4. Normes

L’intégrité publique se définit par « la conformité et l’adhésion sans faille à une communauté de valeurs, de principes et de normes éthiques aux fins de protéger l’intérêt général contre les intérêts privés et de lui accorder la priorité sur ces derniers au sein du secteur public » (OCDE, 2017[1]). En d’autres termes, il s’agit de faire les bonnes choses, de les faire pour les bonnes raisons et de la bonne manière (Heywood et al., 2017[2]). Cependant, pour comprendre ce que l’on entend par « bonne », des normes explicites sont nécessaires. Les normes strictes définies dans le cadre juridique précisent les comportements attendus des agents publics et fournissent un cadre aux gouvernements pour favoriser un comportement éthique. L’établissement de normes de conduite qui peuvent être apprises, assimilées et appliquées peut soutenir la création d’une compréhension commune au sein d’un gouvernement et parmi les citoyens.

La Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique invite les adhérents à « fixer des normes de conduite strictes pour les agents publics, notamment :

  1. a. en ne se limitant pas à des dispositions a minima, de façon à privilégier l’intérêt général, et à accorder la priorité à l’adhésion aux valeurs du service public, ainsi qu’à une culture de la transparence qui facilite et récompense l’apprentissage institutionnel et qui encourage la bonne gouvernance ;

  2. b. en complétant le système juridique et les politiques institutionnelles par des normes d’intégrité (telles que des codes de conduite ou des codes de déontologie) afin de mieux préciser les attentes et de constituer un socle pour les procédures d’enquête et les sanctions à caractère disciplinaire, administratif, civil et/ou pénal, le cas échéant ;

  3. c. en établissant des procédures claires et proportionnées afin de contribuer à prévenir les violations des normes d’intégrité publique et de gérer les conflits d’intérêts réels ou potentiels ;

  4. d. en diffusant les valeurs et les normes du secteur public en interne dans les entités de ce secteur, et en externe auprès du secteur privé, de la société civile et des particuliers, et en demandant à ces partenaires de respecter ces valeurs et ces normes dans leurs interactions avec les agents publics » (OCDE, 2017[1]).

Les normes informent et guident le comportement des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions publiques. Il existe un certain nombre d’outils et de mécanismes que les gouvernements peuvent utiliser pour définir et préserver des normes de conduite strictes. Les éléments suivants sont essentiels pour rendre opérationnelles des normes d’intégrité élevées :

  • des normes de conduite strictes, clairement définies et imposées dans le cadre juridique, qui donnent la priorité à l’intérêt public et au respect des valeurs du service public.

  • des cadres et des stratégies juridiques et réglementaires qui intègrent les valeurs et les normes d’intégrité.

  • des procédures et des processus clairs et proportionnés pour prévenir et gérer les problèmes susceptibles de violer les normes d’intégrité publique s’ils n’étaient pas contrôlés.

  • des mesures de communication interne et externe pour sensibiliser aux valeurs et aux normes du secteur public.

L’établissement de normes de conduite strictes que tout agent public doit mettre en œuvre et qui donnent la priorité à l’intérêt public reflète l’engagement à servir l’intérêt général et à construire une culture axée sur le service public. Les normes de conduite expriment les valeurs du secteur public, et les valeurs de tout service public sont essentielles pour guider le comportement des agents publics. Les valeurs définissent les principes de base et les attentes que la société juge importants pour ses agents publics et elles éclairent tous les niveaux des organisations et des responsables publics sur les comportements attendus. Ces valeurs sont énoncées dans les normes appropriées définies dans les systèmes juridiques et/ou administratifs, tels que les statuts et les lois générales sur le service public, ainsi que dans la constitution, le code du travail, les règlements relatifs aux services spéciaux ou au service public et les lois de procédure administrative.

Les valeurs s’inspirent autant des normes nationales que des normes internationales. Par exemple, l’article 8 de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC) exige des États parties qu’ils encouragent l’intégrité, l’honnêteté et la responsabilité de leurs agents publics, conformément aux principes fondamentaux de leur système juridique. Dans ce contexte, l’intégrité est définie de la même façon que dans l’introduction de ce chapitre. L’honnêteté fait référence à l’honneur, à la respectabilité et à la vertu, tandis que la responsabilité est l’état ou le fait de devoir s’occuper de quelque chose ou d’être redevable de quelque chose (Bacio Terracino, 2019[3]).

La recommandation sur l’intégrité publique encourage les adhérents à ne pas se limiter à des dispositions a minima et à privilégier l’intérêt public, à cultiver une culture ouverte qui facilite et récompense l’apprentissage organisationnel et qui encourage la bonne gouvernance. Ces concepts sont explorés plus loin (pour en savoir plus, voir les chapitres 8 et 9). Les sanctions, en cas de non-respect des exigences, peuvent également façonner le comportement. Pourtant, elles incitent rarement à dépasser les exigences minimales codifiées (Wegner, Schöberlein et Biermann, 2013[4]). Les approches fondées sur l’incitation, comme les récompenses individuelles aux personnes actives dans la promotion de l’intégrité, peuvent encourager la mise en œuvre de normes et de comportements éthiques plus stricts en faisant appel au sens moral et au sens des responsabilités de chacun (Zúñiga, 2018[5]). Cela peut entraîner des changements progressifs et permettre de codifier des normes plus strictes.

Les normes de conduite sont intégrées au système juridique et aux politiques organisationnelles qui définissent les principes de base et précisent les limites des comportements acceptables. Des normes claires fournissent également un cadre commun pour garantir la redevabilité, notamment par l’application de sanctions en cas de violation des normes d’intégrité publique. Une grande attention a été accordée à la criminalisation de la corruption, mais les cadres et les stratégies juridiques et réglementaires solides reposent sur la combinaison du droit pénal et du droit civil et administratif, ainsi que sur des codes de conduite ou d’éthique, pour intégrer les valeurs et les normes d’intégrité.

Un certain nombre de normes composent le système d’intégrité au sens large. Ces cadres et stratégies traitent de la corruption, de la fraude, du trafic d’influence, du blanchiment d’argent, de la gestion et de la prévention des conflits d’intérêts, de la gestion des cadeaux et gratifications, de la déclaration de patrimoine et de l’emploi avant et après avoir intégré la fonction publique, ainsi que des fonctions liées à la protection des lanceurs d’alerte, de l’intégrité et de la transparence du lobbying et du financement des partis politiques et des campagnes. Bien que plusieurs institutions puissent être responsables de la conception et de la mise en œuvre des politiques associées à ces normes (pour en savoir plus, voir le chapitre 2), il est essentiel de les inclure dans le cadre et/ou la stratégie juridique et réglementaire.

Les pays de l’OCDE inscrivent dans le droit pénal les normes d’intégrité applicables aux agents publics, avec les procédures d’enquête et les sanctions correspondantes. Les dispositions nationales applicables aux agents publics établissent clairement la compétence juridique en matière d’infractions. Pour garantir un système d’intégrité efficace et son application, ces dispositions définissent des fonctions spécialisées, des procédures d’enquête efficaces et des mesures de coopération interinstitutionnelle, de protection des témoins, de collecte de preuves, et de confiscation des produits de la criminalité le cas échéant, ainsi que des sanctions proportionnées pour :

  • la corruption active et passive des agents publics

  • le trafic d’influence

  • le détournement, la malversation ou tout autre détournement de propriété par un agent public

  • l’abus de fonctions

  • l’enrichissement illicite

  • le blanchiment d’argent

  • la dissimulation de biens résultant de la corruption

  • la création ou l’utilisation d’une facture ou d’un document ou registre comptable contenant des informations fausses ou incomplètes, et l’omission illégale d’un enregistrement de paiement

  • l’obstruction à la justice.

Étant donné que ces normes fondamentales sont essentielles aux systèmes nationaux d’intégrité publique, elles sont reconnues par les pays à un niveau international. Elles ont été incluses dans des conventions internationales comme la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe et la Convention des Nations unies contre la corruption.

Le droit civil est un outil essentiel pour assurer la protection des droits individuels et pour fournir une indemnisation aux victimes des violations des normes. Il s’agit d’un outil complémentaire au droit pénal qui permet au secteur privé, à la société civile et à toute personne morale de participer à la lutte contre les violations des normes.

Le droit civil interne prévoit des recours efficaces lorsque des personnes ont subi un préjudice causé par un manquement à l’intégrité. En définissant ces mécanismes de droit civil, les gouvernements permettent aux victimes de défendre leurs droits et leurs intérêts. Les victimes devraient pouvoir demander une indemnisation pour tout dommage, et ce droit devrait couvrir les dommages matériels causés aux victimes et la perte de profits ainsi que le préjudice moral. Les lois civiles nationales établissent le droit d’engager une action d’indemnisation. Les procédures et les fonctions devraient également être clairement définies pour garantir une mise en œuvre efficace. L’indemnisation ou la restitution peut avoir lieu après la demande de dommages-intérêts dans le cadre d’une procédure pénale. Dans certains cas, des procédures à la fois pénales et civiles peuvent être utilisées pour sanctionner et dissuader les violations.

Outre l’indemnisation des dommages, les principales dispositions en matière d’intégrité définies dans les lois civiles nationales sont les suivantes :

  • la responsabilité des agents publics, notamment la possibilité, quand plusieurs défendeurs sont responsables de dommages pour une même action, qu’ils soient conjointement et solidairement responsables, et la responsabilité de l’État pour les violations des normes commises par des responsables publics

  • la négligence contributive, prévoyant en droit que l’indemnisation soit réduite ou refusée eu égard à certaines circonstances particulières, si la victime a contribué au dommage ou à son aggravation

  • la validité des contrats

  • la protection des lanceurs d’alerte

  • la clarté et l’exactitude des comptes et des audits

  • des procédures efficaces d’obtention de preuves dans les procédures civiles découlant d’un acte de corruption

  • des ordonnances de tribunaux pour conserver les actifs nécessaires à l’exécution du jugement définitif et pour maintenir le statu quo en attendant la résolution des points litigieux.

Outils essentiels pour permettre aux personnes, physiques et morales, de lutter contre les atteintes à l’intégrité et de recevoir une indemnisation ou une restitution (Nations Unies, 2010[6]), les procédures de droit civil ont également fait l’objet d’une reconnaissance et d’une intégration dans des conventions internationales comme la Convention civile sur la corruption du Conseil de l’Europe et la Convention des Nations unies contre la corruption.

Le droit administratif interne définit les droits et les devoirs des administrations publiques dans leurs relations avec le public. En cas de violation des normes de conduite, les sanctions administratives comprennent également des sanctions non judiciaires, comme des sanctions économiques ou l’exclusion.

Le droit administratif relatif à l’éthique vise à protéger l’intégrité des fonctionnaires au niveau individuel comme au niveau de l’ensemble de la fonction publique, et encourage la bonne gouvernance dans les institutions. Les normes et les processus de base intégrés au droit administratif devraient couvrir :

  • au niveau des normes : le statut de la fonction publique et les obligations du service public, la liberté d’information, la transparence des marchés publics, le financement politique et les activités de lobbying, et l’accès à la justice administrative

  • au niveau des processus : les responsabilités et sanctions administratives, les mécanismes de contrôle et de surveillance internes, la prévention et la gestion des conflits d’intérêts, la protection des lanceurs d’alerte et la gestion des plaintes, et les autorités compétentes chargées des procédures, y compris de l’examen des décisions, des recours, et des sanctions.

Compte tenu de l’impact de ces différentes normes dans les cadres législatifs et réglementaires nationaux administratifs, civils et pénaux, les pays ont renforcé leur importance en s’engageant davantage et en les intégrant au niveau international dans plusieurs conventions, accords et déclarations.

Les codes de conduite et les codes déontologiques présentent et illustrent explicitement les différents cadres juridiques et réglementaires, et constituent un outil utile pour guider les comportements. Les codes de conduite précisent les normes attendues et les situations interdites, tandis que les codes d’éthique identifient les principes qui guident le comportement et la prise de décision. La plupart des cadres réglementaires nationaux se situent entre ces deux instruments, qui combinent les valeurs de service public et des orientations sur la manière d’appliquer les normes et principes de conduite attendus. De telles combinaisons trouvent un équilibre entre la formation de valeurs fondamentales générales et la proposition aux agents publics d’un cadre pour soutenir la prise de décision au quotidien. Par exemple, la loi australienne sur la fonction publique de 1999 définit les valeurs fondamentales de la fonction publique qui sont ensuite développées dans un code de conduite concret dans le même document. De la même façon, au Canada, le Code de valeurs et d’éthique pour le secteur public combine les deux codes en définissant des valeurs, dont l’intégrité, et en incluant ensuite un chapitre sur les « comportements attendus » pour chacune de ces valeurs (Gouvernement du Canada, 2012[7]). Les réglementations des pays ont adopté des codes qui expliquent comment les valeurs peuvent se traduire dans la conduite des agents publics au quotidien – par exemple, le code de conduite coréen pour le maintien de l’intégrité des agents publics ainsi que les normes d’intégrité et de conduite de la Nouvelle-Zélande et le document d’orientation qui s’y rapporte (OCDE, 2013[8]). Les exemples pratiques figurant dans le code ou dans les orientations connexes contribuent à préciser les valeurs généralement formulées, ainsi qu’à détailler la manière dont les agents publics peuvent agir dans certaines circonstances en s’appuyant sur des exemples concrets.

Des modèles internationaux, comme le Code de conduite international pour les agents publics1 ou le Modèle de code de conduite du Conseil de l’Europe2, fournissent des orientations sur les questions les plus couramment abordées par les codes de conduite. Ces questions comprennent les conflits d’intérêts, les cadeaux et invitations, l’obligation de signaler les manquements, la corruption et autres formes d’abus d’influence, l’utilisation d’informations détenues par les autorités publiques et la cessation de fonctions publiques. Le tableau ‎4.1 développe les obligations et les interdictions les plus courantes contenues dans les codes de conduite des pays de l’OCDE.

Un code est explicite et simple, structuré logiquement et lié à tous les autres documents ou législations connexes qui font partie du système d’intégrité au sens large (Bacio Terracino, 2019[9]). Il est également recommandé d’inclure une référence explicite à la chaîne de responsabilité formelle et à la protection accessible en cas de signalement d’un acte répréhensible. L’implication des parties prenantes dans le processus de rédaction et de validation contribue à une compréhension commune des normes de conduite attendues, améliore la clarté et renforce l’adoption du code.

Outre un code de conduite général, les normes peuvent être adaptées à des secteurs et à des rôles sensibles au sein de l’administration publique grâce à des codes « personnalisés ». Notamment, des codes de conduite adaptés peuvent être élaborés pour les postes à risque, comme les responsables chargés des achats ou les fonctionnaires des douanes. Au Canada, un code séparé et régulièrement mis à jour s’applique aux responsables de la passation de marchés, même s’il est aligné sur le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et sur la politique nationale en matière de conflits d’intérêts (Gouvernement du Canada, 2019[10]). Les élus et les responsables judiciaires peuvent également disposer de codes spécifiques adaptés à leurs fonctions, devoirs et missions. Les codes peuvent également guider le comportement des conseillers politiques, compte tenu de leur rôle dans l’élaboration des politiques.

Dans la mesure où le secteur privé peut participer à la prise de décision et fournir des services publics, l’application de normes de conduite dans ce secteur peut également renforcer la confiance dans les décisions et les transactions du gouvernement. Le code de conduite des fournisseurs au Royaume-Uni constitue un exemple d’énoncé des normes et comportements qu’un gouvernement devrait attendre de ses fournisseurs. De même, pour renforcer la confiance dans le processus décisionnel public, certains pays exigent également un code de conduite pour les lobbyistes (pour en savoir plus, voir le chapitre 13).

Pour en maintenir la crédibilité et la pertinence, les agents publics doivent rendre compte de leur respect des normes de conduite. Le chapitre 11 couvre les éléments essentiels d’un système disciplinaire efficace. Lors de l’élaboration des normes, il faut examiner si les obligations sont juridiquement et disciplinairement contraignantes, ou simplement éthiquement et moralement dissuasives en cas de violation. Des procédures et des attributions fiables sont nécessaires pour signaler et enquêter sur les infractions au code de conduite, ainsi que pour surveiller la conformité au code. Pour les normes juridiquement et disciplinairement contraignantes, l’attribution de sanctions administratives ou disciplinaires explicites et proportionnées peut contribuer à promouvoir le respect des normes d’intégrité. Les sanctions peuvent prendre différentes formes, notamment :

  • des avertissements et des réprimandes (par écrit ou oralement)

  • des sanctions financières (par exemple, des amendes, des retenues sur salaires)

  • un impact sur la carrière, actuelle ou future (par exemple, des rétrogradations ou des transferts)

  • l’interdiction d’exercer une fonction publique, c’est-à-dire l’interdiction pour d’anciens responsables qui ont commis un crime d’occuper une fonction publique pendant une période déterminée

  • la révocation.

Le type de sanction peut varier en fonction de la gravité de la violation du code. Par exemple, la loi australienne sur la fonction publique de 1999 prévoit une série de sanctions administratives en cas de violation du code de conduite par les agents publics, allant du blâme à la révocation (Gouvernement australien, 1999[11]).

La clarté et la proportionnalité augmentent toutes deux l’équité, l’acceptabilité et l’efficacité des procédures visant à prévenir les violations des normes d’intégrité publique. La clarté des procédures est essentielle pour que les agents publics comprennent comment se comporter, ce qu’il faut signaler le cas échéant, à qui et quand, et les sanctions auxquelles ils s’exposent en cas de manquement aux normes et règles. Si les étapes des procédures, les attentes et les exigences diffèrent pour certaines catégories de fonctions (par exemple, les élus, les personnes nommées sur décisions politiques, les membres de cabinet, etc.) ou de secteurs (passation de marchés publics, fiscalité, douanes, etc.), ces différences devraient être explicitées. Proposer aux agents publics des conseils, une formation et un enseignement sur les procédures – à travers une assistance téléphonique, des brochures, des sites Internet ou une fonction, une unité ou une institution spécialisée – accroît la clarté et la diffusion des normes et des procédures.

La proportionnalité des procédures garantit une approche sur mesure, élaborée en considérant les fonctions occupées de façon progressive, les risques potentiels, et les niveaux d’ancienneté et d’exposition. Dans la pratique, cela peut entraîner des exigences supplémentaires pour les hauts responsables publics, élus et non élus, et les postes à risque, par exemple en ce qui concerne la déclaration du patrimoine et des intérêts ou la publication des agendas des dirigeants publics.

Pour illustrer ce que signifient des procédures claires et proportionnées dans la pratique, l’exemple de la gestion et de la prévention des conflits d’intérêts est présenté de manière détaillée. Pour commencer, la définition d’un « conflit d’intérêts » est essentielle pour comprendre le problème et savoir comment l’identifier, le gérer et le résoudre (OCDE, 2004[12]). Une approche descriptive (définissant un conflit d’intérêts en termes généraux) ou prescriptive (définissant une série de situations considérées comme étant en conflit avec les devoirs publics) peut être adoptée.

Outre la définition du conflit d’intérêts, une mise en œuvre efficace repose sur le fait que les agents publics sachent quand et comment identifier un conflit d’intérêts potentiel ou réel. Comme il est impossible d’éviter totalement les conflits d’intérêts, une approche équilibrée entre les obligations de service public et la vie et les intérêts privés des agents publics permet à ces derniers d’identifier et d’éviter des formes inacceptables de conflits d’intérêts, et d’informer l’organe compétent, qu’il s’agisse d’un responsable, d’une unité ou d’un organe spécialisé, de leur existence.

Le fait de préciser les moments clés tout au long de la carrière d’un responsable public où il est tenu d’identifier et de signaler ses conflits d’intérêts, par exemple pendant les phases préalables et postérieures à son service au sein de la fonction publique, ou avant de participer à un nouveau projet avec des acteurs du secteur privé, peut contribuer à clarifier les processus. Toutefois, comme des conflits d’intérêts peuvent survenir tout au long de la carrière d’un agent public, il est également utile de veiller à ce que la politique et les orientations détaillent les procédures de signalement et de gestion applicables. La procédure de gestion ou de résolution d’un conflit d’intérêts devrait être proportionnelle aux fonctions occupées et peut comprendre un ou plusieurs des mécanismes suivants :

  • le retrait (temporaire ou définitif)

  • la récusation ou la restriction

  • le transfert ou la réorganisation

  • la démission (OCDE, 2004[13]).

Des règles et des orientations explicites doivent également être accompagnées de mesures de sensibilisation et de renforcement des capacités qui familiarisent les agents publics avec leurs responsabilités en matière de gestion des situations de conflit d’intérêts, ainsi que de sanctions lorsque les conflits d’intérêts ne sont pas gérés efficacement (Bacio Terracino, 2019[3]).

La communication des normes, tant en interne au sein de l’organisation qu’en externe avec les parties prenantes, contribue à les intégrer à la culture organisationnelle. Quels que soient la méthode de communication et les messages correspondants utilisés, les organisations publiques devraient souligner qu’il est essentiel de soutenir le message par des actions pour mettre en œuvre les normes d’intégrité publique (pour en savoir plus, voir les chapitres 6 et 9).

La diffusion par différents médias peut améliorer la compréhension des normes de conduite ainsi que l’accès au code et son utilisation. Au minimum, les agents publics, notamment les nouveaux, peuvent se voir remettre un exemplaire du code ou un accès facile à ce dernier. Une page ou une section dédiée peut être attribuée sur l’intranet d’une organisation sous la forme d’un référentiel d’informations relatives aux normes de conduite. La section « Conduite et performance » du portail officiel du gouvernement du Queensland (Australie) comprend des documents stratégiques et professionnels, des politiques et des procédures pertinentes ainsi que des activités interactives, des fenêtres de commentaires et une foire aux questions.

Les canaux de communication traditionnels comprennent les mémos, les brochures, les bulletins d’information, les manuels de politique, les rapports annuels et les affiches. Les occasions de faire référence aux valeurs du secteur public peuvent inclure des discours ou des présentations formelles, ainsi que des conseils en face‐à‐face. Entre autres forums de discussion efficaces, on peut citer les réunions d’équipe, les groupes de discussion, les déjeuners et les événements sociaux. Les normes de conduite peuvent également être diffusées par le biais de canaux numériques comme les réseaux intranet, les blogs, les podcasts, les forums de discussion, les vidéoconférences, les systèmes de messagerie instantanée et les outils de jeu-questionnaire. Il s’agit de formats attrayants qui peuvent cibler les appareils électroniques des agents publics (y compris les appareils mobiles), et être programmés pour fonctionner et être répétés pendant une certaine période.

Communiquer les normes au sein des organisations publiques est nécessaire, mais pas suffisant. Comme les interactions entre le secteur public et la société sont courantes, le fait d’inclure les particuliers, les organisations de la société civile, les acteurs du milieu académique et du secteur privé dans les campagnes de sensibilisation permet aux gouvernements de diffuser les valeurs et les normes publiques. Les efforts de sensibilisation, l’éducation et les mécanismes de consultation sont trois éléments essentiels pour communiquer les normes en dehors du secteur public.

Les campagnes de sensibilisation sont la principale méthode utilisée par les organes du secteur public pour accroître la compréhension des questions d’intégrité publique. Elles mettent souvent en évidence un problème spécifique et touchent un public ciblé. Les campagnes peuvent prendre différentes formes, sur les médias traditionnels (radio, télévision, presse écrite) comme sur les réseaux sociaux (YouTube, Twitter, Facebook, etc.) – ou une combinaison des deux, selon les objectifs et les publics ciblés.

L’éducation est essentielle pour diffuser les normes et standards d’intégrité auprès des jeunes. Le partenariat avec les acteurs du système éducatif constitue donc un moyen de diffuser les normes au sein de la société. Enseigner l’intégrité publique permet d’inspirer un comportement éthique et de doter les jeunes des écoles primaires et secondaires des connaissances et compétences nécessaires pour prévenir les violations des normes. Au-delà de l’apprentissage en classe, les expériences d’apprentissage par la pratique contribuent à développer les aptitudes et les compétences des jeunes en matière d’intégrité. Cela peut se faire sous forme de projets d’intégrité dans le cadre desquels ils surveillent des processus publics réels (pour en savoir plus, voir le chapitre 5, encadré 5.4).

La diffusion externe des normes d’intégrité publique repose également sur l’institutionnalisation de l’engagement des parties prenantes. Cela signifie que les gouvernements établissent des exigences formelles pour consulter les parties prenantes sur les nouvelles politiques d’intégrité, lors de l’élaboration, de la mise à jour ou de la mise en œuvre du système d’intégrité publique (pour en savoir plus, voir le chapitre 5, encadré 5.6). L’engagement transparent des parties prenantes implique d’annoncer publiquement quelles personnes sont consultées, quelle est leur contribution et quelle est la réponse du gouvernement aux principales questions. Dans le domaine réglementaire, la participation des parties prenantes à l’élaboration des règlements a permis d’améliorer le respect et l’acceptation de ces derniers. Pour en savoir plus sur la relation entre l’engagement des parties prenantes, l’intégrité et l’élaboration des politiques publiques, voir le chapitre 13.

Dans leurs interactions avec les responsables publics, les tiers et les partenaires sont des acteurs clés pour diffuser et protéger les valeurs et les normes publiques. Les organisations publiques peuvent donc communiquer qu’elles attendent les mêmes normes de conduite strictes de toutes les personnes impliquées dans la fourniture de services publics, y compris les prestataires tiers. Pour ce faire, ils peuvent leur fournir une déclaration explicite de leurs attentes avant un éventuel engagement. En effet, si les valeurs du secteur public ne sont pas traduites sans ambiguïté dans les dispositions contractuelles et qu’aucune orientation explicite n’est fournie, il est peu probable que les prestataires de services publics sachent qu’elles s’appliquent à eux ou qu’ils prennent suffisamment au sérieux les attentes qui pèsent sur eux en matière de comportement (UK Committee on Standards in Public Life, 2014[14]). De même, les lois régissant le lobbying ou les relations entre l’administration et le public peuvent également faire appel aux acteurs extérieurs et aux individus pour faire respecter ces valeurs et ces normes dans leurs interactions avec les organisations publiques et les agents publics. En outre, des codes de conduite pour les lobbyistes ou des codes ou dispositions spécifiques pour les partenaires contractuels permettent également de communiquer explicitement les normes publiques et les comportements attendus avec les agents publics.

L’adoption d’une approche englobant toute la société et l’engagement en faveur des normes contribueront à renforcer leur mise en œuvre au quotidien. Des efforts de diffusion combinés, au sein des organisations publiques comme à l’extérieur, sont essentiels pour faire en sorte que les valeurs et les normes soient comprises et mises en œuvre par tous. Il est essentiel de reconnaître et de rappeler que la promotion d’une culture de l’intégrité dans le secteur public ne concerne pas seulement les agents publics et les organisations, mais implique également les individus, les universités, la société civile et les acteurs du secteur privé. Pour en savoir plus sur ces aspects de sensibilisation, d’éducation et d’engagement, voir le chapitre 5.

Bien que les défis à relever dépendent principalement des particularités des contextes locaux et nationaux dans lesquels les organisations opèrent, quelques obstacles courants dissuadent les administrations publiques de fixer effectivement des normes de conduite strictes. Les plus pertinents sont examinés ci-dessous.

Les normes et les orientations en matière de conduite éthique découlent souvent d’un engagement envers des valeurs fondamentales (OCDE, 2018[15]). Ces valeurs constituent la base de l’évaluation des choix et des actions au quotidien, mais un nombre excessif de valeurs peut s’avérer contre-productif si les agents publics ne sont pas en mesure de les mémoriser. En effet, le nombre d’éléments que l’homme peut stocker dans sa mémoire de travail est limité. Ainsi, le fait de limiter le nombre de valeurs à un maximum de sept éléments (plus ou moins deux) peut contribuer à améliorer leur compréhension et leur mise en œuvre (voir l’encadré ‎4.1).

Le comportement éthique exemplaire affiché constamment par les responsables constitue l’une des principales sources de promotion et de diffusion des normes de conduite. La théorie de l’apprentissage social montre que les gens apprennent les uns des autres en observant, en imitant et en donnant l’exemple, et que le fait d’être témoin de l’engagement des responsables dans des actes non éthiques constitue le principal moteur des comportements non éthiques (Hanna, Crittenden et Crittenden, 2013[16]). Les codes de conduite, les processus et les structures d’intégrité les mieux conçus sont inopérants si les agents publics ne sont pas incités à suivre l’exemple donné par des responsables et des dirigeants visiblement engagés. Pour en savoir plus sur l’engagement de haut niveau et l’exemplarité, voir les chapitres 1 et 6.

En concevant des normes et des procédures visant à gérer, prévenir et détecter les conflits d’intérêts, les gouvernements ont adopté des approches différentes. Certaines de ces procédures exigent des agents publics qu’ils déclarent chaque année leur patrimoine et/ou intérêts à leur institution ou à une unité centrale ou une commission chargée de contrôler le processus de déclaration. Lorsque les ressources sont limitées, le flux annuel de déclarations soumises par la totalité ou la plupart des fonctionnaires nationaux constitue un obstacle à une prévention efficace des conflits d’intérêts. L’expérience des dernières décennies suggère qu’une identification adaptée des catégories d’agents publics déclarants et soumis à vérification, une couverture explicitement définie des informations déclarées et la mise à disposition du public d’informations non confidentielles sont autant d’éléments essentiels pour garantir une mise en œuvre efficace (Bacio Terracino, 2019[9]).

Lors de la conception de politiques visant à prévenir, à détecter et à gérer les conflits d’intérêts réels ou potentiels, il est essentiel de définir des procédures claires et proportionnées pour garantir une mise en œuvre efficace. Elles peuvent notamment inclure :

  • des objectifs clairs pour ces procédures en termes de transparence, de prévention des conflits d’intérêts et/ou de vérification de l’exactitude des informations déclarées

  • la définition précise des informations qui doivent être déclarées et à qui elles doivent l’être

  • l’identification des catégories d’agents publics censés déclarer ces informations compte tenu de leurs fonctions et de leur exposition aux risques

  • la définition de la mesure selon laquelle les informations déclarées concernant ces différentes catégories d’agents publics peuvent être rendues publiques

  • l’adaptation de la fréquence des déclarations ainsi que des moyens et ressources consacrés au contrôle du système de déclaration

  • la fourniture aux agents publics des orientations sur la procédure et les informations à déclarer

  • la fixation de sanctions proportionnées en cas de violation.

La prévention des situations de conflits d’intérêts pour les plus hauts responsables publics a été établie dans le cadre juridique français pour la première fois en 2013, sur la base d’une approche progressive de la déclaration et de la publication de leurs patrimoine et intérêts (encadré ‎4.2).

Des procédures claires et proportionnées pour prévenir les conflits d’intérêts nécessitent des mandats explicites et des ressources humaines, techniques et financières dédiées aux agents publics chargés d’assumer ces fonctions. Sans les garanties et la proportionnalité nécessaires pour assurer l’efficacité des procédures et la prévention des conflits d’intérêts, les systèmes de déclaration et de contrôle peuvent manquer de pertinence et de crédibilité pour participer à la réglementation des conflits d’intérêts.

Références

[3] Bacio Terracino, J. (2019), « Article 7: Public sector », dans C. Rose, M. (dir. pub.), The United Nations Convention against Corruption : A Commentary, Oxford University Press, Oxford, https://global.oup.com/academic/product/the-united-nations-convention-against-corruption-9780198803959?cc=fr&lang=en&# (consulté le 24 janvier 2020).

[9] Bacio Terracino, J. (2019), « Article 8. Codes of conduct for public officials », dans Rose, C., M. Kubiciel et O. Landwehr (dir. pub.), The United Nations Convention against Corruption : A Commentary, Oxford University Press, Oxford, https://global.oup.com/academic/product/the-united-nations-convention-against-corruption-9780198803959?cc=fr&lang=en& (consulté le 24 janvier 2020).

[11] Gouvernement australien (1999), Public Service Act 1999, https://www.legislation.gov.au/Details/C2019C00057 (consulté le 24 janvier 2020).

[10] Gouvernement du Canada (2019), Code of Conduct for Procurement, https://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/app-acq/cndt-cndct/contexte-context-eng.html (consulté le 18 novembre 2019).

[7] Gouvernement du Canada (2012), Values and Ethics Code for the Public Sector, https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-eng.aspx?id=25049 (consulté le 18 novembre 2019).

[16] Hanna, R., V. Crittenden et W. Crittenden (2013), « Social Learning Theory: A Multicultural Study of Influences on Ethical Behavior », Journal of Marketing Education, vol. 35/1, pp. 18-25, https://doi.org/10.1177/0273475312474279.

[17] HATVP (2018), La Prévention des conflits d’intérêts, https://www.hatvp.fr/la-haute-autorite/la-deontologie-des-responsables-publics/prevention-des-conflits-dinterets/ (consulté le 18 novembre 2019).

[2] Heywood, P. et al. (2017), Integrity and Integrity Management in Public Life, The University of Birmingham, https://research.birmingham.ac.uk/portal/files/42921002/D11_4_FINAL_combined.pdf (consulté le 31 mai 2019).

[6] Nations Unies (2010), Travaux Préparatoires of the negotiations for the elaboration of the United Nations Convention against Corruption, http://www.unodc.org/documents/treaties/UNCAC/Publications/Travaux/Travaux_Preparatoires_-_UNCAC_E.pdf (consulté le 16 juillet 2019).

[15] OCDE (2018), Behavioural Insights for Public Integrity: Harnessing the Human Factor to Counter Corruption, OECD Public Governance Reviews, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264297067-en.

[1] OCDE (2017), Recommandation du Conseil sur l’intégrité publique, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0435 (consulté le 24 janvier 2020).

[8] OCDE (2013), OECD Integrity Review of Italy: Reinforcing Public Sector Integrity, Restoring Trust for Sustainable Growth, OECD Public Governance Reviews, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264193819-en.

[12] OCDE (2004), Managing Conflict of Interest in the Public Service: OECD Guidelines and Country Experiences, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264104938-en.

[13] OCDE (2004), « OECD Guidelines for Managing Conflict of Interest in the Public Service », dans Managing Conflict of Interest in the Public Service : OECD Guidelines and Country Experiences, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264104938-2-en.

[14] UK Committee on Standards in Public Life (2014), Ethical standards for providers of public services Committee on Standards in Public Life, https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/336942/CSPL_EthicalStandards_web.pdf.

[4] Wegner, S., J. Schöberlein et S. Biermann (2013), Motivating Business to Counter Corruption: A Practitioner Handbook on Anti-Corruption Incentives and Sanctions, Humboldt-Viadrina School of Governance, https://www.governance-platform.org/wp-content/uploads/2016/11/HVSG_ACIS_PractitionerHandbook_20131121.pdf (consulté le 16 juillet 2019).

[5] Zúñiga, N. (2018), « Behavioural changes against corruption », U4 Helpdesk Answer, vol. 2018/11, p. 13, https://knowledgehub.transparency.org/assets/uploads/helpdesk/behavioural-changes-against-corruption-2018.pdf (consulté le 16 juillet 2019).

Notes

← 1. AGNU « Action contre la corruption », AGNU documents officiels, 51e session ONU Doc A/Res/51/59 (28 janvier 1997).

← 2. Conseil de l’Europe, Recommandation du Comité des ministres aux États membres relative aux codes de conduite des agents publics (n° R [2000] 10).

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