Principe 10. Protéger les droits des suspects

132. Les personnes faisant l’objet d’une enquête fiscal pénale devraient pouvoir se prévaloir de certains droits procéduraux et fondamentaux, qui sont accordés à toute personne suspectée ou accusée d’un acte délictueux, y compris à caractère fiscal.

133. La Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU énonce les droits humains fondamentaux qui doivent être universellement protégés (Nations Unies, 1948[12]). Des droits et lignes directrices similaires figurent, par exemple, dans la Convention européenne des droits de l’homme (Cour européenne des droits de l'homme, Conseil d'Europe, 1950-2010[13]) et dans les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, 2003[14]). Ces droits peuvent être mis en œuvre dans le droit interne en étant consacrés dans la constitution ou la déclaration des droits d’un pays, ou dans ses règles de procédure pénale (Gouvernement des États-Unis, 2002[15]) (Gouvernement du Canada, 2021[16]).

134. En particulier, chaque contribuable suspecté ou accusé d’avoir commis un délit fiscal devrait pouvoir se prévaloir des droits suivants :

  • le droit à la présomption d’innocence ;

  • le droit à être informé de ses droits ;

  • le droit à être informé du chef d’accusation ;

  • le droit au silence ;

  • le droit à l’assistance d’un avocat et à des conseils juridiques gratuits ;

  • le droit à l’interprétation et à la traduction ;

  • le droit à accéder aux pièces du dossier (droit à la divulgation complète) ;

  • le droit à un procès rapide ; et

  • le droit à ne pas être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits (ne bis in idem).

135. L’organisme chargé des enquêtes fiscales pénales doit avoir connaissance de ces droits fondamentaux, car tout manquement en ce sens aura non seulement des conséquences négatives pour les droits de la personne concernée, mais aussi pour l’enquête et les poursuites relatives à un délit fiscal, par exemple lorsque les éléments de preuve obtenus sont déclarés irrecevables parce que ces droits n’ont pas été respectés.

136. En particulier, une enquête pénale pouvant, dans certains cas, avoir pour origine un contrôle fiscal classique, c’est-à-dire réalisé dans le cadre d’une procédure civile, les pays devraient prévoir des garanties afin de s’assurer que les droits d’un prévenu sont protégés lors du passage d’une action administrative à une action pénale. Ainsi, lors d’un contrôle fiscal, le contribuable a l’obligation de communiquer des informations à l’administration fiscale, alors que dans une enquête pénale, le suspect peut avoir droit au silence. Ce point revêt une importance particulière pour les administrations fiscales qui dirigent et conduisent des enquêtes pénales au sein de la même structure organisationnelle que la fonction (de contrôle) fiscal(e) civile, ce qui correspond au modèle d’organisation 1 du Principe 4 ci-dessus.

137. La ligne de démarcation entre une question fiscale civile et une question fiscale pénale peut être floue et exiger de faire preuve de discernement. La plupart des pays ayant participé à l’enquête ont signalé qu’une enquête civile devient une enquête pénale lorsqu’il existe un doute raisonnable qu’une infraction a été commise, ou lorsque les faits indiquent qu’une infraction peut avoir été commise. Un plus faible nombre de pays recourent à un marqueur objectif pour déterminer à quel moment une question civile se transforme en enquête pénale, en fixant un seuil pour le montant de la fraude fiscale. Selon les données recueillies au cours de l’enquête, 11 pays ont précisé qu’il était impossible de conduire une enquête civile et une enquête pénale en parallèle, et que dans la pratique, le contrôle fiscal civil/administratif serait suspendu et l’enquête pénale l’emporterait. Dix-neuf pays ont indiqué que les contrôles fiscaux civils/administratifs pouvaient être menés parallèlement aux enquêtes pénales. Nombre d’entre eux ont ajouté qu’il existait des garanties, afin que les droits d’un prévenu soient protégés dès lors qu’une enquête civile et une enquête pénale sont conduites en parallèle, notamment pour s’assurer que les enquêtes sont menées de manière indépendante.

138. On trouvera ci-dessous plus de détails sur chacun des droits des suspects.

139. Principe selon lequel une personne est considérée comme innocente tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable. Il s’agit d’une composante essentielle du système pénal. La présomption d’innocence implique que la charge de la preuve incombe à l’accusation et non au prévenu.

140. Pour montrer de quelle manière la présomption d’innocence peut être mise en œuvre, le Conseil européen a adopté récemment une directive portant renforcement de certains de ses aspects (Conseil européen, 2016[17]). Cette Directive impose aux États membres de respecter les obligations connexes ci-dessous : « avant que le jugement définitif ne soit rendu, les suspects et les personnes poursuivies ne devraient pas être présentés comme étant coupables par le recours à des mesures de contrainte physique et la charge de la preuve incombe à l’accusation alors que tout doute raisonnable quant à la culpabilité devrait profiter à la personne poursuivie ».

141. Ce droit impose à l’organisme chargé de l’enquête d’informer une personne suspectée ou accusée de ses droits. Dans certains pays, cette obligation peut être remplie en informant la personne de ses droits par oral ou par écrit au moyen d’une « déclaration de droits ». Ces droits regroupent généralement le droit au silence, le droit à être informé des accusations portées contre la personne et le droit à l’assistance d’un avocat ou, dans certaines circonstances, à des conseils juridiques gratuits. Aux États-Unis, par exemple, ils sont connus sous l’appellation « avertissement Miranda » et de nombreux pays possèdent des droits équivalents (The Law Library of Congress, 2016[18]).

142. Dans la pratique, les pays peuvent gérer ces droits à différents stades d’une enquête. Certains pays informent un prévenu de ses droits au début d’un interrogatoire, alors que d’autres le font lors de son arrestation.

143. Il s’agit du droit d’un prévenu de refuser d’émettre des commentaires ou de répondre aux questions d’un enquêteur. Ce droit est reconnu par la plupart des systèmes juridiques et protège la personne concernée contre le risque de s’incriminer elle-même. Il s’applique généralement avant et pendant un procès.

144. Ce droit permet au prévenu de connaître la nature et l’essence des allégations portées à son encontre. Il s’agit généralement des éléments de l’infraction, comme les aspects essentiels de l’infraction, les détails du comportement présumé ayant conduit aux poursuites et, dans le cas des délits à caractère fiscal, le préjudice prétendument subi par l’État. En général, le chef d’accusation doit être communiqué au prévenu avant que celui-ci ne plaide devant un tribunal.

145. Les personnes accusées d’avoir commis d’un délit à caractère fiscal doivent avoir la possibilité de solliciter des conseils juridiques. De plus, si ces personnes n’ont pas les moyens de payer des conseils juridiques ou une représentation judiciaire, elles devraient pouvoir bénéficier d’une aide judiciaire financée par l’État. Ce droit fondamental est essentiel pour garantir l’équité du système juridique, compte tenu de la gravité des conséquences potentielles d’une condamnation.

146. Les spécificités de ces droits varient d’un pays à l’autre. Les pays peuvent en effet avoir des pratiques différentes concernant le moment où le droit de solliciter des conseils juridiques peut être invoqué. Ainsi, au Canada, ce droit est accordé aux personnes qui ont été placées en détention ou arrêtées. Les pays adoptent également des approches différentes en ce qui concerne le droit à une représentation judiciaire financée par l’État, lequel n’est accordé que dans des circonstances spécifiques, par exemple lorsque le prévenu satisfait à certains critères financiers.

147. En Europe, l’article 6(3)(c) de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que quiconque est accusé d’avoir commis une infraction pénale a le droit de « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent » et ce droit peut être appliqué avant ou pendant le procès.

148. Ce droit permet au prévenu de prendre connaissance des informations concernant la procédure pénale dans sa propre langue. Il garantit que la barrière de la langue n’empêche pas de bénéficier d’un procès équitable. Le coût de ces services est généralement pris en charge par l’autorité responsable des poursuites.

149. En règle générale, ce droit devrait s’appliquer à l’interrogatoire de la personne suspectée ou accusée par un représentant de l’autorité publique, aux réunions entre l’accusation et le prévenu et son avocat, et à toutes les comparutions et audiences devant le tribunal.

150. Au sein de l’Union européenne, par exemple, ces droits s’appliquent à la traduction des documents essentiels, et notamment à toute décision privant une personne de sa liberté, à toute accusation ou mise en examen et à tout jugement.

151. Le prévenu a le droit de connaître les détails des faits qui lui sont reprochés, et notamment les éléments de preuve détenus par le parquet. Cela lui donne la possibilité de préparer sa défense. La communication de ces informations facilite également la résolution de l’affaire avant la tenue du procès, en encourageant par exemple le prévenu à confesser le délit et à plaider coupable.

152. Les modalités de mise en œuvre de ce droit varient d’un pays à l’autre. Certains pays imposent au procureur de communiquer la totalité des éléments de preuve au prévenu, y compris celles qui lui sont favorables et celles qui le sont à l’accusation. Cela peut se faire à la discrétion du procureur, lequel peut déterminer le calendrier et choisir de ne pas divulguer certaines informations pour des raisons valables, par exemple pour protéger un informateur.

153. Ce droit devrait protéger le prévenu contre tout retard indu dans la conclusion d’un procès, un tel retard pouvant :

  • empêcher le prévenu de bénéficier d’un procès équitable, les éléments de preuve risquant de ne plus être disponibles ou aussi fiables. Ainsi, la mémoire d’un témoin peut se troubler avec le temps ou des témoins peuvent décéder ;

  • conduire un prévenu emprisonné dans l’attente de l’issue du procès à rester en détention pendant un délai déraisonnable s’il est ensuite jugé non coupable du délit ou si la peine prononcée à son encontre est inférieure au temps qu’il a déjà passé en prison.

154. Il n’existe pas nécessairement de critère précis de ce qui constitue un procès rapide et plusieurs facteurs peuvent jouer ici. Pour déterminer si le droit à un procès rapide a été enfreint, les facteurs à appliquer sont notamment les suivants :

  • temps écoulé entre la mise en examen et la tenue du procès ;

  • raisons diverses expliquant le retard, dont la complexité des tâches à accomplir avant la tenue du procès, les retards imputables à la défense ou à l’accusation, ou les retards institutionnels comme le nombre limité de dates possibles pour la tenue du procès devant le tribunal concerné ;

  • renonciation du prévenu à invoquer un retard ;

  • préjudice subi par le prévenu au regard de la tenue d’un procès équitable, comme l’impact sur la disponibilité ou la fiabilité des preuves.

155. Ce droit protège un prévenu contre le risque d’être poursuivi deux fois à raison du même délit, lorsqu’il a déjà été jugé coupable et qu’il a purgé sa peine, ou qu’il a été acquitté par un jugement définitif. Il le protège également contre le risque d’être de nouveau poursuivi pour un délit moins grave, lorsque tous les éléments de ce délit font partie des éléments du délit plus grave. Néanmoins, ce droit n’empêche pas que d’autres enquêtes soient menées par la suite lorsqu’une enquête n’a abouti à aucune poursuite pénale, mais qu’une enquête ultérieure est ouverte sur la base de nouveaux éléments de preuve.

156. L’enquête réalisée montre que ces droits sont garantis de manière quasi universelle. La possibilité d’invoquer ces droits dans les pays ayant participé à l’enquête est indiquée dans le graphique ci-dessous.

Références

[3] Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (2003), Principes et les lignes directrices relatifs au droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, Union africaine, https://www.achpr.org/fr_legalinstruments/detail?id=38.

[6] Conseil européen (2016), Communiqué de presse - L’UE renforce le droit à la présomption d’innocence, Union européenne, https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/02/12/eu-strengthens-right-to-presumption-of-innocence/ (consulté le 19 avril 2021).

[2] Cour européenne des droits de l’homme, Conseil d’Europe (1950-2010), Convention européenne des droits de l’homme, https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf (consulté le 19 avril 2021).

[4] Gouvernement des États-Unis (2002), Sixth Amendment - Rights of Accused in Criminal Prosecutions, https://www.govinfo.gov/content/pkg/GPO-CONAN-2002/pdf/GPO-CONAN-2002-9-7.pdf (consulté le 19 avril 2021).

[5] Gouvernement du Canada (2021), Charte canadienne des droits et libertés, Ministre de la Justice du Canada, https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html (consulté le 19 avril 2021).

[1] Nations Unies (1948), Déclaration universelle des droits de l’homme, https://www.un.org/fr/about-us/universal-declaration-of-human-rights (consulté le 19 avril 2020).

[7] The Law Library of Congress (2016), Miranda Warning Equivalents Abroad, Global Legal Research Center, https://www.loc.gov/law/help/miranda-warning-equivalents-abroad/miranda-warning-equivalents-abroad.pdf.

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