1. Tendances récentes de l’émigration malienne

Le Mali a une longue histoire migratoire, principalement vers les pays africains, et vers les pays du sud de la Méditerranée. L’émigration est une composante centrale et traditionnelle de la société malienne, prenant racine bien avant la période coloniale. La situation géographique du pays, au croisement des principaux axes marchands entre le Maghreb et l’Afrique Sub-saharienne, a très tôt favorisé la mobilité de la population malienne, notamment pour le commerce de certains produits comme le sel, le bétail ou l’or, mais aussi par le trafic d’esclave (Mesplé-Somps et Nilsson, 2020[1]). La situation climatique du Mali, étant situé sur la zone saharienne, la zone soudanaise et la zone sahélienne, a aussi déterminé les mouvements migratoires des Maliens : le climat de la zone soudano-sahélienne caractérisé par des sécheresses récurrentes, des déficits hydriques, et l’irrégularité des pluies a contribué aux mouvements migratoires internationaux en provenance du Mali, notamment des populations agricoles et pastorales souhaitant trouver des points d’eau. Comme dans la plupart des territoires du Sahel, les pratiques d’utilisation de l’espace étaient caractérisées par la transhumance, le nomadisme et l’agriculture extensive, favorisant donc des mouvements migratoires réguliers (Mesplé-Somps et Nilsson, 2020[1]). Les sécheresses sont aussi un facteur d’exode rural (Defrance, Delesalle et Gubert, A paraître[2]).

Le Mali a longtemps constitué une réserve de main-d’œuvre pour les grands projets industriels et agricoles, en particulier à partir de l’époque coloniale. Les Soninkés, notamment présents dans la région de Kayes, sont considérés comme les premiers migrants : leurs activités commerçantes leur ont permis de se déplacer plus facilement et ainsi d’établir un réseau migratoire. Ils ont d’abord été mobilisés, au début du 20e siècle afin de travailler dans la construction de routes et des chemins de fer de Dakar à Bamako (Keïta, 2009[3]). Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Soninkés ont été mobilisés dans l’armée française. Certains d’entre eux se sont installés en France après la guerre, développant ainsi progressivement d’importants réseaux migratoires. L’émigration malienne depuis la région de Kayes vers la France s’est donc accentuée dans les années 1950 (Lecomte, 2009[4]). Lors de la même période, le développement économique rapide de la Côte d’Ivoire a rendu ce pays attractif aux populations des pays voisins de la région, conduisant à l’émergence des flux migratoires depuis le Mali vers la Côte d’Ivoire. Dans les années 1950, l’émigration temporaire du Mali vers le Ghana est aussi devenue relativement importante (Keïta, 2009[3]).

À l’indépendance du Mali en 1960, le Président socialiste Modibo Keïta, au pouvoir jusqu’en 1968, a incité les Maliens établis à l’extérieur à revenir au Mali et a mis en place des restrictions sur l’émigration des Maliens. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’émigration malienne s’est particulièrement intensifiée notamment lorsque le Sahel a été frappé par de grandes vagues de sécheresse. Durant cette période, le Mali a traversé, au même titre que les autres pays du Sahel des crises alimentaires et socioéconomiques considérables. Les famines, les niveaux élevés de pauvreté et d’inégalités économiques et sociales ainsi que la répression politique du régime en place ont provoqué l’émigration internationale de nombreux Maliens (Keïta, 2009[3]). Les flux migratoires vers la Côte d’Ivoire se sont particulièrement intensifiés : les émigrés maliens ont ainsi répondu à la demande de main d’œuvre croissante en Côte d’Ivoire, notamment dans le secteur agricole et plus particulièrement les plantations de café et de cacao mais aussi dans des activités maritimes et de transports. Les Maliens émigraient alors aussi dans des pays voisins comme le Sénégal, le Burkina Faso ou le Gabon.

Par ailleurs, les besoins de main d’œuvre en France ont conduit à l’intensification des flux migratoires depuis le Mali, et particulièrement depuis la région de Kayes, vers la France dans les années 1960 et au début des années 1970. L’émigration malienne en France s’est aussi amplifiée à cette période en raison de la méfiance envers les travailleurs algériens suscité en France par la Guerre d’Algérie conduisant au recrutement d’immigrés d’Afrique sub-saharienne (Boulanger et Mary, 2011[5]). L’arrêt de l’immigration de travail décidé en 1974 par le gouvernement français a donné un coup d’arrêt aux flux vers la France. Néanmoins ces restrictions ont aussi favorisé d’une part, l’installation des émigrés maliens vivant déjà en France, et d’autre part, le regroupement familial. Dans les années 1980, de nombreux Maliens qualifiés qui ont émigré en France pour leurs études s’y sont installés, au lieu de retourner au Mali comme les précédents étudiants maliens l’avaient fait, en raison de la situation économique très défavorable au Mali.

La crise économique à partir des années 1980 puis la crise politico-militaire de 2002 en Côte d’Ivoire a provoqué le retour de nombreux immigrés maliens, particulièrement vers le Sud du Mali dans les régions agricoles et minières. Ces régions ont aussi accueilli un afflux d’immigrés d’autres nationalités, notamment ivoirienne, guinéenne et burkinabée fuyant la Côte d’Ivoire.

Les restrictions additionnelles instaurées par la France concernant d’abord spécifiquement les étudiants puis les regroupements familiaux à la fin des années 1980 et les crises économiques et politiques en Côte d’Ivoire ont conduit à une diversification des pays de destination des émigrés maliens. L’Espagne, aux conditions d’entrée moins contraignantes et aux besoins de main d’œuvre plus forts que la France, est devenue attractive pour les émigrés maliens. À partir des années 1990 et 2000, les Maliens se sont de plus en plus dirigés vers les États-Unis, où l’obtention d’un visa puis de la nationalité leur semblait plus facile qu’en France (Boulanger et Mary, 2011[5]).

Les conflits armés qui ont éclaté dans le nord du Mali en janvier 2012 et le coup d’état militaire à Bamako qui a renversé le chef de l’État Amadou Toumani Touré en mars 2012 ont généré des mouvements importants de populations à l’intérieur du pays, mais aussi vers l’étranger. Ces mouvements ont notamment concerné les populations des trois régions du nord du pays (Tombouctou, Gao et Kidal), qui se sont déplacées vers le centre et le sud du Mali, ou bien vers les pays frontaliers. Avec le déplacement du conflit malien vers le centre du pays, des populations des régions de Mopti et de Ségou ont dû fuir leur zone de résidence. Aujourd’hui, plus de 500 000 résidents maliens sont déplacés, en majorité dans le pays (environ 370 000 déplacés internes) et dans les pays limitrophes (150 000 réfugiés) (DNDS/OIM, 2021[6]) En Europe, les migrations humanitaires du Mali vers l’Italie ont fortement augmenté dans les années 2010.

Le Mali est aussi un pays de transit des migrations africaines, dont les migrations illégales, notamment pour les émigrés ouest-africains comme la Guinée, le Sénégal et la Gambie. Ces émigrés font généralement étape à Bamako (Streiff-Fénart et Poutignat, 2014[7]) avant de rejoindre les villes des régions du nord du Mali puis l’Algérie, la Libye, le Maroc ou la Tunisie, parfois dans le but de rejoindre l’Europe (OIM, 2020[8]). C’est aussi un pays de transit pour les migrations de retour dont le trajet par le Sahara n’a pas abouti.

Parmi les pays membres de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Mali ne fait pas partie des pays dont les flux migratoires vers les pays de l’OCDE sont les plus élevés. En moyenne entre 2000 et 2019, les flux migratoires depuis le Nigéria, le Sénégal, le Ghana, la Guinée et la Côte d’Ivoire étaient supérieurs à ceux du Mali (Graphique 1.1). Les flux migratoires depuis le Mali vers les pays de l’OCDE ont atteint près de 10 400 personnes en 2019 (fluctuant entre 10 000 et 13 000 entre 2015 et 2019). Le volume des flux maliens est légèrement inférieur mais relativement proche de ceux des flux depuis la Guinée et la Côte d’Ivoire, tandis que les flux depuis le Nigéria étaient de l’ordre de 70 000 personnes en 2019.

Entre 2000 et 2010, la croissance des flux d’émigration depuis le Mali a été particulièrement forte (180 %) relativement aux principaux pays de la CEDEAO dont les flux d’émigration vers l’OCDE étaient les plus élevés, à l’exception de la Guinée (350 %). Entre 2010 et 2019, le nombre d’entrées annuelles de ressortissants maliens dans les pays de l’OCDE a cru de près de 40 %, une croissance intermédiaire en comparaison avec les autres pays de la région. La croissance des flux migratoires a été moins forte en provenance du Sénégal (18 %), mais nettement plus forte en ce qui concerne la Gambie, la Guinée et la Guinée-Bissau (plus de 110 %).

Depuis 2000, les flux d’émigration depuis le Mali vers les pays de l’OCDE ont fortement augmenté. Comme l’indiquent les chiffres issus de la Base de données de l’OCDE sur les migrations internationales (cf. Annexe A),le nombre d’entrées annuelles légales de ressortissants maliens dans les pays de l’OCDE est passé d’environ 2 400 en 2000 à plus de 9 000 en 2008 et à environ 10 400 en 2019. La croissance des flux d’émigration a été essentiellement concentrée entre 2000 et 2004 (230 %) et entre 2012 et 2017 (280 %). On a observé, à partir de 2018, une diminution des flux vers les pays de l’OCDE. La reprise de l’augmentation des flux d’émigration à partir de 2012 peut s’expliquer par le conflit armé débuté la même année au nord du Mali, qui a provoqué le déplacement international de milliers de personnes vivant au Mali comme noté plus haut

Parmi les pays de l’OCDE, la France a longtemps été le premier pays de destination des émigrés maliens. Au début des années 2000, plus de 65 % des flux de ressortissants maliens vers les pays de l’OCDE étaient dirigés vers la France. À partir de 2004, les entrées annuelles de ressortissants maliens en Espagne ont plus que triplé (de 1 400 à 4 800 environ) dépassant ainsi jusqu’en 2007, les flux migratoires vers la France. Au cours de la première décennie, l’Espagne et la France absorbaient en moyenne près de 90 % des flux d’émigration maliens dans l’OCDE. Toutefois à partir de 2007, les flux à destination de l’Espagne ont fortement diminué passant de 4 300 en 2006 à environ 1 100 en 2017. Cette diminution coïncide notamment avec la mise en place par le gouvernement espagnol d’un renforcement substantiel des dispositifs de contrôle des flux migratoires depuis le Mali et d’autres pays ouest-africains à partir de 2006 (Gabrielli, 2009[9])

La baisse des flux d’émigration vers l’Espagne s’est faite au profit de l’augmentation des flux d’émigration à destination de la France d’abord (87 % de croissance entre 2007 et 2009), et de l’Italie ensuite, qui a connu à partir de 2012 une augmentation considérable du nombre d’entrées annuelles de ressortissants maliens (Graphique 1.3). Les flux vers l’Italie sont passés d’environ 200 personnes avant 2011 à près de 1 500 en 2012 et ont atteint un pic de 6 800 personnes en 2017. L’augmentation des titres de séjour délivrés par l’Italie aux ressortissants maliens à cette période concernait essentiellement des permis de courte durée (inférieure à 12 mois). Cette augmentation coïncide également avec une forte croissance du nombre de demandes d’asile de ressortissants maliens en Italie (de 65 en 2010 à près de 10 000 en 2014 et 7 600 en 2017). Il s’agit donc essentiellement de flux migratoires humanitaires déclenchés par le conflit civil au Mali. Entre 2017 et 2019, le nombre de permis de séjour délivrés par l’Italie a considérablement baissé (de près de 76 %).

Bien que les flux restent essentiellement concentrés vers la France, l’Italie et l’Espagne, les pays de destination des émigrés maliens dans l’OCDE se sont légèrement diversifiés au cours des 20 dernières années. Tout d’abord, les flux migratoires à destination des États-Unis, quatrième pays de destination de l’OCDE en 2019, ont été multipliés par presque six entre 2000 et 2011 puis ont relativement stagné jusqu’en 2019. Les ressortissants maliens se sont également dirigés de manière croissante vers l’Allemagne et le Canada. Néanmoins, les flux migratoires vers ces trois pays ne représentaient que 15 % des flux vers les pays de l’OCDE en 2019 (Graphique 1.3).

Les flux récents en provenance du Mali vers les pays de l’OCDE sont caractérisés par une surreprésentation considérable des hommes, et des jeunes. En 2020, les femmes ne représentaient que 20 % des ressortissants maliens ayant reçu un titre de séjour par les pays européens de l’OCDE. Ce déséquilibre est encore plus prononcé en Italie : en moyenne entre 2012 et 2019, plus de 90 % des titulaires maliens étaient des hommes. En 2019, cette part était de 76 % en France et de 68 % en Espagne. Les ressortissants maliens recevant des titres de séjour italiens sont particulièrement jeunes :: 55 % d’entre eux étaient âgés de moins de 19 ans et 60 % de 20 à 34 ans en 2017. Les personnes âgées de plus de 35 ans ne représentaient donc que 2 % des ressortissants maliens en Italie, tandis qu’ils représentaient près de 20 % en France et en Espagne.

En 2010, la majorité des permis de séjour délivrés par les pays européens de l’OCDE aux ressortissants maliens étaient délivrés pour des motifs professionnels (40 %) et familiaux1 (30 %). Entre 2012 et 2015, la part des permis délivrés pour motif professionnel a substantiellement diminué au profit des permis pour motif familial (45 % des permis en 2015) et des permis « autre », catégorie qui comprend essentiellement des permis pour des motifs humanitaires. La part de ces permis humanitaires a fortement augmenté en 2012 (+ 12 points de pourcentage par rapport à 2011) et a atteint 60 % des permis délivrés aux ressortissants maliens en 2017. La migration humanitaire, en raison notamment des conséquences considérables du conflit civil déclenché en 2012, est devenue majoritaire dans les flux de ressortissants maliens vers les pays européens de l’OCDE au cours des cinq dernières années (Graphique 1.4). À partir de 2018, le nombre de permis pour motif familial a retrouvé un niveau plus élevé à mesure que la part des permis humanitaires a diminué. Ainsi en moyenne en 2019 et en 2020, les permis pour motifs familiaux, humanitaires et professionnels représentaient respectivement environ 30 % des permis, tandis que les permis pour motif d’études représentaient près de 15 % des permis, soit une augmentation de 7 points de pourcentage depuis 2012.

Le type de permis délivrés aux ressortissants maliens varie significativement selon les pays de destination. La France est le seul pays parmi les principaux pays de destination en Europe à octroyer un nombre substantiel de permis de séjour pour motif éducatif : la part de ces derniers est passée d’environ 10 % des permis en 2010 à près de 20 % en 2020, tandis que cette part n’a pas dépassé 2 % des permis délivrés par l’Italie et l’Espagne au cours de cette période (Graphique 1.5). Cela peut s’expliquer par la connaissance de la langue française par les jeunes Maliens, l’offre de bourses subventionnées par l’État, ainsi que la qualité et le faible coût des études relativement à d’autres pays. La part des permis pour motif familial a fluctué entre 30 % et 45 % des permis délivrés par la France aux ressortissants maliens entre 2010 et 2018, puis a légèrement diminué en 2020.

Les flux migratoires du Mali vers l’Espagne ont été principalement dominés par les motifs professionnels et familiaux au cours des dix dernières années. Le part de permis pour motif professionnel est passée de 67 % des permis en 2010 à 40 % en 2020. Cette diminution s’est produite parallèlement à une augmentation des permis pour motif familial (34 % en 2020).

Les flux vers l’Italie présentent une tendance significativement différente. Au cours des dix dernières années la grande majorité des permis de séjour délivrés par l’Italie aux ressortissants maliens ont été délivrés pour des motifs humanitaires (80 % en moyenne). À partir de 2018, on observe une légère diminution du nombre de permis humanitaires délivrés par l’Italie, et une augmentation du nombre de permis délivrés pour motif familial, dont la part est passée de 2 % des permis en 2017 à 15 % en 2020 (Graphique 1.5).

Comme le montre le Graphique 1.6, les femmes maliennes reçoivent nettement plus souvent des permis pour motif familial que les hommes. En 2019, 45 % des femmes maliennes ont reçu des permis pour motif familial en France contre 20 % des hommes. Cet écart est particulièrement prononcé pour les permis délivrés par l’Italie et l’Espagne : près de 90 % des femmes ont reçu des permis familiaux, contre 42 % des hommes en Espagne et seulement 6 % en Italie. En 2019, les hommes maliens en Italie ont essentiellement obtenu des permis humanitaires. En France et en Espagne, les hommes ont plus souvent reçu des permis pour motifs professionnels.

Appréhender les intentions d’émigration au sein de la population du Mali permet de mieux comprendre l’ampleur et les raisons des flux migratoires en provenance de ce pays. Par ailleurs, les intentions d’émigration peuvent donner des indications utiles sur les tendances futures de ces flux. L’enquête mondiale Gallup (voir Annexe A) recueille des informations sur les intentions d’émigration des personnes nées et résidant au Mali âgées de 15 ans ou plus. La disponibilité d’informations sur les caractéristiques de ces individus permet d’analyser la corrélation entre les intentions de quitter le pays et différentes variables socio-économiques, comme le niveau d’éducation ou la situation de l’emploi.

Relativement aux autres pays de l’UEMOA, les Maliens expriment moins souvent l’intention d’émigrer : entre 2010 et 2018, 20 % des personnes de 15 ans et plus nées et résidant au Mali indiquent souhaiter vivre de façon permanente dans un autre pays, tandis que cette proportion était de 28 % en moyenne dans l’ensemble des pays de l’UEMOA et de 37 % dans l’ensemble des pays d’Afrique sub-saharienne (Graphique 1.7).Seuls les Nigériens expriment moins souvent l’intention de quitter leur pays (17 %). En 2018, les destinations favorites des Maliens exprimant le désir d’émigrer étaient la France (20 %) et les États-Unis (16 %). Alors que l’Espagne et l’Italie font partie des principaux pays de destination des émigrés maliens, ces pays sont peu cités par les répondants comme destinations souhaitées (seulement 6 % pour l’Espagne et 3 % pour l’Italie). Ces pays semblent ainsi davantage représenter une étape éventuelle dans le parcours migratoire des Maliens que des pays de destination où s’installer de façon durable.

Les intentions d’émigration des Maliens ont augmenté entre 2010-15 et 2016-18, une tendance commune à l’ensemble des pays de la région, à l’exception du Burkina Faso où les intentions d’émigration sont restées stables. Toutefois, cette hausse a été nettement moins forte au Mali que dans les autres pays de l’UEMOA.

La plupart des personnes souhaitant quitter le Mali ont toutefois peu de chances de concrétiser leurs intentions d’émigration à court ou moyen terme. La question « envisagez-vous de partir vivre de façon permanente dans un autre pays dans les 12 prochains mois » permet d’évaluer si la volonté d’émigrer est susceptible de se traduire en action dans un horizon temporel défini. Les réponses à cette question mettent en évidence, pour tous les pays de l’UEMOA, un décalage important entre l’intention d’émigration et la probabilité que cette intention se concrétise à court terme. Au Mali, environ un tiers des personnes souhaitant émigrer considéraient le faire au cours des 12 prochains mois, et seulement 16 % indiquaient avoir commencé à préparer leur départ du pays.

Les intentions d’émigration varient significativement selon les caractéristiques sociodémographiques comme l’âge, le niveau d’éducation et la situation sur le marché du travail. Dans tous les pays de l’UEMOA, les intentions d’émigration sont particulièrement élevées parmi les jeunes (personnes âgées de 15 à 24 ans). Comme le montre le Graphique 1.8, 31 % des jeunes Maliens expriment l’intention d’émigrer, soit plus de 10 points de pourcentage de plus que l’ensemble de la population. Les jeunes maliens expriment toutefois moins souvent l’intention d’émigrer que les jeunes des autres pays de l’UEMOA. Il existe par ailleurs, une différence majeure entre hommes et femmes dans les intentions d’émigration : seulement 14 % des femmes maliennes indiquent souhaiter quitter le pays, soit 11 points de pourcentages de moins que parmi les hommes, une tendance commune à la plupart des pays de l’UEMOA.

On observe également des différences selon la situation sur le marché du travail et le niveau d’éducation. Les individus se déclarant au chômage indiquent plus souvent souhaiter quitter le Sénégal : 27 % souhaitent quitter le pays (Graphique 1.8), alors que ce n’est le cas que de 20 % des personnes indiquant avoir un emploi. De même, les individus ayant un niveau d’éducation intermédiaire et élevé ont plus souvent l’intention d’émigrer que les personnes ayant un niveau d’éducation faible (seulement 17 % d’entre eux indiquent souhaiter émigrer).

La situation de l’emploi et particulièrement la situation défavorable des diplômés du supérieur sur le marché du travail au Mali peut notamment expliquer cette répartition des intentions d’émigration. En effet, l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail et la difficulté pour les personnes possédant un niveau d’éducation intermédiaire ou élevé à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications et à leurs aspirations peuvent les conduire à envisager de rechercher une meilleure situation à l’étranger. En plus de la difficulté de l’insertion professionnelle pour les jeunes et les personnes hautement éduquées au Mali, les emplois occupés sont souvent des emplois informels et précaires (Boutin, 2013[14]).

Toutefois, les intentions d’émigration ne correspondent pas toujours aux décisions réelles d’émigration, en particulier pour certains groupes démographiques. Les personnes en emploi ou hautement qualifiées ont probablement plus de capital économique et social, nécessaires pour émigrer, que les jeunes ou les personnes au chômage, qui font face à de difficultés pour envisager concrètement cette émigration. Les facteurs déterminant les intentions d’émigration et la possibilité de faire des plans concrets d’émigration sont toutefois très nombreux, et liés à la fois à des contraintes structurelles et conjoncturelles, mais aussi aux caractéristiques individuelles, aux attitudes à l’égard de la migration, au contexte familial, aux réseaux transnationaux, et à la qualité de vie perçue (Piguet et al., 2020[15]).

Les mesures disponibles sur le bien être subjectif des Maliens souhaitant émigrer mettent en lumière les déterminants des intentions d’émigration, et donc pour partie les facteurs explicatifs des mouvements migratoires effectifs. Au Mali, la difficulté à trouver un bon emploi semble être la principale cause du souhait d’émigration. En effet, le Graphique 1.9 montre que près de 65 % des personnes ne souhaitant pas émigrer considèrent que leur emploi actuel est l’emploi idéal, tandis que ce n’est le cas que pour environ un tiers des individus souhaitant quitter le pays. Bien que la part des personnes affirmant être satisfaites de la liberté de mener leur vie soit élevée, elle reste inférieure pour les personnes souhaitant émigrer (64 %) à celle des individus ne souhaitant pas quitter le Mali (71 %). De plus, les personnes exprimant le désir d’émigrer sont légèrement plus susceptibles d’avoir des amis et de la famille à l’étranger sur qui ils peuvent compter.

Ces résultats sont confirmés par les résultats de l’enquête Afrobaromètre qui couvre plus de 30 pays africains (voir Annexe A). D’après les données de la vague d’enquête 2016/2018, le motif principal du souhait d’émigration des Maliens est lié aux difficultés économiques auxquelles ils font face au Mali, et ce quel que soit leur âge. Pour près de 27 % d’entre eux, leur désir d’émigrer est alimenté par la volonté de trouver un emploi . Enfin, 10.5 % des Maliens indiquent que la pauvreté est le motif le plus important de leur souhait d’émigrer (Graphique ). Au total, plus de huit adultes maliens souhaitant émigrer sur dix (83 %) le feraient pour des raisons économiques.

Les flux d’émigration en provenance du Mali vers les pays de l’OCDE ont beaucoup augmenté au cours des 20 dernières années et sont essentiellement dirigés vers la France, l’Italie et l’Espagne. Les flux migratoires vers les pays de l’OCDE ont connu une croissance particulièrement forte à partir de 2012, surtout à destination de l’Italie, engendrée notamment par le début du conflit armé au Mali. Les flux ont donc été de plus en plus dominés par les migrations humanitaires et familiales, au dépens des flux pour motif professionnel. Les hommes sont largement surreprésentés parmi les ressortissants maliens récents dans les pays européens de l’OCDE. Cependant, la grande majorité des flux d’émigration des Maliens se font au sein du continent africain et principalement en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire restant de loin leur premier pays de destination, suivie des pays limitrophes, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie et le Sénégal. Si les intentions d’émigration son plus faibles au Mali que parmi l’ensemble des populations des pays voisins, elles partagent la même caractéristique d’être plus élevées parmi les jeunes, les diplômés du supérieur et les chômeurs. Les difficultés économiques et le manque d’opportunités d’emploi au Mali sont en effet les principaux motifs poussant les Maliens à exprimer le souhait d’émigrer.

Références

[5] Boulanger, C. et K. Mary (2011), « Les Maliens en France et aux États-Unis », e-Migrinter 7, pp. 17-28, https://doi.org/10.4000/e-migrinter.869.

[14] Boutin, D. (2013), « De l’école à l’emploi : la longue marche de la jeunesse urbaine malienne », Formation emploi 124, pp. 23-43, https://doi.org/10.4000/formationemploi.4109.

[11] CEDEAO (2019), Rapport sur les indicateurs régionaux de la migration en Afrique de l’Ouest en 2018, Commission de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

[2] Defrance, D., E. Delesalle et F. Gubert (A paraître), « Is migration drought-induced in Mali? An empirical analysis using panel data on Malian localities over the 1987-2009 period », Environment and Development Economics.

[6] DNDS/OIM (2021), Matrice de suivi des déplacements (DTM). Avril 2021, Direction nationale du développement social, Organisation internationale pour les migrations.

[9] Gabrielli, L. (2009), Développement et migrations dans l’espace euro-africain : une nouvelle conditionnalité migratoire ?, Les Cahiers de la Coopération internationale.

[10] ICMPD/OIM (2015), Enquête sur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest, International Centre for Migration Policy Development, Organisation Internationale pour les migrations.

[13] IOM (2020), West and Central Africa — COVID-19 — Impact on Mobility Report (April 2020), International Organisation for migrations.

[3] Keïta, S. (2009), « Chapitre 9. Migrations internationales et mobilisation des ressources », dans Migrants des Suds, IRD Éditions, https://doi.org/10.4000/books.irdeditions.5840.

[4] Lecomte, E. (2009), Mali. Des processus migratoires d’abord intra-africains., Institut de Recherches Economiques et Sociales.

[1] Mesplé-Somps, S. et B. Nilsson (2020), Les migrations internationales des Maliens, Région et Développement, http://www.regionetdeveloppement.org.

[8] OIM (2020), Matrice de suivi des déplacements (DTM). Suivi des flux de populations Mali, Organisation internationale pour les migrations.

[12] OIM (2019), Définir une feuille de route pour la gestion des migrations mixtes - Réunion d’experts de haut niveau., Organisation Internationale pour les migrations.

[15] Piguet, E. et al. (2020), « African students’ emigration intentions: case studies in Côte d’Ivoire, Niger, and Senegal », African Geographical Review, pp. 1-15, https://doi.org/10.1080/19376812.2020.1848595.

[7] Streiff-Fénart, J. et P. Poutignat (2014), « Vivre sur, vivre de la frontière : l’après transit en Mauritanie et au Mali », Revue européenne des migrations internationales, vol. 30/2, pp. 91-111, https://doi.org/10.4000/remi.6911.

Note

← 1. Les permis de séjour délivrés pour des motifs familiaux sont majoritairement des permis octroyés à des membres de la famille, surtout des conjoints et des enfants rejoignant des citoyens de l’UE et dans une moindre mesure, des conjoints rejoignant des personnes non-citoyens de l’UE.

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