Diagnostic & recommandations

Les défis socio-économiques auxquels la République d’Haïti est confrontée sont en partie le résultat des faiblesses structurelles du système de gouvernance haïtien, largement héritées d’une histoire ponctuée de crises environnementales, économiques et politiques et notamment : la centralisation et la concentration administrative et économique, la captation de l’action publique et la fragmentation politique. Ces enjeux ont pu freiner la mise en place d’une gouvernance publique efficace et efficiente, profitant à tous les Haïtiens et pouvant permettre au pays de relever ses ambitieux objectifs de développement.

Ainsi, afin d’aider Haïti à relever efficacement ces défis, cet Examen est structuré autour de cinq thèmes clés de la gouvernance publique, et propose donc des recommandations formulées dans le but de soutenir le pays dans la réalisation de ses objectifs prioritaires de réforme. Ancré dans une volonté de continuité et de cohérence avec les initiatives existantes, l’OCDE propose au gouvernement haïtien un panorama de recommandations touchant à :

  • La coordination gouvernementale,

  • La prise de décision basée sur les faits et les données pertinentes,

  • La gouvernance multi-niveaux,

  • La gestion de la fonction publique, et

  • Le gouvernement ouvert.

Ces thèmes sont en adéquation avec les documents-cadres haïtiens, notamment le Programme de Modernisation de l’État 2018-2023 (PME-2023) et le Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH) et doivent permettre d’appuyer leur mise en œuvre et d’aider à réaliser les ambitions de développement économique et social du gouvernement. La prise en compte et la mise en place des recommandations de l’OCDE représentent une opportunité privilégiée pour consolider les réformes effectuées dans le passé et réaliser de nouvelles actions qui pourront contribuer à faire d’Haïti une économie émergente à l’horizon 2030. Ce rapport a été réalisé avec le soutien et l'aide financière de l’Agence des États-Unis pour le développement international, USAID.

Les centres de gouvernement (CdG) sont la clef de voûte des systèmes de gouvernance publique notamment dans les fonctions de coordination, de prise de décision et de définition des priorités, Dans un contexte de gouvernance rythmé par des crises socio-économiques, politiques, environnementales et humanitaires, l’élaboration de politiques stratégiques et le leadership politique en Haïti sont primordiaux. En ce sens, une meilleure coordination des politiques et actions gouvernementales est d’une importance capitale afin de permettre à Haïti de réaliser ses objectifs.

Le gouvernement haïtien dispose d’institutions légalement mandatées pour remplir les fonctions clés du centre de gouvernement, notamment en termes de coordination. Le cadre posé par le décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration centrale de l’État et la mise en place, en 2006, de certaines institutions telles que l'Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), témoignent de la volonté de moderniser la gestion publique et de renforcer les capacités de coordination de l’État. Néanmoins, la construction juridique du centre de gouvernement est régie par un cadre légal anachronique, comportant des lacunes et des chevauchements de mandats qui, en pratique, entravent la conception, la coordination et la mise en œuvre de politiques gouvernementales transversales. Ces faiblesses sont visibles entre les institutions du centre de gouvernement et au sein même de certaines institutions telles que la primature. Clarifier le mandat du centre de gouvernement haïtien et de ses différents acteurs permettrait de pallier cette fragmentation pour mieux appréhender les défis multidimensionnels

En outre, la coordination en Haïti est entravée par des niveaux insuffisants de collaboration institutionnelle et par les faiblesses intrinsèques du système de planification. En particulier, plusieurs conseils ou forums, comme par exemple le Forum des directeurs généraux, ne se réunissent pas ou très peu, et un certain nombre de réseaux de fonctionnaires pourtant utiles aux participants ont été abandonnés. Par ailleurs les mécanismes de collaboration et de communication entre certaines institutions clés tels que l’OMRH et le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) sont inexistantes. Par contraste, le nombre important de Tables Sectorielles et Thématiques a permis d’adresser un large éventail de sujets de politique publiques mais tend à complexifier la coordination et la prise de décision. Enfin, le système national de planification est caractérisé par un manque de cohérence des documents stratégiques sectoriels et des stratégies centrales nationales, qui fragilise la coordination de l’action gouvernementale.

Le centre de gouvernement haïtien doit faire face à un facteur de complication supplémentaire dans le cadre de ses prises de décision. Le poids de l’appui au développement nécessite un niveau de coordination accru pour partager les informations et pour s'assurer que les projets font progresser les priorités stratégiques nationales, que le financement est aligné sur les plans nationaux et que les cadres de suivi et d’évaluation peuvent relier directement l'appui au développement à l'impact et aux résultats stratégiques nationaux.

Les plans stratégiques haïtiens, le PME-2023 et le PSDH, se sont construits sur les succès et échecs des plans stratégiques précédents. Ainsi, de nombreuses bonnes pratiques sont observées dans le PME-2023 : des objectifs de politique publique clairs et mesurables par des indicateurs, ainsi qu’un modèle logique explicite, permettent un suivi clair de celui-ci. Le PME-2023 comporte cependant des limites méthodologiques et un manque de cohérence avec les autres instruments de planification pouvant freiner la production de données probantes. Ceci est susceptible de limiter leur efficacité comme instruments de planification stratégique.

En matière de gestion des finances publiques, les ambitions du gouvernement et de l’administration haïtienne sont fixées dans la Stratégie de Réforme des Finances Publiques et la loi du 4 mai 2016. Depuis une vingtaine d’années, des progrès notables ont été réalisés pour mettre en place un socle budgétaire solide. Des difficultés persistent cependant dans la mise en place de des fondamentaux qui doivent être bien ancrés avant d’envisager des réformes plus ambitieuses. Pour autant, certaines réformes peuvent être mises en place en parallèle pour avancer vers une budgétisation pluriannuelle et axée sur la performance. Ces réformes se concentrent dans l’élaboration d’un cadre budgétaire à moyen-terme et dans la phase de préparation budgétaire.

Dans le domaine du suivi et de l’évaluation des politiques publiques, il est essentiel de souligner que l’enjeu principal est de clarifier le cadre institutionnel de ces deux pratiques. Le système actuel demeure parcellaire. Il n’y a ainsi pas de cadre pangouvernemental encadrant la pratique de l’évaluation. Une définition explicite de l’évaluation qui est partagée par l’ensemble des acteurs est également absente. Un cadre structurant et encadrant les pratiques de suivi et d’évaluation est souhaitable pour favoriser la production et l’utilisation de données probantes.

Pour pallier les fortes disparités socio-économiques, le gouvernement a promulgué dans sa Constitution de 1987 des principes de décentralisation, qui sont notamment basés sur trois niveaux distincts de collectivités territoriales (départements, communes et sections communales), ayant pour objectif de structurer des nouveaux rapports administratifs, économiques, sociaux et politiques. Néanmoins, un certain nombre de défis dans la gouvernance multi-niveaux empêchent la bonne mise en œuvre des objectifs de décentralisation et de déconcentration : la nature inadéquate du cadre législatif concernant les collectivités territoriales, les difficultés à le rendre opérationnel, l’absence de consensus et de définition claire de leurs rôles, ainsi que le manque de capacité des collectivités territoriales qui en découle.

Pour promouvoir la décentralisation et la déconcentration et améliorer leur efficacité, il est essentiel de créer un cadre stratégique robuste et opérationnel de gouvernance. Celui-ci doit s’appuyer sur les instruments de planification et être basé sur des mécanismes de coordination entre les différents niveaux du gouvernement ainsi que sur un système efficace de suivi et d’évaluation des performances. À cet égard, l'un des principaux défis de la gouvernance multi-niveaux que le gouvernement d'Haïti a lui-même mis en évidence est sa relative incapacité à traduire les décisions stratégiques nationales en politiques concrètes à l’échelle territoriale. En effet, un ensemble d’institutions au niveau central interviennent directement et indirectement dans la gestion des collectivités territoriales en Haïti. Le paysage institutionnel dans ce domaine est fragmenté, marqué par le morcèlement des instances de décision politique et juridique qui encadrent la gestion des collectivités.

À l’échelle des Collectivités Territoriales, il convient également de renforcer les structures de coordination territoriale et d’appliquer la politique nationale de déconcentration (PND). La PND a pour vocation d’infléchir progressivement les habitudes de travail centralisées, d’impliquer davantage les acteurs déconcentrés dans la prise de décision et de rapprocher l’administration des administrés. Elle pourrait ainsi garantir une meilleure distribution des services publics sur tout le territoire national et par là un développement équilibré du pays.

Les chevauchements et le manque d’opérationnalité du cadre légal, la faiblesse des moyens de coordination entre paliers de gouvernement, et la discordance entre les moyens des collectivités et leurs mandats légaux, sont autant de facteurs contribuant à cet état de fait.

La constitution d’une fonction publique compétente est un pilier essentiel de l’efficacité gouvernementale répondant aux besoins des citoyens. L’établissement d’une telle fonction publique requiert des lois, des processus de suivi de l’implémentation des règles, et des structures, lui permettant d’identifier, d’attirer et de développer les compétences jugées nécessaires. Cela requiert trois éléments autour desquels les efforts devraient se concentrer : une haute fonction publique capable et performante, le renforcement de la notion de mérite tout au long de la gestion de carrière, et des responsabilités institutionnelles clairement définies pour chaque acteur de la fonction publique.

Le PME-2023, à travers certains de ses axes de travail, souligne l’importance de ces trois aspects pour aboutir à la modernisation de l’État haïtien, et mieux répondre aux attentes des citoyens. Ces priorités résonnent fortement avec la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique. Néanmoins, l’administration publique haïtienne est confrontée à de nombreux défis, dont la résolution conditionne le succès de l’implémentation du PME-2023.

La professionnalisation de la haute fonction publique apparait comme un premier pan de la modernisation de la fonction publique. Par la nature de leur rôle, entre conception et mise en œuvre des politiques publiques, les grands commis haïtiens sont des éléments moteurs dans la mise en place du PME-2023. En effet, le PME-2023 ne peut se concrétiser que si les acteurs du changement que sont les managers agissent comme défenseurs convaincus et préconisateurs de principes de bonne gestion des ressources humaines. Cela passe par un plus grand degré de responsabilisation au cours du processus de nomination des grands commis, et une gestion spécialisée de leurs carrières.

Cette gestion de carrière ne doit pas seulement s’appliquer aux grands commis, mais également s’élargir pour atteindre l’ensemble des agents publics. Cela doit se faire en renforçant la gestion des compétences. De leur identification à leur utilisation, en passant par leur attraction et leur développement, la gestion des compétences correspond à une application concrète de la notion de mérite, permettant de s’assurer que chaque emploi répond aux attentes des potentiels talents et aux besoins de l’administration. L’élargissement des processus de recrutement à des candidats d’origines diverses est en enjeu de taille en Haïti. Les stratégies de communication doivent atteindre des publics plus divers, en se focalisant en partie sur la jeunesse et en reflétant la place de la langue créole en Haïti.

Enfin, le PME-2023 a besoin que les parties prenantes qui le portent disposent des outils leur permettant de répondre à leurs responsabilités institutionnelles. En effet, l’OMRH manque de la supervision stratégique que le Conseil Supérieur de l’Administration et de la Fonction Publique (CSAFP) doit en théorie lui apporter. Les Directeurs des Ressources Humaines (DRH) sont quant à eux limités dans leurs fonctions par leur isolement et le manque de protection de leur indépendance et neutralité. La définition claire des responsabilités institutionnelles ne manquera pas d’être un sujet central dans la prochaine constitution de la fonction publique territoriale haïtienne.

Les recommandations en lien avec ces trois sujets se basent ainsi sur le PME-2023, la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership est les aptitudes de la fonction publique, ainsi que des retours d’expériences de nombreux pays de l’OCDE. Leur but est d’éclairer certaines pistes nécessaires à la professionnalisation de la fonction publique haïtienne, et donc à la bonne implémentation du PME-2023.

L’instabilité du contexte politique, social et économique affecte la possibilité même d’instaurer une culture de transparence, de redevabilité, d’intégrité et de participation dans la vie publique du pays, autrement dit de gouvernement ouvert. Le renforcement des institutions et le développement de contre-pouvoirs efficaces sont des préalables indispensables à toute réforme de gouvernement ouvert. Ces réformes ont un rôle clé à jouer dans la définition et la mise en œuvre d’un cadre légal et réglementaire de protection de l’espace civique et de restauration de la confiance des parties prenantes, qui sont des prérequis essentiels à leur collaboration et à leur participation aux décisions publiques. Un cadre de nature à promouvoir leur action est d’autant plus central que les parties prenantes font elles-mêmes face à de nombreux défis dans la conjoncture actuelle.

Le soutien politique aux principes du gouvernement ouvert, à tous les échelons de gouvernance, doit nécessairement s’accompagner d’un engagement clair au plus haut niveau de l’État pour soutenir la bonne mise en œuvre des initiatives promues. Ce leadership est nécessaire pour opérer et ancrer un changement de culture de gouvernance en faveur d’une promotion effective des principes de transparence, redevabilité, intégrité et participation.

Cependant, il est encore difficile d’obtenir des données et documents gouvernementaux sur les actions, les procédures et les services publics, à tous les niveaux. En outre, l’usage d’initiatives de consultations et de mécanismes de participation citoyenne reste, à ce stade, limité, offrant peu d’opportunités de réelles collaborations entre le gouvernement et la société civile. De manière similaire, la gestion de la communication publique n’est pas encore suffisamment stratégique et outillée pour asseoir sa pleine contribution aux objectifs de politiques publiques du gouvernement ainsi qu’aux réformes plus spécifiques visant à la promotion des principes du gouvernement ouvert que sont la transparence, l’intégrité, la redevabilité et la participation. L’approfondissement progressif et soutenu de premiers efforts menés et l’augmentation des ressources allouées à leur mise en œuvre, à court et à long termes, seront indispensables à son déploiement complet.

Mentions légales et droits

Ce document, ainsi que les données et cartes qu’il peut comprendre, sont sans préjudice du statut de tout territoire, de la souveraineté s’exerçant sur ce dernier, du tracé des frontières et limites internationales, et du nom de tout territoire, ville ou région. Des extraits de publications sont susceptibles de faire l'objet d'avertissements supplémentaires, qui sont inclus dans la version complète de la publication, disponible sous le lien fourni à cet effet.

© OCDE 2021

L’utilisation de ce contenu, qu’il soit numérique ou imprimé, est régie par les conditions d’utilisation suivantes : http://www.oecd.org/fr/conditionsdutilisation.