5. La gouvernance budgétaire au Maroc

En 2018, l’OCDE a réalisé un diagnostic de la transparence budgétaire pour l'intégrité et la responsabilité au Maroc (OCDE, 2018[1]). Ce diagnostic a abordé quatre domaines de la gouvernance budgétaire : i) la gestion des fonds publics ; ii) l’exhaustivité et l’utilité des documents budgétaires et des rapports financiers ; iii) l’ordre et le déroulement du processus budgétaire ; et enfin iv) le contrôle externe de l'intégrité de la documentation budgétaire et des informations financières. Ces précédents travaux permettent à ce chapitre de l’Examen de l’OCDE sur la gouvernance publique : Maroc de se concentrer sur d’autres aspects de la gouvernance budgétaire, indiqués comme prioritaires par le ministère de l’Économie et des Finances marocain. Ce chapitre constitue donc une analyse sélective, et non pas exhaustive, de la gouvernance budgétaire au Maroc. Il s’appuie sur la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur la gouvernance budgétaire adoptée en 2015 pour évaluer les pratiques budgétaires marocaines (OCDE, 2015[2]).

Pour mettre en œuvre son Nouveau Modèle de Développement (NMD), le Maroc a fait le choix stratégique d’améliorer la gestion des finances publiques, cette gestion contribuant à « une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité ». Le plan stratégique insiste en effet sur l’utilisation de nouveaux instruments de gestion des dépenses publiques afin d’élargir l’espace budgétaire pour le financement des priorités de développement du pays (Royaume du Maroc, 2021[3]). Les outils de performance de la dépense, de revues de dépense et de planification pluriannuelle sont les principaux instruments concernés. Plus généralement, les efforts visant à la bonne gouvernance budgétaire participent à un processus de larges réformes du pays enclenché au début des années 2000. Le Maroc s’est notamment doté d’une nouvelle Constitution en 2011 et d’une nouvelle loi organique relative à la Loi de finances (LOF) en 2015.

La LOF, votée en 2015 et entrée en vigueur en 2016, a remplacé la loi organique de 1998. Le gouvernement marocain a décidé d’une mise en œuvre progressive de la loi entre 2016 et 2020. De nombreux pays de l’OCDE (tels que la France, l’Islande, et la Pologne) ont également développé une loi organique régissant le processus de décisions budgétaires. En Islande, par exemple, la loi organique Public Finance Act no. 123/2015 a été votée en 2015 en réponse à la crise économique de 2008. Au Maroc, cette loi vise à transformer la gestion des finances publiques à travers trois chantiers principaux (dont les résultats sont étudiés ci-dessous) :

  • le renforcement de la performance de la gestion publique : introduction de la programmation budgétaire pluriannuelle, de budgets-programmes et d’une gestion budgétaire axée sur les résultats ;

  • l’amélioration de la transparence des finances publiques : introduction de nouvelles règles financières pour maîtriser l’équilibre budgétaire et renforcement de la comptabilité ;

  • l’affermissement du rôle du Parlement dans le débat budgétaire : enrichissement et diversification des informations communiquées au Parlement, réaménagement du calendrier de préparation de la Loi de finances et de son vote.

La première partie de ce chapitre examine le cycle budgétaire annuel marocain, de la formulation du budget à la reddition des comptes. La deuxième partie analyse la gestion pluriannuelle des dépenses. Enfin, la troisième partie est consacrée à la budgétisation axée sur la performance et la budgétisation sensible au genre (BSG). Une dernière partie propose des conclusions et recommandations.

La LOF a considérablement modifié le système de gestion des finances publiques au Maroc. Le calendrier budgétaire a en effet été revu pour prendre en compte la pluriannualité de la programmation budgétaire, ainsi que la performance des politiques publiques. L’articulation des principales stratégies de développement, la vision prospective, les objectifs stratégiques et les politiques sectorielles sont présentés dans le Graphique 5.1.

Pour planifier et exécuter leurs allocations budgétaires avec confiance, les gestionnaires ont besoin de prévisions crédibles des ressources. Si les prévisions sont fiables et que les autres fondamentaux du budget sont bien en place, ils disposent d'une base solide pour planifier les programmes de dépenses à moyen terme.

Au Maroc, les prévisions macroéconomiques et budgétaires sont élaborées par le Comité de Conjoncture Financière (CCF) du ministère de l'Économie et des Finances (MEF). Ce comité, présidé par la Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), assure la concertation entre les différentes directions du MEF impliquées dans le cadrage budgétaire. Les prévisions sont présentées dans le Cadrage macroéconomique à moyen terme. L’horizon de ce cadrage est de trois ans et correspond à la programmation budgétaire triennale (PBT).

Le CCF est chargé d'élaborer les prévisions budgétaires au titre des projets de lois de finances et d’arrêter les hypothèses et le cadre macroéconomique sous-tendant ces prévisions. En outre, des consultations sont menées entre la DTFE et la Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF) pour se concerter sur les prévisions du cadre macroéconomique. Le CCF est également chargé d'assurer le suivi d'exécution de la Loi de finances à travers l'analyse des évolutions des charges et ressources du Trésor, et de procéder à l'actualisation des prévisions à des fins de cadrage budgétaire par rapport aux objectifs en termes de déficit et de dette. Il est conçu comme « une instance de réflexion, de débat, de confrontation des avis et de propositions en matière de prévisions économiques et financières pluriannuelles, et ce, de façon à assurer une cohérence globale entre les orientations du Gouvernement et les contraints macroéconomiques » (Ministère de l'Économie et des Finances, 2019[4]). Le cadrage macroéconomique est enfin approuvé à l’occasion du Comité des directeurs, présidé par le ministre de l’Économie et des Finances. Une fois approuvé, le cadrage macroéconomique annuel est intégré au « rapport économique et financier » annexé au Projet de Loi de finances (PLF).

Le cadrage macroéconomique et financier est l’aboutissement d’un processus annuel au cours duquel les prévisions macroéconomiques et financières sont réalisées à intervalles réguliers :

  • Au mois de mars, les projections sont mises à jour avec les premières données disponibles sur le commerce extérieur et l’exécution budgétaire de l’exercice en cours.

  • Au mois de juin, de nouvelles projections sont réalisées avec la publication des premières données de la comptabilité nationale par le Haut-Commissariat au Plan (HCP).

  • Au mois d’octobre, le cadre macroéconomique et financier qui sous-tend le budget est annexé au PLF.

Le rapport économique et financier présente des projections pour l’année suivante. Les projections financières sont le déficit budgétaire, ainsi que les recettes et dépenses par nature. Les variables macroéconomiques projetées sont le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), la valeur ajoutée agricole et la valeur ajoutée non agricole. Ces projections sont accompagnées d’hypothèses macroéconomiques, telles que le cours du pétrole, le taux de change et la demande extérieure. Les projections pluriannuelles sont présentées dans le rapport d’exécution budgétaire et de cadrage macroéconomique triennal.

Les prévisions pluriannuelles du rapport d’exécution budgétaire et de cadrage macroéconomique triennal sont moins détaillées que les prévisions annuelles du rapport économique et financier. Celles-ci sont cependant très limitées et ne permettent pas d’évaluer la crédibilité du cadrage. Les trois variables macroéconomiques sont les mêmes que celles du rapport économique et financier, mais elles ne sont accompagnées ni de variables financières ni d’hypothèses macroéconomiques. Ces prévisions pourraient être accompagnées d’analyse de sensibilité des hypothèses macroéconomiques et macrobudgétaires (OCDE, 2018[1]).

Une fois ces projections publiées, la circulaire du Chef du gouvernement est diffusée aux ministères dépensiers au plus tard le 15 mars. Elle détaille les hypothèses macroéconomiques ainsi que l’orientation à adopter en fonction des chantiers prioritaires. La circulaire prend également en compte la trajectoire triennale fixée par le MEF comptabilisant les ressources et dépenses par nature. Cette circulaire lance les travaux des départements ministériels pour élaborer leurs propositions de PBT et les objectifs et indicateurs de performance afférents. Ces prévisions sont ensuite saisies dans le système informatique « e-budget 2 » pour la programmation et l’exécution budgétaire.

Ces propositions de PBT sont contenues dans les projets de performance initiaux qui doivent être soumis au MEF avant le 15 avril. Leur volet budgétaire présente les projections de référence et identifie les nouvelles mesures par destination et par nature des crédits (classification programmatique et économique des dépenses). Leur volet de performance met à jour les objectifs et indicateurs de performance en fonction de la stratégie ministérielle, ainsi que des réalisations et des observations de l’audit de performance.

Entre le 15 avril et le 15 mai, les propositions des départements ministériels sont examinées en commissions de programmation et de performance. La Direction du budget échange alors avec les départements ministériels sur la pertinence des propositions, la qualité des indicateurs et les montants proposés. Le MEF se base ensuite sur ces propositions pour élaborer deux programmations budgétaires qui contribueront à la préparation du PLF :

  • La Programmation budgétaire triennale agrégée (PBTA), qui s’articule par départements ministériels et est présentée par chapitre et nature de dépense.

  • La Programmation budgétaire triennale globale (PBTG), qui consiste en une projection de dépenses par grands agrégats.

Après les commissions de programmation et de performance, et sur la base des documents ministériels, le MEF élabore : i) une programmation agrégée par ministère ; et ii) une programmation globale afin de respecter le cadrage précité. Ces documents serviront à la préparation du PLF après l’étude et la vérification de la soutenabilité des propositions ministérielles par rapport à la contrainte budgétaire et de l’impact des hypothèses macroéconomiques.

La LOF a institué une phase de concertation avec le Parlement marocain avant le 31 juillet. Avant le 15 juillet, le ministre chargé des Finances présente en Conseil du gouvernement l’exécution du budget en cours, la PBTG, ainsi que les lignes directrices du PLF de l’année suivante. Le Conseil du gouvernement décide d’un plafond initial de dépenses pour le budget de l’État, ainsi que des plafonds de dépenses ministérielles actualisés à respecter dans le reste de la procédure de préparation du PLF et dans la préparation des lettres de cadrage. Au plus tard à la fin du mois de juillet, le ministre de l’Économie et des Finances présente les éléments suivants aux deux commissions des finances du Parlement : la PBTG actualisée ; l’exécution du budget en cours au 30 juin ; les grandes hypothèses macroéconomiques et financières ; et l’évolution de l’économie marocaine. Il n’y a toutefois pas de débat d’orientation budgétaire.

La phase de préparation détaillée du budget débute avec la diffusion aux ministères sectoriels de la note d’orientation de la préparation du PLF (circulaire du Chef du gouvernement) et des lettres de cadrage qui fixent les plafonds de dépenses par département ministériel et par nature des dépenses. Les ministères ajustent leurs propositions budgétaires en fonction des plafonds et orientations fixés par ces documents. Ils envoient ensuite leurs propositions actualisées pour discussion au niveau des commissions budgétaires, commissions qui réunissent la Direction du budget du MEF et les départements ministériels en septembre pour arrêter le PLF présenté au Parlement. En l’absence d’accord entre la Direction du budget et le ministère après les commissions budgétaires, un arbitrage se fait alors entre les deux ministres. Le Chef du gouvernement arbitre en dernier recours. Les départements ministériels actualisent ensuite leurs propositions triennales dans le système « e-budget 2 », ainsi que leurs projets de performance.

Le PLF doit être déposé au bureau de la Chambre des représentants au plus tard le 20 octobre. La LOF fixe un délai global d’examen et de vote du PLF par le Parlement à 58 jours à partir de la date de dépôt.

Bien que la documentation budgétaire contenue dans le PLF ait été considérablement enrichie (rapport sur le budget axé sur les résultats tenant compte de la dimension du genre, rapport sur la dette publique et rapport économique et financier, par exemple), le pouvoir du Parlement est limité par le cadre législatif. En effet, le Parlement n’a pas de pouvoir d’initiative budgétaire, et peut seulement effectuer des réallocations budgétaires. Par ailleurs, des initiatives apparaissent pour promouvoir la participation citoyenne dans le processus budgétaire et mieux informer les citoyens du fonctionnement du budget et de ses conséquences pour la vie publique (OCDE, 2018[1]).

La nouvelle nomenclature budgétaire par destination achevée en 2018 (Tableau 5.1) s’ajoute à la nomenclature par nature des dépenses, mais ne la remplace pas. La nomenclature budgétaire programmatique fournit un cadre normatif pour la gestion courante, les contrôles d’exécution budgétaire, la formulation des politiques budgétaires et leur analyse, et l’information du Parlement et des citoyens. Au sein de cette nomenclature, les programmes sont classés en fonction de la classification fonctionnelle des administrations (COFOG) développée par l’OCDE. La ligne budgétaire n’est utilisée que dans la nomenclature d’exécution. La réforme de la nomenclature tient compte de la dimension territoriale des dépenses, à travers l’insertion d’un niveau de la nomenclature consacré aux régions. Bien que les recettes et dépenses des établissements publics (EP)1 soient exclues du périmètre des budgets-programmes, les EP ont également été invités à mettre en place une nomenclature budgétaire par destination pour permettre un meilleur suivi de leur contribution à la réalisation des programmes de leurs ministères de tutelle (Bengrine, 2018[5]).

La nouvelle nomenclature budgétaire reste dominée par la nature des dépenses. Les titres et les chapitres correspondent à une classification par nature, où la nature des dépenses est plus agrégée au sein des titres. Il existe trois titres : dépenses de fonctionnement, dépenses d’investissements et dépenses relatives au service de la dette publique. Cette nomenclature budgétaire de programmation est présentée dans les morasses budgétaires transmises au Parlement lors de l’examen du PLF. Les morasses budgétaires constituent un document annexe à la Loi de finances retraçant le détail des dépenses du budget général.

Malgré l’introduction d’une dimension programmatique dans la nomenclature budgétaire marocaine, la nature des dépenses reste le principal prisme d’examen et de décision budgétaire. La circulaire du Chef du gouvernement, les projections de dépenses de référence des départements ministériels, la présentation de la PBTG en Conseil du gouvernement et en Commission des finances et la lettre de cadrage sont exprimées selon une classification économique des dépenses. Le Parlement marocain approuve l’allocation des ressources à un niveau relativement agrégé, celui des chapitres budgétaires.

Une fois la Loi de finances adoptée, les ministères commencent à exécuter leurs budgets à partir du 1er janvier. Au Maroc, la Trésorerie générale du Royaume (TGR) est responsable du contrôle et du règlement des dépenses publiques, de la gestion des dépôts au Trésor et de la centralisation des opérations comptables de l’État et des collectivités territoriales. Des efforts importants de transparence dans l’exécution budgétaire ont été réalisés. La gestion des crédits budgétaires a été codifiée et adaptée à la nouvelle nomenclature budgétaire. Le processus de reddition des comptes, et notamment la réforme du système de comptabilité, est encore un chantier important.

La LOF a clarifié les rôles, responsabilités et procédures de gestion des crédits budgétaires. Elle interdit d’inclure des dépenses de fonctionnement dans le budget d’investissement, limite les crédits de personnel et interdit les virements de crédits entre chapitres. Elle encadre également la création de nouveaux comptes d’affectation spéciale et de services de l’État gérés de manière autonome. Le passage à une classification programmatique des dépenses a rendu nécessaire une certaine souplesse dans la gestion des crédits par les départements ministériels. Ainsi, au sein d’un chapitre, avec l’accord préalable du MEF, le redéploiement est plafonné à 10 % entre programmes. Au sein d’un programme, les crédits peuvent être redéployés sans limite entre régions (avec l’accord préalable du MEF). Au sein d’une région, la liberté de redéploiement est totale. Enfin, 30 % des crédits d’investissement ouverts peuvent être reportés d’une année à l’autre.

Le besoin de flexibilité dans la budgétisation pluriannuelle reste difficile à évaluer, celle-ci ayant été introduite en 2019. Certains pays ont incorporé des mécanismes de flexibilité pour s’assurer du respect des trajectoires prévues au cours des deux premières années. Des fonds de réserve ou de contingence peuvent apporter de la flexibilité et contribuer à éviter des engagements de dépenses, tout en les permettant en cas de développements imprévus.

Des efforts ont été faits pour améliorer la transparence de l’exécution budgétaire. Conformément aux bonnes pratiques de l’OCDE en matière de transparence budgétaire (OCDE, 2002[6]), le Maroc publie plusieurs rapports d’exécution budgétaire au cours de l’année – bulletins mensuels, rapports trimestriels et semestriels – dont le niveau de détails varie. La nomenclature des rapports d’exécution budgétaire trimestriels et semestriels a été alignée avec celle de la Loi de finances. Ils présentent l’exécution budgétaire des recettes et des dépenses selon une classification administrative et économique, qui pourrait néanmoins être plus fonctionnelle pour rendre le suivi budgétaire encore plus transparent et informatif. De même, une classification programmatique pourrait être développée dans la loi de règlement afin de renforcer la dimension stratégique de la budgétisation.

L’introduction de la comptabilité générale en droits et obligations constatés s’est faite progressivement. Entrée en vigueur en 2018, elle a été testée avant de devenir définitivement opérationnelle le 1er janvier 2020. Cette réforme comptable prévue par la LOF est un chantier considérable : elle doit permettre une plus grande exhaustivité et qualité des informations comptables, la comptabilité de caisse ne permettant pas de retracer la valeur des actifs et passifs publics et la nature de ses passifs éventuels (garanties accordées par l’État par exemple) dans les comptes (OCDE, 2018[1]). La mission d’enquête de l’OCDE a révélé que le bilan de l’État est en cours de construction. Il implique un périmètre de travail plus large (stocks, immobilisations, engagements hors bilan) ainsi que de nouveaux interlocuteurs pour la TGR.

Depuis une dizaine d’années, le Maroc a profondément réformé son système de contrôle des dépenses publiques. L’utilisation renforcée du système de gestion intégrée des dépenses (GID) a automatisé les contrôles. Les contrôles a priori ont été assouplis. La capacité de gestion budgétaire et financière des acheteurs publics a été renforcée. Pour autant, les départements ministériels ne maîtrisent pas encore la souplesse dans la gestion des crédits. La création d’une unité dédiée à l’audit interne ou au contrôle de gestion est une recommandation fréquente dans les audits de performance de l’Inspection générale des finances (IGF). Selon le diagnostic d’intégrité réalisé par l’OCDE (2018[7]), le Maroc pourrait couvrir les opérations financières du gouvernement (garanties accordées par l’État marocain par exemple), notamment dans la mesure où leur volume a augmenté à la suite de la pandémie de COVID-19 dans le cadre du contrôle budgétaire.

Le Maroc a profondément revu ses systèmes informatiques de gestion et de suivi des dépenses. « e-budget 2 » permet de renseigner les informations de programmation et de performance. Le système GID est dédié aux données financières et à l’exécution budgétaire. La paie du personnel dispose d’un système séparé, mais harmonisé avec le système GID. Une passerelle entre « e-budget 2 » et le système GID est en cours de réalisation.

La Cour des comptes joue un rôle essentiel de contrôle et de surveillance des opérations financières du gouvernement. Elle prépare et publie deux documents au mois de juillet, le rapport sur l’exécution de la Loi de finances et la déclaration générale de conformité. Ce travail permet de s’assurer de la cohérence entre les comptes individuels des comptables publics et ceux du compte général du Royaume.

La certification des comptes de l’État par la Cour des Comptes devait être effectuée pour l’exercice 2020, selon le calendrier de la mise en œuvre de la LOF. Selon la LOF, l’objectif de la certification est la régularité et la sincérité des comptes de l'État. Les comptes sont préparés par la TGR puis certifiés par la Cour des Comptes. Un premier exercice de certification est en cours de réalisation. Un processus de production des comptes de l’État pour 2020 par la TGR à la Cour des comptes lancé en mai 2022 est toujours en cours. Le processus de certification proprement dit n’est pas encore effectué. À moyen terme, une fois la réforme comptable achevée, les comptes de fin d’exercice des établissements et entreprises publics devraient être consolidés avec ceux du gouvernement central, et systématiquement publiés (OCDE, 2018[1]).

Le projet de loi de règlement doit être déposé devant le Parlement au plus tard à la fin du premier trimestre du deuxième exercice qui suit celui de l’exécution de la Loi de finances concernée. La dernière loi de règlement date de l’exercice 2020. Des efforts restent ainsi nécessaires pour que la reddition des comptes soit effectuée plus régulièrement et rapidement. La certification des comptes de 2020 a en effet commencé en 2022 et se poursuit en 2023, en même temps que la certification des comptes de l’exercice 2021.

Les objectifs de la PBT au Maroc sont multiples :

  • garantir la soutenabilité des finances publiques en s’assurant que la trajectoire budgétaire des politiques publiques est compatible avec les contraintes financières macroéconomiques ;

  • accroître l’efficacité de l’allocation des ressources budgétaires en accordant la temporalité du budget à celle des stratégies sectorielles ;

  • permettre aux gestionnaires de programmes d’avoir une meilleure prévisibilité des allocations budgétaires et ainsi d’améliorer leur gestion et le suivi de leur performance ;

  • améliorer la transparence dans la gestion des fonds publics en donnant au Parlement et à la société civile une perspective dynamique et échelonnée de la politique budgétaire.

La PBT marocaine est glissante et non contraignante. Pour qu’un budget à moyen terme soit crédible, le budget à moyen terme et le budget annuel doivent être pleinement intégrés dans le cadre du même exercice. Deux possibilités pour cela : i) les estimations de l'année budgétaire à venir sont les mêmes que celles de l'année initiale dans le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) ; ou ii) le cadre de dépenses à moyen terme constitue le point de départ du budget annuel. La différence entre ces deux possibilités découle de décisions du Conseil du gouvernement. Comme beaucoup de pays de l’OCDE, le Maroc rentre dans la première catégorie. La PBT institutionnalisée par la nouvelle LOF est glissante : les données pour les deux années suivantes sont indicatives et doivent être réalistes. Les données sont actualisées chaque année. Par ailleurs, le Maroc a progressivement élargi le périmètre de la PBT au-delà du budget général après 2019. Elle couvre désormais les charges du budget général, des services de l’État gérés de manière autonome et des comptes spéciaux du Trésor (CST) – dont les comptes d’affectation spéciale et certains établissements publics bénéficiant de recettes affectées ou de subventions de l’État.

Le processus d’estimation pluriannuelle des dépenses de base est rigoureusement défini. Les projections des dépenses de base sont déclinées en deux parties : projections de référence (à politique inchangée) d’une part, et mesures nouvelles d’autre part. Les projections de référence sont établies par nature de dépenses : dépenses de personnel, d’investissement et de matériel, et dépenses diverses. Les projections de référence, quant à elles, sont établies en fonction de paramètres tels que le taux d’inflation et le niveau d’avancement de certains projets d’investissement. Ces projections sont construites à un niveau relativement agrégé (celui des chapitres budgétaires). Elles sont présentées : i) par composantes du budget de l’État (budget général, services de l’État gérés de manière autonome, comptes spéciaux du Trésor) ; ii) par destination de la dépense (programme et principaux projets ou actions) ; et iii) par famille d’établissements publics.

La PBT marocaine n’est pas actualisée en cours d’année, les projections de référence ne sont revues et mises à jour que lors de la préparation du PLF. Pour renforcer la discipline budgétaire, la projection de référence devrait être régulièrement mise à jour afin de tenir compte de l’impact financier de chaque nouvelle mesure budgétaire ou politique publique.

La Loi de finances fixe des plafonds de dépenses annuels au niveau des départements ministériels. La circulaire du Chef du gouvernement donne les orientations et les mesures à entreprendre sur la PBT, mais ne fixe pas les plafonds de dépenses. Dans sa définition des orientations générales de la PBT, cette circulaire tient compte des orientations royales, mais aussi de paramètres tels que le programme gouvernemental, le NMD, ou encore la conjoncture nationale et internationale.

Les plafonds de dépenses sont stricts : l’autorité budgétaire centrale (la Direction du budget) et le département ministériel concerné entament des négociations pour ajuster les propositions budgétaires aux plafonds annuels. Les plafonds de dépenses pluriannuels existent uniquement à titre indicatif, mais doivent être réalistes. Au Maroc, une déviation des plafonds pluriannuels est sans conséquence financière pour le département ministériel concerné. Ce n’est pas le cas partout : au Danemark, par exemple, le cadre de dépenses à moyen terme est également glissant. Pour autant, si les plafonds sont dépassés, le plafond de dépenses de l’année suivante est proportionnellement réduit en conséquence (OCDE, 2019[8]).

La PBT marocaine correspond à un cadre de dépenses à moyen terme. Un tel cadre montre le coût à moyen terme des dépenses de base des services publics, et ce, en l'absence de nouvelles initiatives politiques. En conjonction avec les prévisions de recettes pour la même période, cela permet aux décideurs d'identifier l'espace budgétaire existant pour de nouvelles initiatives politiques ou l'expansion des politiques existantes. Autrement dit, un tel cadre réunit des approches descendante et ascendante pour déterminer l’allocation budgétaire annuelle. Un cadre budgétaire à moyen terme crédible permet d’identifier les ressources disponibles chaque année en fonction des prévisions de recettes et de l'application des règles et objectifs macrobudgétaires. La seule contrainte macrobudgétaire que doit respecter la PBT est la règle d’or budgétaire : la dette de l'État finance uniquement les dépenses d'investissement. Elle ne peut pas être affectée au financement des dépenses courantes des administrations. Selon l’art. 20 de la LOF, « […] le produit des emprunts ne peut pas dépasser la somme des dépenses d’investissement et du remboursement du principal de la dette au titre de l’année budgétaire […] » (Royaume du Maroc, 2015[9]).

Il est à noter que l’entrée en vigueur de la PBT marocaine s’est faite dans un contexte national et international particulier (la pandémie de COVID-19 et la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine), ce qui a impacté significativement la qualité des projections. Le Maroc a procédé à une révision des hypothèses de la loi de Finances de l’exercice 2020 avec le recours à une loi rectificative dans le cadre de loi organique 130-13 relative à la loi de finances.

Au Maroc, tandis que l’approche ascendante est bien établie, l’application de l’approche descendante est peu développée. Dans le cadre de la PBT, le MEF fixe une trajectoire globale par nature des ressources et dépenses, prise en compte dans la circulaire du Chef du gouvernement du 15 mars. Ainsi, la circulaire du Chef du gouvernement pour la période 2022-24 indique que : « […] le Gouvernement vise à réaliser un taux de croissance annuel moyen de 4 %, de contenir le déficit budgétaire (y compris les recettes de privatisation) dans la limite d’une moyenne annuelle de 5 % du PIB et de maintenir la moyenne du taux d’inflation à un niveau inférieur à 1 % » (Royaume du Maroc, 2021[10]). Cependant, cet objectif devrait être plus précis. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le cadre budgétaire à moyen terme marocain devrait indiquer une trajectoire budgétaire claire permettant de réduire le ratio dette-PIB (Fonds monétaire international, 2021[11] ; 2022[12]).

L’absence de réelle contrainte macrobudgétaire fragilise la détermination de la marge de manœuvre budgétaire disponible (ou espace budgétaire). Cette marge de manœuvre, ou son absence, doit constituer le socle de la préparation du budget annuel. Si une marge de manœuvre existe, alors de nouvelles politiques peuvent être décidées et mises à jour dans les projections de référence. Si la marge de manœuvre est négative, des mesures doivent être prises pour réduire les projections de référence. Au Maroc, la Direction du budget est chargée de réconcilier les prévisions pluriannuelles des ressources avec les projections de dépenses de base, en tenant compte des contraintes et objectifs macrobudgétaires. Ce travail implique une étroite collaboration avec les autres directions du MEF. Le suivi de la règle budgétaire incombe à la DTFE dans le cadre de l'élaboration de la situation des charges et ressources du Trésor au titre des prévisions du PLF, ainsi que lors du suivi de l'exécution de la Loi de finances et de l'actualisation des prévisions. La DTFE et la DEPF établissent, de manière concertée, les prévisions de croissance et les hypothèses sous-tendant les prévisions budgétaires élaborées au sein du CCF.

La programmation budgétaire pluriannuelle ayant été mise en place en 2019, il est trop tôt pour évaluer son efficacité, d’autant plus que la pandémie de COVID-19 a perturbé la planification budgétaire. L’étude des écarts entre l’exécution budgétaire et les prévisions trimestrielles dans la programmation budgétaire triennale permettrait d’en identifier les sources et de mettre en place des mesures pour les limiter. Par ailleurs, l’enquête de l’OCDE a indiqué que la PBT a considérablement alourdi le processus d’élaboration et de préparation du budget dans les ministères sectoriels alors même que les plafonds à moyen terme ne sont qu’indicatifs. Pour autant, les ministères sectoriels rencontrés par l’OCDE ont insisté sur l’utilité de la PBT et la visibilité qu’elle offre aux directions financières dans leurs engagements auprès des responsables de programmes et des bailleurs de fonds.

Le Maroc pourrait rendre sa PBT plus transparente. La PBTG est présentée au Parlement lors de la phase de concertation du budget en juillet mais, contrairement à la Loi de finances, elle n’est pas soumise au vote. En effet, le fait que le Maroc ait opté pour une PBT glissante actualisée chaque année implique que la PBTG ne fasse pas l’objet d’un vote. De même, jusqu’à récemment, aucune des trajectoires des agrégats budgétaires ou des hypothèses qui les sous-tendent n’étaient publiées. L’un des objectifs de la PBT est pourtant d’améliorer la transparence dans la gestion des fonds publics. La transparence incite par ailleurs à la discipline budgétaire. La publication du cadre budgétaire à moyen terme dans la documentation budgétaire, ainsi que celle de la trajectoire des agrégats financiers (dette, revenus, dépenses) permettant de réduire le ratio dette-PIB pourrait rassurer les créditeurs de l’État (Fonds monétaire international, 2021[11] ; 2022[12]). En 2022, pour la première fois, un document sur la PBTG 2023-25 a été publié et déposé au Parlement. Ce document, consultable sur le site du MEF, comporte quatre axes : i) Évolution et perspectives du contexte international et national ; ii) Principales orientations pluriannuelles ; iii) Rappel des hypothèses macroéconomiques ; et iv) PBTG (volets recettes et dépenses ainsi que la situation des charges et ressources du Trésor).

Un risque budgétaire est un risque de déviation du budget réel, comparé à la prévision macrobudgétaire qui sous-tend le budget initial. Les risques budgétaires peuvent être importants pour la santé des finances publiques d’un pays. C’est pourquoi un système de suivi, compte-rendu et quantification de ces risques budgétaires est essentiel. Dans ses deux derniers Articles IV, le FMI a ainsi recommandé un suivi accru et une meilleure gestion des risques liés au garanties accordées par l’État aux entreprises publiques, ainsi que des risques liés aux partenariats publics-privés (Fonds monétaire international, 2021[11]). La Recommandation du Conseil de l'OCDE sur la gouvernance budgétaire invite les pays à établir des mécanismes permettant d'identifier leurs risques budgétaires, à rendre explicites les mécanismes de gestion de ces risques, et à les prendre en compte dans les débats sur la politique budgétaire à mener (2015[2]). De nombreux pays de l’OCDE ont développé un cadre de gestion des risques budgétaires à la suite de la crise financière de 2008, dont la Finlande, la Lettonie (Encadré 5.1) (Tableau 5.2), les Pays-Bas ou encore le Royaume-Uni. L’OCDE présente les éléments d’un cadre de gestion efficace des risques budgétaires : i) un système de classification et de quantification des risques ; ii) un système de prévention et d’atténuation des risques (par exemple, un cadre d’approbation des garanties accordées par l’État, une réserve budgétaire) ; et iii) des outils favorisant la transparence de ces risques (déclaration des risques budgétaires, par exemple) (OCDE, 2020[13]).

Certains risques budgétaires sont suivis par le ministère de l’Économie et des Finances, mais de manière éparse. Les risques macroéconomiques sont les principaux risques faisant l’objet d’un suivi régulier en interne par la DEPF. La DEPF publie également, de manière ad hoc, des scénarios alternatifs dans le rapport économique et financier annexé au budget annuel. Les risques liés à la dette publique (taux d’intérêt, taux de changes, etc.) sont analysés dans le rapport sur la dette publique, également annexé au budget annuel. Ce rapport est préparé par la DTFE. Les entreprises publiques sont supervisées par la Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) (Fonds monétaire international, 2021[11]).

En ce qui concerne les passifs éventuels, les notes aux états financiers des comptes de 2020 comportent une première évaluation des engagements donnés. Il s’agit notamment de ceux qui sont liés à la dette garantie, aux engagements budgétaires, aux engagements découlant d’accords bien définis ou résultant de la mise en jeu de la responsabilité de l’État ou d’une obligation reconnue par l’État. Ces passifs éventuels sont présentés appuyés des chiffres correspondants ou sous forme de description littéraire, comme le prévoient les normes applicables à l’État adopté par le Conseil national de comptabilité. En ce qui concerne particulièrement les engagements de retraite, il importe de préciser que la norme correspondante les définit comme étant les « engagements de l’État vis-à-vis de la Caisse marocaine de retraite visant la couverture de la charge pouvant résulter du paiement des régimes non cotisants, de régimes spéciaux ou déficitaires ». Les montants mentionnés à ce titre dans les notes des états financiers ont été déterminés sur la base d'une étude actuarielle réalisée par la Caisse marocaine des retraites. Ces notes mentionnent également les engagements reçus dans le cadre du recouvrement des créances publiques (hypothèques, cautions…) et au titre des engagements reçus par les bailleurs de fonds en matière de prêts.

Le Maroc n’a pas encore formalisé la gestion des risques budgétaires dans le cadre du cycle budgétaire. Toutefois, l’administration a commencé à mettre en place un système d’identification, de suivi et de quantification des risques budgétaires liés aux entreprises publiques (Royaume du Maroc, 2022[14]). En 2020, le FMI a émis des recommandations de gestion des risques budgétaires liés aux entreprises publiques (Fonds monétaire international, 2021[11]). Il recommande, entre autres – et en plus du rapport exhaustif sur la gestion des entreprises publiques publié par la DEPP en annexe du budget – la publication d'une déclaration régulière rendant pleinement compte de toutes les formes de garanties et de soutien conditionnel aux entreprises publiques, ainsi que des risques budgétaires associés. Par ailleurs, la documentation budgétaire marocaine pourrait comprendre un rapport régulier sur la viabilité à long terme des finances publiques du pays.

Les cadres de performance sont utiles pour l'élaboration des politiques et l'allocation des ressources, car ils renseignent avec des cibles et des indicateurs sur la réussite des politiques et des programmes au regard des résultats escomptés. Ce cadre de responsabilité permet aux parties prenantes, telles que le corps législatif et la société civile, de suivre les mesures prises par le gouvernement pour atteindre les résultats nationaux et les progrès réalisés. Le huitième principe de la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur la gouvernance budgétaire montre comment les gouvernements peuvent intégrer au mieux la performance au processus budgétaire (Encadré 5.2).

Le Maroc a opté pour une stratégie de mise en œuvre progressive des budgets-programmes et des indicateurs et objectifs associés. Après l’entrée en vigueur de la LOF en 2016, quatre vagues de préfigurations des budgets-programmes ont été menées au titre des PLF 2014 (quatre départements ministériels), 2015 (neuf départements ministériels), 2016 (seize départements ministériels) et 2017 (ensemble des départements ministériels). Ces préfigurations ont été encadrées par des circulaires du Chef du gouvernement au début de chaque vague. La préfiguration concernait les axes portant sur la structuration de leurs budgets autour de programmes, l’adoption de la démarche de performance, la mise en place d’une PBT, et l’élaboration des projets de performance ainsi que des rapports de performance (qui rendent compte des réalisations effectives et de l’atteinte des objectifs préalablement fixés). Ce travail a été effectué en étroite collaboration entre les départements ministériels, la Direction du budget du MEF et des experts internationaux. En 2018, l’entrée en vigueur de la disposition des budgets-programmes a rendu obligatoire l’élaboration, par l’ensemble des départements ministériels, des projets de performance et leur dépôt auprès des commissions parlementaires concernées, en accompagnement des projets de budgets ministériels. La LOF n’a pas prévu de programmes interministériels : s’inscrivant dans une démarche progressive, la mise en place de tels programmes nécessite en effet une maturité de la démarche basée sur l’appropriation graduelle des gestionnaires.

Selon la typologie de l’OCDE, le Maroc se dirige vers un modèle où la budgétisation est informée par la performance (OCDE, 2019[15]). La documentation budgétaire est structurée sur une base programmatique et présentée avec des objectifs et des indicateurs de performance. Le Maroc a fait le choix de ne pas utiliser les informations sur la performance des politiques publiques pour informer les choix budgétaires dans le cadre des discussions/négociations budgétaires entre l'autorité budgétaire centrale et les ministères dépensiers. En effet, selon le modèle marocain, la performance doit permettre l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique, dont il est possible de tirer les conséquences en termes de budgétisation sans qu’il y ait d’automatisme en la matière.

Lors des commissions de programmation et de performance, les discussions portent à la fois sur le volet performance (analyse de la performance des programmes à travers l’examen de la pertinence du choix des objectifs et des indicateurs, les prévisions et les cibles de résultats, et ce, au regard de la stratégie du ministère et des prévisions de crédits annuels et pluriannuels) et sur le volet budgétaire. Ainsi les directions ministérielles défendent leurs propositions d’enveloppes budgétaires tout en tenant en compte l’atteinte des résultats escomptés en termes de performance.

En plus des indicateurs d’activité transversaux pour les fonctions de support, le Maroc a identifié trois types d’objectifs pour mesurer la performance des politiques publiques dans le budget (Ministère de l'Économie et des Finances, 2015[16]) :

  • Les objectifs d’efficacité socio-économiques, qui répondent aux attentes des citoyens.

  • Les objectifs de qualité de service, qui répondent aux attendent des usagers des services publics.

  • Les objectifs d’efficience de gestion, qui répondent aux attentes des contribuables. Ils concernent la productivité du service public (l’augmentation de cette productivité à ressources égales, ou son maintien avec moins de moyens).

Les objectifs et indicateurs de performance fixés par programme budgétaire doivent être cohérents avec les priorités sectorielles. Ces priorités sont exprimées dans les stratégies sectorielles établies au niveau des départements ministériels. La durée des stratégies sectorielles n’est ni fixe ni définie dans un intervalle précis. Le Plan santé 2025 du ministère de la Santé et de la Protection sociale date ainsi de 2018. Le ministère de l’Agriculture s’est doté d’une stratégie Génération Green qui couvre la période 2020-30. Ces stratégies tiennent compte du NMD ainsi que du programme gouvernemental en place lors de leur élaboration. Elles sont conçues par les départements ministériels puis transmises à la Direction du budget pour avis. Les objectifs et indicateurs peuvent varier en fonction des orientations royales annuelles, des orientations gouvernementales et des recommandations de l’IGF.

La Cour des comptes notait en 2019 que la cohérence entre les stratégies sectorielles et certains programmes budgétaires n’était que relative. L’affectation des crédits budgétaires était encore régie par une logique de moyens, liée au fonctionnement de l’administration, plus que par une logique de résultats. Une recommandation fréquente de l’IGF est d’améliorer la couverture des politiques publiques menées dans chaque programme par les objectifs et indicateurs de performance. Il est également à noter que les stratégies sectorielles n’ont pas systématiquement le même horizon temporel que les programmes gouvernementaux.

Le Maroc gagnerait à réduire le nombre de programmes budgétaires et d’indicateurs de performance. Pour l’exercice 2022, le budget général de l’État comprend 138 programmes (dont 120 soumis à la démarche de performance). Chaque département ministériel compte en moyenne 3 programmes et 14 projets ou actions, soit environ 4 projets ou actions par programme. Pour l’année budgétaire 2022, le ministère de l’Agriculture possède par exemple 6 programmes, 17 objectifs, 36 indicateurs et 11 sous-indicateurs (dont 4 indicateurs et 6 sous-indicateurs liés au genre). De son côté, le ministère de la Santé et de la Protection sociale compte 6 programmes (dont 3 programmes supports), 23 objectifs et 58 indicateurs et 24 sous-indicateurs (dont des sous-indicateurs sensibles au genre). Un nombre réduit faciliterait le suivi de la performance des départements ministériels par la Direction du budget et par le Parlement. Les ministères sectoriels, mais aussi la Direction du budget, travaillent à cet objectif recommandé par l’IGF, qui appelle notamment le ministère de la Santé à rassembler trois de ses programmes supports en un seul.

Des améliorations sont aussi possibles dans la composition des indicateurs et objectifs de performance. D’une part, le nombre d’indicateurs d’activité ou de moyens demeure trop élevé, et la part des indicateurs de performance des politiques publiques n’est pas suffisante. D’autre part, la plupart des objectifs de performance concernant l’efficacité socio-économique, l’IGF recommande donc d’augmenter la part d’indicateurs de qualité de service ou d’efficience de gestion pour plus de variété.

Le cadre de gestion de la performance dans les départements ministériels est très structuré. Chaque programme budgétaire est géré par un responsable officiellement désigné par le ministre et généralement soutenu par un « point focal » de la Direction du budget et une équipe interne ministérielle. En 2022, 88 % des responsables des programmes de politiques publiques étaient des directeurs centraux, tandis que 8 % étaient secrétaires généraux du département ministériel. La performance des départements ministériels est généralement gérée par un comité de pilotage présidé par le secrétaire général et composé des directeurs centraux. Ce comité n’est pas habilité à revoir la stratégie du département, mais celle-ci ne change pas tous les ans.

Le passage à une structure programmatique sur laquelle sont adossés des objectifs et indicateurs de performance doit être achevé. C’est ce qu’indiquent les recommandations de l’IGF ainsi que les axes d’amélioration relevés lors de la mission d’enquête de l’OCDE. De même, la culture de la performance varie selon les ministères. Les missions d’enquête de l’OCDE montrent un engagement marqué en faveur de la budgétisation par la performance dans le ministère de la Santé et de la Protection sociale et le ministère de l’Agriculture. Certaines lacunes persistent dans d’autres départements ministériels : manque d’implication et d’engagement de la hiérarchie dans la budgétisation tenant compte de la performance ; budgétisation selon une classification par destination administrative et non en fonction des performances ; manque de pouvoir des gestionnaires de programme dans les décisions budgétaires tenant compte de la performance.

Le système de suivi de la performance doit encore être développé. Le plan d’action de la mise en œuvre de la LOF prévoyait la création de tableaux de bord dans les départements ministériels afin de suivre l’évolution de la performance des programmes budgétaires et de prendre d’éventuelles mesures correctives (Ministère de l'Économie et des Finances, 2015[16]). En 2019, la Cour des comptes notait l’absence de système d’information et de structures de contrôle de gestion dédiés au pilotage de la performance dans les départements ministériels. Ce projet est désormais en cours de déploiement, un décret en ce sens ayant été adopté lors du Conseil du gouvernement du 23 février 2023. Le ministère de l’Agriculture a indiqué à l’OCDE qu’à la suite d’un audit de performance de l’IGF, un travail de concertation avait commencé pour améliorer le suivi de la performance, en commençant par l’élaboration d’un manuel de procédure.

Bien que récente, la budgétisation axée sur la performance est solidement imbriquée dans le cycle budgétaire annuel marocain. Le calendrier budgétaire débute ainsi avec la phase de programmation, marquée par la diffusion de la circulaire du Chef du gouvernement relative à l’élaboration des propositions de PBT, assortie des objectifs et indicateurs de performance. Ces propositions sont examinées par les commissions de programmation et de performance entre le 15 avril et le 15 mai. La valeur des indicateurs et objectifs de performance est ensuite finalisée jusqu’à l’adoption du budget. Lors de la reddition des comptes, les départements ministériels préparent leurs rapports de performance, qui rendent compte de l’exécution des engagements pris dans les projets de performance lors de l’élaboration de la Loi de finances. Le rapport annuel de performance de l’autorité budgétaire centrale (le MEF) comporte une revue synthétique des réalisations des ministères et des institutions en matière d’exécution budgétaire, éclairée par une analyse globale des données liées à la performance. Il contient également des tableaux de bord sur les principales réalisations des stratégies sectorielles en matière d’émission de crédits, de réalisation des indicateurs emblématiques et d’atteinte des objectifs définis lors de la préparation de la Loi de finances. Ce rapport est annexé à la loi de règlement. Un rapport d’audit de performance préparé par l’IGF et présentant les principales conclusions et recommandations des audits de performance est également joint à la loi de règlement (Tableau 5.3).

L’IGF joue un rôle moteur en matière de transparence et de redevabilité. En 2018 et 2019, l’IGF a audité l’ensemble des indicateurs et des objectifs de performance des programmes ; depuis 2020, elle examine un tiers des programmes de chaque département ministériel chaque année. Ses recommandations sont synthétisées dans une annexe à la loi de règlement. L’enquête de l’OCDE indique que les recommandations de l’IGF sont prises avec sérieux par les départements ministériels. Elles nourrissent le travail de sélection et de qualité des indicateurs de performance de la Direction du budget pour les départements ministériels les moins avancés. Toutefois, le délai de publication des audits de performance (15 mois après la fin de l'année considérée par l'audit) pourrait être raccourci. Pour la préparation de la Loi de finances 2022, les départements ministériels n’ont en effet disposé que des recommandations de l’IGF relatives au système de performance de 2019. À l’occasion des rapports sur l’exécution de la Loi de finances de 2019 et de 2020 présentés au Parlement (celui de 2020 a été présenté au Parlement en 2022), la Cour des comptes a évalué la mise en place de la budgétisation par la performance au Maroc à travers l’analyse d’un échantillon représentatif d’objectifs et indicateurs de performance. Enfin, certains indicateurs sont utilisés comme critères de décaissement par les bailleurs de fonds du Maroc, incitant ainsi les départements ministériels à atteindre leurs objectifs de performance.

Le NMD (Royaume du Maroc, 2021[3]) propose de mettre en place un mécanisme régulier de revue de dépenses dans le cadre de la stratégie nationale à long terme du Maroc. Un tel mécanisme dégagerait de l’espace budgétaire pour financer les priorités nationales à travers l’optimisation des dépenses et la réduction de dépenses jugées non prioritaires ou superflues. La plupart des pays de l’OCDE ont déjà adopté un tel mécanisme. Parmi les 38 pays membres de l’OCDE, 20 effectuent une revue annuelle des dépenses, tandis que 11 effectuent une revue périodique des dépenses (OCDE, 2021[17]). L’expérience de la Norvège, qui effectue des revues annuelles, est instructive (Encadré 5.3).

En analysant les dépenses existantes du gouvernement, les revues de dépenses constituent un outil permettant d'évaluer et d'adopter des décisions budgétaires dans le cadre du processus budgétaire annuel. Ces revues ont trois objectifs principaux. Tout d’abord, elles permettent au gouvernement de gérer le niveau global des dépenses en l’aidant à atteindre ses objectifs de dépenses – par exemple en identifiant les domaines où des réductions globales ou spécifiques sont nécessaires. Ensuite, elles facilitent l’alignement des dépenses existantes avec les priorités gouvernementales – par exemple en réaffectant les dépenses d'une priorité gouvernementale à une autre. Enfin, les revues de dépenses permettent d’améliorer l'efficacité des programmes budgétaires et des politiques publiques – par exemple en identifiant des options pour améliorer leur efficacité et leur impact.

Les gouvernements prennent conscience du pouvoir du processus budgétaire pour atteindre les objectifs nationaux. La budgétisation sensible au genre (BSG) est ainsi de plus en plus souvent introduite pour garantir la prise en compte systématique des considérations d'égalité des genres dans les décisions relatives aux revenus et aux dépenses de l’État. La BSG n'est pas un budget séparé pour les politiques destinées aux femmes mais vise plutôt à intégrer les questions d'égalité des genres dans la prise de décision en :

  • sensibilisant au fait que de nombreuses propositions budgétaires ont des implications pour l'égalité des sexes (que leur objectif premier soit ou non lié au genre) ;

  • encourageant la présentation de propositions budgétaires sensibles au genre ;

  • utilisant le processus budgétaire pour s'assurer que des ressources adéquates sont allouées à la poursuite des objectifs nationaux d'égalité des genres.

Downes et Nicol (2020[18]) définissent un cadre pour une pratique efficace et durable de la BSG, distinguant trois éléments :

  • Le cadre stratégique : l’engagement politique et un cadre de gouvernance pour l’intégration du genre dans le processus budgétaire, avec notamment une stratégie nationale en matière d’égalité des genres, un cadre juridique et des définitions claires des rôles et responsabilités institutionnels.

  • Les outils de mise en œuvre : les outils utilisés pour appliquer une perspective de genre aux différentes étapes du processus budgétaire (ex ante, ex durante et ex post).

  • Un environnement propice : les éléments de soutien qui contribuent à assurer une pratique plus efficace de la BSG, y compris les données ventilées par genre, le renforcement des capacités et le contrôle parlementaire.

Le Maroc a introduit la BSG en 2002, et cette pratique est l'une des plus développées de la région d'Afrique du Nord. Au fil du temps, la pratique de la budgétisation sensible au genre au Maroc a connu plusieurs évolutions clés (Graphique 5.2).

Les trois sections suivantes présentent un état des lieux de la BSG au Maroc pour chacun de ces éléments.

Le cadre stratégique de la BSG détermine sa raison d’être, ce qu’elle cherche à réaliser et comment elle est mise en œuvre. Une stratégie d’égalité des genres fournit un cadre de gouvernance efficace en aidant à orienter la BSG vers les objectifs d’égalité de genre. Une BSG efficace répond aux objectifs nationaux d’égalité de genre définis dans une stratégie et aide à orienter la politique budgétaire et les ressources budgétaires vers ces objectifs. En évaluant le cadre stratégique de la BSG au Maroc, cette section examine les fondements juridiques relatifs à l’égalité des sexes, et la mesure dans laquelle la BSG est soutenue par un dispositif institutionnel puissant et une stratégie nationale claire.

Les dispositions juridiques relatives à l’égalité des sexes et à la BSG participent de la solidité du cadre de gouvernance. Ainsi, parmi les 12 pays de l’OCDE ayant introduit la BSG en 2017, 5 ont inscrit le principe d’égalité des genres dans leur Constitution, tandis que 6 ont une référence spécifique à la BSG dans leurs lois organiques de finances (Autriche, Corée du Sud, Espagne, Islande, Mexique, Pays-Bas) (Downes, von Trapp et Nicol, 2017[20]). Au Maroc, la Constitution de 2011 consacre le principe d’égalité femmes-hommes : « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et des libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental […] » (article 19) (Royaume du Maroc, 2011[21]). L’article 39 de la LOF adoptée en 2015 dispose quant à lui que : « l’aspect genre est pris en considération lors de la fixation des objectifs et des indicateurs » de performance. Il est particulièrement notable que la LOF (article 48) institutionnalise le rapport budget genre qui doit accompagner le projet de Loi de finances déposé devant le Parlement (Ministère de l’Economie et des Finances, 2021[22]). Ce rapport est discuté plus en détails dans la section suivante.

La gestion institutionnelle de la BSG au Maroc est centralisée au sein de l’autorité budgétaire marocaine (MEF), sous la Direction du budget. En effet, la BSG est considérée avant tout sous l’angle de la performance, comme dans certains pays de l’OCDE (en Autriche, par exemple). À ce titre, au sein de la Direction du budget, le service du suivi de la performance budgétaire et de la BSG jouait, avant juillet 2021, un rôle prépondérant. Les ministères sectoriels disposent de points focaux qui coordonnent la démarche de performance et son aspect genre entre leur ministère et l’autorité budgétaire centrale.

En juillet 2021, une division chargée de la BSG a été créée au sein de la Direction du budget. Elle comprend trois services :

  • le service de déploiement de la BSG ;

  • le service des partenariats dans le domaine de la BSG ;

  • le service de la gestion des connaissances.

Dans d’autres pays de l’OCDE, la gestion de la BSG est partagée entre plusieurs institutions (Downes, von Trapp et Nicol, 2017[20]). Ainsi, en Espagne, le groupe de travail sur la BSG est composé de représentants du ministère de la Santé, des Services sociaux et de l'Égalité, du bureau du Secrétaire d’État aux budgets et aux dépenses, et de la Direction générale des budgets. L’Autriche (Encadré 5.4), la Norvège et les Pays-Bas possèdent des organismes indépendants avec un mandat spécifique qui participent à la BSG. Aux Pays-Bas, l’institut indépendant sur l’égalité des genres (Atria) publie un suivi annuel des effets des mesures incluses dans les budgets nationaux et départementaux sur l’égalité des genres. À l’inverse, en Corée par exemple, le ministère de la Stratégie et des Finances a la responsabilité principale de la mise en œuvre de l’intégration de la dimension de genre dans le budget. Le Maroc est à ce titre proche de l’exemple coréen. En Norvège en revanche, la gestion de la BSG est décentralisée : les différents secteurs gouvernementaux y sont responsables de leurs propres politiques d’égalité des genres.

Le Maroc possède de nombreux plans stratégiques à moyen et long terme. Ainsi, après avoir ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) en 1993, le Maroc a lancé sa Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité entre les sexes en 2006. Cette stratégie a entraîné la création de plans quinquennaux interministériels : les Plans gouvernementaux pour l’égalité 2012-16 et 2017-21 (ICRAM et ICRAM 2), déclinés en plans d’action sectoriels à moyen terme. Ainsi le plan ICRAM 2 se décline en huit plans sectoriels. Adopté par la Commission ministérielle de l’égalité le 14 juillet 2020 et par le Conseil du gouvernement du 9 septembre 2020, le programme Maroc-Attamkine s’inscrit en complémentarité avec ICRAM 2 et vise à renforcer le cadre institutionnel qui promeut l’autonomisation et développe des opportunités économiques au profit des femmes et des filles, avec un accent particulier mis sur l’inclusion des femmes et les filles vivant en milieu rural.

Cette section examine les outils de BSG utilisés par le gouvernement marocain pour apporter un prisme de genre au processus budgétaire. Le Rapport sur le budget axé sur les résultats tenant compte de l’aspect genre est la pierre angulaire de l'approche marocaine de la BSG. Il est fondé sur l'évaluation des besoins en matière de genre ainsi que les progrès réalisés par rapport aux mesures de performance relatives à l'égalité des sexes.

Le Maroc évalue régulièrement les besoins en matière de genre grâce à des analyses genre sectorielles. Celles-ci ont un double objectif. Le premier objectif est de réaliser un diagnostic des inégalités sectorielles entre les sexes afin de mesurer leur ampleur, d’en déterminer les causes et conséquences, et d’identifier les programmes, projets ou actions concernés. Le second objectif des analyses genre sectorielles est d’identifier les besoins budgétaires, d’améliorer la pertinence des politiques publiques et d’ajuster les indicateurs et objectifs de performance. Ainsi, 15 analyses genre sectorielles ont été réalisées en 2019 avec l’appui de partenaires techniques et financiers. La mise en place des recommandations issues de ces analyses a été préconisée par la circulaire de la PBT pour la période 2022-24.

Depuis 2005, le PLF annuel est également accompagné d’un Rapport du budget axé sur les résultats tenant compte de l’aspect genre. La version 2021 de ce rapport comporte trois parties : i) les résultats de l’enquête du HCP sur les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur l’égalité des genres ; ii) l’analyse des effets d’une augmentation du taux d’emploi des femmes sur la croissance économique ; et iii) la présentation des avancées de 29 départements ministériels dans l’application d’une programmation budgétaire sensible au genre à travers une analyse de genre sectorielle, l’alignement avec les priorités nationales, la coopération intersectorielle et l’aspect genre dans les objectifs et indicateurs de performance.

Les rapports genre annexés au budget sont fréquents parmi les pays de l’OCDE. En 2018, sur les 17 pays de l’OCDE ayant introduit la BSG, 8 publiaient une forme de rapport sur le genre annexé au budget (Downes et Nicol, 2020[18]). Ces rapports informent les parlements et les citoyens sur la contribution du budget à l’égalité des genres et leur permettent de participer aux délibérations budgétaires. Selon la typologie de l’OCDE (Encadré 5.5), le rapport marocain se rapproche de la déclaration d’avancement sur l’égalité des genres.

La BSG s'effectue principalement à travers le cadre de performance, deux des trois instruments de sa mise en œuvre étant liés à la performance. La qualité de la BSG au Maroc est donc intrinsèquement liée à celle de son cadre de performance. Le rapport annuel de performance pour 2019 recense 97 objectifs (23 % du total des objectifs) et 178 indicateurs (20 % du total des indicateurs) sensibles au genre dans le budget général marocain. 27 des 36 départements ministériels possèdent des indicateurs et objectifs de performance sensibles au genre. Les indicateurs liés au genre sont encore souvent des indicateurs d’activité plutôt que des indicateurs de performance des politiques publiques. Le système de performance et les objectifs de performance des départements ministériels, ainsi que les résultats de ces audits, sont présentés dans le rapport de l’IGF annexé à la loi de règlement.

L'intégration d'une perspective de genre dans les objectifs de performance pourrait contribuer à l'élaboration de politiques sensibles au genre. Selon l’enquête de l’OCDE de 2016 sur la budgétisation axée sur la performance, 67 % des pays de l’OCDE ayant introduit la BSG ont intégré la dimension de genre dans leur système de performance (Downes, von Trapp et Nicol, 2017[20]). Cela permet la collecte systématique de données sur la manière dont les politiques publiques et les programmes budgétaires atteignent leurs objectifs en matière d’égalité des genres. Au Maroc, parmi les institutions adhérentes à la BSG, le taux moyen d’atteinte des objectifs de performance sensible au genre était de 45 % seulement en 2019. Par ailleurs, le Maroc pourrait rendre ses objectifs de performance sensible au genre plus spécifiques et plus précis. Par exemple, l’objectif 907.1 du programme budgétaire du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique consacré à l’enseignement supérieur est vague : « répondre à la demande croissante pour l’enseignement supérieur ». Deux sous-indicateurs de genre y sont associés : « pourcentage des étudiantes dans l’enseignement supérieur universitaire public » et « pourcentage de nouvelles inscrites dans l’enseignement supérieur universitaire public ».

D'autres outils analytiques pourraient renforcer la BSG au Maroc. Les pays de l’OCDE pratiquant la BSG utilisent en moyenne cinq outils budgétaires à cet effet (Downes, von Trapp et Nicol, 2017[20]), notamment les évaluations ex ante et ex post des effets des mesures budgétaires sur le genre. Ils privilégient donc l’évaluation de l’effet des mesures budgétaires de manière systématique et alignée avec le cycle budgétaire. Le Maroc pourrait bénéficier de l’utilisation de tels outils mesurant directement l’incidence du budget sur l’égalité des genres et permettant de collecter davantage d’informations qui aident à la prise de décision. Selon la mission d’enquête de l’OCDE auprès de l’administration marocaine de novembre 2021, un outil pour cartographier l’impact des allocations budgétaires sur l’égalité des genres est en construction. Les résultats de cette cartographie pourraient être présentés tous les ans avec le Rapport du budget axé sur les résultats tenant compte de l’aspect genre. Le Tableau 5.4 propose une comparaison des outils de mise en œuvre de la BSG dans différents pays de l’OCDE et au Maroc jusqu’en 2020.

Cette section est consacrée aux mesures de soutien à la BSG mises en place par le gouvernement marocain, notamment pour assurer la disponibilité de données ventilées par genre, fournir une formation et un renforcement des capacités, encourager l'engagement de la société civile, et assurer un contrôle indépendant.

Plusieurs éléments soutiennent la mise en œuvre et l’efficacité de la BSG. Des améliorations demeurent pour autant possibles. En matière de prérequis techniques, le HCP produit des données ventilées par sexe. Il désagrège par sexe des variables générales (revenus, âge, régions, etc.), mais aussi sectorielles. Utilisées dans les évaluations des besoins en matière de genre, ces données faciliteraient l’introduction d’analyse d’impact des mesures budgétaires sur le genre. La circulaire budgétaire annuelle sur l’application de la BSG (circulaire du Chef du gouvernement sur la préparation des propositions relatives à la PBT, assortie des objectifs et des indicateurs prenant en compte l’aspect genre) facilite sa pratique dans l’administration marocaine. En 2016, 42 % des pays indiquant pratiquer la BSG ont mis en place une circulaire budgétaire annuelle sur l’application de la BSG (Downes, von Trapp et Nicol, 2017[20]).

La formation et le développement des capacités en matière de BSG sont assurés par le Centre d’excellence pour la budgétisation sensible au genre (CE-BSG) du MEF. Créé en 2013, le CE-BSG a principalement été conçu comme un centre d’expertise et de formation. Il accompagne les départements ministériels à intégrer la dimension du genre dans leurs programmes, indicateurs et objectifs de performance. Il collabore également avec le ministère de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille et participe au réseau interministériel de concertation sur le genre. De plus, le Centre dispose d’un système informatique de gestion des connaissances dans le domaine de la BSG qui permet le partage d’information et l’échange d’expériences et de bonnes pratiques. Le CE-BSG n’accompagne pas directement les collectivités territoriales, mais a néanmoins conclu un partenariat avec la Direction Générale des Collectivités Territoriales au sein du ministère de l’Intérieur.

Le système de redevabilité est également relativement développé au Maroc. Le rapport d’audit de performance de l’IGF permet aux parlementaires de disposer d’un avis indépendant sur la qualité du système de performance et de sa dimension genre. Lors de l’examen parlementaire des Lois de finances, le débat s’oriente de plus en plus vers les résultats des départements ministériels et un regard critique est porté sur les indicateurs, notamment ceux mesurant la lutte contre les inégalités du genre. Le CE-BSG organise des sessions de sensibilisation et de formation au profit des parlementaires et des organisations de la société civile, et publie des guides et des vidéos de vulgarisation à destination de différents publics.

En conclusion, la BSG est pratiquée depuis plus d’une dizaine d’années au Maroc. Elle bénéficie d’un cadre juridique et institutionnel clair et solide. Le Rapport sur le budget axé sur les résultats tenant compte de l’aspect genre annexé au budget est un outil utile, qui recense une grande quantité d’informations sur l’intégration du genre dans les considérations budgétaires. La qualité des objectifs et indicateurs peut cependant être améliorée, et d’autres outils peuvent être mis en place pour mieux appréhender l’impact du budget sur l’égalité des genres. Le CE-BSG témoigne d’un environnement favorable à la pérennité de la BSG au Maroc.

Le Maroc a entrepris des réformes profondes de la gestion de ses finances publiques. Le calendrier budgétaire a été revu pour intégrer deux nouvelles phases : i) une phase de préparation et de cadrage portant sur un cadre de programmation pluriannuelle de référence dans lequel la Loi de finances doit s’inscrire ; et ii) une phase de concertation et d’information au Parlement qui concerne les choix et priorités budgétaires en amont de la présentation de la Loi de finances. La gestion des crédits budgétaires et le processus de reddition des comptes ont également fait l’objet de chantiers importants. La budgétisation pluriannuelle marocaine, récente mais sophistiquée, demeure toutefois parcellaire. La transparence et la crédibilité de la PBT peuvent être accrues. Le Maroc peut également développer sa gestion des risques budgétaires pour s’assurer de la soutenabilité de ses finances publiques.

Des efforts considérables ont été réalisés pour collecter des informations sur l’efficacité et l’efficience des dépenses publiques. En matière de budgétisation axée sur les résultats, le pays s’est dirigé vers un modèle de budgétisation informée par la performance. Les objectifs et indicateurs de performance sont bien ancrés dans le processus budgétaire et l’IGF joue un rôle important de redevabilité. La BSG est aussi très importante au Maroc. Soutenue par un cadre stratégique solide, elle s’ancre dans la démarche de performance ainsi que dans un rapport sur le genre annexé au PLF. La collecte et le suivi de ces informations est cruciale, non seulement pour prendre de meilleures décisions budgétaires, mais aussi dans un souci de transparence auprès des citoyens sur l’utilisation des impôts.

  • Les efforts pour réformer la comptabilité et donc la certification des comptes doivent être poursuivis.

  • Bien que le MEF ait initié le dialogue entre différentes institutions (la Banque centrale, une banque privée et lui-même), il pourrait établir un espace de dialogue avec des prévisionnistes indépendants pour renforcer la crédibilité de ses prévisions.

  • Le Maroc pourrait mettre en place les premiers jalons d’un cadre de gestion des risques budgétaires (coordination du suivi, identification et quantification du risque).

  • Un rapport régulier sur la soutenabilité à long terme des finances publiques pourrait être publié.

  • L’amélioration de la qualité des objectifs et des indicateurs de performance et la réduction du nombre de programmes et d’objectifs doivent être poursuivies tous les ans.

  • Les efforts existants pour développer le système de suivi infra-annuel de la performance doivent être poursuivis.

  • Le délai de publication des audits de l’IGF doit être raccourci afin que les recommandations ne soient pas obsolètes.

  • La mise en place d’un mécanisme de revue de dépenses pourrait être discutée.

  • La qualité des objectifs et indicateurs de performance liés au genre pourrait être améliorée.

  • Des outils complémentaires, comme des évaluations d’impact sur le genre, pourraient être développés.

Références

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[12] Fonds Monétaire International (2022), Morocco: 2021 Article IV Consultation-Press Release and Staff Report, https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2022/02/09/Morocco-2021-Article-IV-Consultation-Press-Release-and-Staff-Report-512959.

[11] Fonds monétaire international (2021), Morocco : 2020 Article IV Consultation-Press Release; Staff Report; and Statement by the Executive Director for Morocco, https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2021/01/04/Morocco-2020-Article-IV-Consultation-Press-Release-Staff-Report-and-Statement-by-the-49987.

[22] Ministère de l’Economie et des Finances (2021), Projet de Loi de Finances pour l’année budgétaire 2022 - Rapport sur le budget axé sur les résultats tenant compte de l’aspect genre, https://cebsg.finances.gov.ma/uploads/fichiers/rapport_genre_fr_22_17-11-2021_10-37.pdf (consulté le 17 avril 2023).

[4] Ministère de l’Économie et des Finances (2019), Guide la programmation budgétaire triennale, https://lof.finances.gov.ma/sites/default/files/guide_pbt_version_du_28_fevrier_2019_-_vf.pdf.

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[23] OCDE (2022), OECD Best Practices for Spending Reviews.

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[1] OCDE (2018), Transparence budgétaire pour l’intégrité et la responsabilité au Maroc, https://doi.org/10.1787/9789264302693-5-fr.

[2] OCDE (2015), Recommendation du Conseil sur la gouvernance budgétaire, https://www.oecd.org/mena/governance/Recommandation-du-Conseil-sur-la-gouvernance-budg%C3%A9taire.pdf.

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[19] PwC (2020), Gender budgeting: Rethinking the Budgetary Process in the Gulf, https://www.pwc.com/m1/en/blog/gender-budgeting-rethinking-budgetary-process-gulf-gcc.html.

[14] Royaume du Maroc (2022), Rapport sur les Etablissements et Entreprises Publics, https://www.finances.gov.ma/Publication/db/2022/04-%20Rapport%20%C3%A9tablissements%20et%20entreprises%20publics_Fr.pdf.

[10] Royaume du Maroc (2021), Circulaire du Chef de gouvernement relative à l’établissement des propositions de Programmation Budgétaire Triennale 2022-.

[3] Royaume du Maroc (2021), Le nouveau modèle de développement : Libérer les énergies et restaurer la confiance pour accélérer la marche vers le progrès et la prospérité pour tous, https://www.csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf.

[9] Royaume du Maroc (2015), Dahir n° 1-15-62 du 14 chaabane 1436 (2 juin 2015) portant promulgation de la loi organique n°130-13 relative à la loi de finances, http://www.sgg.gov.ma/Portals/0/lois/Loi-organique_130.13_Fr.pdf?ver=eCPF8u0TQuv8s1Ac9CCuiw%3d%3d#:~:text=La%20loi%20de%20r%C3%A8glement%20de%20la%20loi%20de%20finances%20constate,de%20r%C3%A9sultat%20de%20l%27ann%C3%A9e. (consulté le 5 mai 2022).

[24] Royaume du Maroc (2015), Dahir nO 1-15-62 du 14 chaabane 1436 (2 juin 2015) portant promulgation de la loi organique nO 130-13 relative à la loi de finances..

[21] Royaume du Maroc (2011), Constitution, http://www.sgg.gov.ma/Portals/0/constitution/constitution_2011_Fr.pdf (consulté le 5 mai 2022).

Note

← 1. Ces EP mettent en œuvre des politiques publiques des ministères de tutelle pour le compte de l’État.

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