4. Emploi et gestion publics au Maroc

La fonction publique joue un rôle essentiel dans la gouvernance publique des pays et donne l’assurance de services publics de qualité aux citoyens. Les administrations publiques, notamment centrales, doivent être en capacité de développer, adapter et mettre en place des politiques publiques qui bénéficient à l’ensemble des citoyens. Pour cela, il faut pouvoir attirer, recruter, et fidéliser les agents publics avec des compétences spécifiques et adaptées aux besoins de l’administration.

La fonction publique marocaine est encadrée par le Dahir n° 1.58.008 du 24 février 1958 portant Statut général de la fonction publique. Le statut général régit les aspects réglementaires et statutaires des fonctionnaires vis-à-vis de leur administration. L’article 3 précise que « le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire », faisant de la fonction publique marocaine une fonction publique de carrière (Ministère de la Fonction publique et de la Modernisation de l'administration, 2018[1]). L’article 31 de la Constitution de 2011 souligne par ailleurs la dimension méritocratique de l’accès aux fonctions publiques. Cette évolution est également à mettre en relation avec une large réflexion engagée par le Maroc dans ces mêmes années sur le statut général de la Fonction publique mais dont la refonte globale n’a pu être réalisée jusqu’alors. La Charte des services publics adoptée le 22 juillet 2021 précise certaines dispositions concernant l’efficience et l’efficacité des services et des agents publics (Ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration du Royaume du Maroc, 2021[2]). En 2019, le Maroc comptait 564 549 agents, soit 4 % de plus qu’en 2009 (Ministère de l'Économie, des Finances et de la Réforme de l'administration, 2020[3]).

Ce chapitre étudie la gestion de la haute fonction publique, la gestion des compétences, et les modalités contractuelles existant au sein de la fonction publique marocaine. Le Maroc cherche depuis plusieurs années à se saisir de ces trois enjeux, notamment à travers le Plan national de la réforme de l’administration 2018-21. Ce plan de transformation managériale identifiait dès 2018 des pistes de réformes (Ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l'administration, 2018[4]). Cependant, de nombreux éléments de la feuille de route qui l’accompagnait sont restés à l’état de projet.

L’axe du Plan national de la réforme de l’administration 2018-21 suit la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique adoptée en 2019. À cet effet, le Conseil de l’OCDE, à travers les travaux du groupe de travail sur l’emploi et la gestion publics, a développé un outil juridique portant sur l’amélioration de l’organisation et de la gestion de la fonction publique. La Recommandation est structurée en trois piliers autour desquels se déploient 14 principes (OCDE, 2019[5]) (Graphique 4.1).

Ce chapitre présente l’organisation de la fonction publique marocaine à travers chaque pilier de la Recommandation, notamment le développement du leadership de la fonction publique, l’identification et l’investissement dans les aptitudes nécessaires, et le renforcement des capacités de la fonction publique à disposer des effectifs nécessaires. L’un des objectifs de cet Examen est d’évaluer le système de fonction publique marocain par rapport à la Recommandation afin d’émettre des recommandations permettant au Maroc de se rapprocher des standards de l’OCDE. Ce chapitre s’inscrit dans les débats et discussions menés au sein des administrations marocaines responsables de la gestion des ressources humaines (GRH) depuis de nombreuses années déjà.

La gestion des compétences requiert la mise en place de systèmes – de recrutement, de promotion, ou de formation – fondés sur l’acquisition et le développement des compétences. Elle permet de structurer les besoins en ressources humaines d’une administration en ne se focalisant pas seulement sur les diplômes ou dotation d’effectifs (même si les diplômes restent un élément de référence dans un premier temps), mais plus sur les compétences techniques ou comportementales. La Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique souligne l’importance « [d’]aligner les processus de gestion des effectifs sur les compétences et aptitudes requises », et de faire de la gestion des compétences un moteur dans la politique de GRH. La gestion des compétences, lorsqu’elle est intégrée dans un système de GRH, cherche à introduire plus de flexibilité au sein du secteur public en construisant un langage commun destiné à répondre à des objectifs transversaux dans un environnement souvent caractérisé par une logique de silos. Elle vise également à remettre les agents publics au cœur de la GRH, non pas en tant que membres anonymes d’un corps, mais en tant que talents individuels, possédant des compétences et cherchant à les renforcer et à en acquérir de nouvelles (Encadré 4.1).

Le Maroc cherche depuis plusieurs années à renforcer la place des compétences dans la gestion de sa fonction publique. Le Plan national de la réforme de l’administration 2018-21 a souligné le « passage graduel d’un modèle de fonction publique axé sur la gestion des carrières à un autre modèle fondé sur la gestion des compétences ». Une telle analyse est également présente dans la Charte des services publics, dont le titre III traite de la place des compétences dans l’efficience et la performance des services publics (Ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration du Royaume du Maroc, 2021[2]). L’application de ce texte ambitieux est cependant limitée par la réalité de la GRH marocaine.

Dans les faits, le système marocain est basé sur la carrière et la gestion de corps. La gestion des agents publics se fait presque exclusivement à travers la gestion d’une carrière statutaire, basée sur l’appartenance à un corps d’origine et l’ancienneté de l’agent. Les corps et grades tels que définis n'ont pas toujours de lien automatique avec les compétences nécessaires aux emplois occupés par les agents publics en question, et restent trop souvent perçus uniquement comme des catégories liées à une politique de rémunération. Le lien entre ce système et une gestion efficace des compétences est laissé à la discrétion des ministères et des cadres, qui disposent de moyens inégaux. Les missions de contrôle central du ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’Administration (MTNRA) sont par ailleurs limitées, faute de moyens humains et budgétaires. Pourtant, les notions de corps et de métiers basés sur des compétences définies et détaillées peuvent être complémentaires lorsque la carrière associée au corps est envisagée comme une opportunité fondée sur les compétences plutôt qu’un avancement quasi-automatique. Par exemple, l’utilisation d’un référentiel de compétences insistant sur des compétences transversales et commun à différents corps peut permettre de développer les mobilités verticale et horizontale en définissant clairement le niveau de maîtrise de compétences attendues. Cette évolution peut contribuer à renforcer la composante « emploi » d’un système d’emploi public tel que le système marocain.

Le développement d’une gestion des compétences nécessite la mise en place d’une stratégie des compétences renforçant leur identification, recensement et développement (Graphique 4.2). Les composantes de ce modèle sont développées ci-dessous.

L’identification des compétences nécessaires à des services publics de qualité est la première étape à la mise en place d’une GRH axée sur les compétences. Il s’agit d’identifier, emploi par emploi, les compétences techniques spécifiques et transversales nécessaires à la réalisation des missions des agents publics. Cette première étape théorique précède le recensement des compétences effectivement présentes ou absentes à un moment donné dans l’administration, et la mise en place des stratégies et outils de développement des compétences destinés à pallier les manques. Cette démarche permet de considérer les agents pour leurs compétences et leur capacité à développer des aptitudes, plutôt qu’à travers de seules considérations statutaires et budgétaires, et ainsi de convertir les coûts en contributions (inputs). Il s’agit également de renforcer les compétences des agents publics, leur assurant ainsi une meilleure mobilité professionnelle à l’avenir.

Près de deux tiers des pays de l’OCDE ont mis en place des référentiels de compétences centralisés pour assurer cette identification, qu’il s’agisse de référentiels de compétences pour l’ensemble des agents publics ou seulement pour les hauts fonctionnaires (Graphique 4.3). Les référentiels de compétences centralisés permettent à l’administration publique de mieux définir ses besoins, et aux différentes administrations de mieux se coordonner sur la nature des compétences disponibles et à renforcer. Un référentiel centralisé, avec une marge de flexibilité pour refléter les spécificités de certains emplois, permet à l’ensemble de la fonction publique de « parler la même langue », de développer des stratégies d’attractivité et de développement communes, et de limiter les coûts de développement de référentiels ministériels. Les référentiels de compétences doivent être régulièrement revus et corrigés, et intégrés aux systèmes de GRH en place (Encadré 4.2).

En 2008, les différents départements de l’administration marocaine ont dû établir leur propre référentiel de compétences. Il s’agissait d’une première étape vers une gestion des compétences, mais ces référentiels ont rarement été mis à jour depuis, et ne permettent pas l’élaboration d’une vision commune des compétences nécessaires pour l’ensemble de la fonction publique. Pour y remédier, le MTNRA a mis en place en 2018 un référentiel des emplois et des compétences d’administration (RECA) commun à l’ensemble de la fonction publique. Le RECA se fonde sur l’identification d'activités communes aux administrations et d’emplois-type. Il compte 168 activités et compétences managériales, déclinées en 7 domaines : i) gérer les activités ; ii) gérer les ressources ; iii) gérer les personnes ; iv) gérer l’information ; v) gérer l'énergie ; vi) gérer la qualité ; et vii) gérer les projets. Le RECA souffre toutefois d’une utilisation limitée à quelques départements – souvent dans le cadre de négociations avec le ministère des Finances pour ouvrir de nouveaux postes budgétaires. Il pourrait être détaillé dans les fiches de postes et offres d’emploi, intégré au processus de recrutement pour s’assurer que les compétences sont évaluées de manière appropriée, ou servir de fondation aux offres de formation. Certains ministères, soit en raison de capacités en ressources humaines limitées, soit par manque d’intérêt pour un outil commun, n’ont toujours pas développé de RECA. D’autres conservent une version ancienne de leur RECA, peu lisible et ne répondant plus aux dernières recommandations du MTNRA. L’établissement et la mise à jour de leur RECA n’entrent pas dans les priorités opérationnelles de ces ministères, et le MTNRA manque de moyens réglementaires pour faire de l’instrument la pierre angulaire d’une GRH moderne et intégrée.

Le renforcement de la gestion des compétences de la fonction publique commence avec leur recensement. Une fois identifiées, les compétences doivent être cartographiées pour mieux comprendre les capacités actuelles, les éventuels déficits et les tendances à venir. Dans ce sens, cette cartographie permet de faire le lien entre les besoins en recrutement et les compétences nécessaires. La définition des compétences associées à chaque emploi permet de catégoriser, petit à petit, les compétences entrantes dans la fonction publique. Cette approche opérationnelle du recensement des compétences peut également se refléter dans les processus de promotion et de développement.

Le recensement des compétences repose en grande partie sur des systèmes d’évaluation de la performance identifiant les compétences disponibles et cherchant à renforcer les compétences manquantes. Le but de cet exercice est triple : i) permettre aux organisations de connaître, à intervalles réguliers, les compétences dont elles disposent ; ii) valoriser les agents hautement performants grâce à des bonus ou des programmes de gestion de talents destinés à développer leurs compétences ; et iii) accompagner les agents moins performants vers des offres de formation ou de coaching. L’ostracisation dont peuvent être victimes les agents perçus comme moins performants freine l’évaluation de la performance. Le but de l’évaluation n’est pas tant d’attribuer une note que de définir des cibles et des objectifs clairs, basés sur des compétences à développer ou valoriser. Cet exercice repose non seulement sur la maîtrise de compétences des agents publics, mais aussi sur des cadres intermédiaires capables de faire un bilan de compétences, et sur l’engagement et le bien-être des agents (Encadré 4.3).

Une seconde étape après le recensement peut être la mise au point d’une gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC). La GPEEC permet aux administrations publiques d’anticiper les besoins et de développer les stratégies nécessaires pour y répondre. La GPEEC requiert une compréhension commune des compétences, mais aussi des systèmes informatiques permettant l’agrégation de données au niveau central. Ainsi, la gestion de compétences ne s’arrête pas à leur simple identification, mais peut aboutir à une refonte du système de GRH autour de l’acquisition, de la valorisation et de l’utilisation de compétences. Certains pays de l’OCDE où la gestion de carrière est principalement statutaire ont mis en place de la GPEEC cherchant à concilier l’évolution des missions des administrations publiques et la mobilité des agents publics (fonctionnaires ou contractuels).

Au Maroc, un effort de recensement des compétences requises par emploi existe déjà. Par exemple, les appels à candidature pour des offres d’emploi de chefs de service et de division sont fondés sur des fiches de postes comprenant les compétences requises pour exercer l’emploi. Le processus de recrutement est alors fondé sur des compétences prédéfinies. Cependant, il est à noter l’absence de méthodologie commune et d’outils transverses de recrutement applicables à l’ensemble de la fonction publique. De plus, certains ministères au département des ressources humaines limités peuvent rencontrer des difficultés à organiser un concours portant sur ces compétences.

Par ailleurs, la gestion active des emplois et des compétences est organisée au niveau ministériel. Certains ministères disposant de département des ressources humaines mieux pourvus ont les capacités de mettre en place certaines activités de GPEEC. Le ministère de l’Agriculture, par exemple, a mené depuis 2010 deux bilans de compétences pour près de 3 000 agents, suivis de programmes de formation. L’absence de système d’information des ressources humaines (SIRH), un outil intégrant compétences et personnel, rend l’exercice plus difficile dans d’autres ministères. Aussi la gestion des compétences n’est-elle développée que ponctuellement au Maroc, pour des projets stratégiques. Le Maroc cherche actuellement à doter chaque administration d’un SIRH, sur la base d’un SIRH commun développé par le MTNRA.

Par ailleurs, l’approche statutaire consacrée dans la loi établit l’avancée de carrière sur des critères tels que les diplômes ou l’ancienneté, plutôt que sur l’évaluation de la performance. La loi n° 54-19 du 14 juillet 2021 portant Charte des services publics et les articles 28 et 30 du Statut de la fonction publique soulignent le rôle théorique de l’évaluation de la performance, qui reste cependant en pratique sous-utilisée. Certains ministères cherchent tout de même à mettre en place les bases d’une évaluation de la performance. Elle se fait cependant généralement en utilisant des notes sur 20, où tout résultat inférieur à 20 est considéré comme une sanction. Cet aspect culturel, commun à de nombreux pays de l’OCDE, empêche les cadres de faire aux agents des retours honnêtes et justes sur leur performance. Cela limite l’intérêt de l’exercice et freine la gestion des compétences, puisqu’il n’est pas possible de répondre aux cas de performance décevante ou de valoriser les compétences des agents publics les plus performants.

Lorsque les compétences nécessaires à l’administration sont identifiées dans des RECA et que les compétences déjà présentes sont recensées dans un bilan de compétences des fonctionnaires actifs, il est possible d’identifier les compétences manquantes, tant en nature qu’en volume. Celles-ci peuvent s’acquérir par le biais du recrutement ou par la mise en place de trajectoires de développement (qui incluent des programmes de formation). Ce développement peut avoir pour but de renforcer des compétences ou d’en acquérir de nouvelles. Dans les deux cas, l’évaluation de la performance aide à cibler les besoins de formation des agents. Le développement des compétences des agents s’accompagne d’une valorisation de l’apprentissage. Cependant, un degré d’alignement entre trajet de développement et besoins en compétences peut émerger en se basant sur un recensement moins approfondi des compétences, permettant cependant d’élaborer des plans de développements utiles.

Ces trajectoires de développement doivent chercher à faire coïncider les besoins et les priorités à moyen et long terme des administrations, ainsi que les besoins et souhaits des agents. Une offre de développement très large, peu ciblée et non professionnalisante n’aura qu’un effet limité sur la mise en place d’une stratégie de développement des compétences et sur l’exécution des projets (Encadré 4.4).

Les organes chargés d’administrer les trajectoires de développement varient d’un pays de l’OCDE à l’autre. En 2016, près d’un tiers des pays voyaient la responsabilité liée aux offres de formation partagée entre différentes institutions centrales, un autre tiers les voyaient structurées par une seule institution, tandis qu’un dernier tiers connaissaient un système décentralisé, faisant des offres de formation une prérogative ministérielle. Malgré les différences entre pays sur le sujet, les administrations publiques cherchent à accorder autant que possible les objectifs gouvernementaux et administratifs et les trajectoires de développement.

La fonction publique marocaine structure ses offres de formation ministère par ministère. La situation est différente pour les dirigeants publics, pour lesquels l’ENA peut être un instrument de développement important, notamment en lien avec l’acquisition de compétences RH par les cadres intermédiaires. Chaque ministère dispose de sa stratégie sectorielle, elle-même basée sur une stratégie nationale. Au niveau national, une commission de coordination de la formation continue, regroupant des représentants de différents ministères et administrations, propose une stratégie commune de formation continue. Chaque département ministériel développe sur cette base un plan sectoriel de formation continue. Cela se concrétise, par exemple, au ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication par des offres de coaching des cadres pour développer leurs compétences managériales, ou la mise en place d’un programme visant à renforcer les compétences informatiques de certains agents. L’alignement des offres de formation et des besoins ministériels requiert le renforcement des capacités des équipes ressources humaines dédiées.

L’intérêt de suivre une formation en cours de carrière est toutefois limité dans la fonction publique marocaine. En effet, les diplômes demeurent très importants dans les promotions, aussi les formations non diplômantes ne permettent-elles pas d’accéder à de nouvelles responsabilités. Cela limite fortement la valorisation des capacités de développement des compétences par la formation dans les processus ressources humaines et demeure l’un des freins à l’établissement d’une culture d’apprentissage dans l’administration publique. À ce titre, les discussions autour d’une révision du cadre réglementaire entourant la formation des agents publics demeurent à suivre.

La Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique souligne l’importance du renforcement des aptitudes des dirigeants de la fonction publique (Encadré 4.5). Ce renforcement s’effectue en partie à travers la constitution de viviers de hauts fonctionnaires. Les différents systèmes de haute fonction publique cherchent à capitaliser sur l’expérience des hauts fonctionnaires en les nommant ou en les recrutant dans d’autres postes, souvent de manière interministérielle. La rareté de leurs compétences, qu’elles soient transversales ou managériales, justifie cet effort de création de vivier.

Ces viviers doivent permettre de disposer de hauts fonctionnaires aux compétences, ressources et environnements opérationnels adéquats (Gerson, 2020[10]). Les systèmes de haute fonction publique se structurent autour de deux axes principaux : i) les compétences et aptitudes des hauts fonctionnaires ; et ii) la nature de l’environnement opérationnel.

Le premier axe concerne les politiques mises en place par certaines administrations de pays de l’OCDE pour renforcer les compétences de leadership. Un exemple de politique publique allant dans ce sens est la constitution de référentiels de compétences de haute fonction publique appliqués à la nature des tâches de chaque poste. Ce renforcement des compétences doit aussi être illustré par une nomination des hauts fonctionnaires transparente, basée sur des critères de mérite, avec un certain niveau d’équilibre entre la réactivité politique, la stabilité, et l’indépendance. Enfin, la constitution d’un vivier de candidats potentiels doit être assurée, notamment à travers le développement de programmes d’identification des futurs hauts fonctionnaires et des politiques de mobilité et d’évolution des carrières. Un potentiel vivier d’une telle nature ne contredirait en rien le principe essentiel de l’accès libre aux postes de l’administration publique, mais permettrait de disposer d’un bassin de potentiels candidats.

Par ailleurs, la haute fonction publique ne peut se limiter à des agents disposant des compétences nécessaires, elle doit s’accompagner d’un environnement opérationnel (deuxième axe) plus propice à une gestion stratégique de la haute fonction publique. Cet effort passe, par exemple, par la fixation d’objectifs clairs pour les hauts fonctionnaires et d’un niveau d’autonomie décisionnelle suffisant, dans lequel les hauts fonctionnaires sont tenus pour responsables. Il s’agit ici d’une responsabilité relative à la gestion de l’appareil administratif de l’État, la responsabilité politique restant celle de l’exécutif. Cette professionnalisation accrue de la haute fonction publique passe également par la création d’outils de gestion adaptés, fondés sur une utilisation encadrée des données des systèmes d’information des ressources humaines (SIRH) et budgétaires.

D’après le modèle développé ci-dessous (Graphique 4.4), portant sur la gestion de la haute fonction publique des pays de l’OCDE, le Maroc dispose d’une haute fonction publique bien formée et équipée pour développer ses capacités, mais manquant de dispositifs permettant l’émergence d’une culture de la performance et de la responsabilisation. De cette dichotomie résulte une haute fonction publique sous contrainte, avec des hauts fonctionnaires préparés et disposant des compétences adéquates, mais rencontrant des difficultés à réaliser leurs missions à cause d’une structure opérationnelle rigide. Il est à cet égard important de renforcer le rôle de gestion administrative du haut fonctionnaire en charge de son département. Ces deux dimensions seront évoquées plus en détails dans les parties suivantes.

Les fonctions publiques des pays de l’OCDE recherchent les compétences dont elles ont besoin à travers le développement des agents en place ou le recrutement de nouveaux agents. Les référentiels sont des outils essentiels au développement des compétences et aptitudes des hauts fonctionnaires. Près des deux tiers des pays de l’OCDE en utilisent, qu’ils soient développés sur-mesure pour les hauts fonctionnaires, ou qu’ils couvrent les compétences de l’ensemble des agents publics (OCDE, 2020[6]). Ils permettent aux administrations de partager un langage commun, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance à une fonction publique plutôt qu’à un ministère ou un corps, première étape à la mise en place d’un vivier de hauts fonctionnaires. Ces référentiels détaillent principalement les compétences nécessaires en termes de vision et stratégie (25 pays sur 34 répondants à l’étude), d’obtention de résultats (24 pays) et de valeurs publiques et de collaboration (22 pays) (OCDE, 2020[6]) (Graphique 4.5). Ils sont utilisés majoritairement au cours des processus de recrutement (27 pays) et dans les descriptions de fiches de poste (25 pays) (OCDE, 2020[6]). Ainsi, la majorité des pays de l’OCDE cherchent à mettre la gestion de compétences au cœur de leur haute fonction publique, comme par exemple en Belgique (Encadré 4.6).

Le Maroc a bien développé son RECA, mais les administrations publiques l’utilisent peu. Dans ce système décentralisé où chaque ministère gère seul son personnel, la gestion de la haute fonction publique souffre d’un manque de coordination qui ne permet pas une identification homogène des compétences des hauts fonctionnaires. Le Maroc cherche cependant à utiliser le RECA dans les descriptions de poste, les processus de recrutement, et pour structurer des offres de formation.

De nombreuses hautes fonctions publiques tentent de diversifier leur vivier en recrutant des candidats externes. Selon l’Enquête de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique, l’attractivité de la haute fonction publique auprès de candidats externes passe, entre autres, par des campagnes de communication (21 pays sur 34), une recherche proactive des talents (12 pays sur 34) et des processus de recrutement dédiés (10 pays sur 34) (OCDE, 2020[6]). Cette recherche externe vise à développer un équilibre entre compétences et profils disponibles et non disponibles en interne.

La haute fonction publique marocaine n’attire pas suffisamment les candidats. En effet, l’absence de gestion de vivier ne permet pas de proposer un parcours de carrière aux candidats. Les conditions de nomination du décret n° 2.12.412 du 11 octobre 2012 poussent les hauts fonctionnaires à quitter leur poste après 10 ans de service maximum. Cette limite temporelle peut être bénéfique, mais elle doit s’accompagner d’une politique de capitalisation de l’expérience des fonctionnaires sortants.

Les processus de sélection attribuent une part croissante à l’évaluation des compétences. En accord avec la Recommandation, les pays de l’OCDE cherchent à développer des critères liés au mérite et des procédures transparentes pour sélectionner les hauts fonctionnaires (OCDE, 2019[5]). La notion de mérite, intrinsèquement liée à celle des compétences, a une place prépondérante dans les mécanismes de sélection des hauts fonctionnaires. Il existe à travers les pays de l’OCDE une diversité de méthodes pour tester ces compétences – notamment à travers des entretiens basés sur des expériences passées (26 pays sur 34), des entretiens situationnels (24 pays sur 34) et des vérifications de références (18 pays sur 34) (Graphique 4.6). L’objectif est de placer les compétences au centre du processus de recrutement afin d’assurer un équilibre propre à la haute fonction publique dans le processus de nomination. Ce processus, qui suit l’étape formelle de la sélection, est le résultat d’un compromis entre la sélection de candidats compétents pour le poste et l’alignement avec les priorités politiques du gouvernement. Cet équilibre doit permettre à chaque nomination de découler d’une mise en compétition de plusieurs candidats avec l’expertise nécessaire au poste.

La Constitution du 1er juillet 2011 a largement réformé la nomination des hauts fonctionnaires marocains. L’article 49 de la Constitution dispose du rôle du Conseil des ministres, qui délibère de la nomination de postes de la haute fonction publique. L’article 92 souligne le rôle du Conseil du gouvernement quant à la nomination de secrétaires généraux et des directeurs centraux des administrations publiques. Ainsi, près de 90 % des emplois dits supérieurs dépendent indirectement du Chef du gouvernement. Le processus de nomination vise cependant à permettre le recrutement de hauts fonctionnaires sur la base de leurs compétences. Ainsi, pour chaque recrutement, le jury fait passer un entretien à sept candidats retenus sur dossier, et ne retient que trois candidats qui sont présentés au ministre concerné, lequel délibère avec le Chef du gouvernement pour ne retenir qu’un candidat. Cette procédure peut cependant être jugée comme lourde pour le recrutement d’un certain nombre de hauts fonctionnaires d’un niveau inférieur aux secrétaires généraux.

Ce système, en théorie méritocratique et permettant une certaine concordance entre compétences des candidats et volonté politique, se heurte cependant parfois à des processus de recrutement sur mesure. Ainsi, l’appel à candidature est-il parfois construit autour de critères spécifiques (nombre d’années d’expérience, niveau de diplôme), établis sur mesure pour permettre à un candidat d’être retenu. Le fait que la définition de ces critères soit hétérogène et varie d’un ministère à un autre pour un poste similaire autorise ce type de pratiques, qui limitent le nombre et la qualité des candidats.

Les compétences et aptitudes des hauts fonctionnaires ne suffisent pas à l’accomplissement de leurs missions. La haute fonction publique doit également pouvoir s’appuyer sur un environnement opérationnel mettant l’accent sur la gestion de la performance fondée sur des objectifs clairs. Cet environnement opérationnel passe tout d’abord par la mise en place d’objectifs, notamment d’objectifs intermédiaires permettant de mesurer une progression. Les différences entre les objectifs des hauts fonctionnaires et ceux des autres agents publics se traduit dans 17 pays de l’OCDE par une gestion plus rigoureuse des hauts fonctionnaires que des autres agents publics (OCDE, 2020[6]) (Graphique 4.7). Cette rigueur se traduit à son tour par une part de la rémunération liée à la performance plus importante chez les hauts fonctionnaires, ou par des révocations plus courantes.

Par ailleurs, les hauts fonctionnaires se distinguent du reste de la fonction publique par l’importance accordée à leur reddition de comptes (accountability en anglais). La reddition de comptes des hauts fonctionnaires est liée à l’atteinte de leurs objectifs. Dans 24 pays de l’OCDE, il existe ainsi un document précisant la nature des responsabilités des hauts fonctionnaires (OCDE, 2020[6]). Ces responsabilités sont liées à la gestion financière dans 20 pays, à la gestion de crise dans 8 pays, et à la gestion de l’information dans 6 pays (Graphique 4.8). Par ailleurs, les missions des hauts fonctionnaires étant de plus en plus collaboratives et interministérielles, de nombreux pays de l’OCDE définissent le niveau de responsabilité des projets qu’ils mènent. Ainsi, 18 pays de l’OCDE tiennent plusieurs hauts fonctionnaires responsables d’objectifs partagés entre administrations, alors que 13 pays de l’OCDE privilégient la responsabilisation d’un seul haut fonctionnaire par projet. Cette responsabilisation des acteurs doit permettre un certain niveau d’autonomie des hauts fonctionnaires, conforme aux cadres juridique et budgétaire dans lequels ils évoluent.

La haute fonction publique marocaine se caractérise par un haut niveau d’autonomie des ministères, qui gèrent leurs propres hauts fonctionnaires. Aussi existe-t-il des différences importantes dans la gestion des hauts fonctionnaires d’un ministère à un autre. Les critères d’évaluation des performances des hauts fonctionnaires sont majoritairement du ressort des administrations. Seuls les objectifs liés à des attentes explicites pour améliorer l’efficacité du gouvernement sont définis dans toutes les administrations. Certaines directions de ministères mettent en place des évaluations régulières de la performance, c’est par exemple le cas au ministère de l’Economie et des Finances.

De surcroît, par la nature temporaire des missions de haute fonction publique au Maroc, cette évaluation de la performance n’a que des conséquences limitées sur le parcours de carrière. Le licenciement pour cause de faible performance est une possibilité théorique rarement appliquée, et il n’existe pas d’accompagnement vers la formation ou de récompense financière en cas de haute performance.

Les responsabilités de GRH, financières et de gestion de l’information et de la technologie des hauts fonctionnaires marocains sont clairement définies. Certains ministères vont encore plus loin, comme le ministère de l’Economie et des Finances qui définit également les responsabilités managériales de gestion de crise et de qualité de service.

Pour autant, le cadre réglementaire applicable à la haute fonction publique marocaine ne permet pas l’émergence d’un environnement opérationnel suffisamment fort. Il ne se distingue ni par un renforcement des conditions relatives à l’intégrité (dont le contrôle d’éventuels conflits d’intérêts), conditions impératives pour l’autonomie dans les missions, ni par une valorisation de la performance. Ce constat est principalement lié à la forte compartimentation de la haute fonction publique marocaine, qui ne permet pas l’émergence de viviers et d’une politique stratégique de gestion de la haute fonction publique.

Le Statut de la fonction publique souligne la nature statutaire et réglementaire de la relation entre fonctionnaire et administration. Les établissements publics, tels que l’Agence marocaine de presse ou l’Office national des aéroports, disposent de modalités contractuelles différentes de l’ensemble de la fonction publique. Comme souligné dans la Recommandation, la structure de la fonction publique a un impact direct sur les modalités contractuelles et la capacité de la fonction publique à mettre en place des services publics répondant aux besoins des citoyens (Encadré 4.7).

Le cadrage budgétaire de la GRH permet de limiter les dérives et les risques associés. Les équipes des directions des affaires financières des ministères ont pour but d’assurer la définition, le suivi et la coordination de l’exécution budgétaire et des négociations salariales avec le ministère de l’Economie et des Finances. Elles doivent travailler en étroite collaboration avec les différents départements des ressources humaines afin d’assurer une adéquation optimale entre besoins en ressources humaines et contraintes budgétaires. De nombreux pays de l’OCDE ont adopté une approche budgétaire basée sur les programmes, en définissant des missions, des programmes budgétaires et des actions pour chaque administration. Ces programmes budgétaires offrent un certain niveau de flexibilité à leurs responsables pour allouer au mieux l’enveloppe salariale dont ils disposent. Il s’agit de permettre aux responsables qui sont sur le terrain et au plus près des actions de décider du profil des agents publics nécessaires au programme.

À travers l’OCDE, le contrôle budgétaire central des effectifs de fonctionnaires civils a laissé la place à un certain niveau de décentralisation, permettant à la fois des contrôles budgétaires et une autonomie dans la gestion organisationnelle des ressources humaines. C’est le cas par exemple en France (Encadré 4.8).

L’approche de la dotation de la fonction publique au Maroc est très majoritairement budgétaire. Chaque nouveau recrutement d’expert ou de fonctionnaire est conditionné à l’obtention par le ministère concerné d’un poste budgétaire. La création de postes budgétaires découle d’une négociation, ministère par ministère, avec le ministère de l’Economie et des Finances. Chaque administration présente ses besoins prioritaires en ressources humaines, avec un argumentaire lié aux compétences nécessaires. La lettre de cadrage transmise par le ministère de l’Economie et des Finances donne le ton et souligne l’environnement budgétaire dans lequel la fonction publique évolue. Ces négociations confèrent au processus de dotation une forte politisation, alors même qu’il résulte d’une négociation entre administrations et non avec le politique.

De plus, cette négociation se fait au Maroc principalement avec les départements des ressources humaines. Cette situation a pour conséquence un risque de limitation de la professionnalisation des équipes de ressources humaines des ministères les moins dotés, qui doivent prioriser des compétences budgétaires par rapport à des compétences de GRH, telles que le recrutement, la formation ou la gestion de performance.

Ce système permet d’éviter des dérives liées au recrutement et une inflation trop importante de la masse salariale. En 2012, les dépenses de personnel représentaient 11.4 % du produit intérieur brut (PIB), contre 9.76 % en 2019 puis en augmentation à 11.99% en 2021 suite à la pandémie de la COVID-19 (Ministère de l'Économie, des Finances et de la Réforme de l'administration, 2020[3]). Cependant, la masse salariale a augmenté près de six fois plus vite que le taux des effectifs de fonctionnaires civils entre 2008 et 2016 (Cour des Comptes du Royaume du Maroc, 2017[14]). Ce contrôle relatif des dépenses de personnel est principalement assuré par le non-remplacement des fonctionnaires partis à la retraite (dont le nombre est estimé à 69 360 entre 2019 et 2024, soit près de 12 % du nombre total de fonctionnaires) ou des agents quittant leur poste hors-détachement. Ce mécanisme vise donc à réduire automatiquement la masse salariale, et a des conséquences directes sur l’âge des effectifs de la fonction publique, leur nombre, et leur capacité à assurer leurs missions. De plus, il pousse les administrations marocaines à limiter les départs vers d’autres administrations de crainte de subir une suppression sèche des crédits budgétaires liés au poste qui ne sera pas remplacé. Cette situation peut avoir des conséquences directes sur la mise en œuvre des politiques publiques des ministères et peut également se faire au détriment de la volonté de mobilité d’un agent, de son niveau d’engagement et de l’acquisition de compétences transverses. Ce système peut également entraîner l’externalisation de certains métiers. Aussi est-il prioritaire de mieux coordonner des efforts centraux de GPEEC avec une stratégie de dotation budgétaire à moyen terme, qui peut être révisée annuellement.

Cette situation est d’autant plus critique que les capacités de réaffectation de la fonction publique marocaine sont limitées. Ainsi, certaines divisions de ministères peuvent se retrouver en sureffectif, sans réel moyen de réaffecter les fonctionnaires. Ces réaffectations, rares, doivent comme dans certains pays de l’OCDE, suivre une garantie de niveau socioprofessionnel et de région d’affectation. De plus, l’indemnité spéciale décrite dans l’article 38bis du Statut général de la fonction publique en cas de réaffectation entraînant un changement de résidence ne semble que peu utilisée, alors que ce type de dispositif incitatif devrait permettre de répartir au mieux le personnel existant à un coût moindre qu’un recrutement.

Ce constat ne porte cependant pas sur l’ensemble de la fonction publique. Les établissements publics disposent par exemple de ressources propres pour financer de nouveaux recrutements. Ils disposent notamment d’une plus grande flexibilité pour recourir à des contractuels. Certains de ces établissements mettent par exemple en location certains de leurs bâtiments pour financer des postes et disposent d’outils pour recruter des contractuels.

La nature du système d’emploi public est abordée différemment par chaque pays de l’OCDE. Les systèmes de carrière se caractérisent par une forte gestion statutaire permettant le développement d’une fonction publique hautement dévouée et expérimentée. Les systèmes basés sur les positions recrutent leurs fonctionnaires sur la base de candidatures à un poste spécifique, garantissant une plus grande flexibilité. Dans les faits, cette grille de lecture n’est pas binaire. La distinction traditionnelle entre système de carrière et système d’emploi tend à s’effacer de plus en plus au profit de systèmes hybrides. Cela se traduit par exemple par une place plus grande faite à la gestion de compétences, condition impérative de la mise en place efficace d’un système basé sur les positions. Cela se traduit également par une gestion transversale des carrières de la fonction publique, en cherchant notamment à profiter des synergies interministérielles. Des pays de l’OCDE avec un système prédominant de carrière, comme la France, ont tenté récemment de gagner en flexibilité, notamment en recourant aux salariés contractuels (Encadré 4.9 ; Graphique 4.9). D’autres pays, aux systèmes basés sur les positions, développent une fonction publique plus professionnelle en déployant des parcours de carrière transversaux.

La contractualisation peut ainsi cohabiter avec une fonction publique statutaire de carrière, répondant à des besoins différents. L’équilibre entre ces modalités contractuelles peut permettre à la fonction publique de trouver son propre équilibre entre indépendance et souplesse pour gérer les effectifs publics aux compétences nécessaires. Un système trop orienté dans un sens ou un autre risque de se caractériser par de fortes rigidités ne permettant pas de disposer des compétences nécessaires.

La fonction publique marocaine compte 41 statuts avec 150 corps, contre 500 avant la fusion de statuts en 2010. Pour réduire le nombre de corps, la transversalité des corps existants a été renforcée. Cette démarche, coûteuse pour l’État puisqu’elle s’accompagne d’un nivellement par le haut des salaires et indemnités, n’a cependant répondu que de manière limitée aux attentes des administrations publiques. Le niveau de transversalité atteint est en effet encore relatif, et renforce encore une approche purement statutaire fondée sur des diplômes plus que des compétences. De surcroît, malgré les débats en ce sens, une approche fonctionnelle de la GRH n’a pas été adoptée. Seules certaines administrations ont évolué vers une approche plus fonctionnelle, comme par exemple les auditeurs de la Cour des Comptes ou de l’Inspection générale des finances, emplois qui peuvent être occupés par des fonctionnaires issus de différents corps et statuts.

Certaines fonctions publiques ayant une logique traditionnelle de carrière ont développé le recours aux contractuels pour des besoins précis. Au Maroc, ce recours est limité. Les arrêtés n°1394-17 du 9 juin 2017, n°1761-17 du 10 juillet 2017 et n°3-95-17 du 4 août 2017 déterminent le cadre de la contractualisation au Maroc. Ils permettent à chaque département de recruter au maximum quatre experts, exception faite du niveau gouvernemental où la limite est de huit experts. La procédure de recrutement est clairement définie et répond à des exigences de transparence et de visibilité. Ce type de contrat ne s’adresse cependant qu’à des citoyens marocains ayant plus de 5 ans d’études supérieures et une expérience professionnelle d’au moins 5 ans. Les experts sont engagés pour des périodes de 2 ans, renouvelables une fois.

Cette modalité contractuelle souffre d’un manque d’attractivité qui se traduit par près d’un poste d’expert sur deux non pourvu en 2019. Elle est également peu attractive auprès des administrations : un poste d’expert de 4 ans maximums occupe un poste budgétaire qui pourrait être occupé par un fonctionnaire dont l’emploi serait garanti à vie. Il peut donc être plus intéressant pour les administrations de recruter un fonctionnaire plutôt qu’un expert sur un poste budgétaire. Les postes d’experts répondant à des missions précises apportent une part de contractualisation au système marocain. Ils ne permettent cependant pas d’introduire plus de flexibilité dans l’ensemble de la fonction publique et de répondre aux besoins des administrations.

La fonction publique marocaine est une fonction publique de carrière, dans laquelle une place prépondérante est faite aux diplômes et à l’appartenance à un corps et à un échelon. Cette structure limite la place faite à la gestion de compétences, de leur identification à leur développement, en passant par leur recensement. Cependant, il est possible de maintenir une logique de fonction publique de carrière en y incorporant des éléments de GRH basés sur les compétences, et de trouver un nouvel équilibre systémique. Parallèlement, la logique de carrière est peu présente dans la haute fonction publique marocaine. En effet, un système caractérisé par une gestion de la performance limitée et un manque de planification stratégique des effectifs limite la constitution de viviers de hauts fonctionnaires. Enfin, la logique stricte de corps se reflète au Maroc dans les modalités contractuelles disponibles. La titularisation se fait généralement dans des corps encore peu souvent transversaux. La contractualisation, quant à elle, reste cantonnée à une poignée de cas particuliers. L’ensemble de ce système se caractérise ainsi par un manque de flexibilité, limitant la capacité de la fonction publique à répondre aux besoins des citoyens, malgré des chantiers de réforme cherchant à répondre à ces préoccupations.

  • Identifier les compétences des agents publics à partir d’une base commune, notamment en :

    • actualisant le RECA et en faisant de celui-ci la pierre angulaire d’une identification des compétences de la fonction publique avec une catégorisation des compétences par emploi ;

    • intégrant les compétences au processus de recrutement pour les évaluer d’une manière appropriée et s’en servir comme fondation des offres de formation.

  • Recenser les compétences disponibles au sein de la fonction publique et mettre en place une GPEEC interministérielle, notamment en :

    • développant la gestion de la performance pour s’assurer de disposer des compétences nécessaires en supprimant la note et en instituant des entretiens professionnels basés sur des objectifs annuels ;

    • s’assurant de la mise en place de SIRH intégrant compétences et effectifs pour permettre une GPEEC systématique.

  • Développer les compétences des agents publics, notamment en :

    • accompagnant mieux les agents pour développer leurs compétences et en acquérir de nouvelles au travers de droits à la formation annuels ;

    • valorisant la formation dans le parcours de carrière et en faisant émerger une culture d’apprentissage.

  • Développer des viviers de hauts fonctionnaires pour capitaliser sur les compétences acquises en proposant des référentiels métiers et des parcours de carrière interministériels, notamment en :

    • étendant l’utilisation interministérielle du RECA à la haute fonction publique ;

    • développant les parcours de carrière des hauts fonctionnaires pour attirer les candidats externes et assurer le suivi des hauts fonctionnaires sortants.

  • Renforcer la gestion de la performance des hauts fonctionnaires en évaluant les progrès accomplis vers la réalisation d’objectifs et de cibles annuelles fixées en amont, notamment en :

    • Définissant en particulier des objectifs transversaux et interministériels pour assurer la responsabilité des hauts fonctionnaires ;

    • suivant et mesurant la performance des hauts fonctionnaires.

  • Homogénéiser les critères de sélection et de nomination pour des postes similaires de la haute fonction publique au sein des ministères et à travers la fonction publique, notamment en :

    • définissant un ensemble de critères communs et de critères spécifiques pour tous les postes de la haute fonction publique.

  • Introduire de la flexibilité dans la gestion des postes budgétaires, notamment en :

    • mettant en place des stratégies de dotation budgétaire à moyen terme pour permettre la mise en place d’une véritable GPEEC ;

    • autorisant les détachements entre administrations ;

    • soutenant activement la mobilité depuis les départements en sureffectif vers les départements en sous effectifs en capitalisant sur les compétences des agents ;

    • donnant les moyens aux départements des ressources humaines de se concentrer sur la gestion des compétences, notamment en renforçant leur collaboration avec les directions administratives et financières chargées de négocier les postes budgétaires ministériels.

  • Renforcer la composante position de la fonction publique, notamment en :

    • renforçant la fonctionnalisation des emplois pour créer, lorsque c’est possible et souhaitable, des carrières plus transversales ;

    • menant une réflexion autour du rôle des experts et de l’évaluation de leur performance.

Références

[8] Australian Public Service Commission (2020), Delivering for Tomorrow: the APS Workforce Strategy 2025.

[14] Cour des Comptes du Royaume du Maroc (2017), Rapport sur l’évaluation du système de la fonction publique, https://www.courdescomptes.ma/.

[16] Direction générale de l’administration et de la fonction publique, P. (dir. pub.) (2019), Guide de présentation de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et de son calendrier de mise en œuvre, https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/20190927-guide-presentation-LTFP.pdf.

[10] Gerson, D. (2020), « Leadership pour une haute fonction publique performante : Vers un système de haute fonction publique dans les pays de l’OCDE », OCDE, n° 40, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/f87e7397-fr.

[1] Ministère de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration (2018), « Dahir n° 1.58.008 du 4 chaabane 1377 (24 février 1958) portant Statut Général de la Fonction Publique ».

[4] Ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’administration (2018), Plan national de réforme de l’administration 2018-2021.

[2] Ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration du Royaume du Maroc (2021), Charte des services publics.

[13] Ministère de l’Economie et des Finances, Direction du Budget (2020), Guide de décompte des emplois des opérateurs de l’état.

[3] Ministère de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’administration (2020), Projet de Loi de finances pour l’année budgétaire 2020, Rapport sur les Ressources humaines.

[11] OCDE (2021), Panorama des administrations publiques, https://doi.org/10.1787/9556b25a-fr.

[6] OCDE (2020), Enquête sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique.

[15] OCDE (2019), Panorama des Administrations Publiques, https://doi.org/10.1787/8be847c0-fr.

[5] OCDE (2019), Recommandation du Conseil sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique, https://legalinstruments.oecd.org/en/instruments/OECD-LEGAL-0445.

[9] OCDE (2017), Skills for a High Performing Civil Service, https://doi.org/10.1787/9789264280724-en.

[12] SELOR (2021), Égalité des chances.

[7] SPF Stratégie et Appui, B. (dir. pub.) (2019), Gestion des compétences.

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