16. Étude de cas : Anticiper l’avenir du travail

Stijn Broecke
Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, OCDE

Stijn Broecke, Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, OCDE

  • Entre 2012 et 2019, la catégorie qui a connu la plus forte croissance de l’emploi était celle des professionnels des technologies de l’information et de la communication.

  • Rien ne prouve que l’adoption de nouvelles technologies entraîne un ralentissement de la croissance de l’emploi.

  • Les investissements dans les compétences doivent impérativement correspondre aux besoins du marché du travail, d’où la nécessité de prévoir les besoins en compétences à la lumière des tendances de l’automatisation.

Des technologies comme la robotique et l’intelligence artificielle se propagent rapidement sur le lieu de travail. Elles s’accompagnent de la promesse d’accroître la productivité et d’améliorer la santé et la sécurité des travailleurs, et même la qualité des emplois dans certains cas. Or, ces nouvelles technologies contribuent aussi à entretenir les incertitudes quant à l’avenir du travail. On estime que 14 % des emplois dans les pays de l’OCDE sont exposés à un risque élevé d’automatisation et un tiers de plus à un risque de changement significatif (Nedelkoska et Quintini, 2018[1]) (Graphique 16.1). Entre 2012 et 2019, ce sont les professionnels des technologies de l’information et de la communication (TIC) (51.3 %) qui ont enregistré la plus forte croissance de l’emploi (Georgieff et Milanez, 2021[2]). Au cours des dix dernières années, la croissance de l’emploi a été plus faible parmi les professions les plus exposées au risque d’automatisation, comme les opérateurs d’équipements mobiles et les ouvriers agricoles.

Les données relatives aux économies avancées montrent que si les technologies détruisent certains emplois, elles en créent aussi de nouveaux. Ces emplois sont soit entièrement nouveaux, directement liés au développement, au maintien et à l’utilisation des technologies, soit créés sous l’effet de la hausse de la productivité, des salaires et, dans certaines conditions, de la demande de biens et services induite par les technologies. Pour autant, les emplois créés sont différents de ceux détruits. Dans les économies avancées, la croissance de l’emploi se concentre essentiellement à l’extrémité supérieure du spectre des compétences (OCDE, 2019[3]). Bien que l’on puisse s’en féliciter, cette évolution nécessite de relever un défi important : celui de former les travailleurs afin de leur permettre de tirer parti de ces nouvelles opportunités. D’après des estimations de l’OCDE, six adultes sur dix restent dépourvus de compétences de base, voire de la moindre expérience, en informatique (OCDE, 2019[4]).

Le risque de perte d’emploi due à l’automatisation est plus élevé dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire que dans les économies avancées en raison de la multitude de travailleurs qui y effectuent des tâches routinières plus faciles à automatiser. Compte tenu des contraintes qui pèsent sur leur protection sociale, leurs services publics de l’emploi et leur formation, c’est dans les pays à faible revenu que l’impact de l’automatisation sur les travailleurs et la croissance de l’emploi pourrait être plus prononcé.

Au niveau des pays, rien ne prouve que l’automatisation a un impact global négatif sur l’emploi dans les économies avancées (Georgieff et Milanez, 2021[2]) (Graphique 16.2). L’éducation est toutefois un facteur crucial pour conserver un emploi : le risque d’automatisation est au moins trois fois plus élevé pour les travailleurs dépourvus de qualification secondaire que pour les titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur (Nedelkoska et Quintini, 2018[1]).1

Du point de vue des politiques publiques sociales, l’automatisation contribue à la précarité de l’emploi pour les groupes démographiques employés à des tâches répétitives : autrement dit, le bien-être des travailleurs est plus menacé dans les pays où la protection sociale, les services publics de l’emploi et la formation sont moins développés (OCDE, 2019[4]). La crise du COVID-19 a vraisemblablement accentué cette précarité en accélérant l’automatisation, à un moment où les entreprises s’efforçaient de moins dépendre du travail humain et des contacts entre les travailleurs ou de relocaliser une partie de leur production (Georgieff et Milanez, 2021[2]). Ainsi, l’automatisation réduit la demande de main-d’œuvre dans certains secteurs et exerce une pression à la baisse sur l’emploi et les salaires, un impact qualifié d’« effet de déplacement ». Si gains il y a au niveau de la productivité globale pour l’économie, ceux-ci ne s’accompagnent pas forcément d’une hausse de salaire correspondante pour les travailleurs (Acemoglu et Restrepo, 2017[5]).

Les avancées technologiques et l’innovation au niveau des modèles économiques ont favorisé l’essor d’une économie des plateformes, dans laquelle travailleurs et clients échangent de la main-d’œuvre contre une rémunération, généralement pour des tâches courtes (ou des petits boulots) (voir le chapitre 17). Beaucoup de ces tâches peuvent être exécutées entièrement en ligne. On observe une forte hausse des emplois rendus possibles par ces plateformes, d’autant plus renforcée par la pandémie de COVID-19 et le passage au numérique qui l’a accompagnée. Le nombre d’offres d’emploi sur cinq des plus grandes plateformes de main-d’œuvre indépendante en ligne a augmenté d’environ 50 % depuis 2017 (The iLabour Project, s.d.[6]). Parce que les barrières à l’entrée sur le marché y moins élevées, les plateformes de main-d’œuvre indépendante offrent aux particuliers davantage de possibilités de vendre leurs services, notamment dans le développement de logiciels, le service client, le design, les services juridiques et la comptabilité.

Pour autant, l’emploi dans l’économie des plateformes ne constitue qu’une infime partie de l’emploi global. Il ne représente que 1 % à 2 % du total des emplois dans les économies avancées (OCDE, 2019[3]). C’est également la qualité des emplois dans l’économie des plateformes qui donne matière à s’inquiéter. Si les emplois sur les plateformes offrent des possibilités de formalisation (en ce que les transactions y sont numérisées), la plupart des emplois créés risquent fort de rester précaires et indépendants, et d’offrir peu de droits et de protection aux travailleurs. D’après des estimations de l’OCDE, ce travail indépendant, à temps partiel et temporaire, affiche un taux de syndicalisation inférieur de 50 % à celui de l’emploi normal. Dans certains pays, les personnes qui occupent ces types d’emplois sont également entre 40 % et 50 % moins susceptibles de percevoir une aide au revenu en période de chômage (OCDE, 2019[3]).

Malgré le fort potentiel d’automatisation qui existe dans les pays à faible revenu, l’adoption des technologies peut y être plus lente que dans les économies plus avancées, ce qui pourrait nuire à la productivité et à la croissance économique. Plusieurs facteurs limitent en outre les investissements dans les nouvelles technologies (Alonso Soto, 2020[7]). La disponibilité d’une main-d’œuvre nombreuse et jeune et la faiblesse des coûts salariaux incitent moins les entreprises à remplacer les travailleurs par des robots. Par ailleurs, la majorité des entreprises des pays à faible revenu sont de petites entreprises, pour lesquelles le coût de l’adoption de nouvelles technologies constitue un obstacle important. Enfin, le manque de compétences nécessaires pour concevoir et travailler avec des robots et des outils reposant sur l’intelligence artificielle exerce un effet dissuasif sur les investissements. Sur la totalité des robots en fonctionnement dans le monde, 80 % se trouvent dans des économies avancées (Alonso Soto, 2020[7]).

D’après des estimations de l’OCDE, ce travail indépendant, à temps partiel et temporaire, affiche un taux de syndicalisation inférieur de 50 % à celui de l’emploi normal. Dans certains pays, les personnes qui occupent ces types d’emplois sont également entre 40 % et 50 % moins susceptibles de percevoir une aide au revenu en période de chômage.  
        

À ce jour, rien ne prouve que l’adoption de nouvelles technologies entraîne un ralentissement de la croissance de l’emploi dans les économies avancées. Les nouvelles technologies ont contribué à des changements structurels sur le marché du travail et à une croissance soutenue des emplois hautement qualifiés. Tous les pays doivent continuer à investir dans l’infrastructure et les compétences numériques de base nécessaires pour promouvoir l’adoption des technologies (et pas uniquement dans les compétences techniques avancées requises pour développer et maintenir ces technologies). Même dans les économies avancées, 50 % des adultes ont du mal à utiliser un ordinateur (OCDE, 2013[8]). Si le progrès technologique crée de nouveaux emplois de meilleure qualité, il a aussi pour effet d’en détruire d’autres. Il fait des gagnants mais aussi des perdants, d’où l’importance que les responsables de l’action publique accordent les investissements dans les compétences des futurs travailleurs avec les besoins du marché du travail, et prévoient les besoins de compétences à la lumière des tendances qui s’opèrent en matière d’automatisation (Georgieff et Milanez, 2021[2]).

Le défi pour tous les gouvernements consiste donc à accompagner les individus qui sont les perdants du passage au numérique et de l’automatisation des tâches pour les aider à saisir les nouvelles opportunités qui se présentent. D’après les faits observés, le succès des transitions sur le marché du travail dépend de trois facteurs (OCDE, 2019[3]) :

  1. 1. Une protection sociale adéquate qui empêche les personnes qui perdent leur emploi de sombrer dans la pauvreté. Cette protection leur donne également le temps et les moyens nécessaires pour rechercher un emploi qui corresponde à leurs compétences et à leurs préférences, autant de facteurs qui améliorent le maintien dans l’emploi et la productivité.

  2. 2. Une protection sociale adéquate qui s’accompagne de la participation attendue du travailleur à des mesures, de formation par exemple, destinées à améliorer son employabilité.

  3. 3. Les transitions depuis des secteurs et des professions en déclin vers ceux qui connaissent une expansion s’opèrent en général plus facilement dans les pays où les partenaires sociaux jouissent d’une forte représentativité et où le dialogue social est constructif.

Références

[5] Acemoglu, D. et P. Restrepo (2017), « Secular Stagnation? The Effect of Aging on Economic Growth in the Age of Automation », NBER working paper, https://doi.org/10.3386/w23077.

[7] Alonso Soto, D. (2020), « « Technology and the future of work in emerging economies: What is different » », dans Documents de travail de l’OCDE sur les questions sociales, l’emploi et les migrations, n° 236, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/technology-and-the-future-of-work-in-emerging-economies_55354f8f-en (consulté le 12 October 2021).

[2] Georgieff, A. et A. Milanez (2021), « What happened to jobs at high risk of automation? », dans Documents de travail de l’OCDE sur les questions sociales, l’emploi et les migrations, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/what-happened-to-jobs-at-high-risk-of-automation_10bc97f4-en (consulté le 11 October 20201).

[1] Nedelkoska, L. et G. Quintini (2018), « Automation, skills use and training », Documents de travail de l’OCDE sur les questions sociales, l’emploi et les migrations, n° 202, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/2e2f4eea-en.

[4] OCDE (2019), « The Future of Work in Figures », Éditions OCDE, https://www.oecd.org/future-of-work/Future-of-work-infographic-web-full-size.pdf.

[3] OCDE (2019), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019 : L’avenir du travail, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd-ilibrary.org/employment/perspectives-de-l-emploi-de-l-ocde-2019_b7e9e205-fr (consulté le 11 octobre 2021).

[8] OCDE (2013), Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2013 : Premiers résultats de l’Evaluation des compétences des adultes, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264204096-fr.

[6] The iLabour Project (s.d.), The Online Labour Index website, https://ilabour.oii.ox.ac.uk/online-labour-index/.

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