Le rôle d’impulsion des jeunes dans la riposte à la crise et le soutien à des communautés résilientes

Daniel Calarco
Restless Development
  • Les jeunes se sont mobilisés pour piloter les efforts de riposte au COVID-19 dans de nombreuses favelas, où la majorité des habitants ont subi une baisse de revenus et rencontré des difficultés pour accéder aux aides publiques.

  • Afin de contribuer au renforcement de la résilience des communautés, les acteurs de la coopération pour le développement et les pouvoirs publics doivent collaborer avec les organisations de jeunes et prendre en compte les nouvelles approches du leadership dont la jeunesse s’est fait le héraut pendant la pandémie.

  • L’association des jeunes et de leurs communautés à la prise de décisions concernant la reprise post-COVID-19 au Brésil ainsi que d’autres politiques enrichiront le débat public et permettront d’avoir une image précise des réalités qu’ils vivent et des défis qu’ils rencontrent au quotidien.

En date d’octobre 2020, le Brésil avait signalé plus de 5 millions de cas de coronavirus et plus de 150 000 décès dus au COVID-19 (Ministère de la Santé du Brésil, 2020[1]). En valeur absolue, le Brésil compte le nombre le plus élevé de contaminations et de décès en Amérique latine ; et pourtant, invariablement, les mesures adoptées par les pouvoirs publics pour contenir la pandémie se révèlent inefficaces (Ribeiro, 2020[2]). Une grande partie des habitants des quartiers informels sont laissés pour compte. Non seulement des mois entiers se sont écoulés avant le déploiement des aides d’urgence fédérales, mais la bureaucratie et l’exclusion numérique ont rendues ces aides difficilement accessibles pour les populations marginalisées.1

Pour les habitants des favelas de Rio de Janeiro, la lutte contre la propagation du COVID-19 s’est vite transformée en lutte de survie. Dans ce contexte, les jeunes se sont mobilisés et ont joué un rôle crucial en contribuant à la survie de leurs communautés. Les recherches menées dans le cadre du projet Resilient Realities ont montré que, dans certaines communautés, les seules initiatives lancées en riposte au COVID-19 et pour soutenir les populations étaient celles des jeunes2. Ce rôle d’impulsion gagnerait à être mis à profit dans les processus de relance et, au-delà, pour bâtir une société plus inclusive.

Selon Data Favela, 80 % des familles vivant dans les favelas déclarent avoir perdu la majeure partie, voire la totalité, de leurs revenus pendant la pandémie, ce qui a pesé sur leur capacité à satisfaire leurs besoins essentiels (2020[3]). Le nombre de personnes concernées est considérable : ainsi, une des favelas de Rio, sur les 1 413 que compte l’État, concentre plus de 2 millions d’habitants (Mello, 2014[4]). Le fait que la plupart des habitants des favelas de Rio dépendent du secteur informel pour leur subsistance n’a pas vraiment été pris en compte lorsque les mesures de confinement ont été imposées (Phillips, 2020[5]). Ces personnes ne peuvent pas pratiquer le télétravail, n’ont que très peu, voire pas du tout accès aux aides publiques, ne sont pas syndiquées et ne sont pas couvertes par les dispositifs de protection de l’emploi. La quarantaine, privilège d’une minorité, n’était pas un choix que beaucoup d’habitants des favelas pouvaient se permettre.

Des jeunes issus d’horizons divers se sont mobilisés pour combler certaines lacunes de la riposte officielle à la pandémie, se rassemblant dans des espaces collaboratifs et auto-organisés au sein de leurs communautés, baptisés « cabinets de crise ». Dans la favela de Jacarézinho, les réseaux de jeunes ont collecté plus de 120 000 BRL (environ 24 000 USD) pour acheter des produits alimentaires ensuite distribués à plus de 2 000 familles. À Santa Cruz, ils ont soutenu plus de 3 000 familles en leur fournissant des denrées alimentaires et d’autres produits de première nécessité. Dans la favela Cidade de Deus, la célèbre Cité de Dieu, un groupe mené par des jeunes a organisé la distribution gratuite de plus de 10 000 paniers alimentaires auprès de sa communauté.

La pandémie a mis en lumière la manière dont la dynamique croisée entre la race, l’âge, le sexe, le statut socioéconomique et le territoire détermine l’expérience de différents groupes de jeunes ainsi que les effets qu’ils subissent. Avant la pandémie, un jeune homme noir avait trois fois plus de risques d’être tué qu’un homme blanc, et les jeunes représentaient plus de 50 % des victimes de meurtre violent par arme à feu, alors qu’il ne constituaient que 26 % de la population (UNESCO, 2017[6]). Cette tendance s’est accentuée pendant la pandémie. En avril 2020, les interventions policières et les meurtres perpétrés par les forces de police ont augmenté de 27.9 % et 57.9 %, respectivement, par rapport à la même période en 2019 (Conectas, 2020[7]). En juin, la Cour Suprême a rendu une injonction interdisant les opérations de police dans les favelas pendant la pandémie de COVID-19 (Conectas, 2020[7]). Des travaux de recherche coordonnés par le Conseil national de la jeunesse du Brésil ont aussi révélé que de nombreux jeunes Brésiliens ont extrêmement peur de perdre des membres de leur famille ou des amis, et de contracter le virus ou de le transmettre à leur famille (Brazil National Youth Council, 2020[8]). Les répercussions de la pandémie sur la santé mentale des jeunes sont de plus en plus tangibles et ces derniers luttent pour préserver leur bien-être affectif et mental tout en pilotant les initiatives de riposte (Allen et al., 2020[9]).

Dans les favelas de Rio, la réalité quotidienne ne pourra évoluer que si l’on soutient le rôle d’impulsion des organisations de jeunes qui sont en mesure de renforcer la résilience de leurs communautés. Or, pour renforcer la résilience, il faut s’assurer des financements, favoriser la collaboration et associer les communautés aux processus décisionnels, et avoir une vision claire des réalités actuelles mais aussi des transformations sociales à l’œuvre. Les jeunes ont un rôle important à jouer, et pas seulement pour mener des actions visant à atténuer les répercussions du COVID-19. Ils sont également à la clé d’un avenir plus durable, axé sur la promotion des droits humains, l’égalité, l’inclusion économique et une nouvelle définition de la notion même de leadership.

« Il est tout à fait inhabituel pour une jeune femme noire d’être perçue comme un leader. Ce n’est pas une place que nous occupons très souvent. J’essaie de redéfinir ce que signifie être un leader du point de vue d’une communauté, où tous les rôles sont importants. Être un leader, c’est faire preuve d’écoute active et répondre avec efficacité aux demandes collectives. »
Mariana Galdino, LabJac  
        

Ces jeunes et leurs communautés qui pilotent les activités de riposte et de reprise sur le terrain doivent être intégrés dans les processus décisionnels, car ils apportent leur contribution au débat public et offrent une image précise des réalités qu’ils vivent et des défis qu’ils rencontrent au quotidien. Les politiques de reprise économique couvrant l’emploi, la formation et l’éducation, ainsi que les politiques relatives à l’inclusion numérique sont quelques exemples de domaines qui ont besoin de la vision des jeunes. Ce n’est qu’avec la participation de ces derniers que les pouvoirs publics pourront élaborer des politiques inclusives et efficaces, qui nous permettront de véritablement reconstruire un pays meilleur, plus durable et égalitaire.

Les acteurs de la coopération pour le développement doivent prendre en compte ces nouvelles approches du leadership, telles que revisitées par les jeunes, s’ils veulent s’engager sur la voie de la reconstruction et du renouvellement de nos sociétés. Le projet Resilient Realities démontre que, pour les jeunes, l’exercice d’un réel leadership est synonyme d’aptitude à écouter les gens, à comprendre leurs problèmes et à élaborer des solutions en concertation avec les communautés. Le pouvoir se mesure à l’aune de la capacité à mobiliser les personnes et les ressources, et non aux titres ou à la capacité à recourir à l’usage brutal de la force. Les jeunes Brésiliens aspirent à de nouvelles réalités, dans lesquelles les liens humains et la solidarité soient davantage valorisés que les rapports fondés sur la peur, la dépendance ou l’exclusion.

Références

[9] Allen, K. et al. (2020), Resilient Realities: How Youth Civil Society is Experiencing and Responding to the COVID-19 Pandemic, Restless Development, Recrear and the Development Alternative, https://youthcollective.restlessdevelopment.org/wp-content/uploads/2020/10/ResilentRealities-GlobalOverview.pdf (consulté le 19 octobre 2020).

[10] Andreoni, M. (2020), « Coronavirus in Brazil: What you need to know », New York Times, https://www.nytimes.com/article/brazil-coronavirus-cases.html?auth=login-email&login=email (consulté le 19 octobre 2020).

[8] Brazil National Youth Council (2020), Juventudes e a pandemia do coronavírus [La jeunesse et la pandémie de coronavirus], Brazil National Youth Council, https://4fa1d1bc-0675-4684-8ee9-031db9be0aab.filesusr.com/ugd/f0d618_41b201dbab994b44b00aabca41f971bb.pdf (consulté le 19 octobre 2020).

[7] Conectas (2020), « Why the Supreme Court suspend police operations in favelas of Rio de Janeiro », Conectas, https://www.conectas.org/en/news/understand-what-led-the-supreme-court-to-suspend-police-operations-in-rio-de-janeiros-favelas (consulté le 19 octobre 2020).

[3] Data Favela (2020), Pandemia na favela: A realidade de 14 milhoes de favelado no combate ao novo coronavírus, Data Favela, Rio de Janeiro, https://0ca2d2b9-e33b-402b-b217-591d514593c7.filesusr.com/ugd/eaab21_9837d312494442ceae8c11a751e2a06a.pdf.

[4] Mello, K. (2014), « Com 2 milhões de moradores, favelas do Rio seriam 7ª maior cidade do país [Avec leurs 2 millions d’habitants, les favelas de Rio seraient la 7ème plus grande ville du pays] », Globo.com, http://g1.globo.com/rio-de-janeiro/noticia/2014/09/com-2-milhoes-de-moradores-favelas-do-rio-seriam-7-maior-cidade-do-pais.html (consulté le 19 octobre 2020).

[1] Ministère de la Santé du Brésil (2020), Painel Coronaviru [Cas de coronavirus], page web, Ministère de la Santé du Brésil, https://covid.saude.gov.br (consulté le 19 octobre 2020).

[5] Phillips, D. (2020), « « We’re abandoned to our own fate » : Coronavirus menaces Brazil’s favelas », The Guardian, https://www.theguardian.com/global-development/2020/apr/14/were-abandoned-to-our-own-luck-coronavirus-menaces-brazils-favelas (consulté le 19 octobre 2020).

[2] Ribeiro, G. (2020), « Coronavirus: Brazil tops mark of 150,000 COVID-19 deaths », The Brazilian Report, https://brazilian.report/coronavirus-brazil-live-blog/2020/10/11/update-brazil-tops-mark-of-150000-covid-19-deaths (consulté le 19 octobre 2020).

[6] UNESCO (2017), « Youth Violence Vulnerability Index will guide public policies on violence », Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Brasilia, http://www.unesco.org/new/en/social-and-human-sciences/themes/sv/news/youth_violence_vulnerability_index_will_guide_public_polici (consulté le 19 octobre 2020).

Notes

← 1. Le Brésil a proposé des versements mensuels d’un montant équivalent à 120-240 USD aux citoyens qui avaient perdu leur source de revenus en raison de la pandémie. Le programme a été entaché par de vastes allégations de fraude et par des témoignages faisant état de la difficulté, pour de nombreuses personnes éligibles, à percevoir les sommes promises. Pour une description du programme, voir Andreoni (2020[10]).

← 2. Un projet de recherche mondial, intitulé Resilient Realities et mené par Restless Development, étudie comment les jeunes âgés de 18 à 30 ans s’organisent dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et plus précisément comment la jeune société civile fait face à la crise. Cette étude de cas est extraite d’un corpus de recherches plus vaste. De plus amples informations sur ce projet sont disponibles à l’adresse : https://restlessdevelopment.org/projects/resilient-realities/.

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