7. Fragilité, crises et aide humanitaire de la Belgique
La première section de ce chapitre est consacrée aux efforts déployés par la Belgique pour s’engager dans les contextes de fragilité, de conflit ou de crise. Elle étudie ses stratégies et directives politiques pour guider l’action menée dans ces contextes, évalue la cohérence des programmes, leur capacité à traiter les principaux déterminants de la fragilité, des risques de conflit et de catastrophe, et à répondre aux besoins des femmes et personnes les plus vulnérables. Puis, elle détermine si les systèmes, les processus et les personnes œuvrent ensemble avec efficacité et efficience pour réagir face aux crises.
Une deuxième section est consacrée aux efforts de la Belgique pour donner corps aux Principes et bonnes pratiques pour l’aide humanitaire. Elle examine les stratégies et directives politiques en matière d’aide humanitaire, l’efficacité des programmes humanitaires de la Belgique – notamment s’ils ciblent les risques les plus graves pour la vie et les moyens d’existence – et évalue si les stratégies retenues et les partenariats contribuent au déploiement d’une aide de qualité.
L’approche belge dans le domaine de la fragilité et des urgences repose sur une longue expérience d’engagement dans les contextes fragiles, un cadre institutionnel révisé pour améliorer sa flexibilité et sa réactivité, et le renforcement de la cohérence pangouvernementale et la gestion des risques. Cette mise en adéquation du système de l’aide publique au développement (APD) belge aux défis spécifiques de la fragilité et de la mise en œuvre de l’approche dite « du Nexus » (c’est-à-dire, visant à renforcer les liens entre les domaines humanitaire, du développement et de la paix) a mobilisé l’ensemble des acteurs concernés pendant plusieurs années. Capitaliser sur ces investissements nécessitera d’approfondir, de consolider et de diffuser les acquis dans les années à venir.
Au sein des instances multilatérales, la Belgique fait valoir son expertise géographique et thématique en matière de fragilité pour défendre des propositions en faveur de la prévention des conflits, la sécurité humaine, le respect des droits humains, et l’attention spécifique aux groupes les plus vulnérables. Elle se distingue également par une approche stratégique équilibrée en matière de migrations et de déplacements forcés, cohérente avec sa politique étrangère d’ensemble, ainsi que par l’intérêt qu’elle a porté ces dernières années aux approches innovantes dans le domaine humanitaire et à l’inclusion du secteur privé dans les contextes fragiles et de crise.
Bien que la Belgique ait mis l’accent sur des thématiques claires et pertinentes au regard de l’agenda de la fragilité, ces choix n’apparaissent pas toujours de façon limpide au niveau du financement et de la programmation. Ainsi, l’analyse préalable à la définition des orientations programmatiques pays en matière de prise en compte du genre nécessiterait d’être étayée pour permettre l’articulation d’interventions plus ciblées dans ce domaine. Un décalage similaire entre vision et moyens est visible dans les domaines de la consolidation de la paix, la prévention des conflits et la réforme onusienne de la paix et de la sécurité, tous chers à la Belgique et pourtant peu financés.
La Belgique est un acteur humanitaire très apprécié, tant pour son plaidoyer stratégique au sein d’instances telles que le Conseil de sécurité que pour ses efforts pour assurer un financement flexible, prévisible et en accord avec ses convictions. L’écart croissant entre le budget humanitaire et les effectifs pose un sérieux risque de réputation.
Cadre stratégique
La Belgique agit en faveur de la paix sur le plan international
La politique étrangère de la Belgique et son engagement en faveur de la paix et de la stabilité mettent l'accent sur le rôle moteur de l'Union européenne dans ces domaines en s’assurant que les crises oubliées et les conflits en cours figurent à l'ordre du jour de l'Union, et en plaidant pour que les autres donateurs restent engagés dans les contextes de fragilité. En République démocratique du Congo comme dans d’autres pays et territoires partenaires, les délégations belges s’engagent activement dans le dialogue européen pour mettre en œuvre l’approche du Nexus et la programmation conjointe européenne (Royaume de Belgique, 2020[1]) Au Burkina Faso, la Belgique s’implique aux côtés de l’Union européenne au sein de la « Troïka des bailleurs » et dans l’Equipe humanitaire pays, notamment sur la concrétisation du Nexus. De manière similaire, au Mali, la Belgique a joué un rôle d’appui stratégique aux côtés de l’Union européenne pour revitaliser la coordination et la cohérence entre les partenaires techniques et financiers membres de l’Union européenne et de même sensibilité pour la période 2020-24.
L’action belge en faveur de la paix et de la Politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne se traduit également par un engagement programmatique conséquent dans le secteur de la sécurité. Ainsi, Enabel exécute des projets dans le domaine de la sécurité pour le compte de l’Union Européenne, parfois en collaboration avec la Police Fédérale belge.1
En 2020, la Belgique est pour la sixième fois élue membre du Conseil de sécurité des Nations Unies au nom du Groupe des États d’Europe occidentale et autres (WEOG). Dans le contexte de son mandat actuel, la Belgique s’est fixé comme priorités thématiques la prévention des conflits, la protection des civils et la performance des missions onusiennes (Chapitre 1). Elle y fait également valoir sa connaissance du terrain, notamment en Afrique centrale, au Sahel et au Moyen-Orient, pour défendre des positions sensibles à la sécurité humaine, aux droits humains et au respect du droit international humanitaire (SPF Affaires étrangères, 2020[2]).
La cohérence de l’engagement dans les contextes fragiles repose sur un cadre solide
Dans la continuité de la note stratégique et des orientations pour les situations de fragilités (DGD, 2013[3]), la Belgique a développé une approche globale, visant à appuyer une politique étrangère cohérente et efficace pour répondre aux crises (Encadré 7.1). Reposant sur un mécanisme ad hoc de l'ensemble du gouvernement, elle est formalisée dans une note stratégique (SPF Affaires étrangères, 2017[4]), dont le Conseil des ministres a fortement promu la mise en œuvre depuis 2017. L’approche s’appuie sur des efforts préexistants de coordination « 3D-LO »2 au sein de l’administration belge entre cinq ministères et services publics fédéraux (Affaires étrangères, Développement international, Défense, Justice et Affaires intérieures), en étendant la coordination à des domaines complémentaires. Elle établit également un comité de pilotage et la possibilité de créer des taskforces de coordination autour de priorités géographiques ou thématiques d’intérêt commun (Chapitre 4).
De plus, la Belgique a poursuivi ses efforts pour concentrer son engagement bilatéral autour d’enjeux et de contextes géographiques liés à la fragilité (Chapitres 2 et 3), et s’est dotée d’un service dédié aux crises prolongées et à la fragilité. Ainsi, parmi les 14 pays et territoires partenaires actuels de la Belgique, 11 sont repris dans le Cadre 2018 de l’OCDE sur la fragilité.
Depuis l’adoption de la note stratégique sur l’approche globale, la Belgique a mis en place neuf taskforces qui s’y rapportent, notamment dédiées au Sahel, aux Grands-Lacs, et aux crises syrienne et irakienne. Ces taskforces sont généralement composées de responsables des services publics fédéraux et cabinets ministériels précédemment impliqués dans l’approche « 3D-LO ». Des représentants d’autres services publics sont invités à participer en fonction des questions traitées, telles que les préparatifs de missions économiques et commerciales.
Mobilisées sous l’impulsion des chefs de postes, ces taskforces offrent un cadre intégré pour la coordination de l’appui interdépartemental apporté par Bruxelles dans les pays concernés. Elles permettent par exemple d’apporter au terrain la position commune belge sur un sujet ou d’autres types d’orientations ou d’appui demandés. Certaines taskforces ont pour objet une thématique, comme la gestion des ressources naturelles, plutôt qu’une zone géographique.
Le Mali illustre pleinement le potentiel du mécanisme de l’approche globale. La coordination entre la taskforce Sahel et le poste à Bamako a permis de renforcer les synergies entre les volets diplomatie, défense et développement, notamment à travers la réorientation partielle du programme de développement en articulation avec des problématiques de stabilisation identifiées conjointement par l’attaché diplomatique et des représentants d’institutions partenaires.
À ce stade, l’exemple du Mali reste cependant une exception en termes d’impact sur les programmes : la plupart des autres taskforces répondent davantage à un besoin de coordination interdépartementale au niveau du Siège qu’aux enjeux stratégiques établis par le terrain. Le comité de pilotage mis en place pour chapeauter les taskforces semble encore peu intervenir pour centraliser et rediffuser l’information, et pour assurer l’apprentissage collectif entre les taskforces. Par ailleurs, les taskforces pourraient bénéficier d’une meilleure intégration des acteurs de la société civile dans les discussions.
Source : entretiens conduits dans le cadre de l’examen par les pairs.
Une prise en compte des phénomènes de migration et déplacements forcés cohérente avec l’attention portée à la fragilité
Avec la création d’une direction chargée des questions de migrations, la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD) s’est dotée d’une approche de plaidoyer et d’influence sur les liens entre développement et migrations fondée sur des données probantes. Cette nouvelle direction assure également des réunions de coordination des politiques belges en matière d’asile et de migration.
La Belgique s’est engagée à promouvoir et assurer sa propre mise en œuvre du Cadre global d'intervention pour les réfugiés et du Pacte mondial pour les réfugiés dans son dialogue avec les partenaires stratégiques, ainsi que dans tous les organes de gouvernance dont elle fait partie (Chapitre 1). Avec l'aide du Fonds européen d'asile, de migration et d'intégration, elle a également assuré l’augmentation du nombre de personnes prises en charge à travers son programme de réinstallation structurelle au cours de ces dernières années. Entre 2013 et fin 2019, elle a réinstallé près de 3 300 réfugiés vulnérables. La Belgique prévoit de poursuivre son engagement en la matière.
L’approche volontariste de la Belgique en matière des thématiques de migration et de déplacements forcés se reflète aussi à travers le choix de ses partenaires multilatéraux, comprenant notamment l’Organisation Internationale des migrations (OIM) et le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR). Les programmes bilatéraux d’appui à des personnes en situation de déplacement forcé et leurs communautés d’accueil en Uganda et en Tanzanie illustrent également cette attention prioritaire.
En se dotant d’orientations sur l’articulation conceptuelle et programmatique entre sa stratégie en matière de migrations et les notes stratégiques « fragilité » et « climat », la Belgique serait mieux à même d’articuler la prise en compte complémentaire de ces thématiques dans les principaux contextes fragiles où elle s’engage.
La part de l’aide allouée à la prévention est faible
Tout comme l’APD belge dans son ensemble, le financement de la part dédiée aux contextes fragiles est resté à un niveau relativement stable depuis les réductions budgétaires successives entre 2010 et 2015 (Graphique 7.1). La part de l’APD consacrée à l’assistance humanitaire a, quant à elle, fortement augmenté entre 2015 et 2018 (Section 7.B), suivant ainsi la tendance à la hausse des besoins humanitaires globaux. En revanche, malgré l’attention portée par la Belgique aux questions de consolidation de la paix et de prévention des crises, la part de l’APD réservée à ces efforts reste relativement faible. L’établissement d’un nouvel instrument d’appui au développement transitionnel est un pas vers une attention stratégique et financière accrue dans ce domaine. Cependant, à ce jour, l’instrument n’a mené qu’à un appel à projets unique de 12 millions EUR en 2018. En effet, il ne dispose pas d’une ligne budgétaire propre, ce qui rend son exploitation dépendante d’affectations discrétionnaires. Si ce domaine d’intervention est une priorité pour la Belgique, il serait opportun qu’elle l’ancre dans une démarche stratégique et y associe un mode de financement plus pérenne.
Efficacité de la conception des programmes et des instruments
L’approche globale, sensible à la fragilité, se reflète encore peu dans la programmation au niveau pays
Les portefeuilles d’intervention pays actuels restent concentrés sur la coopération au développement, en s'alignant dans une certaine mesure sur la stratégie de développement du pays ou territoire partenaire (Chapitre 5). En revanche, dans leur ensemble, les documents pays ne permettent pas d’identifier comment la Belgique entend mobiliser toutes les parties prenantes de son administration publique (notamment la diplomatie, le développement, la défense et l’action humanitaire) autour d’objectifs communs pour réduire les risques et les vulnérabilités dans les contextes de fragilité. En l’absence d’un tel cadre de résultats partagé dans la plupart des pays, la Belgique n’est pas non plus à même de mesurer la contribution et l’efficacité de son approche globale (Chapitre 5). L’établissement d’objectifs communs de l’engagement de la Belgique dans les contextes fragiles devrait s’appuyer sur une théorie du changement et un choix réaliste d’indicateurs, adaptés au contexte (Chapitre 6).
FRAME, un outil prometteur pour renforcer les analyses de contexte conjointes
Consciente de l’importance de son ciblage des pays les moins avancés (PMA) et des contextes fragiles, la Belgique identifie la gestion des risques programmatiques et l’atteinte des résultats dans les contextes fragiles comme un enjeu clé de sa coopération bilatérale (Chapitre 6). Afin de renforcer son impact dans les contextes fragiles, la Belgique a développé un outil d’analyse multidimensionnelle et de gestion des risques et opportunités, intitulé FRAME (Fragility Resilience Assessment Management Exercise) (Encadré 7.2). Cet outil a été mobilisé au Mali afin que les principales parties prenantes belges s’accordent sur une compréhension commune du contexte dans la phase initiale de la planification. En maintenant et renforçant l’utilisation de cet outil dans le temps, la DGD pourra s’assurer de sa meilleure appropriation par tous les acteurs concernés. À cet égard, l’analyse des risques et des opportunités avec la méthode FRAME pourrait servir de porte d’entrée pour une identification plus systématique de solutions à ces défis durant les différentes phases du cycle de programmation3 notamment via des scénarios de contingence (voir section suivante).
Une méthodologie d’analyse des risques et opportunités en contextes de fragilité
FRAME permet d'évaluer et de gérer les risques et les opportunités opérationnels dans des contextes fragiles. Cet outil développé à la demande de la DGD par le groupe de recherche ACROPOLIS, a notamment vocation à servir d’outil souple et adaptable pour le suivi du contexte et l'identification des priorités programmatiques. Le document s’appuie sur le cadre de fragilité multidimensionnel établi par le Comité d’aide au développement (CAD). Il propose quatre questions sur l’identification et la prise en compte des principaux risques et opportunités concernant l’atteinte des résultats des interventions.
Quels efforts pour renforcer l’ancrage institutionnel de l’outil FRAME ?
La Belgique a constaté le besoin d’harmoniser les analyses de risques en contextes de fragilité entre les parties prenantes belges. En effet, l’assistance technique belge dans des contextes fragiles implique des acteurs institutionnels variés, allant d’institutions académiques à la police fédérale, qui s’appuient sur des méthodologies d’analyse des risques différentes et opérant à différents niveaux : contextuel, fiduciaire, réputationnel, sectoriel et autres.
Pour ce faire, la Belgique a établi une taskforce « Analyse et gestion des risques » début 2019, dont les objectifs, le fonctionnement et l’ancrage institutionnel s’articulent autour de son « approche globale » afin d’harmoniser les approches à l’analyse des risques, en prenant comme base la méthodologie FRAME. Cette taskforce s’est donné comme objectif initial de mener un exercice pilote au Mali, comprenant l’appui par des chercheurs à l’application de FRAME au contexte malien, la formation du personnel, ainsi que l’établissement de leçons apprises.
Source : Vervisch (2017[6]), Fragility Resilience Assessment Management Exercise (FRAME) – Analysing Risks and Opportunities.
La lutte contre les violences faites aux femmes, un thème important du plaidoyer belge
La prise en compte des questions de genre dans les contextes fragiles se reflète notamment par une attention à la lutte contre les violences faites aux femmes. En 2016, la Belgique a adopté son troisième plan d’action quadriennal « Femmes, Paix et Sécurité », qui stipule clairement comment elle entend promouvoir cette question au niveau international et l’intégrer dans les actions belges en matière de conflits, paix et sécurité. Au Mali, par exemple, la Belgique a récemment financé un programme d'appui à la mise en œuvre de la résolution des Nations Unies 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité, qui s’inscrit dans la continuité d’autres projets financés au Burundi et en République démocratique du Congo. Malgré sa pertinence dans les contextes fragiles, l’objectif d’une intégration structurelle de la dimension genre se traduit cependant encore peu au niveau des outils analytiques qui orientent les stratégies, politiques et actions (Chapitre 2). Une prise en compte plus approfondie des aspects sexospécifiques et de diversité lors de l’analyse initiale du contexte favoriserait une approche programmatique plus ciblée dans ce domaine.
Efficacité des modalités de mise en œuvre et des partenariats
La flexibilité programmatique est peu exploitée dans les scénarios de contingence
Les récents changements dans le cadre institutionnel régissant la coopération au développement de la Belgique ont le potentiel de renforcer la cohérence entre la vision stratégique à long terme et les cycles de programmation à court et moyen terme dans les contextes fragiles. En effet, le nouveau cadre de programmation consiste en des projets inscrits dans les portefeuilles pays d’Enabel établis pour cinq ans, eux-mêmes articulés autour de stratégies de coopération valables pour une plus longue période. Ainsi, les portefeuilles pays apportent un cadre stratégique intermédiaire qui pourrait permettre d’inscrire des cycles de projets plus courts, donc plus flexibles, dans une vision de long terme (Graphique 7.2), ce qui garantit la pertinence stratégique de l’engagement belge dans chaque contexte fragile. De plus, les nouveaux portefeuilles pays d’Enabel comprennent une enveloppe flexible, permettant une certaine agilité pour apporter des modifications programmatiques en réponse aux imprévus durant leur période d’exécution quinquennale dans le respect des objectifs initialement fixés (Encadré 4.1). Cette flexibilité accrue s’est illustrée en 2020 à travers le financement rapide qu’Enabel a octroyé à divers acteurs impliqués dans l’appui institutionnel au système de santé nigérien pour la riposte à l’urgence COVID-19, dans le cadre de l’initiative « Team Europe » de l’Union européenne.
En revanche, les scénarios de contingence identifiés durant l’analyse initiale du contexte sont peu pris en compte lors de l’établissement des portefeuilles d’intervention. Le portefeuille pays d’Enabel au Burkina Faso 2019-23 (Enabel, 2018, p. 32[7]) illustre ce constat : il anticipe avec pertinence la détérioration de la situation sécuritaire dans les zones rurales de la région Centre-Est, où Enabel prévoit de concentrer une partie importante de son intervention. Cependant, il ne fixe pas d’orientations concrètes permettant de réajuster la programmation lorsque les risques identifiés se matérialisent, empêchant ainsi le recours à des procédures administratives standard. En conséquence, la Belgique se prive d’une opportunité pour améliorer son agilité et sa réactivité face aux risques prévisibles.
Une sous-exploitation du potentiel des partenaires à double mandat
Les canaux de financement compliquent l’exploitation du potentiel des partenaires avec un double mandat d’assistance humanitaire et de développement en faveur du Nexus et de la résilience. Actuellement, l’approche belge en matière de résilience se traduit par des activités spécifiques de réduction des risques de catastrophe afin de protéger les moyens de subsistance en cas de choc et visant à rendre les systèmes de production alimentaire plus résistants et plus aptes à absorber l'impact des crises. Cependant, l’APD belge, organisée par canaux de financement et partenariats distincts4, laisse peu de possibilités pour financer d’autres types de projets de partenaires bilatéraux et multilatéraux se situant à la croisée entre les activités humanitaires, de développement et de protection de la paix. Les possibilités sont également réduites pour basculer d’une approche de développement vers une réponse d’urgence en cas de nouvelles crises.
Dans certains cas, ce fonctionnement en silos au sein de la DGD se traduit en une divergence interne d’approches concernant l’exploitation de l’approche du Nexus. Au Burkina Faso, par exemple, il a finalement été décidé de ne pas adapter la programmation de développement d’Enabel pour renforcer la résilience des personnes nouvellement déplacées dans les zones d’intervention de l’agence, mais plutôt de laisser cette tâche aux acteurs humanitaires. Cet exemple souligne la nécessité de renforcer la compréhension commune des avantages comparatifs des différentes modalités d’exécution et des différents types d’intervention dans une logique de renforcement des liens entre humanitaire, paix et développement.
Les défis d’articulation programmatique à la jonction entre humanitaire et développement se manifestent également au niveau du financement d’organisations multilatérales actives dans les contextes d’urgences prolongées. Celles-ci se voient astreintes, pour des raisons propres aux canaux de financement belges, à un « label » d’agence humanitaire ou de développement, souvent perçu comme un carcan inadapté aux réalités complexes des contextes de crise et de fragilité. Plusieurs partenaires désireraient donc pouvoir plus souvent faire appel à un éventail plus large de canaux de financement belges selon les situations.
Renforcer le Nexus à travers le multilatéralisme
Le multilatéralisme est un instrument clé de la politique étrangère belge dans les contextes fragiles. La Belgique est notamment un important défenseur d'une action extérieure européenne commune et de la programmation conjointe (Chapitre 5). L’importance accordée au multilatéralisme se reflète également dans l’engagement du pays dans les instances de gouvernance et dans les ressources importantes qu’elle accorde aux institutions multilatérales : en 2018, elle a canalisé 33 % de son APD dans les contextes fragiles par le biais de contributions à différents fonds communs et du financement aux budgets centraux de ses partenaires multilatéraux. La Belgique considère que les fonds communs sont particulièrement utiles dans les États fragiles et pour le renforcement des institutions. Elle finance également de façon substantielle et régulière les fonds communs basés dans les pays, comme en République démocratique du Congo ou au Soudan du Sud, et veille à participer activement à leurs organes de gouvernance. En revanche, la Belgique contribue de manière irrégulière au Fonds de consolidation de la paix des Nations Unies et ne contribue pas au Fonds d'affectation spéciale du système des Coordonnateurs résidents, destiné à mieux coordonner les efforts onusiens sur le terrain, ainsi que l’ensemble des partenaires, dans une logique conforme à l’approche du Nexus. Par ailleurs, elle ne mobilise pas pleinement les acteurs multilatéraux à double mandat (section précédente).
Poursuivre l’attention portée aux ressources humaines pour mettre en œuvre le Nexus
Les acteurs de la coopération belge ont déployé d’importants efforts ces dernières années pour adapter leur fonctionnement et compétences aux spécificités opérationnelles des contextes de fragilité. Ainsi, afin de renforcer les liens entre diplomatie et développement, la Belgique a transformé en 2018 ses bureaux de développement au Mali, au Niger, au Bénin et en Guinée en ambassades à part entière. Cette présence accrue de la diplomatie belge dans de tels contextes facilite la prise en compte des facteurs de fragilité d’ordre politique et de gouvernance. En parallèle, la présence d'Enabel dans ces contextes garantit à la Belgique une capacité d'analyse d’autres dimensions de fragilité dans le cadre de sa programmation. Dans cette même logique, en 2017 et 2019, la DGD a organisé des ateliers de formation à l’utilisation de ses nouvelles approches et outils à l’usage des agents en poste et de ses partenaires sur le terrain.
Au siège, le service chargé des problématiques de prévention, de transition et de consolidation de la paix a rejoint l’équipe chargée de l’aide humanitaire au sein de l’unité D5 (Annexe C). Ce regroupement confère à D5 une place privilégiée pour mettre en lien les différentes approches, tout en assurant le respect des principes et modes opératoires de chacune.
En continuant d’établir une large base de compétences pour tous ses agents et ses partenaires opérationnels, le SPF Affaires étrangères et la DGD pourront capitaliser sur les efforts stratégiques entrepris ces dernières années dans ce domaine.
Cadre stratégique d’aide humanitaire
Acteur important de l’aide humanitaire, la Belgique dispose d’un cadre stratégique clair
La Belgique assure une approche fondée sur les principes humanitaires. Elle en est devenue un porte-parole apprécié en tant que membre élu du Conseil de sécurité des Nations Unies (Chapitre 1). Elle a par ailleurs pris des engagements ambitieux dans le contexte du Grand Bargain (Grand Bargain, 23 mai 2016[8]), qu’elle a traduits dans un plan d’action dédié dont elle assure un suivi régulier. Son engagement en faveur de l’agenda humanitaire s’exprime également dans les enceintes européennes (groupe de travail "Aide humanitaire et aide alimentaire", Comité de l'aide humanitaire) et au sein du Humanitarian Advisory Group.
La Belgique est un contributeur majeur aux Fonds communs humanitaires, lui permettant d’assurer des synergies et une flexibilité de son financement. Forte de cet engagement, et comme recommandé lors de l’examen par les pairs de 2015 (OCDE, 2015[9]), la Belgique participe désormais activement aux organes décisionnels des agences, fonds et programmes qu’elle soutient, avec une attention particulière pour l’innovation, le rôle du secteur privé et l’assistance aux groupes les plus vulnérables. Ayant assumé la Présidence du Comité exécutif du HCR, elle veille notamment à son suivi des engagements du Forum mondial sur les réfugiés.
L’établissement d’un nouveau document de planification annuel, distribué à l’ensemble de ses postes diplomatiques, contribue à assurer des orientations stratégiques claires et la prévisibilité de ses allocations humanitaires. La Belgique pourrait encore accroître la prévisibilité de son financement humanitaire en optant pour une planification sur deux ou trois ans.
Efficacité des programmes humanitaires
Le financement humanitaire de la Belgique est en augmentation
L’aide humanitaire belge est acheminée au travers des agences spécialisées des Nations Unies et des organisations non gouvernementales (ONG). Ces organisations priorisent leurs activités sur la base d’évaluations solides des besoins et de plus en plus coordonnées par des appels communs. Entre 2015 et 2018, le déboursement brut d’aide humanitaire totale de la Belgique est passé de 145 millions de dollars des États-Unis (USD) à 179 millions USD (exprimés en prix constants 2017), à l’image de l’augmentation sans précédent des besoins humanitaires mondiaux (Graphique 7.1). L’augmentation d’année en année de la contribution belge au Fonds central d’intervention d’urgence des Nations Unies reflète la même tendance. Toutefois, l’écart croissant entre le budget humanitaire et les effectifs pose un sérieux risque de réputation (Chapitre 4).
Efficacité des modalités de mise en œuvre, des partenariats et des instruments en matière d’aide humanitaire
Un financement humanitaire prévisible et flexible
Conformément aux engagements belges dans le cadre du Sommet humanitaire mondial et du Grand Bargain, plus de la moitié des financements humanitaires est octroyée de manière non affectée et sur une période d’au moins deux ans. Cette flexibilité facilite une réponse plus immédiate aux crises soudaines. Quant au financement dédié à des urgences spécifiques, la Belgique implique ses partenaires dans la sélection des contextes de crise afin d’assurer que ses choix soient au plus près des besoins effectifs.
La Belgique améliore sa localisation de l’aide
La Belgique a financé des interventions multi-annuelles visant à renforcer les capacités des acteurs humanitaires locaux. Plusieurs de ces programmes ont été refinancés en 2019. Cet appui continu permet aux acteurs humanitaires de développer des capacités d’intervention plus préventives et efficaces. La Belgique s’est engagée dans le cadre du Grand Bargain à attribuer 25 % de l’aide humanitaire à des acteurs locaux d’ici 2020. L’atteinte de cet objectif est principalement canalisée à travers son financement multilatéral – notamment les fonds communs par pays. De même, la Belgique s’est engagée à augmenter la part de son aide d’urgence acheminée selon des modalités d’assistance monétaire. Dans ce cadre, les connaissances et méthodes de travail du personnel humanitaire de la DGD ont été renforcées pour appuyer l’utilisation de l’assistance monétaire.
Des partenariats humanitaires solides, tirant parti des avantages comparatifs
La Belgique met en œuvre sa stratégie humanitaire à travers quatre mécanismes de financement, dont elle cherche à valoriser les avantages comparatifs. Son appui aux ressources générales non affectées lui permet d’appuyer des interventions d’urgence rapides et à grande échelle, et d’établir des partenariats durables. Son soutien aux fonds humanitaires internationaux lui offre un canal de financement quasi-immédiat pour des besoins prioritaires identifiés dans de nouvelles crises. Sa modalité des programmes sert de mécanisme pour un financement pluriannuel de priorités géographiques ou thématiques. Quant aux contrats de projets, ils permettent à la Belgique de répondre à court terme à des besoins d’urgence spécifiques, par exemple en réponse à des crises sous-financées ou oubliées.
Les organisations non gouvernementales belges apprécient généralement leur partenariat flexible avec la Belgique et soulignent les efforts de la DGD pour assurer un rapportage harmonisé, en conformité avec les recommandations formulées lors du dernier examen par les pairs du CAD (OCDE, 2015[9]). Les partenaires multilatéraux sont très positifs sur la qualité de leur dialogue stratégique avec la Belgique, ainsi que la part importante des contributions belges allouées sur une base pluriannuelle non affectée et flexible. Parmi les traits distinctifs de l’approche belge durant ces dernières années, figure l’intérêt porté aux approches humanitaires innovantes ou en phase expérimentale – du lancement du premier « Humanitarian Impact Bond » (instrument financier pour encourager les investissements sociaux du secteur privé dans des contextes touchés par les conflits) à l’organisation d’un hackathon humanitaire impliquant de multiples acteurs du domaine des nouvelles technologies dans la recherche de solutions innovantes en réponse aux besoins humanitaires.
Références
[3] DGD (2013), “Note stratégique pour les situations de fragilité”, SPF Affaires étrangères, Commerce extérieur, Coopération au développement, Bruxelles, https://diplomatie.belgium.be/sites/default/files/downloads/note_strategique_situations_de_fragilite.pdf.
[7] Enabel (2018), “Portefeuille Pays - Burkina Faso 2019-2023”, Agence belge de développement, Bruxelles, http://www.diplomatie.be/oda/BKF_Portefeuille_pays_def_v._30-11-2018.pdf.
[8] Grand Bargain (23 mai 2016), “The Grand Bargain: A shared commitment to better serve people in need”, Report of the Secretary-General for the World Humanitarian Summit, https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Grand_Bargain_final_22_May_FINAL-2.pdf.
[5] OCDE (2020), Système de notification des pays créanciers (base de données), OCDE, Paris, https://stats.oecd.org/index.aspx?DataSetCode=CRS1.
[9] OCDE (2015), Examens de l’OCDE sur la coopération pour le développement : Belgique 2015, Examens de l’OCDE sur la coopération pour le développement, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264242036-fr.
[1] Royaume de Belgique (2020), “DAC Nexus Advisory Group Mapping: Belgium”, Royaume de Belgique.
[2] SPF Affaires étrangères (2020), Belgium @ UNSC: Mandate of Belgium in the Security Council (2019-2020), Permanent Mission of Belgium to the UN, https://newyorkun.diplomatie.belgium.be/belgium-unsc (accessed on 20 April 2020).
[4] SPF Affaires étrangères (2017), “Note stratégique - Approche globale”, SPF Affaires étrangères. commerce extérieur et coopération au développement, Bruxelles, https://diplomatie.belgium.be/sites/default/files/downloads/note_strategique_approche_globale.pdf.
[6] Vervisch, T. (2017), “Fragility Resilience Assessment Management Exercise (FRAME) - Analysing Risks and Opportunities”, Acropolis, http://www.diplomatie.be/oda/frame_methodology.pdf.
Notes
← 1. Enabel actuellement 13 projets au niveau national dans huit pays d’Afrique et un projet régional en Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale pour un montant total de plus de 63 millions d’euros.
← 2. Defence, diplomacy, development, law and order.
← 3. Jusqu'à présent, l'outil a été testé sur le terrain dans trois pays : au Burkina Faso, en République démocratique du Congo et – de la façon la plus poussée – au Mali.
← 4. Humanitaire et développement, coopération gouvernementale et non gouvernementale.