1. Point de vue : La coopération pour le développement doit s’attaquer avec plus d’efficacité aux défis complexes et protéger les plus vulnérables

Amina J. Mohammed
Vice-Secrétaire générale des Nations Unies

Nous traversons une époque de défis complexes et interdépendants qui exercent des pressions sans précédent sur les populations et la planète. La conjugaison des crises provoquées par la pandémie et la relance, par l’urgence climatique et par les répercussions de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine sur les marchés alimentaires, énergétiques et financiers crée le pire concours de circonstances pour une grande partie du monde. Quatre-vingt-quatorze pays, qui abritent quelque 1.6 milliard d’habitants, sont gravement exposés à au moins une dimension de cette crise multiforme et sont incapables d’y faire face (Nations Unies, 2022[1]). Les températures mondiales sont en passe d’augmenter de 2.8o C d’ici la fin du siècle. Parallèlement, 54 pays en développement se trouvent en situation de surendettement ou sont exposés à un tel risque, tandis que la flambée de l’inflation et le rétrécissement de la marge de manœuvre budgétaire continuent d’entraver les investissements en faveur de la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD).

Notre système actuel de coopération pour le développement est tout bonnement incapable de relever ce défi. Malgré quelques évolutions positives, dont l’émission de 650 milliards USD de droits de tirage spéciaux, les pays en développement sont confrontés à un endettement insoutenable et à une crise de liquidité. L’aide publique au développement (APD) est loin d’être suffisante et reste bien en deçà des engagements pris il y a plusieurs dizaines d’années. Si l’APD apportée aux pays les plus vulnérables est en hausse depuis la pandémie, cette augmentation repose essentiellement sur l’octroi de prêts. En 10 ans, le service total de la dette extérieure des pays les moins avancés a plus que triplé et devrait s’élever à 43 milliards USD en 2022. Dans de telles circonstances, l’octroi de prêts peut être contre-productif et se traduire par un accroissement du risque de surendettement, ce qui nuit à la capacité des pays d’investir dans le développement durable et la résilience à long terme1.

En cette période de vulnérabilités asymétriques, il est également impératif que nous coordonnions nos efforts pour investir mondialement et protéger localement, tout en veillant à ne pas détourner l’APD des besoins de développement à long terme.  
        

La mobilisation de davantage de ressources au titre de l’APD et l’exigence d’une plus grande concessionnalité dans les prêts octroyés sont autant de mesures qui vont dans le bon sens. Pour autant, en cette période de vulnérabilités asymétriques, il est également impératif que nous coordonnions nos efforts pour investir mondialement et protéger localement, tout en veillant à ne pas détourner l’APD des besoins de développement à long terme. Nous devons améliorer la planification stratégique et canaliser davantage de financements ex ante vers le renforcement de la résilience afin de protéger les pays vulnérables et les populations les plus exposées aux effets néfastes des chocs qui menacent les vies et les moyens de subsistance. Ces efforts doivent s’accompagner d’une approche concertée permettant une restructuration et un allégement immédiats de la dette. Le Secrétaire général des Nations Unies a appelé au rétablissement de l’Initiative de suspension du service de la dette et à son élargissement aux pays à revenu intermédiaire qui sont vulnérables, ainsi qu’à la réorientation de tous les droits de tirage spéciaux inutilisés vers les pays dans le besoin.

L’apport d’un soutien amélioré au renforcement de la résilience en vue de préserver les vies et les moyens de subsistance requiert une meilleure planification stratégique au niveau des pays en développement et de leurs partenaires. Les Nations Unies montrent la voie dans ce domaine avec le repositionnement de leur système de développement. Grâce au système redynamisé de coordonnateurs résidents qui rendent directement compte au Secrétaire général et sont assistés d’une nouvelle génération d’équipes-pays dans le monde entier, nous sommes désormais mieux à même de fournir des réponses collectives face aux vulnérabilités nationales et d’assurer l’exercice de la redevabilité sur le terrain à l’échelle du système, à l’appui des ODD.

Pour autant, nous devons aller encore plus loin. Pour réaliser les ODD et favoriser des résultats durables, les partenaires internationaux doivent mener une réflexion plus stratégique sur les modifications à apporter au système financier mondial pour répondre aux exigences de notre époque. Le programme de Bridgetown énonce de nombreuses recommandations importantes, visant notamment à élargir les opérations d’allégement de la dette et l’accessibilité des financements concessionnels aux pays à revenu intermédiaire qui sont vulnérables ; à ajouter dans tous les contrats de dette de clauses de force majeure, notamment en cas de pandémie ; et à veiller à l’alignement des investissements sur les ODD au niveau des pays. Ces recommandations démontrent les efforts supplémentaires que les partenaires au développement peuvent déployer pour faire face à l’ampleur des enjeux actuels, tout en faisant en sorte que le système économique mondial devienne plus équitable et plus apte à encaisser les chocs. D’autres mesures devraient être envisagées, parmi elles l’adoption d’indicateurs allant au-delà du produit intérieur brut et la prise en compte de la vulnérabilité dans les politiques et pratiques de coopération pour le développement.

Les partenaires au développement peuvent déployer des efforts supplémentaires pour faire face à l’ampleur des enjeux actuels, tout en faisant en sorte que le système économique mondial devienne plus équitable et plus apte à encaisser les chocs.  
        

À l’avenir, trois grands axes se dessinent pour assurer une coopération pour le développement ciblée, éclairée par les risques et résiliente : 1) renforcer la protection sociale et investir dans la création d’emplois décents, 2) renforcer l’adaptation au changement climatique et 3) tirer parti de la transformation numérique.

  1. 1. Forts des enseignements tirés de la crise du COVID-19 et en anticipation des crises et des transitions futures, nous devons investir dans la protection sociale universelle et la création d’emplois décents, deux leviers essentiels pour absorber les chocs et favoriser une croissance inclusive. L’Accélérateur mondial pour l’emploi et la protection sociale pour des transitions justes mis en place par les Nations Unies fournit un cadre cohérent pour mener des actions et apporter des solutions à court et à long terme.

  2. 2. La coopération pour le développement doit intensifier ses efforts pour aider les pays les plus vulnérables à faire face à la crise climatique. Faisant fond sur les récentes avancées de la COP 27, en particulier en matière de pertes et de préjudices, nous devons intégrer la résilience au changement climatique dans la coopération pour le développement et tenir les engagements pris en matière de financement de l’action climatique, tout en rapprochant celui-ci du financement du développement, compte tenu de la nécessité d’accélérer des transitions justes pour tous. Dans les 10 années à venir, par exemple, des milliards de dollars devront être mobilisés pour permettre à l'Afrique subsaharienne de se protéger de catastrophes climatiques. À cet égard, le Secrétaire général des Nations Unies continuera de plaider en faveur d’un programme de relance des ODD de grande envergure afin de mobiliser les financements nécessaires à grande échelle pour investir dans le développement durable.

  3. 3. La pandémie a accéléré la transformation numérique grâce à des plateformes d’apprentissage en ligne plus efficaces, à des systèmes de commerce électronique et d’approvisionnement en ligne renforcés et d’autres technologies numériques innovantes. Nous devons favoriser les interventions numériques aux niveaux national et mondial, en particulier celles qui s’attaquent aux vulnérabilités multidimensionnelles et renforcent la résilience.

La prochaine Réunion de haut niveau du Forum pour la coopération en matière de développement du Conseil économique et social, qui se tiendra les 14 et 15 mars 2023, sera l’occasion d’aborder ces thèmes cruciaux. À condition qu’il existe un réel engagement en faveur du changement et une véritable volonté politique, les grands rendez-vous à venir tels que le Sommet sur les ODD et le Dialogue de haut niveau sur le financement du développement en 2023 pourront, et devront, dessiner une trajectoire concrète et réalisable pour une coopération pour le développement adaptée aux objectifs poursuivis et mise au service de ceux qui en ont le plus besoin – aujourd’hui comme demain.

Références

[1] Nations Unies (2022), Global impact of the war in Ukraine: Billions of people face the greatest cost-of-living crisis in a generation, https://news.un.org/pages/wp-content/uploads/2022/06/GCRG_2nd-Brief_Jun8_2022_FINAL.pdf?utm_source=United%20Nations&utm_medium=Brief&utm_campaign=Global%20Crisis%20Response.

[3] UN (s.d.), « Integrated national financing frameworks », web page, https://www.un.org/development/desa/financing/what-we-do/other/integrated-national-financing-frameworks (consulté le 21 décembre 2022).

[2] UN General Assembly (1970), International Development Strategy for the Second United Nations Development Decade, A/RES/25/2626, United Nations, New York, NY, http://www.un-documents.net/a25r2626.htm.

Note

← 1. Voir l’article intitule Soaring debt burden jeopardizes recovery of least developed countries, https://unctad.org/topic/least-developed-countries/chart-march-2022.

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