Diagnostic & recommandations
Les défis socio-économiques auxquels la République d’Haïti est confrontée sont en partie le résultat des faiblesses structurelles du système de gouvernance haïtien, largement héritées d’une histoire ponctuée de crises environnementales, économiques et politiques et notamment : la centralisation et la concentration administrative et économique, la captation de l’action publique et la fragmentation politique. Ces enjeux ont pu freiner la mise en place d’une gouvernance publique efficace et efficiente, profitant à tous les Haïtiens et pouvant permettre au pays de relever ses ambitieux objectifs de développement.
Ainsi, afin d’aider Haïti à relever efficacement ces défis, cet Examen est structuré autour de cinq thèmes clés de la gouvernance publique, et propose donc des recommandations formulées dans le but de soutenir le pays dans la réalisation de ses objectifs prioritaires de réforme. Ancré dans une volonté de continuité et de cohérence avec les initiatives existantes, l’OCDE propose au gouvernement haïtien un panorama de recommandations touchant à :
Ces thèmes sont en adéquation avec les documents-cadres haïtiens, notamment le Programme de Modernisation de l’État 2018-2023 (PME-2023) et le Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH) et doivent permettre d’appuyer leur mise en œuvre et d’aider à réaliser les ambitions de développement économique et social du gouvernement. La prise en compte et la mise en place des recommandations de l’OCDE représentent une opportunité privilégiée pour consolider les réformes effectuées dans le passé et réaliser de nouvelles actions qui pourront contribuer à faire d’Haïti une économie émergente à l’horizon 2030. Ce rapport a été réalisé avec le soutien et l'aide financière de l’Agence des États-Unis pour le développement international, USAID.
Les centres de gouvernement (CdG) sont la clef de voûte des systèmes de gouvernance publique notamment dans les fonctions de coordination, de prise de décision et de définition des priorités, Dans un contexte de gouvernance rythmé par des crises socio-économiques, politiques, environnementales et humanitaires, l’élaboration de politiques stratégiques et le leadership politique en Haïti sont primordiaux. En ce sens, une meilleure coordination des politiques et actions gouvernementales est d’une importance capitale afin de permettre à Haïti de réaliser ses objectifs.
Le gouvernement haïtien dispose d’institutions légalement mandatées pour remplir les fonctions clés du centre de gouvernement, notamment en termes de coordination. Le cadre posé par le décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration centrale de l’État et la mise en place, en 2006, de certaines institutions telles que l'Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), témoignent de la volonté de moderniser la gestion publique et de renforcer les capacités de coordination de l’État. Néanmoins, la construction juridique du centre de gouvernement est régie par un cadre légal anachronique, comportant des lacunes et des chevauchements de mandats qui, en pratique, entravent la conception, la coordination et la mise en œuvre de politiques gouvernementales transversales. Ces faiblesses sont visibles entre les institutions du centre de gouvernement et au sein même de certaines institutions telles que la primature. Clarifier le mandat du centre de gouvernement haïtien et de ses différents acteurs permettrait de pallier cette fragmentation pour mieux appréhender les défis multidimensionnels
En outre, la coordination en Haïti est entravée par des niveaux insuffisants de collaboration institutionnelle et par les faiblesses intrinsèques du système de planification. En particulier, plusieurs conseils ou forums, comme par exemple le Forum des directeurs généraux, ne se réunissent pas ou très peu, et un certain nombre de réseaux de fonctionnaires pourtant utiles aux participants ont été abandonnés. Par ailleurs les mécanismes de collaboration et de communication entre certaines institutions clés tels que l’OMRH et le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) sont inexistantes. Par contraste, le nombre important de Tables Sectorielles et Thématiques a permis d’adresser un large éventail de sujets de politique publiques mais tend à complexifier la coordination et la prise de décision. Enfin, le système national de planification est caractérisé par un manque de cohérence des documents stratégiques sectoriels et des stratégies centrales nationales, qui fragilise la coordination de l’action gouvernementale.
Le centre de gouvernement haïtien doit faire face à un facteur de complication supplémentaire dans le cadre de ses prises de décision. Le poids de l’appui au développement nécessite un niveau de coordination accru pour partager les informations et pour s'assurer que les projets font progresser les priorités stratégiques nationales, que le financement est aligné sur les plans nationaux et que les cadres de suivi et d’évaluation peuvent relier directement l'appui au développement à l'impact et aux résultats stratégiques nationaux.
1. Clarifier le mandat du centre de gouvernement haïtien et de ses différents acteurs afin de pallier la fragmentation du centre de gouvernement pour mieux appréhender les défis multidimensionnels.
Procéder à un examen de l'ensemble des lois, règles, décrets et règlements régissant l’organisation et le fonctionnement des institutions du centre de gouvernement.
Mettre en place des examens fonctionnels réguliers des institutions du centre de gouvernement pour renforcer le suivi et l’évaluation et promouvoir un secteur public efficace et efficient.
Formuler une définition formalisant la distinction de mandat entre les ministères d'exécution sectoriels et les institutions de coordination du CdG.
Communiquer à l'échelle du gouvernement autour du rôle de coordination du CdG.
Clarifier et renforcer le mandat de l’OMRH en tant qu’acteur de la réforme de la gouvernance publique en Haïti.
2. Renforcer, mieux définir et communiquer les mécanismes de coordination et de collaboration institutionnelles, afin d’améliorer le processus de prise de décision, et la cohérence de l’action gouvernementale.
Renforcer le rôle stratégique de la Primature et/ou du Secrétariat général du Conseil des ministres pour soutenir la qualité et l’harmonisation des options de politiques gouvernementales en amont du Conseil des ministres et du Conseil de gouvernement, en examinant les propositions d'ordre du jour sous différents aspects.
Définir et disséminer des « règles d'engagement », ou une liste aide-mémoire, pour la collaboration des ministères sectoriels et du centre de gouvernement en Haïti afin d’améliorer et de soutenir les efforts de collaboration au sein du gouvernement.
Formaliser et renforcer les divers mécanismes de coordination visant à harmoniser la politique globale de l’État.
L’architecture de l’appui au développement en Haïti est complexe, peu transparente et difficile à gérer, compte tenu du nombre croissant d'acteurs, d'instruments et de modalités de financement. Afin de surmonter ces difficultés, le gouvernement pourrait songer à renforcer la capacité de coordination et de planification de l’État haïtien pour promouvoir un meilleur alignement de l’appui au développement sur les priorités nationales en prenant les initiatives suivantes :
3. Promouvoir l’alignement des actions des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) sur les priorités nationales.
Élaborer et mettre en œuvre un schéma national de coopération internationale et de gestion de l’aide externe visant à soutenir la stratégie ou politique nationale de développement.
Établir une instance de coordination entre les différentes institutions qui interagissent avec les PTF afin de remédier à la fragmentation des interlocuteurs du côté haïtien. Le gouvernement pourrait également désigner une unité comme secrétariat de ce réseau ou comité, qui agirait comme interface principale entre le gouvernement haïtien et les PTF.
Renforcer la Direction de la Coordination des Activités des ONG (DCAONG) du Ministère de la Planification et Coopération Externe (MPCE), pour promouvoir plus de cohérence entre les activités des ONG financées par les bailleurs de fonds, et les priorités nationales, tout en préservant l'espace civique.
Définir le cadre du partenariat public-privé en matière de programmes de développement.
4. Mettre en place les conditions optimales pour une utilisation accrue des structures étatiques dans le cadre de la coopération avec les bailleurs. En effet, comme le suggère ce chapitre, les pratiques actuelles des acteurs externes continuent souvent de privilégier des structures extra-étatiques.
Le centre de gouvernement, avec l’appui des PTF, pourrait renforcer les capacités intrinsèques de planification stratégique et d'élaboration des politiques de développement.
Développer une coordination accrue des outils de suivi et évaluation des activités des PTF et des plans stratégiques nationaux.
Intégrer et renforcer les mécanismes de rétroaction lors du processus d’élaboration des politiques au niveau national et dans la collaboration avec les bailleurs, afin de s’assurer que les évaluations et les conclusions des rapports de suivi soient prises en compte.
5. Réfléchir à prolonger le délai de mise en œuvre du Programme de Modernisation de l’État 2018 - 2023 à la lumière de la pandémie mondiale de la Covid-19 et des questions liées à l’instabilité politique.
Les plans stratégiques haïtiens, le PME-2023 et le PSDH, se sont construits sur les succès et échecs des plans stratégiques précédents. Ainsi, de nombreuses bonnes pratiques sont observées dans le PME-2023 : des objectifs de politique publique clairs et mesurables par des indicateurs, ainsi qu’un modèle logique explicite, permettent un suivi clair de celui-ci. Le PME-2023 comporte cependant des limites méthodologiques et un manque de cohérence avec les autres instruments de planification pouvant freiner la production de données probantes. Ceci est susceptible de limiter leur efficacité comme instruments de planification stratégique.
En matière de gestion des finances publiques, les ambitions du gouvernement et de l’administration haïtienne sont fixées dans la Stratégie de Réforme des Finances Publiques et la loi du 4 mai 2016. Depuis une vingtaine d’années, des progrès notables ont été réalisés pour mettre en place un socle budgétaire solide. Des difficultés persistent cependant dans la mise en place de des fondamentaux qui doivent être bien ancrés avant d’envisager des réformes plus ambitieuses. Pour autant, certaines réformes peuvent être mises en place en parallèle pour avancer vers une budgétisation pluriannuelle et axée sur la performance. Ces réformes se concentrent dans l’élaboration d’un cadre budgétaire à moyen-terme et dans la phase de préparation budgétaire.
Dans le domaine du suivi et de l’évaluation des politiques publiques, il est essentiel de souligner que l’enjeu principal est de clarifier le cadre institutionnel de ces deux pratiques. Le système actuel demeure parcellaire. Il n’y a ainsi pas de cadre pangouvernemental encadrant la pratique de l’évaluation. Une définition explicite de l’évaluation qui est partagée par l’ensemble des acteurs est également absente. Un cadre structurant et encadrant les pratiques de suivi et d’évaluation est souhaitable pour favoriser la production et l’utilisation de données probantes.
1. Le cadre de planification stratégique.
Le gouvernement haïtien gagnerait à réviser le Programme de modernisation de l’État 2018-2023 pour en améliorer la structure interne et la cohérence par rapport aux autres instruments de planification que sont le budget et le PSDH. Cette révision pourrait servir à :
Faciliter le suivi, et a fortiori la mise en œuvre, du PME-2023 en définissant des indicateurs permettant de mesurer les objectifs « intermédiaires » du PME-2023 et en accompagnant l’ensemble des indicateurs du PME-2023 d’éléments qui permettent leur bonne interprétation.
Renforcer et clarifier l’articulation du PME-2023 et du PSDH.
Opérationnaliser le PME-2023 en mettant en œuvre les plans d’action ministériels présentés lors du séminaire final de la Phase II de la mission d’opérationnalisation du PME-2023 tenue le 23 mars 2021 et en s’assurant que ces plans d’action servent à clarifier comment les programmes budgétaires et les investissements définis par le gouvernement servent à atteindre les objectifs du PME-2023.
2. Le budget comme outil de mise en œuvre des objectifs stratégiques.
Pour mieux adapter le cycle budgétaire aux objectifs stratégiques haïtiens :
L’élaboration du cadre budgétaire à moyen terme peut être renforcée par l’exécution des prévisions macroéconomique et macro-budgétaire avant la formulation du budget, et le renforcement des capacités des Unités d’études et de programmation.
La phase de préparation du budget peut être améliorée en ventilant par secteurs les enveloppes budgétaires destinées aux entités gestionnaires, donnant suffisamment de temps aux entités gestionnaires pour établir leurs propositions de dépenses et en renforçant la coordination et la communication entre le MPCE et le MEF.
Les fondamentaux des finances publiques ne doivent cependant pas être oubliés puisqu’ils constituent le socle d’une architecture budgétaire pouvant soutenir une budgétisation pluriannuelle et programmatique. Ainsi, il est essentiel de :
Poursuivre la consolidation d’un compte unique du trésor pour minimiser le nombre d’entités opérant en dehors du processus budgétaire.
Permettre au Parlement de jouer un rôle plus efficace en ce qui concerne l’approbation et le suivi du budget.
3. Le suivi et l’évaluation des politiques publiques.
Le gouvernement haïtien gagnerait à établir un cadre institutionnel solide pour le suivi et l’évaluation des politiques publiques. Pour cela, il devrait envisager de :
Adopter une définition claire et complète, intégrée à un cadre formel, du suivi et de l’évaluation, en distinguant clairement le suivi de l’évaluation, précisant clairement les politiques ciblées par ces définitions, et en intégrant ces définitions à un cadre formel, qu’il soit légal ou non.
Clarifier et compléter le cadre institutionnel pangouvernemental du suivi et de l’évaluation des politiques publiques.
Développer la fonction du centre de gouvernement en matière d’évaluation en donnant à une institution du centre de gouvernement un mandat explicite pour exiger la conduite d’évaluations par les ministères sectoriels, et leur coordination, et promouvoir l’utilisation des évaluations au niveau stratégique.
Rationaliser et clarifier le cadre institutionnel du suivi afin de clarifier les mandats des différents acteurs impliqués dans le suivi, et leur articulation au sein du cadre institutionnel du suivi des politiques prioritaires.
Organiser un dialogue de performance unique entre le centre du gouvernement et les ministères sectoriels.
Pour pallier les fortes disparités socio-économiques, le gouvernement a promulgué dans sa Constitution de 1987 des principes de décentralisation, qui sont notamment basés sur trois niveaux distincts de collectivités territoriales (départements, communes et sections communales), ayant pour objectif de structurer des nouveaux rapports administratifs, économiques, sociaux et politiques. Néanmoins, un certain nombre de défis dans la gouvernance multi-niveaux empêchent la bonne mise en œuvre des objectifs de décentralisation et de déconcentration : la nature inadéquate du cadre législatif concernant les collectivités territoriales, les difficultés à le rendre opérationnel, l’absence de consensus et de définition claire de leurs rôles, ainsi que le manque de capacité des collectivités territoriales qui en découle.
Pour promouvoir la décentralisation et la déconcentration et améliorer leur efficacité, il est essentiel de créer un cadre stratégique robuste et opérationnel de gouvernance. Celui-ci doit s’appuyer sur les instruments de planification et être basé sur des mécanismes de coordination entre les différents niveaux du gouvernement ainsi que sur un système efficace de suivi et d’évaluation des performances. À cet égard, l'un des principaux défis de la gouvernance multi-niveaux que le gouvernement d'Haïti a lui-même mis en évidence est sa relative incapacité à traduire les décisions stratégiques nationales en politiques concrètes à l’échelle territoriale. En effet, un ensemble d’institutions au niveau central interviennent directement et indirectement dans la gestion des collectivités territoriales en Haïti. Le paysage institutionnel dans ce domaine est fragmenté, marqué par le morcèlement des instances de décision politique et juridique qui encadrent la gestion des collectivités.
À l’échelle des Collectivités Territoriales, il convient également de renforcer les structures de coordination territoriale et d’appliquer la politique nationale de déconcentration (PND). La PND a pour vocation d’infléchir progressivement les habitudes de travail centralisées, d’impliquer davantage les acteurs déconcentrés dans la prise de décision et de rapprocher l’administration des administrés. Elle pourrait ainsi garantir une meilleure distribution des services publics sur tout le territoire national et par là un développement équilibré du pays.
Les chevauchements et le manque d’opérationnalité du cadre légal, la faiblesse des moyens de coordination entre paliers de gouvernement, et la discordance entre les moyens des collectivités et leurs mandats légaux, sont autant de facteurs contribuant à cet état de fait.
1. Clarifier le cadre juridique actuel encadrant la décentralisation et la déconcentration au moyen des initiatives suivantes :
Effectuer un examen approfondi du cadre légal et réglementaire de toutes les lois et réglementations et décrets adoptés pour mettre en œuvre la décentralisation et la déconcentration.
Établir et institutionnaliser l’utilisation d’examens fonctionnels pour cartographier les responsabilités, programmes et mandats des institutions centrales en matière de décentralisation et déconcentration.
Clarifier les attributions des différents niveaux du gouvernement (national, départemental, communal, section communale) afin d’aider aux bons établissement et fonctionnement de la décentralisation.
Permettre une meilleure gouvernance multi-niveaux par le renforcement des mécanismes de coordination horizontale aux niveaux local et national, intégrés au processus décisionnel du gouvernement national grâce à une coordination accrue entre échelons de gouvernement.
2. Renforcer les structures de coordination territoriale et appliquer la politique nationale de déconcentration (PND).
Renforcer la dimension opérationnelle du conseil technique départemental, des délégations et vice-délégations afin d’appliquer la PND de manière cohérente et coordonnée avec les instances locales départementales et communales.
Déconcentrer les mécanismes et les entités de lutte contre la corruption.
Renforcer l’appareillage de sécurité au niveau des collectivités locales.
3. Mettre en place un certain nombre d’initiatives visant à clarifier et apporter plus de cohérence au découpage territorial et administratif actuel. Le gouvernement pourrait mettre en place les actions suivantes :
Développer et communiquer des critères formels et objectifs concernant le découpage territorial.
Disséminer les résultats des exercices de délimitation/ bornage du territoire.
Identifier et mettre en relief des zones territoriales fonctionnelles sociales et économiques à travers le pays.
Formaliser les dispositifs de coordination entre collectivités territoriales, notamment les associations d’élus.
4. Mettre en cohérence les attributions des collectivités territoriales et leurs ressources humaines et financières.
Améliorer, d’une part, la capacité des municipalités de recouvrer les impôts, et, d’autre part, le système actuel de transfert, afin de diminuer les inégalités de services à travers le territoire et de promouvoir la transparence des dépenses des deniers publics et leur impact sur le bien-être des citoyens.
Améliorer la gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales.
5. Mettre en place et renforcer les instruments de planification stratégique pour améliorer l’efficacité et l’efficience de la gouvernance multi-niveaux en Haïti.
Soutenir l’élaboration et la mise en œuvre des plans de développement communaux et assurer leur concordance avec les stratégies nationales.
Établir un système de suivi du rendement pour les politiques de décentralisation et de développement territorial pour accroître les performances et la clarté des résultats pour les citoyens.
La constitution d’une fonction publique compétente est un pilier essentiel de l’efficacité gouvernementale répondant aux besoins des citoyens. L’établissement d’une telle fonction publique requiert des lois, des processus de suivi de l’implémentation des règles, et des structures, lui permettant d’identifier, d’attirer et de développer les compétences jugées nécessaires. Cela requiert trois éléments autour desquels les efforts devraient se concentrer : une haute fonction publique capable et performante, le renforcement de la notion de mérite tout au long de la gestion de carrière, et des responsabilités institutionnelles clairement définies pour chaque acteur de la fonction publique.
Le PME-2023, à travers certains de ses axes de travail, souligne l’importance de ces trois aspects pour aboutir à la modernisation de l’État haïtien, et mieux répondre aux attentes des citoyens. Ces priorités résonnent fortement avec la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique. Néanmoins, l’administration publique haïtienne est confrontée à de nombreux défis, dont la résolution conditionne le succès de l’implémentation du PME-2023.
La professionnalisation de la haute fonction publique apparait comme un premier pan de la modernisation de la fonction publique. Par la nature de leur rôle, entre conception et mise en œuvre des politiques publiques, les grands commis haïtiens sont des éléments moteurs dans la mise en place du PME-2023. En effet, le PME-2023 ne peut se concrétiser que si les acteurs du changement que sont les managers agissent comme défenseurs convaincus et préconisateurs de principes de bonne gestion des ressources humaines. Cela passe par un plus grand degré de responsabilisation au cours du processus de nomination des grands commis, et une gestion spécialisée de leurs carrières.
Cette gestion de carrière ne doit pas seulement s’appliquer aux grands commis, mais également s’élargir pour atteindre l’ensemble des agents publics. Cela doit se faire en renforçant la gestion des compétences. De leur identification à leur utilisation, en passant par leur attraction et leur développement, la gestion des compétences correspond à une application concrète de la notion de mérite, permettant de s’assurer que chaque emploi répond aux attentes des potentiels talents et aux besoins de l’administration. L’élargissement des processus de recrutement à des candidats d’origines diverses est en enjeu de taille en Haïti. Les stratégies de communication doivent atteindre des publics plus divers, en se focalisant en partie sur la jeunesse et en reflétant la place de la langue créole en Haïti.
Enfin, le PME-2023 a besoin que les parties prenantes qui le portent disposent des outils leur permettant de répondre à leurs responsabilités institutionnelles. En effet, l’OMRH manque de la supervision stratégique que le Conseil Supérieur de l’Administration et de la Fonction Publique (CSAFP) doit en théorie lui apporter. Les Directeurs des Ressources Humaines (DRH) sont quant à eux limités dans leurs fonctions par leur isolement et le manque de protection de leur indépendance et neutralité. La définition claire des responsabilités institutionnelles ne manquera pas d’être un sujet central dans la prochaine constitution de la fonction publique territoriale haïtienne.
Les recommandations en lien avec ces trois sujets se basent ainsi sur le PME-2023, la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership est les aptitudes de la fonction publique, ainsi que des retours d’expériences de nombreux pays de l’OCDE. Leur but est d’éclairer certaines pistes nécessaires à la professionnalisation de la fonction publique haïtienne, et donc à la bonne implémentation du PME-2023.
Mettre les compétences au cœur du processus de nomination des grands commis.
Développer au sein de l’OMRH et des directions des ressources humaines des capacités de mise en œuvre et de vérification de l’application des lois en matière de nomination des grands commis.
Permettre l’éclosion d’une gestion volontariste de la haute fonction publique, avec des pratiques distinctes reflétant la position particulière des grands commis.
Sensibiliser la haute fonction publique à l’importance de son rôle dans la gestion et la prévision des effectifs.
2. Renforcer le mérite dans le recrutement et la gestion de carrière.
Centraliser et rendre accessibles au plus grand nombre les différentes offres d’emploi du secteur public en Haïti sur un portail dédié.
Créer, sous la supervision de l’OMRH, un référentiel interministériel de compétences à utiliser emploi par emploi, pour définir de manière homogène les différentes compétences communes aux emplois de la fonction publique.
Renforcer la mise en place de concours pour des offres d’emploi dont les critères de sélection sont ouverts à tous et évalués sur des bases clairement définies.
Développer une évaluation standardisée, régulière et obligatoire des agents de la fonction publique, fondée sur la maîtrise et le renforcement de compétences, ainsi que sur la réalisation d’objectifs spécifiques, mesurables, acceptables, réalistes et définis dans le temps.
Établir des offres de formation au niveau central, axées sur des compétences préalablement définies conjointement par les ministères et l’OMRH.
Clarifier les perspectives d’évolution au sein de la fonction publique.
Assurer des emplois de qualité aux jeunes agents publics, afin d’assurer à la jeunesse haïtienne une représentation au plus proche de l’élaboration des politiques publiques.
3. Clarifier les responsabilités et faciliter la coopération en matière de gestion du personnel.
Faire évoluer l’écosystème des directions des ressources humaines, et créer un réseau interministériel des ressources humaines faisant remonter à l’OMRH la réalité que les DRH vivent au quotidien.
Renforcer l’indépendance et la neutralité des DRH en organisant et protégeant leur carrière, comme cela a pu être fait pour les comptables publics.
L’instabilité du contexte politique, social et économique affecte la possibilité même d’instaurer une culture de transparence, de redevabilité, d’intégrité et de participation dans la vie publique du pays, autrement dit de gouvernement ouvert. Le renforcement des institutions et le développement de contre-pouvoirs efficaces sont des préalables indispensables à toute réforme de gouvernement ouvert. Ces réformes ont un rôle clé à jouer dans la définition et la mise en œuvre d’un cadre légal et réglementaire de protection de l’espace civique et de restauration de la confiance des parties prenantes, qui sont des prérequis essentiels à leur collaboration et à leur participation aux décisions publiques. Un cadre de nature à promouvoir leur action est d’autant plus central que les parties prenantes font elles-mêmes face à de nombreux défis dans la conjoncture actuelle.
Le soutien politique aux principes du gouvernement ouvert, à tous les échelons de gouvernance, doit nécessairement s’accompagner d’un engagement clair au plus haut niveau de l’État pour soutenir la bonne mise en œuvre des initiatives promues. Ce leadership est nécessaire pour opérer et ancrer un changement de culture de gouvernance en faveur d’une promotion effective des principes de transparence, redevabilité, intégrité et participation.
Cependant, il est encore difficile d’obtenir des données et documents gouvernementaux sur les actions, les procédures et les services publics, à tous les niveaux. En outre, l’usage d’initiatives de consultations et de mécanismes de participation citoyenne reste, à ce stade, limité, offrant peu d’opportunités de réelles collaborations entre le gouvernement et la société civile. De manière similaire, la gestion de la communication publique n’est pas encore suffisamment stratégique et outillée pour asseoir sa pleine contribution aux objectifs de politiques publiques du gouvernement ainsi qu’aux réformes plus spécifiques visant à la promotion des principes du gouvernement ouvert que sont la transparence, l’intégrité, la redevabilité et la participation. L’approfondissement progressif et soutenu de premiers efforts menés et l’augmentation des ressources allouées à leur mise en œuvre, à court et à long termes, seront indispensables à son déploiement complet.
1. Établir un environnement favorable aux réformes de gouvernement ouvert.
Améliorer la compréhension des principes du gouvernement ouvert en menant des campagnes de sensibilisation qui promeuvent les bénéfices qu’ils peuvent apporter auprès d’une grande variété des parties prenantes représentatives de la société, y compris les groupes sociaux les plus concernés, vulnérables, sous-représentés ou marginalisés.
Veiller à que le cadre légal et juridique des libertés et droits civiques soit garanti et respecté pour promouvoir et protéger l'espace civique du pays.
2. Instaurer un cadre de gouvernance propice aux réformes de gouvernement ouvert.
3. Consolider les mécanismes de participation avec les parties prenantes.
Adopter une loi d’accès à l’information conforme aux meilleures pratiques internationales, pour structurer le système d’information et ainsi favoriser la transparence et la redevabilité en réduisant la culture du secret présente en Haïti. Il sera important pour le gouvernement de s’assurer que le processus d’élaboration soit communiqué en créole et en français par plusieurs moyens, et que la loi et ses dispositifs soient aussi disponibles dans les deux langues.
Multiplier les initiatives de divulgation proactive et de sensibilisation au sein de tous les ministères.
Encourager davantage les initiatives de consultation citoyenne. Un effort particulier devra être fait pour toucher les groupes sociaux les plus concernés, vulnérables, sous-représentés ou marginalisés de la société.
Mettre en place des mécanismes structurés de participation qui favorisent l’engagement dans la vie publique.
4. Assurer une gouvernance stratégique de la communication publique.
Définir explicitement, dans des documents à caractère stratégique spécifiques à la communication publique, ses objectifs, messages, canaux, médias, moyens et échéances en tenant compte des caractéristiques linguistiques (par exemple, en française ou en créole) et sociodémographiques des audiences haïtiennes.
5. Consolider les fonctions et compétences pour une communication publique stratégique et efficace.
Recenser et valoriser les compétences des communicants publics pour s’assurer qu’elles répondent aux besoins des administrations haïtiennes et appuient une communication publique professionnelle et efficace.
Élaborer un « manuel du communicant » ou un « guide de la communication publique », ou des directives ou guides pratiques afin d’accompagner les agents dans une mise en œuvre efficace et stratégique de leurs missions.
Renforcer et professionnaliser les initiatives en matière d’usage de tous les instruments de communication, y compris numériques.
6. Institutionnaliser un usage stratégique de la communication publique pour favoriser le dialogue et renforcer la participation citoyenne à la vie publique.
Utiliser la communication publique comme levier de renforcement de la participation citoyenne. Ces échanges et dialogues citoyens sont appelés à être conduits en français comme en créole, et par des canaux divers pour renforcer l’accès à l’information et promouvoir la participation de tous à la vie publique haïtienne.
Promouvoir et encourager l’engagement citoyen à travers l’interaction en ligne, en passant par la dynamisation des sites officiels et des réseaux sociaux des ministères et administrations haïtiens.
Développer les analyses de l’audience et des usages, comportements et perceptions des citoyens en ligne et sur les réseaux sociaux.
Renforcer les compétences numériques et les moyens de leur mise en œuvre, mais également de leur suivi.