1. La situation économique mondiale pourrait creuser les inégalités régionales dans les pays de l’OCDE

Plus d’un an après le déclenchement de la guerre menée par la Russie en Ukraine, ses répercussions sur les plans économique et social sont profondes et s’annoncent durables. La gestion de la crise humanitaire demeure une priorité immédiate. Certains risques majeurs, comme la possibilité de voir les perturbations de grande ampleur des marchés de l’énergie et des produits alimentaires s’ancrer durablement, sont sous contrôle pour l’instant ; il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics, à tous les niveaux, restent confrontés aux conséquences d’une inflation sous-jacente chronique, de niveaux d’endettement élevés et de la faiblesse de la production potentielle – autant de facteurs qui sapent les efforts déployés pour rebâtir les économies après la crise du COVID-19 et parvenir à une croissance plus forte et plus durable. Les dernières Perspectives économiques de l’OCDE (2023[1]) montrent à quel point la guerre continue de peser sur l’économie mondiale et soulignent que même si des signes d’amélioration sont visibles, la reprise devrait rester timide au cours des deux prochaines années par rapport à ce que l’on a pu observer dans le passé. Selon les prévisions du rapport, la croissance devrait rester inférieure à son niveau tendanciel en 2023 et 2024, respectivement à 2.6 % et 2.9 % (OCDE, 2023[1]).

L’inflation globale a reculé, mais elle demeure élevée et pourrait perdurer dans les pays de l’OCDE. La persistance inattendue des tensions inflationnistes en 2022 tient en grande partie au déclenchement de la guerre, qui a entraîné une envolée immédiate des prix d’un certain nombre de matières premières essentielles (le pétrole, le gaz et le charbon, différents métaux, le blé, le maïs et certaines huiles alimentaires) ainsi que des engrais. L’inflation devrait se modérer progressivement en 2023 et 2024, mais rester supérieure aux objectifs des banques centrales jusqu’au second semestre 2024 dans la plupart des pays (OCDE, 2023[1]). Avant même le début du conflit, des tensions inflationnistes avaient commencé à s’accentuer, la hausse des prix étant alimentée à la fois par des facteurs liés à l’offre et à la demande dans les économies de l’OCDE. Certains de ces facteurs se sont atténués ou ont commencé à s’inverser en 2022. L’incertitude qui entoure l’évolution de la guerre en Ukraine et ses conséquences dans leur globalité constitue un sujet de préoccupation essentiel. Des tensions pourraient aussi réapparaître sur les marchés mondiaux de l’énergie, se traduisant par de nouvelles flambées des prix et une intensification des tensions inflationnistes.

Les répercussions de la guerre n’ont pas été ressenties de la même manière dans tous les pays ces derniers mois. Les implications sont majeures pour les régions et pour la politique de développement régional, notamment parce qu’elles s’ajoutent aux difficultés que rencontrent les territoires depuis la crise du COVID-19. L’invasion russe a ajouté de la complexité à un monde déjà marqué par des évolutions rapides et une forte imprévisibilité et a mis au jour voire, parfois, aggravé, des inégalités régionales déjà importantes et persistantes dans de nombreux pays de l’OCDE (OCDE, 2022[2]).

La crise énergétique déclenchée par la guerre provoque un choc d’une envergure et d’une complexité inédites. Ce sont les marchés du gaz naturel, du charbon et de l’électricité qui ont été les plus ébranlés, mais les marchés pétroliers ont pour leur part connu des turbulences suffisamment importantes pour que, par deux fois, des pays procèdent à un déblocage de stocks de pétrole d’une ampleur sans précédent pour tenter d’éviter une aggravation de la situation. Face à l’enchaînement ininterrompu de tensions géopolitiques et de préoccupations économiques, les marchés de l’énergie demeurent extrêmement vulnérables selon la dernière édition des Perspectives énergétiques mondiales (AIE, 2022[3]).

La crise énergétique mondiale a des répercussions majeures sur les individus, les entreprises et dans les territoires, qui incitent les pouvoirs publics à prendre des mesures de court terme et à approfondir le débat sur les moyens d’éviter la survenue de nouvelles perturbations à l’avenir et de promouvoir la sécurité énergétique. Pour un pays donné, les conséquences des turbulences qui secouent les marchés de l’énergie varient en fonction de son solde des échanges de produits énergétiques et de son degré de dépendance au pétrole et au gaz russes.

Les régions des pays de l’OCDE disposent de sources d’approvisionnement en énergie très diverses. En 2019, dans plus de 50 régions européennes de pays de l’OCDE, le gaz – essentiellement importé – comptait pour plus de la moitié de la production d’électricité. Dans 20 autres régions (dont Budapest en Hongrie, Groningue aux Pays-Bas, et le Latium en Italie), la part du gaz était de plus de 60 % (OCDE, 2022[2]) . Les régions spécialisées dans des industries et des produits dépendant directement ou non de l’énergie, et du gaz en particulier, sont exposées aux plus fortes baisses de la production, de l’emploi et du stock d’entreprises, en raison soit du recul du nombre de créations d’entreprises soit de l’augmentation du nombre d’entreprises sorties du marché. Parmi les régions dont la part des secteurs gros consommateurs de gaz dans l’emploi est la plus importante, un quart se concentrent principalement dans les pays d’Europe Centrale, notamment en Autriche, en Pologne, en République tchèque, en Slovaquie et en Slovénie, mais aussi en Finlande, dans le nord de l’Italie et en Suède (OCDE, 2022[2]). Si des entreprises ou des industries disparaissent car les coûts de production sont trop élevés, le déclin des activités manufacturières et le mouvement de désindustrialisation déjà amorcé dans plusieurs régions bien avant la crise pourraient s’accélérer, avec des effets négatifs pérennes sur l’utilisation de la main d’œuvre.

Parce que leur mix énergétique est moins diversifié et qu’elles concentrent davantage de ménages modestes, les régions rurales sont les plus exposées à la précarité énergétique. Une analyse portant sur 91 régions d’Espagne, du Portugal et de République tchèque confirme que la précarité énergétique touche davantage les populations des régions rurales (OCDE, 2022[2]). Selon les estimations, 38 % des régions non métropolitaines sont des zones de précarité énergétique et 27 % des autres régions sont exposées à ce risque. De manière générale, le fait même de vivre dans une région non métropolitaine accroît de 35 % le risque de précarité énergétique. Parmi les autres déterminants de la précarité énergétique, on peut citer la proportion de personnes âgées dans la région, le niveau du revenu moyen et des dépenses énergétiques. Sachant que certains de ces facteurs sont plus présents dans les régions non métropolitaines, il en ressort que la précarité énergétique ne touche pas tous les territoires de façon uniforme et concerne principalement les régions éloignées des petites et moyennes villes.

Malgré l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la croissance, les recettes des administrations infranationales ont déjà retrouvé leurs niveaux d’avant la crise (en termes réels) ou sont restées supérieures à l’augmentation des dépenses dans la plupart des pays de l’OCDE (OCDE, 2023[4]). Parallèlement, même si les administrations infranationales affichent globalement une bonne santé financière, leur endettement a atteint des niveaux historiquement élevés qui peuvent représenter des risques importants. En effet, d’une part, dans bon nombre de pays, les administrations infranationales n’émettent pas de titres de dette mais contractent des emprunts potentiellement à des taux variables – ce qui signifie que la charge de la dette réagit immédiatement aux hausses des taux d’intérêt et augmente le ratio annuités/recettes traditionnellement faible. D’autre part, le coût des autres formes de financement des administrations infranationales, comme les arriérés de paiement, est susceptible de baisser avec l’inflation dans la mesure où ils ne sont généralement pas indexés. En outre, ce risque varie beaucoup en fonction des territoires – certaines collectivités territoriales ou administrations d’États fédérés peuvent y être exposées et d’autres non. Autre facteur important susceptible d’atténuer ce risque : le solde de trésorerie, qui, en fonction de son ampleur, peut utilement amortir les chocs.

À terme, les finances des administrations infranationales pourraient se dégrader ; dans certains pays, les prévisions actualisées laissent entrevoir une baisse de recettes de même ordre que celle observée au plus fort de la crise financière mondiale de 2008-09 (OCDE, 2023[4]). Même si les recettes des administrations infranationales sont généralement plus stables que celles des administrations centrales, leur élasticité à court terme (c’est-à-dire leur sensibilité à brève échéance à l’activité économique) est quasiment identique, ce qui signifie que tout ralentissement de la croissance du produit intérieur brut (PIB) va se répercuter de manière quasi proportionnelle sur les recettes des administrations infranationales. On observe toutefois d’importantes asymétries entre les pays, qui s’expliquent principalement par des différences au niveau de la structure fiscale, l’impact étant plus marqué pour les administrations infranationales dont les recettes fiscales proviennent principalement de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, et moindre pour celles qui comptent davantage sur les impôts fonciers (OCDE, 2023[4]). Selon les dernières estimations de l’OCDE, la collecte des recettes devrait se détériorer au niveau infranational dans les pays membres. De fait, les recettes des administrations infranationales devraient augmenter de 1.1 % à 10.2 % (4.5 % en moyenne) soit une baisse moyenne de 2.4 points de pourcentage (OCDE, 2023[4]).

La situation financière délicate dans laquelle se trouvent les administrations centrales pèsera probablement sur le soutien qu’elles apporteront aux administrations infranationales à l’avenir. De fait, les administrations nationales ont non seulement absorbé la plus grande part du choc lié au COVID-19 (de Biase et Dougherty, 2022[5]) mais elles supportent également le coût budgétaire des mesures prises pour amortir l’impact de la hausse de l’inflation sur le niveau de vie des ménages. Or, il y a des limites à ce que l’on peut demander aux politiques budgétaires nationales sachant qu’elles peuvent aussi avoir pour effet d’exercer des tensions sur les prix, ce qui peut inciter les banques centrales à relever encore les taux directeurs et se répercuter sur le coût du service de la dette.

Références

[3] AIE (2022), World Energy Outlook 2022, Agence internationale de l’énergie, Paris, https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2022.

[5] de Biase, P. et S. Dougherty (2022), « The past and future of subnational fiscal rules: An analysis of fiscal rules over time », OECD Working Papers on Fiscal Federalism, n° 41, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/d2798c9e-en.

[1] OCDE (2023), Perspectives économiques de l’OCDE, Volume 2023 Numéro 1, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4d811166-fr.

[4] OCDE (2023), « The intergovernmental fiscal outlook and the implications of Russia’s war against Ukraine, high energy prices and inflation », OECD Working Papers on Fiscal Federalism, n° 42, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/3623ab61-en.

[2] OCDE (2022), « The implications for OECD regions of the war in Ukraine: An initial analysis », OECD Regional Development Papers, n° 34, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/8e0fcb83-en.

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