5. Point de vue : Le secteur de l’aide est-il raciste ?

Sarah Champion
députée britannique
Présidente de la Commission du développement international de la Chambre des communes
Royaume-Uni

Le secteur de l’aide est-il raciste ? Cela faisait plusieurs années que je réfléchissais à cette question. C’est toutefois après l’ouverture par la Commission du développement international de la Chambre des communes, que je préside, d’une enquête sur les atteintes sexuelles dans le secteur de l’aide et face aux signalements répétés d’atteintes à caractère raciste à l’encontre de travailleurs humanitaires et de bénéficiaires que nous nous sommes sentis dans l’obligation d’agir. En mars 2021, nous avons ouvert une nouvelle enquête en vue de comprendre la nature et la prévalence du racisme dans le secteur et d’étudier les voies possibles pour faire en sorte que ce dernier devienne plus inclusif.

Les témoignages que nous avons entendus ont confirmé que la structure du secteur de l’aide repose sur un déséquilibre des pouvoirs fondamental. Trop souvent, les décisions relatives aux financements et à l’action publique sont prises dans les bureaux de grandes organisations dirigées par des Blancs de pays de l’hémisphère nord, alors que la majorité des programmes d’aide sont mis en œuvre dans des pays à faible revenu de l’hémisphère sud. Ces structures de pouvoir, nous a-t-on dit, sont des vestiges du colonialisme et les mêmes idées paternalistes sous-tendent la représentation courante selon laquelle les populations touchées auraient besoin d’être « sauvées ».

L’idée répandue selon laquelle les pays à revenu élevé sont à la fois les mieux placés pour aider les populations des pays à faible revenu et les moins susceptibles d’assurer une mauvaise gestion des ressources financières ne peut être considérée que comme ancrée dans le racisme, et non dans les faits. La qualification « à risque » est souvent attribuée aux organisations locales, alors que tout indique que l’octroi aux organisations non gouvernementales internationales d’un rôle d’intermédiaire entre les pays donneurs et les organisations locales n’est pas synonyme d’utilisation efficace des ressources. Cette approche prive en effet les communautés locales d’un droit de parole dans les décisions qui les concernent, ce qui a conduit à des décisions de financement inadaptées et à une relation de dépendance forcée plutôt qu’à une autonomisation durable.

L’idée répandue selon laquelle les pays à revenu élevé sont à la fois les mieux placés pour aider les populations des pays à faible revenu et les moins susceptibles d’assurer une mauvaise gestion des ressources financières ne peut être considérée que comme ancrée dans le racisme, et non dans les faits.  
        

La décision du gouvernement britannique de réduire les dépenses de l’aide internationale pour qu’elles représentent non plus 0.7 % mais 0.5 % du revenu national brut en est la parfaite illustration. Au cours de notre enquête, nous avons appris que cette réduction avait été opérée sans la moindre consultation ou presque avec les partenaires chargés de la mise en œuvre ou les communautés touchées. Un témoin nous a dit que cette réduction des dépenses avait provoqué l’abandon forcé de programmes de distribution de contraception à des communautés locales, privant ainsi les femmes du pouvoir de prendre des décisions concernant leur santé et leur fécondité, sans semble-t-il se préoccuper des conséquences à plus long terme.

Pour remédier à ce déséquilibre, les ressources et le pouvoir de décision doivent être transférés aux communautés locales. Il n’est pas possible de prendre des décisions concernant les dépenses d’aide sans consulter les personnes visées. Ça n’est pas seulement une question de principe. Les programmes qui sont dissociés des préoccupations des communautés qu’ils touchent ont également moins de chances d’être efficaces. Dans notre rapport sur le racisme dans le secteur de l’aide1, publié en juin 2022, la Commission appelle le ministère des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement du Royaume-Uni à rectifier le déséquilibre des pouvoirs en augmentant les fonds alloués aux organisations de la société civile sous direction locale et à lever les obstacles auxquels ces organisations sont confrontées en matière d’obtention de financements, à commencer par l’obligation de soumettre les demandes de financement en anglais.

Les discriminations à l’égard de personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) travaillant dans le secteur de l’aide sont monnaie courante. Un sondage réalisé auprès de travailleurs humanitaires, qui a été présenté à titre de preuve dans notre enquête, a révélé qu’au cours de l’année écoulée, la moitié des personnes interrogées qui s’identifiaient comme appartenant à une minorité raciale ou ethnique avaient été victimes de racisme dans le cadre de leurs fonctions. Les conseils d’administration et les postes de direction des organisations non gouvernementales sont majoritairement occupés par des Blancs, les femmes de couleur étant particulièrement sous-représentées aux postes de direction, tandis que la plupart des postes de prestation de services de première ligne sont occupés par des effectifs PANDC. L’écart de rémunération entre les groupes ethniques (à savoir la différence de rémunération entre les effectifs blancs et les PANDC) demeure elle aussi problématique. Dans notre rapport, nous recommandons que les organisations d’aide qui comptent plus de 50 salariés soient tenues de publier des données sur leurs écarts de rémunération en fonction de l’origine ethnique. Sans données claires et complètes pour illustrer l’ampleur du problème, il nous est impossible de commencer à nous y attaquer.

Les témoignages que nous avons entendus donnent à penser que certains acteurs du secteur de l’aide sont non seulement incapables de faire face à la réalité du racisme, mais n’en ont aussi pas la volonté. La directrice exécutive d’une organisation non gouvernementale basée en Afrique de l’Est nous a dit que des donneurs avaient inscrit son organisation sur une « liste noire » après qu’elle avait fait part de ses expériences de racisme dans le secteur. S’il ne fait aucun doute que la plupart des travailleurs du secteur de l’aide ont de bonnes intentions et que nous pouvons respecter l’excellent travail qu’ils accomplissent, il faut reconnaître que le racisme persiste dans la culture et la structure du secteur.

Notre enquête nous a obligés à remettre en question nos perceptions du secteur et nos propres pratiques de travail, y compris le langage que nous utilisons pour décrire les personnes qui accèdent à l’aide.  
        

Notre enquête nous a obligés à remettre en question nos perceptions du secteur et nos propres pratiques de travail, y compris le langage que nous utilisons pour décrire les personnes qui accèdent à l’aide. Des mesures concrètes visant à intégrer des approches diverses, à se mettre à l’écoute des communautés touchées et à favoriser l’accès de membres du personnel local aux postes de direction sont autant de pas qui vont dans le bon sens. Pour autant, ce n’est qu’en faisant face aux vérités dérangeantes sous-jacentes que nous pourrons véritablement amorcer le démantèlement des structures de pouvoir racistes.

Le secteur de l’aide est-il raciste ? Je vous laisserai vous faire votre propre opinion.

Mentions légales et droits

Ce document, ainsi que les données et cartes qu’il peut comprendre, sont sans préjudice du statut de tout territoire, de la souveraineté s’exerçant sur ce dernier, du tracé des frontières et limites internationales, et du nom de tout territoire, ville ou région. Des extraits de publications sont susceptibles de faire l'objet d'avertissements supplémentaires, qui sont inclus dans la version complète de la publication, disponible sous le lien fourni à cet effet.

© OCDE 2023

L’utilisation de ce contenu, qu’il soit numérique ou imprimé, est régie par les conditions d’utilisation suivantes : https://www.oecd.org/fr/conditionsdutilisation.