Éditorial

Dans la publication États de fragilité 2020, l’OCDE avertissait que les contextes fragiles se trouvaient à la croisée des chemins en ce qui concerne la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Une action radicale était nécessaire pour gérer les effets de la pandémie de COVID-19 sur les individus, les communautés et les États les plus en retard. Ce moment est passé. Le monde n’a pas tenu sa promesse d'une reprise équitable et inclusive. À la fin juin 2022, seule une personne sur trois avait reçu une dose de vaccin anti-COVID-19 dans les contextes fragiles, contre trois sur quatre dans les pays de l’OCDE. La pandémie a eu des conséquences particulièrement néfastes sur la santé, l’éducation et le bien-être des femmes et des filles, et ce d'autant plus dans les contextes fragiles. Ceci est également vrai pour la protection des droits des réfugiés et des demandeurs d'asile. Le changement climatique, la perte de biodiversité et les conséquences de la guerre d'agression menée par la Russie contre l’Ukraine contribuent à une détérioration accrue du paysage mondial de la fragilité. Notre époque est caractérisée par des crises multiples, des chocs et l’incertitude. La coopération pour le développement doit être adaptée car ses actions ne conviennent plus à la portée et la complexité de la fragilité. Une nouvelle façon de penser et de nouvelles approches sont requises de toute urgence.

La fragilité est un problème planétaire qui touche encore plus durement ceux qui sont le moins capables d’y faire face. Le «Rapport 2022 sur l’état de la fragilité »’recense 60 contextes fragiles, un nombre record depuis la création du Cadre multidimensionnel de l’OCDE sur la fragilité. Parmi eux, 15 sont des contextes extrêmement fragiles. À ce jour, 24 % de la population mondiale mais 73 % des plus pauvres de la planète vivent dans des contextes fragiles. D'ici 2030, ces pourcentages alarmants s’élèveront respectivement à au moins 26 % et 86 %.

L’expérience de la fragilité est variable selon les populations. Elle est souvent synonyme de conflit et de pauvreté et pourtant, ni la sécurité physique ni la croissance économique n’est suffisante pour garantir une sortie de la fragilité. De fait, on dénombre aujourd'hui plus de contextes fragiles à revenu intermédiaire qu'à faible revenu. Sur les 60 contextes ayant été recensés comme fragiles en 2021, 51 n’étaient pas en guerre.

Le changement climatique, la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement aggravent de plus en plus la fragilité. Les contextes fragiles représentent seulement 4 % des émissions mondiales de CO2 mais subissent l’essentiel des catastrophes naturelles liées au climat. Même avant la guerre d'agression menée par la Russie contre l’Ukraine, il était projeté que l’insécurité alimentaire atteindrait des niveaux records en raison des bouleversements économiques dus à la sécheresse, à la pandémie et aux conflits. Sur les 26 zones de concentration de la faim recensées en 2022 par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, 22 sont des contextes fragiles. Il n’existe aucun doute sur le fait que s'intéresser à la fragilité permet de s'attaquer aux causes profondes de la faim et la vulnérabilité. De plus en plus de données probantes montrent que les interventions sectorielles ou les actions relevant de projets particuliers n’atteignent souvent pas leurs objectifs. Il faut, pour y remédier, se concentrer sur le caractère multidimensionnel de la fragilité et le placer au centre des stratégies des partenaires au développement.

Les membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l’OCDE sont les bailleurs les plus généreux à l’égard des contextes fragiles et sont engagés à atténuer les conséquences de la fragilité pour les femmes et les hommes vivant dans la pauvreté. L’aide publique au développement versée par l’ensemble de ces pays a atteint en 2021 un niveau record de 179 milliards USD. En 2020, leur aide aux contextes fragiles (61.9 milliards USD) était la plus élevée depuis 2006.

Les membres du CAD connaissent une crise du coût de la vie et une hausse de leurs budgets de la défense. Il est donc de plus en plus difficile de trouver des ressources pour l’APD. De nombreux membres du CAD ont fait preuve d'une générosité remarquable lors des crises récentes, mais même si l’APD reste stable, la demande explose, en particulier dans les contextes fragiles.

Le présent rapport montre combien il est important de maintenir l’aide internationale pour assurer la paix et la stabilité. Nous savons que les conflits réduisent à néant les progrès accomplis en matière de développement. Ce n’est qu’en s'attaquant de front aux causes de la fragilité que la communauté internationale parviendra à instaurer un avenir résilient et pacifique.

Nous devons adopter une perspective à long terme et prendre des engagements politiques sur plusieurs années et décennies. Nous devons éviter de nous laisser enfermer dans un cycle d'actions à court terme pour répondre aux besoins récurrents, et protéger les ressources visant à s'attaquer à une fragilité profondément enracinée et aux problèmes de développement. Nous devons aussi éviter de sombrer dans le désespoir. Investir précocement pour prévenir les conflits coûte beaucoup moins cher – financièrement et en termes de souffrance humaine – que de payer plus tard pour en réparer les conséquences.

Ce rapport et le Cadre multidimensionnel de l’OCDE sur la fragilité constituent un bon point de départ pour s'attaquer aux crises et à la fragilité en adoptant des approches multidimensionnelles plus solides ; ils aideront en outre les partenaires au développement à se frayer un chemin dans ce paysage complexe et à être plus efficaces pour aider les femmes, les enfants et les hommes vivant dans et avec la fragilité.

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Susanna Moorehead

Présidente, Comité d'aide au développement (CAD) de l’OCDE

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