Chapitre 4. Évaluation de l’efficacité (Module 3)

Ce chapitre propose différents outils permettant d’analyser l’adéquation, l’efficience et l’équité des principaux programmes de protection sociale. Les décideurs politiques se heurtent souvent au manque d’informations sur les mesures les plus efficaces et économiques pour réduire la vulnérabilité et lutter contre la pauvreté. Pour développer un système complet de protection sociale, il est essentiel d’évaluer l’efficacité des programmes individuels sur le plan de la protection des individus contre les risques et la pauvreté.

    

Dimensions analytiques

Le Module 3 analyse l’efficacité du système de protection sociale d’un pays sur la base de l’adéquation, de l’efficience et de l’équité des principaux programmes identifiés dans le module 2. Ces dimensions déterminent dans quelle mesure les instruments existants de protection sociale luttent contre la pauvreté, réduisent les inégalités et protègent contre les risques et la vulnérabilité, compte tenu des ressources actuellement allouées au secteur :

  • On évalue l’adéquation en analysant à la fois : une sélection d’indicateurs relatifs à l’offre, comme le niveau des prestations (par rapport aux seuils de pauvreté nationaux et/ou internationaux) et la répartition globale des dépenses publiques de protection sociale ; et des indicateurs relatifs à la demande, comme la couverture.

  • On mesure l’équité en termes de taux de couverture, de prestations et de bénéficiaires par quintile de consommation, ainsi que de réduction des inégalités de revenu résultant des transferts de protection sociale.

  • On analyse l’efficience sur la base des progrès réalisés sur le plan du bien-être ou de la réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité associés aux dispositifs de protection sociale. Sont aussi examinés les erreurs d’inclusion/exclusion, le rapport avantages/coûts et les effets multiplicateurs des transferts en espèces, ainsi que la question de la sollicitation des prestations.

L’analyse de la performance d’un système de protection sociale sur le plan de la réduction de la vulnérabilité et de la lutte contre la pauvreté adopte une approche globale tenant compte des programmes de protection sociale et de leurs interactions. L’examen de l’adéquation, de l’efficience et de l’équité se fait au regard de trois grandes dimensions :

  1. 1. par type de programme, ce qui nécessite l’évaluation de la performance relative de l’assistance sociale, de l’assurance sociale, des programmes du marché du travail et des mécanismes de couverture santé

  2. 2. par population cible, selon l’étape du cycle de vie ou le type de vulnérabilité (par exemple, chômage, maladie et invalidité, ou veuvage)

  3. 3. par inégalités de couverture, par exemple entre les zones rurales et urbaines, les travailleurs des secteurs informel et formel, ou encore les hommes et les femmes.

Cette analyse peut s’appliquer aux programmes existants ou nouveaux, par exemple lorsqu’un gouvernement envisage la mise en place de nouveaux régimes. Pour ce qui est des nouveaux programmes, l’Examen des systèmes de protection sociale (ESPS) propose des simulations tenant compte des difficultés de mise en œuvre, au vu à la fois de l’expérience du pays concerné et de programmes similaires dans des pays comparables.

Indicateurs et sources de données

Ce module est axé sur les données et fondé sur une analyse empirique de chaque programme de protection sociale. On s’appuie sur les données du cadre législatif pour comprendre la conception des programmes (par exemple, groupe cible, ensemble de prestations) (Tableau 4.1). Des données sur les versements et les bénéficiaires, fournies par les entités en charge de l’administration des programmes, ainsi que des données d’enquêtes auprès des ménages, viennent compléter ces informations.

Tableau 4.1. Principaux indicateurs et sources de données du Module 3

Indicateurs

Sources potentielles de données

Répartition des prestations

Données d’enquêtes auprès des ménages, cadre législatif, entités en charge de l’administration des programmes (ministère ou agence)

Taux de bénéficiaires

Répartition des bénéficiaires

Nombre total de bénéficiaires

Montant total des versements

Réduction de la population pauvre

Réduction du taux de pauvreté

Montant des prestations

Adéquation

Couverture

Méthodologie

Cette analyse se fonde sur des micro-simulations des programmes, sur la base d’enquêtes auprès des ménages et de données détaillées de mise en œuvre. Ces simulations se basent sur un certain nombre d’hypothèses mentionnées explicitement dans l’examen, dont l’incidence doit être testée à l’aide de différents scénarios. Le Tableau 4.2 présente une liste des indicateurs et leurs définitions.

Tableau 4.2. Indicateurs calculés dans le cadre du Module 3

Indicateurs

Définition

Visualisation

Répartition des prestations

Illustre la part du total des prestations d’un programme de protection sociale allouée à chaque décile de consommation/revenu

Histogramme empilé 100 %

Taux de bénéficiaires

Illustre la part de la population bénéficiant d’un programme de protection sociale dans chaque décile de consommation/revenu

Histogramme

Répartition des bénéficiaires

Illustre la part du nombre total de bénéficiaires d’un programme de protection sociale dans chaque décile de consommation/revenu

Histogramme empilé 100 %

Nombre total de bénéficiaires

Nombre absolu de bénéficiaires, si possible à l’échelle tant des ménages que des individus

Montant total des versements

Dépenses au titre du programme de protection sociale communiquées par l’agence en charge de son administration

Réduction de la population pauvre

Illustre la réduction du nombre de pauvres, en pourcentage

Réduction du taux de pauvreté

Illustre la diminution du taux de pauvreté suite à la réception de prestations au titre d’un programme de protection sociale

Montant des prestations

Peut se fonder sur les statistiques officielles de l’agence en charge de l’administration ou être établi à partir des données d’enquêtes auprès des ménages

Adéquation

Peut s’exprimer en pourcentage du seuil de pauvreté et en pourcentage du seuil d’extrême pauvreté ou de pauvreté alimentaire

Couverture

Doit illustrer la part de la population cible couverte par un programme de protection sociale, ainsi que la part globale de la population couverte par ce programme

Couverture

La couverture doit constituer le point de départ de l’analyse de l’efficacité d’un programme. Idéalement, il convient d’utiliser une série chronologique de la couverture afin d’identifier une tendance (Graphique 4.1). Une autre possibilité consiste à indiquer la couverture en pourcentage de la population cible ; le Graphique 4.2 illustre ainsi le pourcentage d’enfants de moins de 18 ans couverts par l’allocation mensuelle kirghize aux familles pauvres (AMFP), qui cible spécifiquement les enfants.

Graphique 4.1. En Indonésie, la couverture des subventions alimentaires Rastra est en recul
Couverture des bénéficiaires des subventions Rastra (2008-17)
Graphique 4.1. En Indonésie, la couverture des subventions alimentaires Rastra est en recul

Sources : (OCDE, 2019[1]), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris ; calculs des auteurs sur la base des données de Statistique Indonésie (2016[2]), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR)https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018).

Graphique 4.2. Au Kirghizistan, les chiffres officiels indiquent un recul de la couverture de l’AMFP
Taux de couverture des enfants de moins de 18 ans au titre de l’AMFP (2005-15)
Graphique 4.2. Au Kirghizistan, les chiffres officiels indiquent un recul de la couverture de l’AMFP

Sources : OCDE (2018[3]), Social Protection System Review of Kyrgyzstanhttps://doi.org/10.1787/9789264302273-en, sur la base des données de MoLSD, CNS (2015[4]), Enquête kirghize intégrée auprès des ménages, Comité national de statistique de la République kirghize, Bichkek.

Adéquation

L’adéquation des prestations peut alors être exprimée en pourcentage du seuil de pauvreté ou de tout autre seuil de niveau de vie pertinent, qu’elles représentent. La représentation peut prendre la forme d’un tableau indiquant les tendances dans le temps (voir par exemple le Tableau 4.1) ou d’un graphique, qui constitue une bonne option lorsque l’on souhaite évaluer différents ensembles de prestations au titre d’un seul programme de protection sociale. Le Graphique 4.3 illustre l’évolution de la valeur de différentes composantes de l’allocation sociale mensuelle au Kirghizistan par rapport au seuil de pauvreté globale en 2010 et 2015, avec des variations à la hausse ou à la baisse pour certaines catégories de bénéficiaires.

Tableau 4.3. En Indonésie, les prestations au titre du programme PBI sont faibles
Prestations au titre du programme PBI en pourcentage d’une sélection d’indicateurs du niveau de vie (2014-16)

Année

Prestations par habitant au titre du programme PBI par rapport au seuil d’extrême pauvreté (%)

Prestations par habitant au titre du programme PBI par rapport au seuil de pauvreté globale (%)

Prestations par habitant au titre du programme PBI par rapport à la consommation moyenne par habitant (%)

2014

7.9

6.4

2.5

2015

7.3

5.8

2.2

2016

8.1

6.5

2.4

Sources : (OCDE, 2019[1]), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris ; calculs des auteurs sur la base des données de Statistique Indonésie (2016[2]), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR)https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018).

Graphique 4.3. Au Kirghizistan, les niveaux de l’allocation sociale mensuelle (ASM) pourraient être mieux répartis au sein des populations dans le besoin
Rapport entre l’ASM au Kirghizistan et le seuil de pauvreté globale (SPG) (2010, 2015)
Graphique 4.3. Au Kirghizistan, les niveaux de l’allocation sociale mensuelle (ASM) pourraient être mieux répartis au sein des populations dans le besoin

Sources : OCDE (2018[3]), Social Protection System Review of Kyrgyzstanhttps://doi.org/10.1787/9789264302273-en, sur la base des données de MoLSD, CNS (2015[4]), Enquête kirghize intégrée auprès des ménages, Comité national de statistique de la République kirghize, Bichkek.

Équité

Le module détermine en outre l’impact distributif des programmes de protection sociale en examinant les taux de prestations et de bénéficiaires. Le taux de bénéficiaires correspond à la part de chaque décile (de consommation ou de revenu, selon les données d’enquête disponibles) bénéficiant d’un programme, et peut être encore ventilé par catégories, par exemple entre populations urbaines ou rurales. Le Graphique 4.4 indique que près de la moitié (44 %) des individus se situant dans le décile le plus pauvre en Indonésie ont bénéficié d’une exonération de frais d’assurance maladie au titre du programme Penerima Bantuan Iuran (PBI), contre 35 % de ceux se situant dans le 2e décile. Malgré une diminution régulière du taux de bénéficiaires parmi les individus des déciles plus aisés, près d’un quart (22 %) de ceux se situant dans le 5e décile bénéficiaient aussi de ce type d’aide.

Graphique 4.4. Taux de bénéficiaires des subventions d’assurance maladie pour les personnes en situation de pauvreté ou de quasi-pauvreté (PBI) en Indonésie
Part de chaque décile de consommation couverte par le programme PBI (2016)
Graphique 4.4. Taux de bénéficiaires des subventions d’assurance maladie pour les personnes en situation de pauvreté ou de quasi-pauvreté (PBI) en Indonésie

Sources : (OCDE, 2019[1]), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris ; calculs des auteurs sur la base des données de Statistique Indonésie (2016[2]), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR)https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018).

Pour compléter l’analyse du taux de bénéficiaires, on effectuera une analyse de la répartition des bénéficiaires afin de déterminer la proportion du nombre total de bénéficiaires se situant dans chaque décile de consommation ou de revenu. En termes de visualisation, l’histogramme empilé constitue la meilleure option et pourra être ventilé en fonction du lieu de résidence (zone urbaine ou rurale). Le Graphique 4.5 indique ainsi que le ciblage des prestations au titre du PBI est davantage à la faveur des pauvres en zone urbaine qu’en zone rurale.

Graphique 4.5. Répartition des bénéficiaires de prestations au titre du PBI en Indonésie
Part du nombre total de bénéficiaires par décile de consommation (2016)
Graphique 4.5. Répartition des bénéficiaires de prestations au titre du PBI en Indonésie

Sources : (OCDE, 2019[1]), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris ; calculs des auteurs sur la base des données de Statistique Indonésie (2016[2]), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR)https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018).

Une analyse de répartition du même type peut être réalisée pour le montant total des prestations. Le Graphique 4.6 indique ainsi qu’en 2016, les ménages des deux déciles de consommation les plus faibles ont reçu 36 % des prestations au titre du programme PBI, contre 2 % pour les ménages du décile le plus aisé.

Graphique 4.6. Répartition des prestations au titre du programme PBI en Indonésie
Part du total des prestations par décile de consommation (2016)
Graphique 4.6. Répartition des prestations au titre du programme PBI en Indonésie

Source : (OCDE, 2019[1]), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris ; calculs des auteurs sur la base des données de Statistique Indonésie (2016[2]), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR)https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018).

Efficience

On détermine l’efficience des programmes de protection sociale en calculant les réductions enregistrées sur le plan de la pauvreté en pourcentage des coûts engagés. À titre d’exemple, le Tableau 4.4 évalue le programme indonésien « Program Keluarga Harapan » (PKH) (programme de transferts conditionnels en espèces) en termes de montant total décaissé (colonne 1), de réduction des taux de pauvreté et d’extrême pauvreté (colonnes 2 et 3), et de réduction des écarts de pauvreté et d’extrême pauvreté (colonnes 4 et 5).

Tableau 4.4. Le PKH est le programme de lutte contre la pauvreté le plus efficient en Indonésie
Coût et incidence sur la pauvreté des prestations au titre du PKH

Montant décaissé (en billions d’IDR)

Réduction du taux de pauvreté

Réduction du taux d’extrême pauvreté

Réduction de l’écart de pauvreté (en millions d’IDR)

Réduction de l’écart d’extrême pauvreté (en milliers d’IDR)

Nombre absolu

5.35

1 806 063.00

2 069 845.00

2 362 689.69

979 580.90

Pourcentage du PIB

0.05

5.71

25.91

11.92

30.94

IDR = roupie indonésienne.

PIB = produit intérieur brut.

Notes : L’analyse de l’équité, de la couverture et de l’efficience du programme PKH a été réalisée à partir des données de Survei Sosial Ekonomi Nasional 2014 (SUSENAS), les enquêtes plus récentes ne tenant pas compte des allocations perçues.

Sources : (OCDE, 2019[1]), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris ; calculs des auteurs sur la base des données de Statistique Indonésie (2016[2]), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR)https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018).

L’efficience d’un programme sur le plan de la réduction de la pauvreté correspond au ratio entre la réduction de l’écart de pauvreté et le coût du programme, exprimé en pourcentage :

E f f i c i e n c e   s u r   l e   p l a n   d e   l a   r é d u c t i o n   d e   l a   p a u v r e t é   = R é d u c t i o n   d e   l ' é c a r t   d e   p a u v r e t é C o û t   d u   p r o g r a m m e * 100

L’efficience du programme PKH sur le plan de la réduction de la pauvreté, mesurée par la modification de l’écart de pauvreté pour chaque tranche de 100 IDR décaissée au titre du programme, s’établit à 44.2 %, contre 18.31 % pour son efficience sur le plan de la réduction de l’extrême pauvreté. Il est possible de comparer les résultats entre les différents programmes de protection sociale.

Ce calcul est complété par un examen de la composition des dépenses sociales, chaque fois que possible, par exemple en déterminant la part allouée aux coûts d’administration du programme, qui peuvent être élevés en raison des coûts des mécanismes de ciblage ou de paiement des prestations.

L’analyse de l’efficience permet en outre d’identifier les éventuelles pertes des programmes de protection sociale, lorsque des mécanismes de ciblage inadéquats entraînent l’octroi de prestations à des ménages non ciblés. Cette analyse peut servir à comparer les prestations ciblées et les programmes universels.

Références

CNS (2015), Enquête kirghize intégrée auprès des ménages, Comité national de statistique de la République kirghize, Bichkek. [4]

OCDE (2019), Social Protection System Review of Indonesia, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/788e9d71-en. [1]

OCDE (2018), Social Protection System Review of Kyrgyzstan, Les voies de développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264302273-en. [3]

Statistique Indonésie (2016), Survei Sosial Ekonomi Nasional 2016 Maret (KOR), https://microdata.bps.go.id/mikrodata/index.php/catalog/769 (consulté le 22 juin 2018). [2]

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