marché émergentes.

Ces simulations donnent un premier aperçu de l’impact potentiel du conflit en se fondant sur les perturbations observées sur les marchés au cours des deux premières semaines de la guerre. Elles ne tiennent pas compte de nombreux facteurs susceptibles d’accentuer les effets négatifs de celui-ci, notamment des nouvelles sanctions ou des boycotts de la part des consommateurs et des entreprises, des perturbations du transport maritime et du trafic aérien, de l’indisponibilité de produits essentiels provenant de Russie, des barrières commerciales telles que des interdictions d’exporter des denrées alimentaires, ou encore de l’érosion de la confiance des consommateurs.

L’un des risques économiques majeurs est l’arrêt complet des exportations d’énergie de la Russie vers l’UE. L’impact d’un tel choc est difficile à quantifier, mais il pourrait être brutal dans la mesure où les possibilités de trouver d’autres sources d’approvisionnement sur les marchés mondiaux à court terme sont limitées et les niveaux des réserves en gaz sont faibles. Le pic journalier atteint par les prix du gaz européen depuis le début du conflit illustre les tensions supplémentaires qui pourraient apparaître. Ce jour-là, les prix étaient 170 % plus élevés qu’en janvier, soit deux fois l’ampleur du choc sur les prix du gaz qui est supposée dans les simulations présentées ci-dessus. Si les prix remontent et se maintiennent à ce niveau, l’inflation en Europe grimperait de 1¼ point de pourcentage supplémentaire (portant le choc total sur l’inflation dans la zone euro à plus de 3½ points de pourcentage) et la croissance européenne se trouverait amputée de plus de ½ point de pourcentage supplémentaire.

Les tableaux des entrées-sorties peuvent aussi être utilisés pour évaluer les effets directs qu’une réduction des intrants énergétiques aurait sur la production. Une baisse indicative des importations d’intrants énergétiques de 20 % (importations directes et indirectes de combustibles fossiles, de produits pétroliers raffinés et d’électricité et de gaz) aurait pour effet de réduire la production brute dans les économies européennes de plus de 1 point de pourcentage, même si l’on observe des différences considérables d’un pays à l’autre (Graphique 6). Les secteurs les plus durement touchés dans ces économies seraient la production d’énergie, le transport aérien, l’industrie chimique et la métallurgie. Il est possible que ces chiffres sous-estiment les perturbations provoquées par la diminution de l’énergie disponible, dans la mesure où l’on pourrait observer des effets irréguliers sur la production, et non un ajustement sans heurt implicitement supposé dans les calculs. Il se peut toutefois aussi qu’une partie de la baisse des importations d’énergie soit compensée par une augmentation de la production intérieure, un recours aux réserves ou des gains d’efficacité énergétique.

Le tribut humanitaire de la guerre est élevé et s’alourdit. Quelque trois millions de personnes ont déjà fui l’Ukraine au cours des trois premières semaines de la guerre (Graphique 7). Ce chiffre, qui devrait encore augmenter, est sensiblement plus important que le nombre annuel de demandeurs d’asile enregistré dans les pays européens au plus fort de la crise des réfugiés syriens en 2015-16. La prise en charge des réfugiés ukrainiens nécessitera de consacrer des dépenses à l’aide sociale, à l’aide au logement, à l’approvisionnement alimentaire, à l’aide médicale, aux services de garde d’enfants et à la scolarisation.

Du fait des incertitudes liées au nombre de réfugiés, à la durée de leur séjour et au montant des dépenses par réfugié, il est difficile de prévoir l’ampleur de l’effort budgétaire qu’il faudra consentir. Le traitement des demandes d’asile et l’hébergement des demandeurs durant la première année de la crise en 2015-16 ont coûté environ 10 000 EUR par demande d’après des estimations de l’OCDE, et jusqu’à 12 500 EUR par réfugié selon des études nationales concernant l’Allemagne, avec toutefois des proportions variables selon les pays, en fonction du niveau de soutien. Ainsi, l’afflux de trois millions de réfugiés observé jusqu’ici pourrait se traduire la première année par un coût direct d’au moins 0.25 % du PIB de l’UE et par un coût nettement plus élevé dans les principaux pays d’accueil. Jusqu’à présent, les réfugiés se sont essentiellement rendus dans un petit nombre de pays, la Hongrie, la Pologne, la République de Moldova, la République slovaque et la Roumanie accueillant une grande partie d’entre eux. L’UE dans son ensemble est en mesure d’assumer la prise en charge initiale, mais les pays voisins ont individuellement du mal à la financer et à l’organiser. Un partage de la charge et une aide de l’UE aux principaux pays d’accueil permettraient d’apporter un soutien plus efficace.

Le lourd tribut économique du conflit et le regain d’incertitude ajoutent aux difficultés que les pouvoirs publics rencontraient déjà du fait de la montée des tensions inflationnistes et d’une reprise déséquilibrée après la pandémie. Face à un choc d’offre négatif provenant du renchérissement des matières premières,, d’une durée et d’une ampleur incertaines, la politique monétaire devrait continuer de veiller au bon ancrage des anticipations d’inflation et à intervenir, si nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement des marchés financiers. Lorsqu’elles sont envisageables, des mesures budgétaires temporaires, rapides et bien ciblées constituent la meilleure solution pour amortir l’impact immédiat de la crise sur les consommateurs et les entreprises, en particulier lorsque la montée de l’inflation réduit la marge de manœuvre de la politique monétaire. Des mesures d’ordre réglementaire, visant à améliorer l’organisation du marché pour renforcer la sécurité énergétique et la compétitivité, peuvent également contribuer à atténuer la vulnérabilité des économies à certaines perturbations des marchés de l’énergie à court terme et au-delà.

Les mesures en direction d’une normalisation de la politique monétaire devraient se poursuivre dans les économies avancées, quoique à un rythme différent selon les économies et en réévaluant fréquemment la situation à mesure que le conflit évolue. La poursuite de ce retour à la normale se justifie tout particulièrement pour des économies comme les États-Unis, où la reprise post-pandémie est en bonne voie et où des signes de tensions inflationnistes durables avaient déjà été observés avant la récente flambée des prix de l’énergie. Un retour à la normale plus lent est indiqué dans les économies où l’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) demeure faible, où les tensions salariales sont encore modérées, et où l'impact négatif du conflit sur la croissance est le plus élevé. Dans tous les pays, de nouveaux achats d’actifs, le développement des accords d’échange de devises et un assouplissement temporaire des réglementations prudentielles bancaires peuvent être mis en œuvre, si nécessaire, pour réduire les tensions et les pénuries de liquidités sur les marchés financiers.

Certaines grandes économies de marché émergentes ont d’ores et déjà sensiblement durci l’orientation de leur politique monétaire au cours de l’année écoulée, sur fond de tensions inflationnistes en hausse. Le renchérissement de l’alimentation et de l’énergie va sans doute nécessiter de nouveaux relèvements de taux directeurs, étant donné le poids accru des matières premières dans la hausse des prix à la consommation. Ces mesures aideraient à assurer la stabilité et à atténuer les effets d’entraînement possibles induits par les risques des marchés financiers et la normalisation monétaire dans les grandes économies avancées.

Avant que le conflit n’éclate, l’orientation budgétaire était censée prendre progressivement un tour plus restrictif dans la plupart des économies avancées en 2022 et 2023, en raison de la levée graduelle des mesures de soutien liées à la pandémie et de certaines mesures discrétionnaires d’assainissement des finances publiques. Ces plans sont déjà en cours de réexamen dans nombre de pays du fait de l’impact du conflit. La charge du service de la dette demeure modérée, malgré des déficits budgétaires considérables et des niveaux d’endettement plus élevés, ce qui permet de dégager une marge de manœuvre pour des mesures de soutien budgétaire supplémentaires, temporaires et bien ciblées, si besoin est, en particulier tant que les taux d’intérêt resteront bas. Les priorités de dépenses immédiates sont de financer l’aide aux réfugiés en Europe et d’amortir les effets directs des chocs sur les prix des matières premières et de l’alimentation sur les ménages et les entreprises, grâce à des mesures temporaires et bien ciblées (voir plus loin). À moyen terme, il est probable qu’investir davantage dans les énergies propres et augmenter les budgets de la défense seront l’un et l’autre deux domaines d’action prioritaires.

Les possibilités de soutien budgétaire supplémentaires sont très variables parmi les économies de marché émergentes et les pays en développement, nombre d’entre eux étant confrontés à des arbitrages délicats entre soutien des revenus, viabilité de la dette et confiance des investisseurs. Cela étant, le renchérissement des matières premières devrait doper les rentrées fiscales dans les pays qui les exportent et leur offrir ainsi une certaine latitude pour amortir le choc de la hausse des prix alimentaires et de l’énergie sur les revenus des ménages.

Des simulations réalisées à titre d’illustration sur une augmentation bien ciblée des dépenses finales des administrations publiques, de 0.5 % du PIB pendant un an dans l’ensemble des économies de l’OCDE, montrent que cette expansion budgétaire pourrait permettre de compenser la moitié environ de la baisse de production que l’on estime résulter du conflit, sans entraîner de hausse sensible de l’inflation (graphique 8). Les pays hors OCDE pourraient également y gagner, quoique dans une mesure moindre, même s’ils ne disposent pas d’une marge de manœuvre suffisante pour un effort d’assouplissement budgétaire supplémentaire. Cela s’explique par les répercussions d’un regain de la demande et des échanges dans les économies avancées. L’inflation augmenterait elle aussi en raison du choc sur la demande, mais dans une mesure relativement limitée.

Les pays à faible revenu et les ménages modestes consacrent la plus grosse part de leur revenu à l’énergie et à l’alimentation (graphique 9). Les pouvoirs publics avaient déjà mis en place une série de mesures pour compenser les effets des fortes augmentations des prix de l’énergie observées avant le début de la guerre. Ces mesures sont aujourd’hui en cours de renforcement. Les instruments utilisés consistent en des aides au revenu, notamment des transferts forfaitaires, souvent soumis à des conditions de ressources. De nombreuses mesures agissant sur les prix ont également été prises, notamment l’abaissement des tarifs de l’électricité en faveur des ménages modestes, des baisses de TVA sur l’électricité et le gaz, des réductions de droits d’accises sur les combustibles liquides et le gel des prix de l’électricité et de l’énergie. Dans certains pays, des subventions ont été versées aux compagnies d’électricité pour compenser la non-répercussion des hausses de l’énergie.

Les mesures supplémentaires prises pour compenser le nouveau renchérissement de l'énergie depuis le déclenchement de la guerre devraient être parfaitement ciblées et temporaires pour que leur coût soit gérable et éviter la distorsion des signaux-prix. Si des mesures comme l’abaissement des taux de taxation et le plafonnement des prix permettent de réduire directement le coût de l’énergie, elles bénéficient aux ménages les plus aisés et à ceux qui ont le plus besoin d’aide du fait de leur précarité énergétique. Les transferts monétaires peuvent être mieux ciblés et leurs effets multiplicateurs sont plus importants s’ils visent les ménages à revenus moyens ou faibles, mais ils sont plus longs à mettre en place et n’affectent pas les prix du marché.

La guerre a mis nettement en lumière la forte dépendance de nombreuses économies de l’OCDE vis-à-vis des énergies fossiles exposées à un risque élevé de chocs sur les prix, voire de pénuries (graphique 9). Jusqu’à il y a peu, la Russie fournissait à l’Europe plus de 40 % de ses importations de gaz naturel, source d’énergie de chauffage essentielle pour nombre de ménages de l’UE, une proportion comparable de ses importations de charbon et un quart environ de ses importations de pétrole. Le gaz constitue également une source majeure de production d’électricité, jouant un rôle essentiel d’équilibrage entre la demande et l’offre, et est utilisé dans la production industrielle, notamment d’engrais. Le renforcement de la sécurité des approvisionnements énergétiques est une entreprise de moyen terme, mais des progrès notables pourraient être réalisés dès 2022. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a défini un plan en dix points sur la manière de réduire d’un tiers, voire de moitié, la dépendance aux importations de gaz de Russie d’ici l’année prochaine.

À plus long terme, les pays de l’OCDE devraient réduire leur dépendance globale vis-à-vis des importations d’énergies fossiles en mettant en place des incitations appropriées pour réduire l’utilisation des combustibles fossiles et en investissant massivement dans des énergies propres et l’efficacité énergétique. En Europe, une meilleure interconnexion entre les réseaux électriques nationaux pourrait réduire les coûts de l’énergie et améliorer la sécurité d’approvisionnement. Plus généralement, une transition stratégique vers des énergies propres devrait avoir pour but de réduire les facteurs de vulnérabilité tout au long du processus, en l’accompagnant d’investissements dans l’innovation afin de développer les technologies nécessaires pour atteindre la neutralité carbone.

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