Chapitre 2. Démarche proposée pour lutter contre la pollution par l'azote

Le chapitre suivant propose une démarche en trois volets permettant de faire face à la pollution azotée en préservant un rapport coût-efficacité raisonnable. Il s’agit en premier lieu de mieux maîtriser les risques de pollution de l’air, des sols et de l’eau et les risques menaçant les écosystèmes connexes au moyen d’une analyse détaillée des voies de transfert de l’azote, selon une « démarche visant les risques ciblée géographiquement ». Dans un deuxième temps, il s’agit de lutter contre l’augmentation constante des concentrations d’hémioxyde d’azote dans l’atmosphère selon une « démarche visant les risques à l’échelle mondiale ». En troisième lieu, il s’agit de prendre en considération les incertitudes qui entourent les effets de cascade et d’anticiper les impacts à long terme parfois considérables à l’aide d’une « démarche de précaution ».

    

Comme nous l’avons vu au chapitre 1, il existe des voies de transfert de l’azote propres à chaque milieu environnemental et à chaque impact relatif sur la qualité de l’eau, la qualité de l’air, l’effet de serre et la couche d’ozone, les écosystèmes et la biodiversité ainsi que la qualité des sols. La cascade de l’azote décrite au chapitre 1 « superpose » ces voies de transfert spécifiques à chaque milieu en tenant compte de la possibilité qu’un atome d’azote passe d’un milieu à l’autre et d’un impact à l’autre. Comment la politique environnementale doit-elle aborder cette problématique ?

  • Doit-elle aborder les impacts de manière distincte pour chaque milieu1 comme elle le fait dans la lutte contre les risques environnementaux ?

  • Doit-elle davantage s’appuyer sur le principe de « précaution », une dimension qui tient compte du risque et des incertitudes qui entourent le phénomène de cascade d’un milieu à l’autre et s’efforce d’anticiper les impacts parfois importants à long terme ?

Une seule forme d’azote présente une incidence mondiale, l’hémioxyde d’azote (N‏2O), qui influe à la fois sur l’évolution du climat et sur la couche d’ozone stratosphérique. Les effets de l’accumulation de N2O sont variables selon les régions mais cet enjeu ne peut être traité qu’à l’échelle mondiale, car le N2O est un gaz persistant et réparti de manière homogène dans l’atmosphère. Les autres formes d’azote sont labiles : elles se déplacent, changent de forme et se combinent facilement avec d’autres polluants. Leurs impacts sur la qualité de l’air, des sols et de l’eau sont donc en général plus locaux ou régionaux. Il est donc nécessaire d’appliquer des politiques visant toutes ces échelles d’impact. Comme nous le verrons dans la présente section, il est nécessaire d’agir à l’échelle mondiale pour gérer le N2O, dont les impacts se produisent sur l’ensemble de la planète, tandis que les autres risques liés à l’azote appellent davantage à être abordés dans le cadre d’une démarche ciblée géographiquement.

D’un autre côté, les incertitudes qui entourent le phénomène de cascade engagent à prendre des mesures complémentaires (voir notamment OCDE, 2016). Cependant, pour être assortie d’un bon rapport coût-efficacité, la politique environnementale doit chercher à lutter contre les risques bien établis avant que de gérer ces incertitudes (Tableau 2.1). En premier lieu, il est nécessaire de maîtriser les risques en acquérant une meilleure connaissance des voies de transfert de l’azote dans le schéma reliant les sources aux impacts, ainsi que du rôle joué par certaines sources à diverses échelles et divers moments. En second lieu, en l’absence d’éléments probants sur les voies de transfert, il faut empêcher la libération d’azote dans l’environnement en élaborant des stratégies universelles destinées à réduire les émissions de toutes les sources (par les moyens les plus performants et économiques). Ce qui distingue ces deux approches, c’est que l’une s’applique lorsque les voies de transfert de l’azote provoquant des impacts particuliers sont suffisamment bien connues (ou prévisibles) et l’autre s’applique dans les cas où ces voies de transfert sont pour le moins incertaines.

Tableau 2.1. Démarche en trois volets pour lutter contre la pollution azotée

Démarche fondée sur les risques ciblée géographiquement

Démarche fondée sur les risques à l’échelle mondiale

Démarche de précaution

Formes d’azote

Toutes hors N2O

N2O

Toutes formes

Voies de transfert

Analyse voies de transfert-impact (AVTI)1

Exposition mondiale

Cascade de l’azote

Axe retenu

Approche spécifique (air, sols, eau)

Effet de serre, couche d’ozone

Approche « systémique » (tous milieux)

Points d’intervention (échelle)

Spécifique au risque

National

National (selon le suivi de la charge azotée totale du pays)

Efficacité de l’action publique

Élevée (adaptée au risque)

Élevée (adaptée au risque)

Faible (ne cible que la charge azotée)

Priorité de l’action publique

Selon les objectifs de l’action publique

Selon les objectifs de l’action publique

Lorsque l’AVTI n’est pas réalisable

1. L’analyse voies de transfert-impact (AVTI) consiste à évaluer les voies de transfert qui génèrent un impact (y compris par modélisation) afin d’estimer les avantages que l’on peut attendre de l’éventuelle modification des émissions.

Source : Secrétariat de l’OCDE.

La section 2.1 proposera une méthode permettant de mettre en œuvre la gestion ciblée géographiquement des risques environnementaux liés aux autres formes d’azote que le N2O ainsi qu’une démarche de gestion du N2O à l’échelle mondiale. La section 2.2 examinera la manière d’aborder, dans une démarche de précaution, la gestion de l’incertitude liée à la cascade de l’azote.

2.1 Démarche fondée sur les risques

2.1.1 Les différents risques liés à l’azote

Des pays ont défini des niveaux de risque sanitaire acceptables pour les concentrations en dioxyde d’azote (NO2) et en nitrate (NŌ̄̄3-) dans l’air et dans l’eau, respectivement, ainsi que pour les concentrations en ozone troposphérique et en particules (dont l’azote est un précurseur). Toutes les réductions d’émissions ou les pratiques mises en place pour y parvenir découlent de ces niveaux de risque acceptables2.

Pour faire face aux risques qui pèsent sur les écosystèmes, des seuils de charge et critiques ont été estimés pour les écosystèmes terrestres (forêts, zones humides) et ont utilisés pour réglementer les émissions d’oxydes d’azote (NOx), d’ammoniac (NH3) et d’ozone troposphérique, conformément à la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance (LTRAP). Certains pays utilisent par exemple la charge journalière maximale totale (CJMT) pour calculer la quantité maximale d’azote autorisée à entrer dans les écosystèmes aquatiques (lacs, zones côtières) dont l’eau ne respecte pas le niveau de qualité acceptable.

Sur le front du changement climatique, l’Accord de Paris a fixé un plafond de réchauffement climatique mondial3 acceptable pour les parties, ce qui revient indirectement à fixer un niveau acceptable de forçage du système climatique dû aux gaz à effet de serre (GES), N2O compris. Toutes choses égales par ailleurs, pour arrêter la hausse mondiale des températures, le bilan des émissions et des pertes de GES à longue durée de vie doit devenir nul à terme. Le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone a fixé un risque acceptable d’appauvrissement de la couche d’ozone, sans toutefois inclure le N2O dans les substances concernées à l’heure actuelle.

En dehors de ces risques réglementés, il faut également faire face au risque de compromettre la résilience (autrement dit de dépasser la capacité d’adaptation) des puits d’azote comme la biomasse terrestre et les sédiments marins. À titre d’illustration, si les puits terrestres étaient saturés, le risque de migration de l’azote depuis les bassins hydrographiques vers les eaux côtières serait multiplié, de même que les impacts de ce mécanisme. Nous ne savons pas exactement encore quelle est la résilience des écosystèmes face à une augmentation de la charge en azote. Bien que les données offrent peu de certitudes, il semblerait que le stockage d’azote dans les sols et les arbres4 ne représente qu’une faible part des apports annuels en azote dans les puits terrestres, lesquels semblent être dénitrifiés (USEPA-SAB, 2011)5 et contribueraient pour certains (autrement dit pour le N2O) aux risques de réchauffement climatique et de dégradation de la couche d’ozone. Les données concernant les sédiments marins sont entachées d’une plus grande incertitude encore. En particulier, il existe tant de mécanismes de cyclisation qu’il est difficile de quantifier la transformation et la dégradation de la matière organique marine ainsi que son taux de renouvellement (Walker et al., 2016).

L’analyse coûts-avantages (ACA) définit les risques auxquels il convient de faire face en priorité (voir notamment OCDE, 2008). La gestion des risques liés à l’azote peut contribuer de manière significative au bien-être social (par exemple en protégeant les bases naturelles des activités de production et en améliorant la santé humaine). Elle peut toutefois aussi représenter un coût économique considérable. Il est donc important de déterminer avec soin si les avantages supplémentaires procurés par les améliorations environnementales se justifient au regard des coûts supplémentaires supportés par la société afin de conduire à ces améliorations.

2.1.2 Approfondir l’analyse des voies de transfert pour mieux lutter contre les risques de pollution azotée

Bon nombre des politiques actuelles de gestion de l’azote se concentrent sur un impact particulier sans tenir compte des voies de transfert biogéochimiques6 qui y contribuent (USEPA-SAB, 2011). Pourtant, une meilleure connaissance de ces voies de transfert peut améliorer le rapport coût-efficacité de la gestion des risques en aidant à mieux circonscrire les points d’intervention des pouvoirs publics (autrement dit en répartissant mieux les efforts de réduction des émissions entre les diverses sources d’azote). Par exemple, la réduction des incidences de l’azote dans les estuaires pourrait être largement servie par un encadrement plus strict des dépôts atmosphériques dans le bassin atmosphérique7 et du ruissellement vers le bassin hydrographique. C’est la raison pour laquelle d’importants moyens ont été déployés pour mettre en place une gestion coordonnée de l’air et de l’eau dans la région de la baie de Chesapeake (Linker et al., 2013).

L’analyse voies de transfert-impact (AVTI) consiste à évaluer les voies de transfert qui génèrent un impact (y compris par modélisation) afin d’estimer les avantages que l’on peut attendre de l’éventuelle évolution des émissions (voir notamment OCDE, 2018). L’AVTI se distingue de l’évaluation des dommages, qui consiste à évaluer un impact à un moment donné dans le temps, sans tenir compte explicitement de la manière dont cet impact a été généré (ibid.). Elle tient compte du fait que l’azote peut passer d’un milieu environnemental à l’autre (air, eau, sols et biotes) en cheminant au long d’une voie de transfert d’une ou de plusieurs sources vers un récepteur.

La présente section revient sur l’importance d’approfondir l’analyse des « voies de transfert » pour adapter la gestion des risques aux spécificités de la pollution azotée. Le chapitre 3 étudie des cas d’utilisation de l’AVTI et d’application pratique de cette méthode dans l’élaboration des politiques.

La méthode proposée pour réaliser l’AVTI comporte quatre étapes.

  • La première consiste à recenser les sources d’azote contribuant à l’impact ciblé et à circonscrire les diverses zones émettrices d’azote qui convergent vers la zone à risque.

  • La deuxième étape consiste à calculer le coût marginal de réduction des émissions d’azote sous ses diverses formes, ce qui implique d’estimer le potentiel d’amorçage ou d’intensification des réductions dans chaque zone d’émission.

  • La troisième étape consiste à comparer le rapport coût-efficacité des réductions d’émissions de l’ensemble des sources de risque dans les diverses zones d’émission.

  • À la quatrième étape, il s’agit d’estimer les avantages secondaires marginaux d’une réduction des émissions d’azote dans les différentes zones d’émission (autrement dit les dommages évités tout au long des voies de transfert de l’azote vers la zone à risque).

La première étape consiste à cartographier les différentes zones émettrices d’azote qui convergent vers la zone à risque (Graphique 2.1). Une meilleure connaissance des voies de transfert permettra de tenir compte de nouvelles sources d’azote (situées par exemple plus en amont de ces voies) qui ne sont pas envisagées en l’absence d’AVTI car les seuls points sur lesquels ont intervient alors pour lutter contre le risque de pollution sont les sources dont le lien avec l’impact a déjà été clairement établi.

Graphique 2.1. Zones émettrices d’azote intervenant dans différents risques de pollution
Graphique 2.1. Zones émettrices d’azote intervenant dans différents risques de pollution

Les trois encadrés représentent trois types de risques :

(A) contamination d’un aquifère par du nitrate (NO3-)

(B) pollution atmosphérique en ville ou dans un écosystème terrestre.

(C) pollution azotée en zone côtière.

Source : Secrétariat de l’OCDE.

L’étude de l’oxygène dissous dans le fjord de Puget Sound offre un bon exemple de cartographie des zones émettrices d’azote dans le cas d’une pollution azotée en zone côtière. Cette étude a mis en lumière les différentes sources d’azote susceptibles de contribuer à la faible teneur en oxygène dissous du fjord et a évalué leurs contributions relatives à l’aide d’une analyse des voies de transfert (Graphique 2.2).

Graphique 2.2. Sources et voies de transfert de l’azote dans le sud et le centre du Puget Sound
Graphique 2.2. Sources et voies de transfert de l’azote dans le sud et le centre du Puget Sound
picture

Source: Roberts et Kolosseus (2014).

Un autre exemple illustre un cas de pollution de l’air en milieu urbain. En mars 2014, la ville de Paris a connu un pic exceptionnel de pollution particulaire. L’évaluation scientifique a révélé que la moitié des PM10 étaient des particules de nitrate d’ammonium formées par l’association de NOx et de NH3. Le bassin atmosphérique des NOx correspond à l’agglomération (la principale source d’émission étant la circulation routière). Le bassin atmosphérique de NH3 est quant à lui bien plus vaste car ce composé émane des activités agricoles pratiquées dans le nord-ouest de la France et au-delà (voir la première étude de cas du chapitre 3).

La gestion du risque de pollution atmosphérique dans la région métropolitaine de Santiago, au Chili, offre un autre bon exemple de politique tenant compte, au moins en partie, des zones émettrices des différents polluants impliqués8. En janvier 2017, le Chili a instauré une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone (CO2), de particules, de NOx et de dioxyde de soufre (SO2), à laquelle sont assujetties les grandes sources fixes d’émission, en particulier les centrales électriques à combustible fossile. Elle présente la caractéristique bienvenue de tenir compte de la taille de la population touchée par la pollution. Contrairement au projet d’origine, toutefois, le calcul ne prend en considération que la population de la municipalité abritant la source de l’émission et non la population de l’ensemble du bassin d’air concerné. Les polluants atmosphériques pouvant être transportés et déposés sur des distances relativement vastes, il aurait été préférable de tenir compte de l’effet de dispersion atmosphérique (et de l’ensemble de la population exposée) dans le calcul de la taxe imposable à chaque pollueur (OCDE/CEPALC, 2016). Dans l’idéal, il aurait aussi fallu tenir compte d’autres impacts liés aux dépôts, comme les écosystèmes du bassin d’air exposés.

L’AVTI est également utile pour délimiter la zone à risque. Dans le Land allemand du Bade-Wurtemberg, par exemple, une analyse haute-résolution des dépôts et une surveillance réalisée sur le terrain ont révélé des dépassements de charges critiques d’eutrophisation sur de vastes étendues du territoire, ce que l’analyse précédente (à plus faible résolution et par modélisation) n’avait pas mis en lumière (voir la première étude de cas du chapitre 3).

La deuxième étape consiste à estimer le potentiel d’amorçage ou d’intensification d’une réduction des émissions dans chaque zone émettrice, en prenant en compte les mesures de réduction déjà en place pour éviter les doublons (graphique 2.3). L’analyse coût-efficacité doit permettre de décider s’il faut poursuivre (ou renforcer) une mesure donnée de réduction des émissions ou s’il faut plutôt intervenir sur d’autres sources d’émissions. Le Danemark offre un bon exemple d’application de l’analyse coût-efficacité dans la gestion du risque d’eutrophisation des eaux côtières, des lacs et des cours d’eau provoqué par l’azote d’origine agricole. L’évaluation comporte non seulement une analyse des mesures en amont de leur mise en œuvre, mais aussi une évaluation à mi-parcours et une évaluation finale (ex post) (Jacobsen, 2012). À titre d’exemple, les mesures du second plan d’action du Danemark en faveur de l’environnement aquatique (1998-2003) qui ont offert le meilleur rapport coût-efficacité sont l’obligation d’aménager des cultures dérobées et des zones humides, l’utilisation accrue des effluents d’élevage et l’amélioration des pratiques d’alimentation animale (Jacobsen, 2004). Les mesures ayant présenté le moins bon rapport coût-efficacité sont à l’inverse le gel des terres et l’augmentation des surfaces en herbe ainsi que l’obligation de diminution du chargement en bétail (ibid.)9.

Graphique 2.3. État des lieux de la réglementation relative à l’azote dans les zones d’émission
Graphique 2.3. État des lieux de la réglementation relative à l’azote dans les zones d’émission

Note : La proportion des émissions réglementées et non réglementées qui ressort des diagrammes circulaires n’a qu’une valeur d’illustration.

Source : Secrétariat de l’OCDE.

La troisième étape de l’AVTI consiste à comparer le rapport coût-efficacité des réductions d’émissions de l’ensemble des sources de risque (y compris les sources déjà réglementées) dans les diverses zones d’émission. Cette étape, essentielle pour assurer la cohérence des interventions, n’est encore pas répandue dans les processus de mise en œuvre de politiques relatives à l’azote. L’exemple qui précède montre que les autres sources d’émission d’azote que l’agriculture – industrie, eaux usées, sources atmosphériques et échanges nets d’azote avec les eaux marines – n’ont pas été prises en compte dans l’évaluation du rapport coût-efficacité des mesures de gestion du risque d’eutrophisation au Danemark.

L’objectif de l’AVTI est d’établir un lien entre le risque de pollution et ses sources et de garantir la cohérence avec les politiques en vigueur pour réduire les émissions de chaque source. Par exemple, il faudrait envisager de déployer les moyens destinés à réduire les émissions de NOx à l’échelle nationale dans les zones à risque sujettes aux dépôts de NOx. L’objectif est de sélectionner les sources d’émission pouvant faire l’objet des mesures de réduction les plus efficaces et économes, ce qui peut passer par une nouvelle réduction des sources d’azote déjà réglementées.

Dans une certaine mesure, le Plan d’action pour la mer Baltique illustre bien la recherche de cohérence des interventions dans la lutte contre les risques d’eutrophisation. Avis scientifiques à l’appui, on fixe dans le plan d’action un apport en azote maximum admissible jugé tolérable par la mer Baltique. Chaque partie se voit ensuite assigner un objectif de réduction des émissions déterminé en fonction de ce paramètre et de son bassin hydrographique. Pour finir, les mesures de réduction de l’azote atmosphérique mises en œuvre conformément au Protocole à la Convention LRTAP (protocole de Göteborg) sont déduites des objectifs de chaque partie.

Le rapport coût-efficacité de la réduction des émissions dépend non seulement de leur source et de la forme sous laquelle l’azote est émis, mais aussi du lieu d’émission (au sein de la zone d’émission) et de la manière dont l’azote est transporté vers la zone à risque. Il convient d’estimer le volume d’azote qui contribue effectivement au risque. Dans les faits, seule une partie de l’azote émis dans une zone d’émission peut arriver jusqu’à la zone à risque.

En règle générale (si l’on se réfère à la définition de l’Agence pour la protection de l’environnement des États-Unis), environ 75 % des émissions arrivant dans le bassin d’air d’un bassin hydrographique se redéposent dans le bassin hydrographique, qu’il s’agisse de NOx ou de NH3. S’agissant des sources terrestres, l’analyse des flux d’azote au niveau d’un bassin hydrographique (Billen et al., 2013) fait apparaître que seuls quelque 30 % des apports nets d’azote imputables aux activités humaines10 arrivent jusqu’aux eaux côtières. Les 70 % restants sont soit retenus par la biosphère terrestre, soit dénitrifiés en cours de chemin, dans des proportions déterminées en partie par les conditions climatiques (Howarth et al., 2012)11.

L’utilisation de modèles de transport de l’azote dans l’air, les sols et l’eau peut être indéniablement utile pour évaluer les rapports coût-efficacité et élaborer les politiques. À titre d’exemple, l’institut d’études géologiques des États-Unis a mis au point un modèle de calcul de vulnérabilité et d’évaluation des eaux souterraines (GWAVA) pour établir des liens entre les concentrations en NO3- observées dans les eaux souterraines et des attributs géographiques qui modélise les sources d’azote et les facteurs de transport et d’atténuation du NO3-. Ce modèle a prédit les concentrations de NO3- dans les eaux souterraines de l’ensemble des États-Unis12.

Au Danemark, TargetEconN modélise l’atténuation des pertes d’azote de la zone source jusqu’à la côte dans le but de mieux gérer la pollution diffuse de l’eau par l’azote. Le phénomène d’atténuation dépend de l’hydrologie, des types de terrains, de la déclivité, de la végétation et des conditions météorologiques. Le modèle a été mis au point comme outil destiné à la prise de décision à l’échelle des bassins hydrographiques. Il intègre une modélisation biophysique et économique. Les résultats font clairement apparaître de grandes différences de rentabilité selon que les mesures de réduction sont uniformes ou ciblées et montrent qu’une réglementation plus ciblée tenant compte de l’hétérogénéité des coûts de réduction des émissions et des voies de transfert peut améliorer le rapport coût-efficacité de la maîtrise du risque de pollution azotée (Hasler, 2016).

Troisième exemple de modèle, NTRADER, élaboré en Nouvelle-Zélande, a pour objectif de modéliser le transport de l’azote depuis les terres agricoles jusqu’aux lacs en tenant compte des temps de latence des eaux souterraines. Ce modèle intègre les résultats de plusieurs modèles, aussi bien à l’échelle de l’exploitation (modèle de lessivage et d’atténuation consacré à l’azote, modèle économique) qu’à l’échelle d’un bassin hydrographique (modèle de transport de l’azote). Il modélise à la fois la production et le transport d’azote et les aspects économiques des systèmes de plafonnement et d’échange d’émissions. NTRADER s’est révélé utile pour gérer le risque de pollution azotée des eaux lacustres de Nouvelle-Zélande imputable aux pâtures (Cox et al., 2013).

La deuxième étude de cas du chapitre 3 analyse le mode de gestion de la pollution par l’azote dans le lac Rotorua (Nouvelle-Zélande). Elle examine aussi les divers modèles utilisés dans le cadre du programme de la baie de Chesapeake, comme le CMAQ (système communautaire de modélisation multi-échelle de la qualité de l’air qui mesure les dépôts atmosphériques), un modèle de migration dans le bassin hydrographique et, pour le transport des sédiments, le WQSTM, qui modélise la qualité de l’eau et le transport solide.

La dernière étape de l’AVTI consiste à estimer les avantages secondaires (dommages évités) procurés par une réduction des émissions d’azote dans les différentes zones d’émission (autrement dit en tenant compte des voies de transfert de l’azote vers la zone à risque). En effet, pour évaluer les avantages procurés par une réduction d’une tonne des rejets d’azote, il est nécessaire de tenir compte des dommages évités dans l’ensemble des écosystèmes touchés par la cascade de cette tonne de rejets (Moomaw et Birch, 2005). Le Graphique 2.4 illustre cette « cascade économique » dans le bassin hydrographique de la baie de Chesapeake.

Graphique 2.4. Flux d’azote et coûts des dommages en cascade dans le bassin hydrographique de la baie de Chesapeake
Graphique 2.4. Flux d’azote et coûts des dommages en cascade dans le bassin hydrographique de la baie de Chesapeake

Note : La couleur des flèches indique l’origine des flux d’azote : noir pour l’air, bleu pour les sols et gris pour les eaux usées. Les données ne servent qu’à des fins d’illustration. Selon des estimations récentes, l’agriculture est responsable de 42 % de la masse d’azote rejetée dans le bassin hydrographique de la baie de Chesapeake, suivie par les rejets imputables aux eaux usées (34 %), et les dépôts atmosphériques dus à la combustion d’énergies fossiles (24 %). Ces estimations reposent sur le suivi des émissions imputables (i) à l’agriculture, (ii) au ruissellement urbain, aux eaux usées et surverses de réseau unitaire, et (iii) aux dépôts atmosphériques dans les forêts et les eaux côtières et autres (www.chesapeakebay.net/indicators/indicator/reducing_nitrogen_pollution, consulté le 20 mars 2016).

Source : D’après Birch et al. (2011).

Comme on peut le constater au Graphique 2.4, à l’échelle du bassin hydrographique, les coûts des dommages dus aux émissions atmosphériques sont bien supérieurs à ceux engendrés par la totalité des émissions imputables aux sols et à l’eau (bien que les flux d’azote soient inférieurs). Ce constat tient aux avantages qu’une réduction de la pollution atmosphérique procure en termes de santé humaine. En outre, les coûts sont d’autant plus élevés qu’une part de l’azote atmosphérique se retrouve dans les sols et l’eau. Ainsi, la réduction des dommages dus à l’azote dans la baie de Chesapeake (y compris ses incidences sur les eaux douces et le milieu estuarien) pourrait être mieux servie par un encadrement plus strict de la pollution atmosphérique plutôt que de la pollution de l’eau. De fait, d’importants moyens ont été déployés pour mettre en place une gestion coordonnée de l’air et de l’eau dans cette région (Linker et al., 2013).

Sachant que les avantages estimés pour la santé d’une meilleure qualité de l’air surpassent de loin les bienfaits sanitaires et environnementaux estimés d’une meilleure qualité de l’eau, la réduction des émissions de NOx et de NH3 sera très souvent plus efficace que la baisse des émissions d’autres formes d’azote. Ce point a été démontré récemment, pour les NOx, dans une étude des flux d’azote dans la vallée du San Joaquin, en Californie (Graphique 2.5). Cette étude ne tient toutefois pas compte du rôle du NH3 dans la formation des particules secondaires (PM2.5), dont l’impact sur la santé humaine est important.

Graphique 2.5. Coût des dommages et coût de réduction de différentes formes et sources d’azote dans la vallée du San Joaquin, en Californie
Graphique 2.5. Coût des dommages et coût de réduction de différentes formes et sources d’azote dans la vallée du San Joaquin, en Californie

Source : Horowitz et al., 2016.

Afin d’évaluer les dommages évités dans les zones d’émission, il est possible de tenir compte du consentement à payer pour améliorer la santé, ainsi que du coût social du carbone. C’est ce qu’ont fait Keeler et al., 2016 pour estimer les coûts sociaux qu’entraîne l’apport de 1 kg d’engrais dans le Minnesota (Encadré 2.1). Les hypothèses de départ importantes dans le cadre de cette évaluation sont les valeurs d’une vie statistique retenues (pour les décès prématurés dus à la formation de particules fines (PM2.5), par exemple) et le coût social du carbone (pour les dommages liés au climat). Il faut aussi tenir compte du consentement à payer d’un point de vue rétrospectif (et non seulement préventif) car il sera probablement plus élevé chez les personnes ayant consommé de l’eau contaminée ou respiré un air pollué à leur insu.

On peut supposer que chaque écosystème réagit différemment à la variation de la charge en azote selon sa nature et les conditions locales, et que le temps de latence entre l’émission et son impact est propre à chacun d’entre eux. On peut se demander s’il convient d’appliquer un coefficient d’actualisation pour tenir compte de ces temps de latence, puisqu’ils peuvent considérablement influer sur les coûts des dommages dans l’AVTI (voir notamment OCDE, 2018). Les avantages exprimés en termes monétaires pourraient être bien inférieurs selon le délai d’inertie et le coefficient d’actualisation retenu. À l’inverse, si l’on part du principe qu’il n’y a pas de temps de latence, les avantages procurés par la réduction de l’azote seront généralement surestimés, parfois de manière considérable (et dans une mesure critique au regard de l’analyse coûts-avantages). Par exemple, Cox et al., 2013, estiment que, selon la distance entre la source d’émission et le lac, il faut entre 0 et 127 ans à l’azote rejeté dans le bassin hydrographique du lac Rotorua pour atteindre le lac lui-même à travers les eaux souterraines (voir la deuxième étude de cas du chapitre 3).

Encadré 2.1. Les coûts sociaux d’un kilogramme d’engrais azoté

Une étude récente a permis de démontrer que le coût social de l’utilisation d’un kilogramme d’engrais azoté au Minnesota varie entre moins d’un dixième de cent et plus de 10 USD en fonction de l’emplacement, de la forme d’azote et des « critères observés » – autrement dit selon que l’on mesure les émissions de GES (N2O), la pollution de l’air (les PM2.5 et indirectement leurs précurseurs NOx et NH3), ou la contamination des eaux souterraines (NO3-) (Keeler et al., 2016).

En reprenant Keeler et al., 2016, il est possible d’estimer le coût social de la contamination des eaux souterraines par le NO3- provoquée par les engrais azotés. Ce coût est obtenu en multipliant le nombre de puits contaminés connus ou escomptés par le nombre d’individus utilisant ces puits et par le coût moyen de la contamination des puits par ménage. Cette dernière valeur est estimée à partir d’une enquête auprès des propriétaires de puits affichant des teneurs excessives en azote ; elle comprend le coût de construction d’un nouveau puits, l’achat d’eau conditionnée ou l’investissement dans un système d’élimination du NO3-. Les auteurs ont cartographié les risques de contamination au NO3- dans chaque comté du Minnesota en agrégeant, pour chacun, les données de trois facteurs de risque : expansion agricole (probabilité), caractéristiques des sols (vulnérabilité) et population utilisant les eaux souterraines (exposition).

Keeler et al., 2016, ont aussi évalué le coût social associé aux émissions de NH3 et de NOx imputables aux engrais azotés en s’appuyant sur leur contribution à la mortalité prématurée due à la formation de particules PM2.5. Le coût est calculé en multipliant le nombre de décès dus aux PM2.5 sous le vent des émissions de NH3 et de NOx par le coût moyen d’un décès prématuré. Un modèle de l’impact des émissions de PM2.5 sur la santé baptisé InMAP (Intervention Model for Air Pollution) permet de calculer le premier facteur, tandis que le second correspond au consentement à payer observé aux États-Unis pour une réduction du risque de mortalité. Le modèle InMAP simule le transport, la transformation et l’élimination des émissions, puis calcule la mortalité en fonction de la concentration en PM2.5 obtenue, d’informations épidémiologiques et des statistiques issues des recensements. Les émissions de NH3 et de NOx sont obtenues en appliquant un facteur d’émission (0.08 pour le NH3 et 0.005 pour le NOx) à l’apport en azote déclaré par les agriculteurs dans chaque comté. Les auteurs ont cartographié les risques liés aux émissions de NH3 et de NOx en modélisant les dommages engendrés sous leur vent, même au-delà des frontières du Minnesota, puis en imputant ces dommages au comté d’origine des émissions de NH3 et de NOx.

Pour finir, Keeler et al., 2016, ont évalué le coût social des émissions de N2O dues aux engrais azotés en s’appuyant sur les dommages liés au climat. Ce coût a été calculé en convertissant les émissions de N2O en équivalent CO2 et en les multipliant par une estimation du coût social du carbone. Cela revient à multiplier le coût social du carbone (CO2) estimé par 395 (la différence de forçage radiatif à long terme entre le CO2 et le N2O). Les émissions de N2O ont été obtenues en multipliant par 0.01 les apports agricoles en azote dans chaque comté. Pour toutes les formes d’azote (NO3-, NH3, NOx et N2O), le coût social par unité d’azote a été calculé en divisant son coût social total par l’apport en azote agricole dans chaque comté.

Au-delà de l’AVTI, il est important de déterminer si la pollution azotée à combattre est le fait d’un ou de plusieurs polluants afin de gérer le risque de pollution efficacement et à moindre coût. Bon nombre des impacts liés à l’azote appartiennent à la seconde catégorie et la gestion des polluants non azotés peut être prioritaire dans certains cas. Il est par exemple possible que, pour lutter contre la prolifération des algues, les pouvoirs publics doivent agir en première intention sur les concentrations en phosphore (P) dans les lacs d’eau douce, où le facteur limitant est généralement le phosphore. Dans ces milieux, il est plus efficace de commencer par agir sur le facteur limitant de la croissance algale (l’apport en phosphore) plutôt que de chercher à réduire les rejets excessifs d’azote. Le phénomène est inverse dans les systèmes côtiers, où c’est l’azote et non le phosphore qui est en général le facteur limitant. Ces zones se caractérisent en effet par une importante dénitrification qui conduit souvent à un excédent de phosphore. Il peut parfois être nécessaire d’agir sur les deux nutriments. C’est le cas dans les lacs d’eau douce, par exemple, lorsque la diminution des apports en azote améliore la composition des communautés phytoplanctoniques en réduisant les populations de cyanobactéries nocives. À l’inverse, diminuer les apports azotés dans les lacs d’eau douce n’est pas une démarche efficace lorsqu’elle entraîne une prolifération des organismes fixateurs d’azote (tels que les cyanobactéries). La décision d’agir sur l’un des nutriments ou sur les deux à la fois doit donc être prise au cas par cas.

En se concentrant exclusivement sur la pollution par l’azote, les autorités risquent d’émettre des recommandations d’action inadaptées. L’AVTI est spécifique à chaque polluant. Elle n’a pas pour but d’établir un ordre de priorité entre les mesures relatives à l’azote et celles ciblant d’aux autres polluants ou précurseurs. Cet ordre doit idéalement être établi après évaluation des voies de transfert des autres polluants ou précurseurs. En revanche, l’AVTI aide à classer les politiques environnementales, par exemple la politique relative à l’eau ou à l’air dans la lutte contre la pollution azotée dans les eaux côtières (voir la section 3.2.1 du chapitre 3).

2.1.3 Critère de faisabilité de la démarche fondée sur le risque

Au-delà du critère d’efficience économique, il est naturellement essentiel que l’AVTI ne pose pas de problème de « faisabilité » pour que la démarche fondée sur le risque puisse être mise en œuvre et fonctionner correctement (voir le chapitre 5 pour une analyse détaillée du critère de faisabilité). C’est tout particulièrement vrai en ce qui concerne l’acceptabilité publique, entre autres le fait que les parties prenantes s’accordent à délimiter les zones à risque et les zones d’émission. Aux États-Unis, par exemple, la logique aurait voulu que le risque de contamination des eaux souterraines du bassin de la Willamette par le NO3- soit géré à l’échelle de l’ensemble de la vallée de la rivière Willamette (en tant qu’entité hydrogéologique) étant donné les échanges intenses entre la rivière et les eaux souterraines peu profondes. Dans la pratique, toutefois, seule la partie méridionale de la vallée a pu être classée comme zone à risque dans l’intérêt commun (zone utilisée par les systèmes publics de prélèvement d’eau de consommation) (voir la seconde étude de cas au chapitre 3).

Des problèmes de faisabilité administrative peuvent aussi se poser. En effet, les voies de transfert de l’azote sont très loin de suivre les frontières administratives. Les pays sont par exemple peu nombreux à avoir mis en place un système de gestion administrative à l’échelle du bassin atmosphérique (c’est plus souvent le cas pour les bassins hydrographiques). Il peut donc être difficile de gérer les émissions dans des bassins d’air dont les frontières ont été déterminées à partir d’études scientifiques, comme l’illustre le cas de la taxe chilienne sur les émissions de CO2, particules, NOx et SO2 évoqué plus haut. Cette taxe prend en considération la population de la municipalité abritant la source de l’émission et non l’ensemble de la population touchée par la pollution (autrement dit la population du bassin atmosphérique).

La pollution de l’air et de l’eau peut dépasser les frontières nationales. Dans ce cas, la gestion des émissions à l’échelle des bassins atmosphériques ou hydrographiques peut être complexe en l’absence de conventions ou d’accords internationaux régissant la pollution transfrontière, comme la Convention LTRAP, par exemple. L’AVTI peut se révéler être un outil de première importance pour faciliter l’adoption de nouvelles dispositions internationales de gestion de la pollution transfrontière liée à l’azote. En délimitant les zones d’émission et à risque, l’AVTI pourrait en effet permettre de mieux cerner les responsabilités et les risques de chaque partie.

Le critère de faisabilité de l’AVTI soulève également la question de son coût. Pour préparer une AVTI, il est parfois nécessaire d’effectuer des analyses complexes et d’établir une collaboration entre de nombreux acteurs et administrations publiques, ce qui peut se révéler extrêmement coûteux. De manière générale, le degré d’approfondissement de l’AVTI doit être en rapport avec le risque de pollution azotée attendu. Devant le spectre de lourdes conséquences, une AVTI précise et détaillée est nécessaire. Lorsque le risque est faible, en revanche, il est possible de s’en remettre à une AVTI élémentaire.

2.1.4 Le cas de l’hémioxyde d’azote (N2O)

L’AVTI ne peut être utilisée dans le cas du N2O. Comme nous l’avons vu, pour un risque donné (une zone de risque), l’AVTI met en lumière les sources d’émission contre lesquelles lutter en priorité parmi une panoplie de sources situées dans les zones d’émission. Dans le cas du N2O, la zone de risque (qu’il s’agisse du risque d’effet de serre ou du risque d’appauvrissement de la couche d’ozone) est planétaire13 et, quand bien même ce serait possible, il ne serait d’aucune utilité à une analyse coût-efficacité (ou une analyse coûts-avantages) de déterminer les zones d’émission. En effet, plus le nombre de sources à comparer est élevé, plus on a de chances de trouver celle dont une réduction des émissions aura le meilleur rapport coût-efficacité. En d’autres termes, l’idéal serait de recenser le plus grand nombre de sources de N2O possible sur l’ensemble du territoire de façon à les surveiller et à comparer les coûts de réduction de leurs émissions ainsi que, si faire se peut, les éventuels avantages secondaires. Il faut pour cela impérativement raisonner à l’échelle mondiale.

L’objectif d’une telle démarche d’envergure planétaire ne vise que les sources de N2O, à l’inverse de la démarche de précaution décrite à la section 2.2, laquelle couvre toutes les formes d’azote. Comme nous l’avons vu (chapitre 1), l’agriculture est responsable de la majeure partie (les 2/3 environ) des émissions de N2O d’origine anthropique et l’on dispose de données sur les émissions de ce gaz ventilées par source (voir FAOSTAT, par exemple). Cependant, étant donné la complexité des systèmes biologiques et de gestion des exploitations agricoles, la précision des données d’émissions de N2O est limitée (PCE, 2016). Par exemple, des études en cours en Nouvelle-Zélande visent à améliorer un outil de modélisation14 pour permettre de mesurer plus précisément les émissions de chaque exploitation agricole et donc de mieux estimer les incidences des différentes pratiques de gestion des exploitations en matière d’émissions de N2O (ibid.).

Il est donc indispensable de mieux appréhender les voies de transfert de l’azote dans le sol afin de mieux cerner les sources de N2O et les quantités d’émissions dont elles sont responsables15. Il faut pour cela estimer la part des réactions de dénitrification incomplètes (autrement dit les rapports N2O/diazote) (voir section 1.4.5). Il est difficile d’obtenir des données précises sur les émissions de N2O, en partie à cause de la complexité des systèmes biologiques en jeu. Le processus de dénitrification fait intervenir plus de 150 espèces connues de bactéries (voir annexe A). Il est reconnu que les sols sont la principale source de N2O. Cependant, les chercheurs n’ont pas encore pleinement cerné les mécanismes sous-jacents complexes de production et de consommation microbiennes (Butterbach-Bahl et al., 2013)16. Les processus de formation du N2O dans les océans ne sont pas moins complexes. Une étude récente a par exemple révélé que de grandes quantités de N2O sont produites dans les régions de l’océan Atlantique peu oxygénées17 (Grundle et al., 2017).

Adopter une démarche à l’échelle mondiale n’implique pas nécessairement que les pays doivent se fixer un objectif de réduction des émissions de N2O. La politique d’atténuation du changement climatique ne fixe pas d’objectif de réduction pour chaque GES pris individuellement. Le N2O est au contraire intégré dans un panier de GES dans la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et chaque pays peut établir des priorités dans la réduction des émissions de ces GES dans ses contributions déterminées au niveau national. Pour atteindre les objectifs de hausse des températures de l’Accord de Paris, les émissions nettes de GES à longue durée de vie devront être nulles (ou négatives) dans la deuxième moitié du siècle (voir par exemple Rogelj et al., 2015). On ignore encore précisément ce que cela implique en matière d’atténuation des émissions de N2O, un domaine dans lequel, comme pour d’autres GES, le potentiel de séquestration artificielle et naturelle du carbone sera aussi déterminant. En attendant, les concentrations de N2O dans l’atmosphère continuent de s’accroître (Graphique 2.6).

Graphique 2.6. Concentrations atmosphériques moyennes mondiales d’hémioxyde d’azote (N2O)
Graphique 2.6. Concentrations atmosphériques moyennes mondiales d’hémioxyde d’azote (N2O)

Source : Indice annuel d’accumulation des GES de l’Administration océanique et atmosphérique américaine (NOOA), Printemps 2018, https://www.esrl.noaa.gov/gmd/aggi/aggi.html, consulté le 9 juillet 2018.

2.2 La démarche « de précaution »

La quantité croissante d’azote sur Terre a accéléré le cycle de l’azote dans l’environnement. Autrement dit, les ajouts mais aussi les pertes d’azote dans l’environnement sont de plus en plus rapides (Müller et Clough, 2014). Les incertitudes que soulève cette accélération et leurs incidences sur les voies de cascade de l’azote conduisent à envisager le principe de précaution.

Aucune définition du principe de précaution n’a été définitivement arrêtée mais l’on s’accorde assez généralement sur ce qu’il recouvre, du moins parmi ses défenseurs (voir notamment Saunders, 2010). Lorsqu’une activité est susceptible de menacer la santé humaine ou l’environnement, il convient de prendre des mesures de précaution, quand bien même certaines relations de cause à effet ne seraient pas démontrées avec toute la rigueur scientifique possible. En d’autres termes, ce principe doit s’appliquer dans des circonstances où (a) les éléments scientifiques donnent à penser que l’environnement ou la santé seraient menacés, mais (b) ces éléments, bien que valables, ne seraient pas irréfutables. Selon la Commission européenne, le principe de précaution s’applique dans « les cas où [...] une évaluation scientifique préliminaire montre qu’on peut raisonnablement craindre [...] des dangers potentiels » (CE, 2000). Dans les cas d’application du principe de précaution, les éléments scientifiques sont (d’une certaine façon) jugés insuffisants pour réaliser une AVTI. Ce qui est incontournable, en revanche, c’est que la science délivre des indices sérieux évoquant une menace. Dans le cas contraire, l’application de ce principe ne se justifie d’aucune manière18.

Selon Battye et al., 2017, l’augmentation rapide de la production d’azote d’origine humaine, qui a presque quintuplé au cours des cinquante dernières années, « a levé toute incertitude quant à l’importance de l’azote d’origine anthropique sur le cycle de l’azote dans son ensemble ». Battye et al., 2017, se demandent si la dénitrification peut suivre le rythme de cette augmentation, ce qui semble être le cas jusqu’à présent. Par exemple, si les habitats des bactéries dénitrifiantes tels que les marais et les zones humides venaient à se réduire, cette perte pourrait gravement déséquilibrer le cycle de l’azote. Une modification du processus de dénitrification pourrait provoquer une réaction en chaîne au sein des voies de transfert de l’azote, entraînant des conséquences imprévisibles mais potentiellement désastreuses sur la santé et l’environnement. Dans le cas contraire, si la dénitrification peut répondre à l’augmentation des besoins, les conséquences environnementales sont prévisibles et relèvent de la gestion des risques (le risque d’aggraver l’effet de serre et d’appauvrir la couche d’ozone, par exemple).

Le second critère à prendre en compte dans la décision d’appliquer le principe de précaution tient au fait que la charge de la preuve revient aux partisans d’une action, et non à la collectivité. C’est à la communauté scientifique de donner des indices raisonnables montrant que l’accélération du cycle de l’azote entraînera des effets néfastes qui ne sont pas déjà pris en considération par la politique environnementale et qui ne sauraient l’être car ils sont liés non pas à un mais à tous les milieux environnementaux. En d’autres termes, il est nécessaire de démontrer qu’il existe un effet systémique lié à la cascade de l’azote.

Le troisième facteur à considérer est que le principe de précaution, et donc la gestion de l’incertitude, doit s’inscrire dans le cadre général de gestion des risques (Encadré 2.2). Selon la Commission européenne, le principe de précaution « fait partie intégrante d’une approche structurée de l’analyse du risque et est également approprié pour la gestion du risque » (CE, 2000). Ainsi, un principe de précaution mal pensé peut « amener à s’efforcer de maîtriser des risques accessoires mal connus en employant des ressources qui pourraient être consacrées plus efficacement à réduire des risques à grande échelle bien connus » (Majone, 2010).

Encadré 2.2. Distinguo entre risque et incertitude

On retient souvent la distinction entre risque et incertitude établie par Knight (1921), qui observe que le risque est une incertitude qui se prête à une mesure fiable. Ainsi, le risque décrit la probabilité et la conséquence d’un événement incertain dont la probabilité de survenance peut être estimée de façon fiable. L’incertitude décrit les situations dans lesquelles la probabilité de survenance d’un événement est inconnue et ne saurait parfois être connue. L’image du spectre peut aider à comprendre la différence entre risque et incertitude : l’incertitude correspond à la mesure dans laquelle une valeur ou une relation est inconnue.

Dans la définition de Holdgate, 1979, les polluants sont des substances causant des dégradations dans des récepteurs environnementaux (voir notamment IEEP, 2014). Un polluant peut être émis par une « source » dans l’environnement, se répandre suivant une « voie de transfert » jusqu’à un récepteur sur lequel il a un « impact ». De cette définition, on déduit que, si le polluant n’atteint aucun récepteur en quantités nuisibles – car il est devenu inoffensif au fil de la cascade en s’étant transformé en une autre substance ou sous une forme ne pouvant dégrader le récepteur, ou parce qu’il est devenu inoffensif tant il a été dilué – il n’y a pas de pollution. Ainsi, puisque l’émission d’un polluant potentiel dans l’environnement n’est pas nécessairement une pollution en soi, la gestion de l’incertitude ne passe pas obligatoirement par la réduction des émissions depuis toutes les sources. Elle doit être cohérente avec la gestion des risques. Le principe de précaution doit donc être étroitement lié à la démarche fondée sur les risques dans le cadre d’une double approche de la gestion des impacts des activités humaines sur le cycle de l’azote. Il doit venir en complément de la démarche fondée sur les risques et non s’y substituer. Il doit avoir pour objectif de limiter la charge totale d’azote qui pénètre dans le système et, en cas de besoin, de proposer des mesures complémentaires aux mesures de gestion des risques et cohérentes avec ces dernières.

Se pose dès lors la question du rapport coût-efficacité, le quatrième critère à prendre en compte dans l’application du principe de précaution. Ce critère était déjà inscrit dans le principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, aux termes duquel « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. » (AGNU, 1992). La gestion des incertitudes qui planent sur la cascade de l’azote dans un pays donné doit englober tous les pans de l’économie. Contrairement aux politiques environnementales qui ciblent les sources en fonction des impacts, la démarche de précaution accorde une latitude dans le choix des sources d’azote à cibler (entre l’agriculture, le transport, l’énergie, l’industrie et l’assainissement, par exemple). Si cette latitude peut se traduire par un meilleur rapport coût-efficacité, elle ne renforce pas l’efficacité environnementale.

La communauté scientifique appelle de ses vœux à réduire les émissions d’azote et à améliorer l’efficacité d’utilisation de l’azote (voir par exemple le concept de limites planétaires ci-dessous). Aux États-Unis, le Conseil scientifique consultatif de l’Agence pour la protection de l’environnement a estimé qu’environ 7 millions de tonnes d’émissions d’azote pourraient être évitées chaque année (près de 25 % des émissions actuelles du pays) en diffusant les technologies connues dans les domaines de l’agriculture de précision, des engrais, de la lutte contre les NOx, de la création de zones humides et du traitement des eaux usées (USEPA-SAB, 2011). Jörß et al., 2014, et Döhler et al., 2011, considèrent que des diminutions importantes sont possibles en Allemagne dans les secteurs de l’agriculture et de l’énergie ; d’après les estimations de SRU, 2015, les émissions actuelles d’azote pourraient être abaissées de 40 % à peu près, globalement, dans le secteur agricole allemand. Sutton et al., 2013, et Tomich et al., 2016, proposent d’améliorer l’efficacité d’utilisation de l’azote tout au long des chaînes d’approvisionnement énergétiques et alimentaires. Seitzinger et Phillips, 2017, se demandent si l’efficacité d’utilisation de l’azote ne pourrait pas constituer une sorte d’« outil heuristique », une variable indicatrice à même d’orienter l’élaboration de l’action publique. Cependant, il ne suffit pas de pointer du doigt les possibilités de réduction du recours à l’azote ou de gains d’efficience dans son utilisation. L’action publique doit être conçue de telle sorte que ces réductions ou ces gains d’efficience soient obtenus de façon efficace par rapport au coût, autrement dit en tenant compte non seulement des coûts mais aussi des impacts environnementaux.

Par exemple, la réduction des émissions d’azote dans le bassin versant du fleuve San Joaquin peut permettre de réduire les émissions totales d’azote de l’État de Californie de manière efficace et économique étant donné le rôle important que joue cette « région d’intérêt à forte concentration d’azote » dans les émissions d’azote californiennes19. Cependant, cette stratégie n’est en aucun cas la plus efficace pour améliorer la qualité des eaux souterraines du système aquifère de la vallée centrale de Californie et des eaux côtières de la baie de San Francisco (Graphique 2.7), sans parler de la qualité de l’air dans la ville de Los Angeles. Ces risques doivent être abordés à des échelles géographiques différentes à l’aide de mesures spécifiques à chaque type de risque et non par des moyens d’action indifférenciés dont le seul objectif est de réduire la charge azotée totale en Californie. En d’autres termes, la gestion des risques et les mesures de précaution ne sont pas incompatibles mais doivent être complémentaires.

Graphique 2.7. Systèmes aquatiques menacés de pollution azotée dans le centre de la Californie
Graphique 2.7. Systèmes aquatiques menacés de pollution azotée dans le centre de la Californie

Carte de gauche. L’intense demande d’eau dans la vallée centrale de Californie et l’augmentation des concentrations de nitrate (NO3-) qu’elle entraîne dans les eaux souterraines menacent la viabilité de ces ressources en eau (Ransom et al., 2017). La vallée centrale de Californie, qui englobe la vallée du Sacramento et la vallée du San Joaquin, doit être prise en compte dans toute évaluation du risque de contamination des eaux souterraine dans la région.

Carte de droite. Le bassin hydrologique du delta de la baie de San Francisco comporte plusieurs grands cours d’eau comme les fleuves Sacramento et San Joaquin et leurs affluents. À la confluence de ces deux grands fleuves, près de la ville de Sacramento, se forme un immense delta intérieur dans lequel les eaux fluviales se massent avant de s’écouler dans la baie de San Francisco. Les bassins hydrographiques des fleuves Sacramento et San Joaquin ainsi que le delta Sacramento-San Joaquin doivent être pris en compte dans toute évaluation du risque de pollution azotée des zones côtières vers lesquelles s’écoule le bassin hydrographique du delta de la baie de San Francisco, comme la baie de San Francisco, la baie de San Pablo, la baie de Suisun et le détroit du Golden Gate.

Source : Ransom et al., 2017 (carte de gauche), Kratzer et al., 2011 (carte de droite).

En cinquième lieu, il est nécessaire d’analyser soigneusement ce qu’implique le recours au principe de précaution sur les plans économique et de l’action publique. L’application de ce principe dans le cas du cycle de l’azote peut influencer les décisions touchant à la production (les exploitants peuvent par exemple opter pour des cultures nécessitant un faible apport en azote)20 et les échanges (par exemple du fait de restrictions d’importation de produits alimentaires ayant bénéficié d’importants apports en azote). Appliquer le principe de précaution au cycle de l’azote peut favoriser l’élaboration de nouvelles technologies, dont la diffusion est elle-même remise en question par le même principe, à l’image des biotechnologies (organismes génétiquement modifiés). À titre d’exemple, cela pourrait promouvoir les efforts de recherche en génie génétique destinés à mettre au point de nouvelles cultures fixatrices d’azote21 afin d’améliorer la productivité des cultures tout en réduisant les apports en engrais22.

Faire face aux incertitudes de la cascade de l’azote en appliquant une démarche de précaution soulève enfin l’épineuse question de la limite à fixer, à savoir le bilan azote acceptable pour la société à l’échelle du pays, voire de la planète entière. Quelques études visant à nourrir la prise de décision ont évalué les « limites » ou « points de bascule » pour chaque forme d’azote, des valeurs au-delà desquelles l’impact de chaque forme dépasserait le « seuil critique » (Encadré 2.3). Comme le précisent ces études, ces estimations ne doivent pas conduire à fixer des objectifs de réduction des émissions mondiales ; de fait, les effets de l’azote sur l’air, l’eau, la biodiversité et les sols sont variables dans l’espace (et au fil du temps) et, s’agissant du N2O, il est possible d’atténuer le réchauffement climatique en luttant contre d’autres gaz à effet de serre (GES). Le concept de limite plaide encore moins pour la fixation d’un seuil unique pour tous les composés d’azote. De fait, il est impossible d’attribuer une valeur unique aux dommages causés par l’azote, ni même de déterminer un coefficient fixe d’équivalence entre les émissions de différentes formes d’azote, tant les effets de l’azote sont multiples et varient selon le site et la forme d’azote considérée23.

Encadré 2.3. Estimation des limites pour différentes formes d’azote

Le concept de limites planétaires

Le concept de limites environnementales à l’échelle de la planète, ou « points de bascule », a été récemment élaboré afin de répondre aux multiples pressions subies par le système terrestre du fait de l’accélération des activités humaines (Rockström et al., 2009)24. Le paradigme des limites planétaires permet de calculer des niveaux acceptables de perturbations anthropiques, sous lesquels le risque de déstabilisation des mécanismes terrestres resterait probablement faible : un « espace de fonctionnement sûr » pour le développement de la société dans le monde. Une fois les limites franchies, le système terrestre est en danger et l’humanité avec lui. Ainsi, ce paradigme constitue une analyse fondée sur des preuves scientifiques du risque de déstabilisation du système terrestre au niveau de la planète.

Rockström et al., 2009, ont proposé neuf limites planétaires, à savoir le changement climatique, la perte de biodiversité, l’accentuation des cycles de l’azote et du phosphore, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’acidification des océans, l’utilisation de l’eau douce mondiale, la réaffectation des sols, la pollution chimique et la charge atmosphérique en aérosols. On estime que trois de ces limites ont déjà atteint leur point de bascule : le changement climatique, la perte de biodiversité et l’interférence des activités humaines sur le cycle de l’azote. Sur le front de l’azote, l’espace de fonctionnement sûr pour la fixation de l’azote anthropique repose sur une estimation approximative de 35 millions de tonnes d’azote par an, soit 17 % de sa valeur actuelle estimée par Fowler et al., 2013 (voir le Tableau 1.1 au chapitre 1). De l’aveu de Rockström et al., 2009, cette estimation est approximative et il sera nécessaire de la mettre à jour.

Première critique

Le concept des limites planétaires a soulevé des objections, car les limites établies étaient jugées trop basses pour permettre de nourrir la population mondiale actuelle (Nordhaus et al., 2012). L’objectif des limites planétaires étant d’arriver à un « espace de fonctionnement sûr » pour le développement humain, les besoins humains en azote doivent être pris en compte au même titre que les impacts environnementaux.

En réponse à ces premières remarques, de Vries et al., 2013, ont estimé les besoins en azote de la production alimentaire mondiale à environ 52-80 millions de tonnes par an et ont jugé les pertes dans l’environnement «acceptables» (autrement dit inférieures aux seuils sanitaires et environnementaux critiques) entre 20 et 133 millions de tonnes par an25 (Tableau 2.2). Bien que ces chiffres soient deux à six fois supérieurs aux estimations précédentes (72 à 213 millions de tonnes d’azote par an, contre 35), cette nouvelle estimation des limites planétaires reste inférieure ou comparable à la quantité actuelle de fixation d’azote anthropique estimée à 210 millions de tonnes par an par Fowler et al., 2013. En d’autres termes, selon de Vries et al., 2013, même en admettant qu’il soit possible de distribuer l’azote (et le phosphore) de manière optimale sur toute la planète, il est probable que les limites planétaires applicables à l’azote soient inférieures au taux actuel de fixation.

Tableau 2.2. Limites planétaires pour la fixation de l’azote anthropique
Millions de tonnes d’azote par an

Indicateur

Seuil critique

Pertes en azote actuelles

Limites planétaires

Concentrations atmosphériques de NH31

1 μg par m3

24.9

89

3 μg par m3

32.1

115

Forçage radiatif du N2O2

1 W par m2

0.8

20

2.6 W par m2

5.3

133

Concentrations de NO3- dans l’eau potable3

25 mg par litre

30.0

83

50 mg par litre

36.9

111

Azote dans les eaux de surface4

1.0 mg N par litre

5.4

62

2.5 mg N par litre

7.2

82

Phosphore dans l’eau5

6.2 millions de tonnes P par an

-

73

11.2 millions de tonnes P par an

-

132

Besoins mondiaux en azote pour la production alimentaire6

Efficacité d’utilisation de l’azote actuelle (NUE)

-

80

Hausse de 25 % de la NUE

-

52

1. Valeurs maximale et minimale pour les impacts sur les lichens et plantes supérieures, respectivement

2. Calculé d’après la part actuelle de N2O rapportée à la somme du CO2, du méthane (CH4) et du N2O, non corrigé des effets de l’azote sur la séquestration du CO2

3. Valeur limite pour l’eau potable selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS)

4. Seuils critiques d’eutrophisation des eaux de surface (azote inorganique dissous)

5. Seuils critiques en termes d’apport en engrais phosphatés (Carpenter et Bennett, 2011)

6. Pour une population de 9 milliards d’individus alimentés selon les niveaux recommandés, sans surconsommation ni malnutrition, en retenant l’hypothèse du niveau actuel d’efficacité d’utilisation de l’azote dans l’agriculture ou l’hypothèse d’une hausse de 25 % de cette efficacité.

Source : D’après de Vries et al. (2013) ; Steffen et al. (2015).

Deuxième critique

La deuxième critique, plus fondamentale, opposée au concept de limites planétaires, tient au fait que la variabilité spatiale ôte toute pertinence à un seuil planétaire (Lewis, 2012 ; Nordhaus et al., 2012). Pour commencer, de nombreux impacts se vérifient à une échelle régionale (perte de biodiversité terrestre due aux dépôts d’azote, par exemple, ou eutrophisation des eaux douces et marines due au ruissellement d’azote). Ensuite, l’apport en engrais azotés (et phosphatés) est très inégal entre les pays de l’OCDE et le reste du monde (Vitousek et al., 2009).

Certains scientifiques font valoir que cette variabilité spatiale des impacts et de la disponibilité de l’azote serait prise en compte en établissant des limites régionales, à l’image, disent-ils, de celles déterminées pour les charges critiques de dépôts d’azote. Selon de Vries et al., 2001 et Erisman et al., 2001, le fait de tracer des limites régionales n’exclut pas d’estimer des limites à plus grande échelle, comme l’ont fait les Pays-Bas ; un dépassement de ces « limites maximales » augurerait d’éventuels problèmes à l’échelle régionale, quelle que soit la distribution spatiale de l’azote.

Appréciation générale

Dans le cas du N2O, une limite planétaire n’est guère utile à l’action publique ; au contraire, toute limite de forçage radiatif doit englober l’ensemble des GES car la réduction des émissions de N2O peut être remplacée par une réduction des émissions de CO2 ou de CH4. Les limites planétaires font déjà partie intégrante de la gestion des risques liés à l’azote (comme les risques d’acidification et d’eutrophisation dans le cas des charges critiques de dépôt dans les écosystèmes terrestres). En attendant que la pertinence des limites planétaires ou régionales soit étudiée plus avant dans le cadre par exemple du projet de mise en place d’un système international de gestion de l’azote (projet INMS), la première étape de toute démarche de précaution pourrait être l’instauration d’un budget azote national (voir ci-dessous).

Il est trop tôt pour se pencher sur la question des limites ou des gains d’efficience qui seraient souhaitables dans l’utilisation de l’azote ou ses pertes. Les travaux en cours dans le cadre du projet INMS devraient éclairer ce débat d’ici 2021 (Encadré 2.4). Dans l’intervalle, et dans un premier temps, les pays pourraient mettre en place un bilan azote à l’échelle de l’économie tout entière et commencer à effectuer un suivi des tendances. Il faudrait pour cela évaluer la quantité totale d’azote introduite dans l’environnement, toutes sources confondues, et suivre ces sources pour faire état de la quantité d’azote rejetée chaque année, par source et au total, en tenant compte également de la dénitrification. Parallèlement, des moyens pourraient être déployés pour faire face à des impacts particuliers de l’azote en adoptant une démarche fondée sur les risques.

Encadré 2.4. Le système international de gestion de l’azote

Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a annoncé qu’il consacrerait près de 6 millions USD à la mise en place du système international de gestion de l’azote (INMS) (grâce au projet « Towards INMS »). De portée mondiale, le projet Towards INMS doit se dérouler sur quatre années entre 2017 et 2021. Le PNUE est l’« organisme de réalisation » du FEM (l’usager), tandis que le Centre for Ecology and Hydrology (CEH) du Natural Environment Research Council britannique, est l’« organisme d’exécution » du FEM (le coordinateur du projet). Le PNUE contribue au projet Towards INMS en assurant le secrétariat du Partenariat mondial sur la gestion des nutriments (GPNM), créé en 2007 pour orienter le dialogue et les actions en faveur d’une gestion efficace des nutriments.

Le système international de gestion de l’azote livrera diverses analyses à l’appui de l’élaboration des politiques sur l’azote. Le projet Towards INMS s’articule autour de quatre composantes : (i) outils de compréhension et de gestion du cycle mondial de l’azote ; (ii) quantification des flux d’azote et des menaces et avantages liés à l’azote ; (iii) projets témoins régionaux ; et (iv) sensibilisation et partage des connaissances.

Sept projets témoins régionaux ont été mis au point pour illustrer les avantages qu’il y a à coordonner la gestion de l’azote à l’échelle régionale/des bassins hydrographiques :

  • Europe de l’Ouest (côte atlantique, y compris la France, l’Espagne et le Portugal)

  • Asie de l’Est (y compris la Chine et le Japon)

  • Asie du Sud (y compris l’Inde, les Maldives et le Sri Lanka)

  • Europe de l’Est (bassin hydrographique du Dniepr, y compris la Russie et l’Ukraine)

  • Amérique latine (bassin hydrographique de La Plata, y compris le Brésil)

  • Afrique de l’Est (bassin hydrographique du lac Victoria, y compris l’Ouganda)

Réaliser un suivi des flux d’azote (à l’aide par exemple d’un bilan azote national englobant tous les pans de l’économie) permettrait de disposer d’une variable d’alerte précoce indiquant si les mesures des pouvoirs publics améliorent la situation globale ou ne font que déplacer le problème d’un endroit à l’autre (Salomon et al., 2016). En d’autres termes, si l’azote rejeté dans l’environnement n’a pas été sensiblement réduit par les mesures en place, peut-être est-ce le signe que tous les impacts n’ont pas été correctement pris en charge (autrement dit que les mesures relatives à l’azote n’ont pas toutes été efficaces) ou que de nouveaux risques se font jour. Cet « indicateur phare » sensibiliserait également les responsables publics à la dimension systémique de la problématique de l’azote et améliorerait la cohérence des politiques (ibid.).

Certains pays effectuent un suivi complet de leurs flux d’azote, comme l’Allemagne, le Danemark, les États-Unis, les Pays-Bas et la Suisse. L’évaluation de l’azote à l’échelle européenne (Sutton et al., 2011) fournit des estimations relatives à l’UE-27 et l’évaluation de l’azote à l’échelle de la Californie estime, pour l’ensemble de l’État, un bilan azote englobant tous les pans de l’économie (Tomich et al., 2016). En 2012, le Groupe de travail sur l’information environnementale de l’OCDE (GTIE) a commencé à examiner la méthode à employer afin de mesurer les flux d’azote en vue d’élaborer un indicateur d’azote à l’échelle des pays. Le GTIE a proposé un système de mesure à plusieurs niveaux et un format de compte rendu sur lesquels pourrait s’appuyer l’élaboration d’indicateurs d’azote destinés à rejoindre l’ensemble d’indicateurs environnementaux et de croissance verte de l’OCDE (OCDE, 2013 et 2014).

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Notes

← 1. Ce que Keeler et al., 2016 appellent les « critères observés ».

← 2. Le présent rapport ne fournit par le détail des niveaux de risque acceptables définis dans les politiques environnementales.

← 3. En décembre 2015, la Conférence des Parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui s’est tenue à Paris a fixé comme objectif à long terme de limiter la hausse des températures moyennes mondiales à bien moins de 2 °C par rapport à l’ère pré-industrielle.

← 4.  Estimé d’après les données sur le stock de carbone (C) contenues dans l’inventaire national des émissions et puits de GES. La variation des stocks d’azote a été évaluée en attribuant simplement un ratio de masse molaire C/N de 12 pour les sols et de 261 pour les arbres, et en convertissant adéquatement entre C et N.

← 5. Les travaux étudiés par Battye et al., 2017 aboutissent à la même conclusion : la variation de la biomasse terrestre et des sédiments marins, qui représentent le principal puits d’azote après la dénitrification, ne capterait que 9 et 13 Tg d’azote par an respectivement, contre 400 Tg pour la dénitrification.

← 6. Les voies de transfert biogéochimiques sont appelées « voies de transfert » dans le présent rapport.

← 7.  Selon la définition de l’Agence pour la protection de l’environnement des États-Unis (USEPA), un bassin d’air est la zone géographique où sont situées des sources d’émissions responsables de 75 % des dépôts d’une forme d’azote donnée (par exemple, les NOx) dans un bassin hydrographique, une ville ou un écosystème protégé précis.

← 8. La pollution atmosphérique est considérée comme le principal défi environnemental du Chili, notamment la pollution aux particules fines (PM2.5) dans la région métropolitaine de Santiago. Les deux tiers de ces particules fines sont des particules secondaires ayant entre autres pour précurseurs les NOx.

← 9.  Les autres bienfaits ne sont pas pris en compte dans le calcul, ce qui explique pour l’essentiel que les mesures liées à la surface aient généralement le rapport coût-efficacité le moins élevé.

← 10. Dans les apports nets d’azote imputables aux activités humaines, les entrées recouvrent les dépôts de NOy (la somme de toutes les formes d’oxyde d’azote), l’utilisation d’engrais azotés, la fixation de l’azote dans les cultures et l’apport net d’azote résultant des importations et exportations des produits d’alimentation humaine et animale. Les sorties correspondent quant à elles à la migration dans les cours d’eau (Hong et al., 2013).

← 11.  La portion renvoyée vers l’atmosphère est largement supérieure à la portion absorbée par les plantes terrestres, d’après USEPA-SAB, 2011.

← 12. Le modèle GWAVA repose sur deux modèles de régression non linéaire : un pour les eaux souterraines peu profondes (en général d’une profondeur inférieure à cinq mètres et pouvant être utilisées comme eau potable ou non) et un pour les ressources plus profondes d’eau utilisée pour la consommation.

← 13.  Quelle que soit la source émettrice de N2O, ce gaz contribue au changement climatique et à l’appauvrissement de la couche d’ozone à l’échelle de la planète (voir chapitre 1).

← 14.  L’outil de modélisation, appelé Overseer, a été mis au point à l’origine pour la gestion des engrais azotés ; il peut aussi servir à estimer les émissions de N2O en combinant les facteurs d’émission de GES utilisés dans les inventaires nationaux avec les données des exploitants.

← 15.  Une meilleure compréhension des voies de transfert serait aussi nécessaire pour estimer la part des émissions de N2O qui contribue à l’appauvrissement de la couche d’ozone.

← 16.  Les modèles biochimiques actuels considèrent par exemple que l’hydroxylamine inorganique est le seul intermédiaire formé lors de la conversion par les bactéries nitrifiantes de l’ammonium (NH4+) en nitrite (NO2-) dormant. Dans une nouvelle étude, des chimistes ont démontré que l’hydroxylamine est convertie en un autre intermédiaire, l’oxyde nitrique (NO), qui dans un sol normal agit comme un précurseur chimique du NO2-. Cependant, dans un sol déséquilibré, le NO est converti en N2O (Caranto et Lancaster, 2017).

← 17. La concentration en oxygène est extrêmement faible dans les tourbillons océaniques de l’Atlantique pouvant faire jusqu’à 100 km de diamètre.

← 18. À ce jour, le principe de précaution a été appliqué de manière circonscrite et sélective. Il n’a été invoqué que dans deux cas, celui du changement climatique et celui des produits biotechnologiques, y compris pour le recours aux organismes génétiquement modifiés (OGM) dans le but de réduire l’emploi d’herbicides (Saunders, 2010).

← 19. Le projet d’étude de l’azote en Californie a choisi d’étudier le bassin versant du fleuve San Joaquin « en raison de la coexistence d’une production agricole intensive et de vastes zones urbaines » ainsi que des « antécédents de pollution de l’eau et de l’air liée à des excédents d’azote », des caractéristiques qui font de ce bassin une « région d’intérêt à forte concentration d’azote » (Tomich et al., 2016). La pollution des eaux souterraines est dépeinte comme le principal problème de pollution azotée.

← 20. Dans les régions tempérées, par exemple, la chicorée, le plantain, le trèfle violet et le trèfle blanc pourraient se substituer en tant que plante fourragère au ray-grass anglais, dont la croissance nécessite de grandes quantités d’azote (Gilliland et al., 2010).

← 21. Soit au moyen d’une stratégie transgénique (autrement dit en transférant le gène de codage de la nitrogénase de la bactérie à la plante) ou en étendant la fixation symbiotique de l’azote aux plantes autres que les légumineuses (autrement dit en laissant à la bactérie le soin de fixer l’azote mais en faisant en sorte que cette fixation intervienne dans la plante plutôt que dans le sol).

← 22. L’azote fixé par les légumineuses répond mieux aux besoins de la plante hôte que l’épandage d’engrais chimique, aussi précis soit-il.

← 23. En raisonnant par analogie avec la possibilité de définir un prix du carbone reposant sur le potentiel de réchauffement climatique de divers GES, Socolow, 1999 et 2016, propose d’utiliser un prix unique de l’azote pour favoriser l’utilisation efficace de cette ressource.

← 24. L’accélération de l’activité humaine est si marquante qu’il a été proposé de définir une nouvelle époque géologique, l’Anthropocène (Crutzen, 2002 ; Crutzen et Steffen, 2003).

← 25.  Steffen et al., 2015, ont estimé des limites planétaires pour le phosphore en s’appuyant sur les besoins en phosphore engendrés par la croissance des végétaux avec un ratio moyen N:P de 11.8 dans un végétal en croissance.

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