Chapitre 5. Quelles sont les différentes méthodes de mesure des apports d’aide destinés à la prévention de la fragilité, des conflits et de la violence et à la pérennisation de la paix ?

Sara Batmanglich
Direction de la coopération pour le développement, OCDE

Le chapitre 5 présente différentes méthodes de mesure des apports d’aide destinés à la prévention de la fragilité, des conflits et de la violence et à la pérennisation de la paix. Établissant le constat qu’il n’existe pas de système reconnu au niveau international pour mesurer de façon suivie les dépenses consacrées à la paix et à la sécurité, ce chapitre examine la question de l’aide allouée aux contextes fragiles sous l’angle de la prévention des conflits, de la consolidation de la paix, des Objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l’État visés dans le cadre du New Deal, ainsi que des sphères de rivalité mises en lumière dans l’étude publiée en 2018 par les Nations Unies et la Banque mondiale sous le titre Pathways for Peace. L’approche adoptée dans ce chapitre consiste donc à présenter des éléments de référence de nature à faciliter la traduction des engagements de principe concernant la prévention et la pérennisation de la paix en efforts financiers et programmes concrets. Sont aussi recensées les tendances qui marquent le financement depuis 2010, notamment les déficits en la matière, ce qui conduit à faire valoir globalement qu’il est urgent d’accorder au financement de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix une priorité plus élevée.

    

Le rapport États de fragilité 2016 appelait l’attention sur la montée inquiétante de la violence - notamment la violence liée aux conflits, mais pas seulement – et sur le fait que, faute d’être maîtrisée, celle-ci risquait de compromettre la concrétisation des ambitions historiques et universelles dont est porteur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 (ci-après le « Programme 2030 »).

Depuis la publication de ce rapport, les plus hautes sphères de la communauté internationale ont reconnu que l’ordre mondial fondé sur des règles mis en place dans le but de prévenir la guerre était « gravement menacé », selon la déclaration d’António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies (UN), devant le Conseil de sécurité de l’ONU (Conseil de Sécurité de l'ONU, 2017[1]). Dans ce discours, le premier qu’il a prononcé devant le Conseil de sécurité, le Secrétaire général a affirmé que la prévention des conflits et la pérennisation de la paix devaient occuper « une place prioritaire dans tout ce que nous faisons ensemble », et a appelé à l’adoption d’une nouvelle approche de la paix et de la sécurité, qui ne consiste plus avant tout à réagir aux crises et aux conflits, avec le coût humain et financier inacceptablement élevé qui en découle, mais à s’attacher à les prévenir et à assurer la pérennité de la paix (Conseil de Sécurité de l'ONU, 2017[1]).

En mars 2018, les Nations Unies et la Banque mondiale ont publié conjointement une étude novatrice sur la prévention des conflits violents, Pathways for Peace, dont le but était d’apporter des idées nouvelles et de stimuler la réflexion sur les moyens d’utiliser plus efficacement le processus de développement pour prévenir les conflits. Cet ouvrage présente aussi des arguments très convaincants sur les avantages économiques de la prévention. Même dans le cas du scénario le plus pessimiste du modèle examiné, le montant net moyen des économies qui seraient réalisées au niveau mondial atteindrait près de 5 milliards USD par an ; quant au scénario neutre et au scénario optimiste, ils verraient des économies s’élevant respectivement à 33 milliards USD et à près de 70 milliards USD (ONU/Banque mondiale, 2018, p. 3[2]). Le modèle est fondé sur des estimations prudentes, ce qui donne à penser que les arguments économiques en faveur de la prévention sont en réalité encore plus forts que ceux, déjà peu discutables, qui sont mis en avant dans l’étude. Pathways for Peace s’achève sur un appel à l’action soulignant que, pour pouvoir mettre en œuvre les recommandations qui y sont formulées, les acteurs nationaux et internationaux devront diriger avant tout leur attention, leurs efforts et leurs ressources vers la prévention.

Ces évolutions majeures sont venues conforter les initiatives et dispositifs déjà mis en place - le New Deal pour l’engagement dans les États fragiles, la Résolution 2282 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la pérennisation de la paix, ainsi que les Objectifs de développement durable (ODD) eux-mêmes, en particulier l’ODD 16 - en faisant clairement ressortir les domaines vers lesquels il est nécessaire d’orienter plus résolument l’action afin d’assurer l’avènement de sociétés pacifiques et prospères. Toutes contribuent fortement à montrer qu’il est urgent de s’attaquer aux facteurs tenaces de vulnérabilité qui touchent les pays et les régions exposés à la fragilité, à la violence et aux conflits. Mais elles ne dépasseront pas le stade du discours ambitieux si elles ne donnent pas lieu, de la part de la communauté internationale, à des efforts, notamment des engagements financiers, qui le soient tout autant.

Il importe de préciser que des engagements financiers ambitieux ne sont pas nécessairement des engagements plus importants. Dans certains cas, comme on le verra aux chapitres 9 et 10, il s’agira d’utiliser les ressources financières existantes de manière plus judicieuse et plus stratégique. Il est cependant évident que le montant des fonds affectés à des causes telles que la prévention et la consolidation de la paix n’est pas suffisant, surtout si on le compare aux 233 milliards USD qui ont été consacrés aux mesures de réponse aux situations de crise au cours des dix dernières années1. Reste à savoir quel serait le montant idéal. Une réflexion plus approfondie s’impose sur la taille appropriée des projets et programmes axés sur la paix car, même si elle variera selon l’activité concernée, il est problable que ce type d’intervention n’occupera pas une place prépondérante dans le portefeuille des donneurs. Pareille évolution est de bon augure. La recherche de la paix et la prévention ne constituent pas seulement un mode optimal d’utilisation des ressources. Elles peuvent aussi présenter l’avantage d’être peu coûteuses.

Dans l’optique de favoriser la traduction en actes de ces appels urgents à l’action, ce chapitre examine l’affectation de l’aide au titre de la fragilité, des conflits et de la violence. Le but est de pouvoir déterminer plus aisément les domaines dans lesquels les ressources peuvent être insuffisantes, les ajustements éventuels à effectuer ou, comme on le verra plus loin dans ce rapport, les moyens de renforcer la complémentarité et la cohérence des différents apports. Il y a lieu de rappeler que l’aide est un effort qui relève de la volonté des donneurs et que l’évolution de cette forme de financement est souvent considérée comme un signe (OCDE, 2010, p. 23[3]). Or, les signes comptent beaucoup. Partant de ces importantes déclarations de fond, la meilleure manière pour les partenaires du développement de signifier qu’ils prennent la situation au sérieux et ne se satisfont pas du statu quo est de faire en sorte que les efforts de financement soient en accord avec les paroles.

5.1. Calculer l’aide au titre de la fragilité et de la paix selon des points de vue différents

Compte tenu des questions soulevées dans l’Encadré 5.1, la méthodologie suivie pour obtenir les chiffres présentés dans cette section revêt au mieux un caractère approximatif et n’aboutit qu’à des estimations sommaires destinées à stimuler le débat et la réflexion chez les fournisseurs d’aide2. Malgré le tableau imparfait qu’elle offre, la répartition indicative du financement, appréhendée selon différents points de vue, devrait permettre d’approfondir le débat sur la conformité des priorités actuelles en matière de financement avec les priorités définies au niveau politique et les besoins spécifiques qui s’expriment dans les contextes fragiles.

Encadré 5.1. Suivre les apports d’aide au titre d’activités de prévention des conflits, la paix et la sécurité

Avant de procéder à une analyse de l’aide à l’appui de l’action contre la fragilité, les conflits et la violence, il est nécessaire d’en connaître certains écueils importants. Le premier réside dans la difficulté qu’il y a à mesurer cette aide. Hormis le cas des activités de maintien de la paix des Nations Unies, il n’existe pas de système reconnu au niveau international pour mesurer les dépenses relatives à la paix et à la sécurité. Cette difficulté existe, qu’il s’agisse des dépenses sortant du cadre de l’aide publique au développement (APD) ou des dépenses comptabilisables dans l’APD, encore que les secondes soient mieux suivies (Encadré 5.2). Toutefois, les codes secteur du Système de notification des pays créanciers (SNPC) de l’OCDE affectés aux Objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l’État (OCPRE) et aux sphères de rivalité (ONU/Banque mondiale, 2018[2]), par exemple, ont été attribués de façon manuelle et selon le jugement humain, ce qui leur confère un caractère intrinsèquement subjectif. Le processus de notification est lui-même assez subjectif car ce sont les donneurs qui déterminent eux-mêmes la nature de leurs projets et donc le code à leur affecter, en s’appuyant sur leurs propres définitions et sur les paramètres conceptuels qui régissent leur participation aux efforts de consolidation de la paix et de prévention des conflits.

Deuxième écueil : certaines activités sont plus coûteuses que d’autres. Par exemple, il est fort probable que l’OCPRE 4 (Fondements économiques) et l’OCPRE 5 (Revenus et services) feront toujours l’objet d’un plus vif soutien que l’OCPRE 1 (Légitimité politique) en raison de la nature et du nombre des activités qu’ils recouvrent. Un troisième écueil réside dans le fait que, pour éviter un double comptage, les codes secteur de l’OCDE ne sont associés qu’à un seul domaine dans chacun des cadres dont il sera question. Il s’agit d’une catégorisation trompeuse, étant donné que beaucoup de domaines se recoupent et que l’on pourrait considérer sans risque d’erreur que certaines activités concourent à la réalisation de plusieurs objectifs. De plus, la structure du SNPC limite l’utilisation qui peut en être faite car les activités susceptibles de contribuer à la prévention des conflits ou à la pérennisation de la paix ne sont pas toutes prises en compte ou classées comme telles ; de même, du point de vue de la redevabilité, le codage existant n’est pas suffisamment fin pour couvrir les domaines qui se rapportent à la prévention de la violence, sur lesquels il serait utile de disposer de données.1

1. En particulier, il n’y a pas de code correspondant à la prévention de la violence. Il existe certes un code sur la violence contre les femmes et les filles mais aucun sur la prévention de la violence contre les enfants, la prévention de l’extrémisme violent ou les activités visant d’autres formes de violence politique ou sociale, comme la réduction des homicides. D’une manière générale, du fait de l’absence de codes spécifiques pour ces domaines connexes, il sera difficile d’établir une correspondance entre les catégories existantes et toutes les cibles relevant de l’ODD 16.

5.2. Prévention des conflits

La prévention des conflits figure actuellement, à juste titre, au premier plan des préoccupations de la communauté internationale. Mais la mise à disposition des ressources nécessaires à cette action ne semble pas occuper la même place dans l’ordre des priorités. L’OCDE définit la prévention des conflits comme les « actions entreprises pour réduire les tensions et prévenir l’éclatement ou la résurgence d’un conflit violent », lesquelles comprennent à la fois des actions de court terme et un engagement de long terme (OCDE, 2012, p. 17[4]). Selon le cadrage adopté, « dans une certaine mesure, le conflit est naturel, inévitable et constitue une part positive du développement et d’autres processus de changement », mais le but est aussi de soutenir tout particulièrement « les capacités internes aux sociétés à gérer des intérêts divergents sans recourir à la violence » (OCDE, 2008, p. 18[5]).

Comme indiqué plus haut, le Système de notification des pays créanciers de l’OCDE (SNPC) ne comporte pas de code secteur spécifique pour la prévention des conflits. Ce n’est que l’une des difficultés qui compliquent le calcul du montant des fonds consacrés à la prévention des conflits. Le SNPC comportait auparavant un code spécial pour la catégorie « Prévention et règlement des conflits, paix et sécurité ». Comme le montre le Tableau 5.1, cette catégorie a été rebaptisée « Conflits, paix et sécurité » mais elle comprend les mêmes six sous-catégories. Toutefois, afin d’éviter un double comptage dans le cadre du SNPC, les projets ne peuvent être affectés que d’un seul code-objet. Autrement dit, un projet comportant un élément de prévention des conflits peut être classé selon des codes-objet très différents – comme ceux qui se rapportent à l’emploi, à l’égalité hommes-femmes, aux droits de la personne ou même à l’approvisionnement en eau s’il s’agit de son principal objectif – même si l’un de ses buts ou de ses effets est la prévention des conflits (Dalrymple, 2016, p. 13[6]). La destination plurisectorielle fera partie intégrante du SNPC à compter de la notification de l’aide de 2017, ce qui devrait permettre de disposer d’informations plus nuancées dans l’avenir (Encadré 5.2).

De même, l’analyse de l’aide au titre de la prévention des conflits est quelque peu compliquée par le fait que l’une des subdivisions de la catégorie relative aux conflits, à la paix et à la sécurité regroupe les activités concernant la construction de la paix, la prévention des conflits et leur règlement. D’où l’impossibilité de distinguer l’aide affectée aux interventions qui ont lieu avant la survenue d’un conflit de l’aide destinée au règlement d’un conflit déjà devenu violent. Néanmoins, si cette catégorie ne permet pas nécessairement de dresser un tableau complet ou suffisamment nuancé des dépenses d’APD consacrées aux activités relatives à la paix et à la sécurité, elle en demeure le meilleur indicateur indirect dans ce système de notification, et elle permet d’avoir une bonne idée de la volonté des donneurs de soutenir la prévention des conflits à travers leur engagement dans les contextes fragiles à des fins de développement.

Tableau 5.1. Composantes de la catégorie relative aux conflits, à la paix et à la sécurité dans le Système de notification des pays créanciers de l’OCDE (Code 152)

15210

Gestion et réforme des systèmes de sécurité

15220

Dispositifs civils de construction de la paix, et de prévention et de règlement des conflits

15230

Participation à des opérations internationales de maintien de la paix

15240

Réintégration et contrôle des armes légères et de petit calibre

15250

Enlèvement des mines terrestres et restes explosifs de guerre

15261

Enfants soldats (prévention et démobilisation)

Source: Système de notification des pays créanciers, OCDE.

Graphique 5.1. APD au titre des contextes fragiles : activités relatives aux conflits, à la paix et à la sécurité, 2010-16
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787199

En dépit de toutes ces réserves, les données relatives aux ressources financières du développement consacrées à la prévention des conflits sont révélatrices. En 2016, seulement 2 % de l’APD brute totale consacrée aux contextes fragiles, soit environ 1.7 milliard USD, ont été affectés à la catégorie concernant les conflits, la paix et la sécurité. Cette part est certes relativement faible, mais elle représente néanmoins une légère augmentation des dépenses afférentes aux activités de cette catégorie, lesquelles avaient diminué après une hausse qui avait porté l’APD destinée à la prévention des conflits au niveau sans précédent de 1.9 milliard USD en 2010. La République arabe syrienne, aujourd’hui en situation de conflit actif, a dépassé l’Afghanistan et l’Iraq pour devenir la principale destinataire de cette forme d’aide (Graphique 5.2).

Graphique 5.2. Les 20 premiers contextes fragiles destinataires des apports d’APD au titre des conflits, de la paix et de la sécurité, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787218

Le Royaume-Uni est le principal fournisseur d’APD, en termes absolus, destinée à la prévention des conflits, et il a ainsi apporté en 2016 un peu plus de 329 millions USD, soit environ 6 % de son APD totale, au titre de la prévention des conflits dans les contextes fragiles (Graphique 5.3).

Graphique 5.3. Les 15 premiers fournisseurs d’APD, en volume, au titre des conflits, de la paix et de la sécurité dans les contextes fragiles, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787237

Il est intéressant de noter que ce sont la Slovénie (18 %), la République slovaque (10 %) et la Roumanie (7 %) qui ont consacré la plus grande part de l’ensemble de leur portefeuille d’activités d’aide à la catégorie des conflits, de la paix et de la sécurité dans les contextes fragiles (Graphique 5.4). Leurs dépenses se sont élevées à 700 000 USD environ en termes absolus, le contexte fragile prioritaire étant la Cisjordanie et la bande de Gaza pour la Slovénie, Haïti pour la République slovaque et l’Afghanistan pour la Roumanie. Globalement, des six sous-catégories relevant de ce code, c’est à celle des dispositifs civils de construction de la paix, et de prévention et de règlement des conflits qu’a été affecté le montant d’APD le plus important en 2016 ; de plus, c’est vers cette sous-catégorie et celle de la gestion et de la réforme des systèmes de sécurité qu’a été dirigée la majeure partie de l’aide consacrée à cette catégorie (Graphique 5.1).

Graphique 5.4. Les 15 premiers fournisseurs d’APD au titre des conflits, de la paix et de la sécurité, en proportion du total de l’aide destinée aux contextes fragiles, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787256

Encadré 5.2. Mesurer les apports de ressources pour le développement dans le monde de l’après-2015

Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE mène depuis longtemps une réflexion sur l’articulation entre sécurité et développement et sur les modalités de prise en compte des contributions apportées au titre de la sécurité dans l’APD. Tout en étant conscient du fait que l’absence de développement est source d’insécurité et que le manque de sécurité entrave le développement, il a fait en sorte que, dans ce domaine, les règles de comptabilisation dans l’APD demeurent rigoureuses et prudentes. Afin de préserver l’intégrité du concept d’APD, une démarcation nette a été maintenue entre les dépenses de sécurité et les dépenses de développement. À l’heure actuelle, aucun système ne rend entièrement compte de l’ensemble des dépenses afférentes à la sécurité, ce qui constitue une véritable lacune.

Un groupe de travail international est en train de mettre au point un nouvel outil de mesure statistique dénommé « Soutien public total au développement durable » (SPTDD), destiné à rendre compte de façon plus transparente de tout l’éventail des apports de ressources faisant l’objet d’un soutien public à l’appui du Programme 2030. Ceux-ci comprennent les apports de ressources qui proviennent de la coopération Sud-Sud, de la coopération triangulaire, des organisations multilatérales et des donneurs traditionnels et émergents. Le cadre de mesure du SPTDD couvrira les concours au titre du développement durable qui ne relèvent pas de l’APD et prendra en compte le fait que certains des défis auxquels est confrontée la coopération pour le développement revêtent une portée mondiale. Il englobera les activités qui favorisent la concrétisation des ODD en suscitant une croissance économique durable et en assurant la cohésion sociale sans nuire à l’environnement.

Parmi les activités actuellement non comptabilisables dans l’APD qu’il pourrait être envisagé d’intégrer dans le SPTDD figurent, par exemple :

  • certaines activités de lutte contre le terrorisme, autres que la prévention de l’extrémisme violent qui est aujourd’hui la seule de ces activités à être prise en compte dans l’APD. Comme la « lutte contre le terrorisme » fait expressément l’objet de la cible 16a de l’ODD 16, il pourrait être envisagé de l’inclure dans le SPTDD ;

  • les dépenses afférentes au maintien de la paix, au-delà du coefficient d’APD de 15 % actuellement appliqué pour assurer la prise en compte des activités de développement intégrées dans ces opérations. À l’heure actuelle, l’APD au titre du Traité sur le commerce des armes et d’autres activités concernant le désarmement est limitée aux armes légères et de petit calibre et au déminage, et elle exclut des activités relatives au désarmement celles qui sont liées à des opérations en rapport, par exemple, avec les armes chimiques et les armes nucléaires.

Le groupe de travail international sur le SPTDD étudiera ces questions selon une démarche ouverte, inclusive et transparente tout au long de l’année 2018.

L’un des critères essentiels de comptabilisation dans le SPTDD sera la contribution apportée à une cible d’ODD particulière. Une activité est considérée comme propice au développement durable si elle sert directement au moins l’une des cibles des ODD. À l’heure actuelle, le système statistique n’intègre pas cette caractéristique, mais certains membres du CAD et d’autres acteurs du développement ont commencé à recenser les objectifs et les cibles auxquels les activités passées ont été utiles et à élaborer des systèmes de suivi dans le but d’en rendre compte à leurs mandants. En même temps, certains pays en développement ont entrepris de suivre de façon systématique les apports nationaux et internationaux de ressources au titre des ODD et des cibles qui les composent, afin d’assurer une meilleure affectation de leurs ressources intérieures et d’améliorer la coordination et l’efficacité.

Des travaux sont en train d’être effectués en vue d’adapter la base de données du SNPC de l’OCDE de façon à permettre la notification de l’orientation des activités de coopération pour le développement vers les ODD. Une proposition visant à incorporer une rubrique sur les ODD dans les rapports statistiques sur l’APD destinés au CAD de l’OCDE sera examinée en juin 2018, lors de la réunion du Groupe de travail sur les statistiques du financement du développement. Si elle est adoptée, les entités déclarantes pourront signaler l’association de leurs activités de développement à une ou plusieurs cibles des ODD. Les données correspondantes permettront d’analyser avec plus de précision la contribution des ressources financières du développement à la concrétisation de diverses composantes du Programme 2030, ce qui est susceptible d’accroître l’efficacité de l’aide. La notification des activités utiles aux ODD dans la rubrique prévue à cet effet sera facultative dans le cas du SNPC, mais elle sera obligatoire pour que ces activités puissent être comptabilisées dans le SPTDD.

Contribution de la Division du financement du développement durable, DCD, OCDE.

5.3. Consolidation de la paix

Parmi les sous-catégories du code relatif aux conflits, à la paix et à la sécurité figurent les dispositifs civils de construction de la paix. Étant donné l’étendue des activités de consolidation de la paix et le fait qu’elles peuvent être intégrées dans des programmes concernant d’autres secteurs, il est assez probable que cette sous-catégorie ne prenne en compte qu’une partie de toutes ces activités. Selon l’OCDE, la consolidation de la paix recouvre quatre grands domaines d’intervention : le développement socio-économique équitable, la bonne gouvernance, la réforme des institutions chargées de la sécurité et de la justice et les processus d’établissement de la vérité et de réconciliation.3

La difficulté de mesure des activités de consolidation de la paix a toutefois été clairement mise en lumière dans le cadre d’un exercice de consultation effectué en 2016 par l’Institute for Economics and Peace (IEP) afin de classer les domaines d’action à l’appui de la consolidation de la paix en fonction des catégories du SNPC de l’OCDE (Institute for Economics and Peace, 2017[8]). Le Graphique 5.5 a été établi d’après cet exercice et les travaux de l’IEP ont été utilisés pour l’analyse de l’aide à l’appui de la consolidation de la paix réalisée pour les besoins du présent rapport. L’IEP a souligné qu’il était difficile de distinguer les activités de consolidation de la paix des activités de renforcement de l’État et, d’une manière plus générale, des activités de développement, en faisant observer que les catégories recoupant du point de vue théorique les efforts de renforcement de l’État et de développement tendent en moyenne à faire l’objet d’un niveau de financement plus élevé (Institute for Economics and Peace, 2017, p. 30[8]).

Afin de répondre à certains des problèmes d’ordre conceptuel que pose l’absence de définition communément admise de la consolidation de la paix, l’IEP a pris dans un premier temps comme point de départ les cinq domaines prioritaires définis par le Secrétaire général des Nations Unies en 2009 (ONU, 2009[9]). Mais il a finalement décidé de limiter le champ de son étude à trois de ces domaines - les fondements de la sûreté et de la sécurité, les processus politiques inclusifs et les fonctions publiques essentielles - en déterminant les codes-objet auxquels ils correspondaient et en les répartissant entre ce qu’il a qualifié d’activités « essentielles » et « secondaires » de consolidation de la paix (Institute for Economics and Peace, 2017, p. 10[8]). Les domaines prioritaires qui n’ont pas été pris en compte concernent la fourniture de services de base et la revitalisation de l’économie.

Graphique 5.5. Catégories de dépenses en faveur de la consolidation de la paix
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Source : D’après (Institute for Economics and Peace, 2017[8]), Measuring Peacebuilding Cost-Effectiveness, http://visionofhumanity.org/app/uploads/2017/03/Measuring-Peacebuilding_WEB.pdf.

L’analyse présentée par l’OCDE dans ce rapport a pris en compte les 16 catégories de la méthodologie de l’IEP qui sont énoncées dans le graphique 5.5. Il en ressort qu’en 2016, les donneurs ont consacré 7.5 milliards USD, soit environ 10 % de l’APD brute totale, à la consolidation de la paix dans l’ensemble des contextes fragiles. Ces dépenses sont demeurées assez stables, à un niveau proche de ce montant, depuis 2010, date à laquelle elles avaient atteint le chiffre record de 8.5 milliards USD (Graphique 5.6). Comme le montre le Graphique 5.7, les dépenses de consolidation de la paix représentent une faible part du total de l’APD au titre des contextes fragiles, c’est-à-dire 11 % du total de l’APD affectée aux contextes extrêmement fragiles et 9.5 % du total de l’APD consacrée aux autres contextes fragiles. Les fondements de la sûreté et de la sécurité font l’objet de l’effort d’aide le plus faible, soit un montant de quelque 689 millions USD pour l’ensemble des contextes fragiles.

Graphique 5.6. Dépenses consacrées à la consolidation de la paix dans les contextes fragiles, 2010-16
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787275

Il ressort de l’analyse de l’OCDE que, depuis 2010, près de la moitié de tous les apports d’aide au titre de la consolidation de la paix est systématiquement dirigée vers les 15 contextes considérés comme extrêmement fragiles. Étant donné que dans neuf de ces contextes se déroule une forme ou une autre de conflit, il est étonnant que la part d’aide qui leur est consacrée à l’appui des fondements de la sûreté et de la sécurité ne soit pas encore plus grande. Si le soutien au titre des activités secondaires de consolidation de la paix a été globalement moins important dans le cas des contextes extrêmement fragiles, une part néanmoins appréciable des dépenses a été affectée aux processus politiques inclusifs (1.7 milliard USD) et aux fonctions publiques essentielles (près de 1.4 milliard USD) dans ces contextes. Ces chiffres montrent que les donneurs accordent la priorité au renforcement des capacités dans ces domaines. Toutefois, ils soulèvent aussi la question de la faculté d’absorption et de l’efficacité d’une concentration des efforts sur ces domaines dans les contextes extrêmement fragiles plutôt que dans les autres contextes fragiles.

Graphique 5.7. Dépenses de consolidation de la paix comparées à l’APD totale au titre des contextes fragiles, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787294

Il est particulièrement intéressant de comparer les 20 premiers destinataires de l’APD visant la consolidation de la paix avec les 20 principaux destinataires de l’APD au titre des conflits, de la paix et de la sécurité. Le Burundi, l’Égypte, Haïti, le Libéria, la Libye, la République centrafricaine, le Soudan et le Yémen font partie des principaux bénéficiaires de l’aide destinée à la prévention des conflits. Mais ils ne comptent pas parmi les 20 premiers destinataires de l’aide visant la consolidation de la paix. De même, le Bangladesh, l’Éthiopie, le Honduras, le Kenya, le Népal, la République-Unie de Tanzanie et le Rwanda figurent parmi les premiers bénéficiaires de l’aide affectée à la consolidation de la paix mais non parmi les principaux destinataires de l’aide relative à la prévention des conflits.

Graphique 5.8. Les 20 premiers contextes fragiles destinataires de l’APD visant la consolidation de la paix, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787313

Comme le montre le Graphique 5.9, il existe aussi des différences chez les 20 premiers fournisseurs d’aide au titre de la consolidation de la paix, et on constate ainsi que les dépenses consacrées en particulier par le Groupe de la Banque mondiale, le Japon et l’Australie à l’aide visant la consolidation de la paix sont proportionnellement plus importantes que celles qu’ils affectent à l’aide destinée à la prévention des conflits.

Graphique 5.9. Les 20 premiers fournisseurs d’APD visant la consolidation de la paix, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787332

Encadré 5.3. Le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix

Le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix (FCP) a été créé en octobre 2006 dans le but d’assurer en temps voulu un financement offrant une tolérance face aux risques et ayant un effet catalyseur, pour répondre aux besoins particuliers qui s’expriment dans les pays ou les situations où un conflit violent a éclaté ou est susceptible de se produire. À l’époque, le FCP prenait également en compte le manque de ressources financières affectant certains des contextes faisant l’objet d’un soutien de sa part, ainsi que le fait que la plupart n’étaient pas considérés comme prioritaires par plusieurs partenaires au développement (OCDE, 2010[10]). Le FCP est l’un des piliers de l’architecture de la consolidation de la paix des Nations Unies, les autres étant la Commission de consolidation de la paix et le Bureau d’appui à la consolidation de la paix, qui gère le FCP.

Depuis sa création, la taille et le champ d’action du Fonds. À la date de décembre 2016, il avait approuvé un apport de 647 millions USD à 36 pays. Ses quatre principaux domaines prioritaires sont le soutien de la mise en œuvre des accords de paix et du dialogue politique, la promotion de la coexistence et du règlement pacifique des conflits, la revitalisation de l’économie et la production de dividendes de la paix, et le rétablissement des services administratifs essentiels et des capacités connexes (Bureau d'appui à la consolidation de la paix, s.d.[11]). Le FCP possède deux guichets pour les interventions, lesquels ont été conçus d’après les bonnes pratiques accumulées en matière de réponse aux besoins de financement pouvant se manifester dans les situations d’instabilité. Le dispositif d’intervention immédiate permet de réagir rapidement aux changements survenant dans ces situations, qu’il n’est pas nécessaire de soumettre à une procédure formelle pour déterminer si elles remplissent les conditions requises. Le dispositif d’appui à la consolidation de la paix et au relèvement fournit un financement de moyen terme régi par un plan des priorités de consolidation de la paix élaboré au niveau du pays et conçu pour être pris en main au maximum par ce dernier.

La majeure partie des fonds provenant du FCP a été affectée à des projets concernant la réconciliation nationale qui, selon le rapport États de fragilité 2016 est un domaine important pour lequel les ressources financières manquent (OCDE, 2016, p. 159[12]). Sur les 34 contextes qui font actuellement l’objet d’un financement de la part du FCP, 27 sont inscrits dans le Cadre 2018 de l’OCDE sur la fragilité. Dans un rapport de 2017 sur le FCP, le Secrétaire général des Nations Unies a appelé l’attention sur le fait que la situation financière du Fonds était peu solide, en faisant observer que la demande avait dépassé l’offre ; le FCP a approuvé l’affectation de 157 millions USD en 2017, mais les contributions qu’il a reçues se sont élevées à 93 millions USD seulement, ce qui représente néanmoins une hausse par rapport à 2016, année pour laquelle leur montant a été de 58.6 millions USD (Assemblée générale des Nations Unies, 2017[13]). Lors d’une conférence d’annonce de contributions qui s’est tenue en septembre 2016, il a été demandé d’apporter un minimum de 300 millions USD pour pouvoir assurer le financement des activités du Fonds pendant 3 ans.

En janvier 2018, le Secrétaire général a publié son rapport, très attendu, sur la consolidation et la pérennisation de la paix, dans lequel il déclare que le FCP constitue, pour les Nations Unies, un instrument essentiel leur permettant d’intensifier leurs efforts pour renforcer la résilience et mettre l’accent sur la prévention (Assemblée générale des Nations Unies/Conseil de Sécurité de l'ONU, 2018[14]). Il a donc appelé à faire un « bond de géant » dans les apports de contributions au FCP, en citant les estimations financières, établies d’après les besoins définis par les pays dans différents domaines, selon lesquelles un montant de 500 millions USD par an sera nécessaire ; il a en outre proposé plusieurs mesures pour augmenter le financement et en améliorer la prévisibilité. Quel que soit l’assortiment de mesures qui sera adopté par les États membres de l’ONU pour accroître les apports de fonds au FCP, ce dernier jouera probablement un rôle essentiel dans la mobilisation de la prochaine génération de ressources financières pour la pérennisation de la paix.

5.4. Les Objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l’État définis dans le cadre du New Deal

À l’issue de consultations approfondies au niveau mondial, le New Deal et ses Objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l’État (OCPRE) ont été approuvés en 2011 pour étayer et guider la réflexion et les décisions de financement concernant les domaines d’action prioritaires (Encadré 5.4), étant entendu que les OCPRE feraient l’objet d’une définition plus fine au niveau des pays (New Deal, 2014[15]). Cependant, la mise en œuvre du New Deal au niveau des pays s’est révélée problématique. Selon l’examen indépendant le plus récent, rien ne permet d’affirmer que les acteurs internationaux ont accru leurs dotations au titre de l’aide à l’appui des OCPRE, et ces derniers n’ont été utilisés pour déterminer les priorités nationales et aligner les budgets que dans le cas de la Somalie (Hearn, 2016, p. 11[16]). Il convient toutefois de rappeler que les OCPRE ont été adoptés à la fin de la période couverte par les Objectifs du millénaire pour le développement, c’est-à-dire à un moment où la paix n’occupait pas, parmi les préoccupations de la communauté internationale, une place aussi importante que celle que lui a conférée le Programme 2030.

Toutefois, s’agissant des domaines d’action fondamentaux qui revêtent une importance particulière dans les contextes fragiles ou touchés par un conflit, les OCPRE ont résisté à l’épreuve du temps. En témoigne le fait qu’ils recoupent en grande partie les sphères de rivalité examinées en profondeur dans le cadre de la récente étude conjointe des Nations Unies et de la Banque mondiale, lesquelles ont été définies par les auteurs comme des espaces critiques où des différends et des risques peuvent s’accumuler ou s’intensifier, et où peuvent s’ouvrir des perspectives laissant entrevoir une issue pacifique (ONU/Banque mondiale, 2018, p. 141[2]).

Encadré 5.4. Les Objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l’État (OCPRE) définis dans le cadre du New Deal

OCPRE 1 : Légitimité politique : encourager des accords politiques inclusifs et la résolution des conflits

OCPRE 2 : Sécurité : établir et renforcer la sécurité des personnes

OCPRE 3 : Justice : remédier aux injustices et accroître l’accès des personnes à la justice

OCPRE 4 : Fondements économiques : créer des emplois et améliorer les moyens de subsistance

OCPRE 5 : Revenus et services : gérer les revenus et renforcer les capacités de prestation de services responsables et équitables

Source : (New Deal, 2014[15]), Peacebuilding and Statebuilding Goals, https://www.newdeal4peace.org/peacebuilding-and-statebuilding-goals/

L’analyse effectuée aux fins du rapport États de fragilité 2015 a montré que les investissements consacrés à certains OCPRE étaient très faibles, et qu’ils ont ainsi représenté 4 % de l’APD au titre des contextes fragiles classés comme tels pour l’OCPRE 1, 2 % pour l’OCPRE 2 et 3 % pour l’OCPRE 3 (OCDE, 2015, p. 76[17]). Dans une certaine mesure, ces chiffres pourraient refléter le fait que les activités relevant des autres OCPRE sont plus coûteuses. Mais il se peut aussi que l’aide soit plus volontiers dirigée vers les OCPRE 4 et 5 (45 %) parce que les interventions y afférentes paraissent plus simples et plus aisées que celles qui se rapportent aux domaines politiquement sensibles, complexes et pourtant d’une importance déterminante que recouvrent les OCPRE 1, 2 et 3. Il y a lieu de noter que la répartition des dépenses consacrées à la mise en œuvre des OCPRE dans les contextes fragiles n’était pas très différente de celle des dépenses affectées à ces mêmes objectifs dans pays en développement non fragiles (OCDE, 2015[17]).

Il ressort d’une analyse de l’OCDE fondée sur les données les plus récentes que près de la moitié de l’APD (48.7 %) consacrée aux contextes fragiles en 2016 a été affectée aux 5 OCPRE. La part de l’APD visant les OCPRE 1, 2 et 3 est restée faible et a même diminué depuis le rapport de 2015 pour tomber à 3.5 %, 1.1 % et 1.5 % respectivement (Graphique 5.11). Le profil de répartition de l’aide entre les cinq OCPRE est toutefois demeuré assez stable dans le temps, tout comme le montant total de l’APD destinée à la mise en œuvre des OCPRE dans les contextes fragiles. De plus, le pourcentage d’APD affecté à certains OCPRE est systématiquement plus élevé dans les contextes non fragiles que dans les contextes fragiles (Graphique 5.10). L’une des raisons en est sans doute que les OCPRE 4 et 5 recouvrent un large éventail de pratiques classiques de développement fondées sur la croissance économique. Autre explication possible dans le cas de ces derniers OCPRE : il est plus facile de réaliser des projets en plus grand nombre et sur une plus grande échelle dans les situations où il n’y a pas de fragilité. Néanmoins, il n’est pas inutile de rappeler que les éléments politiquement sensibles et peut-être strictement liés à la consolidation de la paix que comporte le New Deal, représentés par les OCPRE 1, 2 et 3, font l’objet d’un soutien quasi identique en proportion dans les contextes non fragiles et les contextes fragiles. Ce constat soulève l’importante question de savoir dans quelle mesure les donneurs adaptent leurs approches du développement aux besoins particuliers qui se manifestent dans les contextes fragiles.

Graphique 5.10. APD au titre de la mise en œuvre des OCPRE dans les contextes fragiles et les contextes non fragiles, 2010-16
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Notes : L’APD non affectée aux OCPRE comprend les opérations d’allégement de la dette effectuées par les donneurs et leurs frais administratifs, les dépenses qu’ils consacrent aux réfugiés sur leur territoire, ainsi que l’APD non ventilable/non spécifiée. Elle prend aussi en compte d’autres codes-objet qui concernent, par exemple, l’éducation et la formation médicales, la recherche médicale, les services médicaux, les soins et services de santé de base, l’infrastructure pour la santé de base, la nutrition de base et la lutte contre les maladies infectieuses. Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787351

Graphique 5.11. APD au titre de la mise en œuvre des OCPRE dans les contextes fragiles (en pourcentage de l’APD totale), 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles portent seulement sur les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787370

5.5. Les sphères de rivalité examinées dans le cadre de l’étude Pathways for Peace

L’étude intitulée Pathways for Peace, réalisée conjointement par les Nations Unies et la Banque mondiale, est le fruit des travaux de recherche les plus récents et les plus approfondis sur les déterminants et la prévention des conflits violents. Elle présente la notion de sphères de rivalité, grands domaines dans lesquels des différends font naturellement leur apparition entre certains groupes de personnes et entre la société et l’État. Les quatre sphères de rivalité examinées sont le pouvoir et la gouvernance, la terre et les ressources naturelles, la fourniture des services, ainsi que la sécurité et la justice. Il s’agit d’espaces où, selon les auteurs, des individus ou des groupes négocient pour pouvoir accéder aux moyens d’existence fondamentaux et au bien-être, et où, par conséquent, les enjeux comme les risques de violence sont importants (ONU/Banque mondiale, 2018, p. 142[2]).

Une analyse préliminaire de ces sphères de rivalité à travers le prisme des codes-objet du SNPC montre qu’en 2016, près de 29 milliards USD, soit environ 40 % de l’APD totale, leur ont été consacrés dans les contextes fragiles (Graphique 5.12). Toutefois, une très faible part de l’APD dirigée vers les quatre sphères a été affectée à la sécurité et à la justice, et la sphère de la fourniture des services en a reçu de loin la fraction la plus grande. La sphère du pouvoir et de la gouvernance et celle de la terre et des ressources naturelles ont chacune fait l’objet d’un effort d’aide à peu près identique. Encore plus que dans le cas des OCPRE, on ne relève que des différences négligeables entre les contextes fragiles et les contextes non fragiles quant à la répartition de l’aide entre les quatre sphères. D’où de nouveau la question de l’adaptation des approches et des priorités du développement aux contextes où les risques décrits dans Pathways for Peace se manifestent, par opposition aux contextes de développement classiques, où le risque de conflit violent est plus faible.

Graphique 5.12. APD au titre des sphères de rivalité examinées dans Pathways for Peace pour les contextes fragiles et les contextes non fragiles, 2016
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Note : Les données sectorielles disponibles concernent seulement les versements bruts recensés dans la base de données du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE.

Source : (OCDE, 2018[7]), « Statistiques détaillées de l'aide : APD (Aide publique au développement) : versements », Statistiques de l'OCDE sur le développement international (base de données), https://doi.org/10.1787/data-00069-fr.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787389

5.6. Les opérations de maintien de la paix des Nations Unies

Du fait de l’absence de suivi systématique des dépenses bilatérales consacrées à la sécurité, il est difficile d’évaluer le niveau de l’investissement mondial au titre de la sécurité en tant que bien public mondial par rapport à l’investissement dans la sécurité au service de l’intérêt national (OCDE, 2015, p. 83[17]). La multiplication des maux publics mondiaux – tels que le terrorisme ou le crime organisé transnational – influe aussi sur l’équation. Les actions dictées par l’intérêt national et les actions menées dans l’intérêt public mondial ne sont plus nécessairement incompatibles. Néanmoins, les opérations de maintien de la paix des Nations Unies représentent toujours le principal investissement multilatéral en faveur de la sécurité mondiale. Ce type d’investissement peut aussi être mesuré de façon suivie. Par conséquent, il est important de faire le point sur la situation du maintien de la paix, étant donné que les difficultés rencontrées dans ce domaine reflètent à bien des égards les obstacles auxquels se heurte la quête de la paix en tant que bien public mondial.

Dans le rapport qu’il a publié en 2015, le Groupe indépendant de haut niveau chargé d’étudier les opérations de paix des Nations Unies a appelé l’attention sur l’évolution du paysage dans lequel sont menées les opérations de paix, et il s’est inquiété du fait que « les changements survenus en matière de conflit semblent dépasser la capacité des opérations de paix des Nations Unies d’y faire face » (Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix, 2015, p. ii[18]). Le contexte dans lequel se déroulent les missions de maintien de la paix est également en train de changer. La majeure partie des effectifs militaires et policiers sous commandement des Nations Unies est aujourd’hui utilisée pour seulement cinq missions, qui sont confrontées à une violence persistante, notamment à des menaces à l’encontre de leur personnel, à des crises humanitaires à grande échelle engendrées par la violence, ainsi qu’à une forte limitation de leur capacité de mise en œuvre de stratégies claires de règlement politique des conflits, en raison soit de l’absence de partenaires nationaux crédibles, soit de la mauvaise qualité des relations avec les pays d’accueil des missions (Gowan, 2018[19])4. Au cours des 5 années de la période 2013-17, une hausse sans précédent du nombre de victimes a été observée, avec la mort de 195 membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies dans l’exercice de leurs fonctions (dos Santos Cruz, Phillips et Cusimano, 2017[20]). Sur les 14 opérations de maintien de la paix en cours, 8 se déroulent dans des pays et des contextes inscrits dans le Cadre 2018 sur la fragilité5. Sept d’entre elles ont lieu dans des contextes extrêmement fragiles.

Le budget des opérations de maintien de la paix des Nations Unies qui a été approuvé pour l’exercice budgétaire 2017/18 s’élève à 6.8 milliards USD et sert à financer 13 missions de maintien de la paix, ainsi que la fourniture d’un appui logistique à la mission de l’Union africaine en Somalie (Assemblée générale des Nations Unies, 2017[21]). Ce budget est inférieur d’environ 7.5 % à celui qui avait été approuvé pour l’exercice budgétaire précédent (ONU/DOMP, 2018[22]). Cette réduction est due en partie aux opérations de retrait menées en Côte d’Ivoire, en Haïti et au Libéria. Mais des hauts fonctionnaires des Nations Unies ont souligné qu’il n’y avait pas pour autant diminution des besoins et que les missions paraissaient souvent dépassées par l’ampleur de leur tâche, qu’elles étaient dotées de ressources insuffisantes et que, selon les termes employés par M. Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, elles semblaient « aux abois » (ONU, 2017[23]). Pour apprécier objectivement le budget du maintien de la paix des Nations Unies, il faut savoir qu’il ne représente que 0.4 % environ des dépenses militaires mondiales qui, d’après les estimations, s’élevaient en 2016 à 1 686 milliards USD, soit 2.2 % du PIB mondial (Tian et al., 2017[24]). Cependant, comparé aux dépenses de développement, le budget du maintien de la paix a représenté 10 % de l’APD nette affectée aux contextes fragiles en 2016.

En 2016, les budgets du maintien de la paix les plus importants ont été consacrés à la République démocratique du Congo (1.2 milliard USD), au Soudan du Sud (1.1 milliard USD), au Darfour (1 milliard USD), au Mali (933 millions USD) et à la République centrafricaine (921 millions USD) (Center on International Cooperation, 2017[25]). À la date de 2017, les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne avaient apporté collectivement plus de la moitié des contributions statutaires au titre des opérations de maintien de la paix (ONU/DOMP, 2018[22]). Six des dix principaux pays fournisseurs de personnel militaire et policier sont eux-mêmes considérés comme fragiles, le plus important d’entre eux, l’Éthiopie, étant jugé extrêmement fragile selon le Cadre de l’OCDE sur la fragilité (ONU/DOMP, 2018[26]).

En l’absence d’autres acteurs, les forces de maintien de la paix assurent souvent davantage que la sécurité et exercent par exemple des activités de stabilisation, de lutte contre le terrorisme, de renforcement de l’État et de prévention des atrocités lorsque les pouvoirs publics n’ont pas la capacité ou la volonté de protéger eux-mêmes les populations civiles (Hunt, 14 juin 2017[27]). Elles mènent aussi des actions de développement au sens large. C’est ce qu’a montré un examen technique effectué par l’OCDE en collaboration avec le Département de l’appui aux missions des Nations Unies, sur les activités de développement comptabilisables dans l’APD réalisées par le personnel en uniforme de sept missions (OCDE, 2017[28]). Comme le montre le Graphique 5.13, il est ressorti de cet examen que les forces de maintien de la paix prêtaient leur concours pour tout un éventail d’activités, dont l’acheminement de l’aide humanitaire et de l’aide médicale, les travaux de génie civil, les petits projets à impact rapide auprès des populations locales, et même le dialogue et le conseil politiques.

Graphique 5.13. Activités comptabilisables dans l’APD menées par le personnel militaire des missions examinées
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Note : Les sept missions examinées étaient les suivantes : la Mission conjointe des Nations Unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD), la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL), la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA).

Source : D’après (OCDE, 2017[28]), “DAC Working Party on Development Finance Statistics: Technical review of the ODA coefficient for United Nations peacekeeping operations”, p. 9.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787408

Une réunion récente du Conseil de sécurité des Nations Unies consacrée à l’amélioration des opérations de maintien de la paix de l’ONU a pris acte de l’étendue de ces activités. Le Secrétaire général y a ainsi fait observer que « les opérations de paix ne peuvent pas être couronnées de succès si elles sont déployées en tant que solution politique plutôt que pour aider à trouver une solution politique ». Il a ajouté : « Une opération de maintien de la paix n’est pas une armée, ni une force de lutte contre le terrorisme, encore moins un organisme humanitaire. C’est un outil permettant de créer un espace propice à une solution politique définie par les pays » (Conseil de Sécurité de l'ONU, 2018[29]).

Pourtant, les missions de maintien de la paix sont soumises à de nombreuses sollicitations précisément du fait que bon nombre des opérations en cours se déroulent dans des lieux où, selon le rapport du Groupe indépendant de haut niveau, la paix est très fragile ou inexistante (Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix, 2015, p. 28[18]). D’où un risque de confusion des mandats, surtout lorsque ces derniers sont surchargés et inapplicables et qu’ils comportent beaucoup d’éléments très éloignés des activités classiques de maintien de la paix. Le Secrétaire général des Nations Unies a qualifié cette situation d’« inflation des mandats », en citant pour exemple, lors de la réunion du Conseil de sécurité sur les opérations de maintien de la paix, le fait que la mission des Nations Unies au Soudan du Sud se trouve dans l’impossibilité d’exécuter les 209 tâches qui lui sont dévolues (Conseil de Sécurité de l'ONU, 2018[29]). Selon l’Encadré 5.5, il semblerait que les missions politiques spéciales des Nations Unies, par exemple, ont aussi une importante contribution à apporter.

Par conséquent, il est nécessaire de mener une réflexion non seulement sur le rôle qui revient aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies à l’intérieur de l’architecture globale de la pérennisation de la paix, mais aussi sur tous les comportements de la communauté internationale qui ont une incidence sur la paix, surtout compte tenu du recentrage des préoccupations sur la prévention, devenue un objectif de premier plan (Graphique 5.14). Cet exercice peut aider à redéfinir, s’il y a lieu, l’équilibre entre les différentes composantes de l’approche internationale.

Encadré 5.5. Les missions politiques spéciales des Nations Unies

Le Département des affaires politiques des Nations Unies gère 13 missions politiques spéciales sur le terrain. Trois d’entre elles sont des missions régionales au service de plusieurs pays. Volet opérationnel par excellence de l’action politique des Nations Unies, ces missions ont des mandats différents et mènent des activités très diverses fortement axées sur la prévention, lesquelles vont de la diplomatie classique jusqu’aux efforts visant à accompagner les transitions politiques complexes, en passant par la surveillance du respect des droits humains, les travaux utiles au développement et la consolidation de la paix. Par conséquent, elles agissent de concert avec les acteurs nationaux, ainsi que d’autres acteurs du développement et des acteurs humanitaires (ONU/DPA, 2014[30]).

Si elles sont dotées chacune d’un mandat spécifique, les missions politiques spéciales ont en commun l’origine politique des pouvoirs qu’elles détiennent, l’utilisation de moyens politiques et le fait qu’elles visent des objectifs politiques (Gowan, 2010, p. 3[31]). Elles n’interviennent pas au même niveau géographique ni au même stade du cycle du conflit, ce qui fait partie de leurs atouts mais conduit aussi à se demander s’il faut les considérer comme des substituts d’opérations de paix plus importantes et plus coûteuses ou comme des compléments de ces opérations (Gowan, 2010, pp. 4-15[31]). Toutefois, la distinction trompeuse entre missions politiques et missions de maintien de la paix tient davantage à des catégories budgétaires qu’à quelque autre facteur, et elle peut détourner l’attention de la question essentielle du choix de l’instrument des Nations Unies convenant le mieux pour tel ou tel contexte (Gowan, 2010, p. 114[31]).

Des appels internationaux à agir pour faire davantage de place à la prévention, et en particulier de la vision du Secrétaire général des Nations Unies sur la prévention se dégagent quatre axes autour desquels l’ONU pourra articuler ses efforts pour mieux stimuler les progrès en la matière, dont « une intensification de la diplomatie préventive », un renforcement des partenariats et l’inscription de la prévention dans un processus de longue haleine (Guterres, 2017[32]). Il y a lieu de noter que, dans tous ces domaines, les missions politiques spéciales possèdent la présence sur le terrain et le savoir-faire nécessaires pour pouvoir apporter un appui économiquement rationnel, si celui-ci fait l’objet de dotations en ressources appropriées et de priorités bien définies.

Le Secrétaire général des Nations Unies a demandé, pour l’exercice biennal 2018/19, un budget d’un montant de 636.6 millions USD pour le financement de 34 missions politiques spéciales et, outre les missions sur le terrain de plus grande envergure, celui des bureaux des envoyés spéciaux, des conseillers et des représentants, ainsi que des groupes d’experts (Assemblée générale des Nations Unies, 2017[33] ; ONU, 2017[34]). À titre de comparaison, le budget total proposé pour les missions politiques spéciales représente la moitié environ du budget annuel de la mission de maintien de la paix en République démocratique du Congo (MONUSCO)1. Au-delà du piège de la dichotomie apparente entre missions politiques et missions de maintien de la paix, les décisions relatives aux ressources peuvent constituer un point d’ancrage utile pour l’ouverture d’une réflexion plus stratégique sur la manière la plus efficace et la plus équilibrée de déployer tout l’éventail des instruments des Nations Unies en vue de prévenir la survenue, l’escalade, la poursuite ou la résurgence d’un conflit.

1. Le budget de la MONUSCO pour l’exercice budgétaire 2016/17 s’est élevé à 1.2 milliard USD. Voir http://peaceoperationsreview.org/featured-data#peaceops_contrib.

Remédier à la fragilité, prévenir les conflits, consolider la paix et assurer sa pérennité ne sont pas des entreprises aisées ou de courte durée. Elles exigent une détermination constante tant au niveau des politiques qu’à celui des programmes. Mais elles ne sont pas nécessairement coûteuses, surtout si on les compare aux activités de maintien de la paix et aux mesures de réponse aux situations de crise. S’ils présentent tous des similitudes, les cadres et systèmes examinés dans ce chapitre reposent néanmoins sur des théories du changement légèrement différentes quant aux programmes d’action à mettre en œuvre. Ceux qui intègrent des activités de développement de portée générale – concernant en particulier la fourniture de services de base, comme les OCPRE et les sphères de rivalité – feront inévitablement l’objet d’apports de fonds plus substantiels. Il apparaît donc important de se placer aussi dans l’optique plus spécifique de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, afin de savoir plus précisément dans quelle mesure l’aide au développement contribue spécifiquement à la paix. Sachant que 2 % environ de l’APD brute totale consacrée aux contextes fragiles en 2016 ont été affectés à la prévention des conflits, et 10 % à la consolidation de la paix, l’attachement de la communauté internationale à l’action en faveur de la prévention des conflits et de la pérennisation de la paix semble pour le moment résider davantage dans le discours que dans l’effort financier.

L’analyse présentée dans ce chapitre tend aussi à montrer que la préférence est plus particulièrement donnée aux types d’activités sans lien avec les aspects les plus sensibles et les plus complexes du développement, comme la dimension politique, la sécurité et la justice. Si celles-ci constituent les domaines les plus délicats, c’est précisément parce qu’elles touchent au cœur de l’influence que la fragilité exerce sur les éléments les plus fondamentaux du contrat social. Il ne faut pas pour autant en conclure qu’à chacune des composantes de ces cadres ou à chacune des sphères de rivalité, par exemple, devrait être consacré le même investissement. Ni que l’aide permettra à elle seule de remédier aux conflits et à la fragilité. Mais il importe de réfléchir aux occasions qui seront manquées si les apports de ressources au titre de ces priorités restent systématiquement insuffisants dans les contextes fragiles.

Le but de ce chapitre est d’offrir un point de départ pour réfléchir, selon des points de vue différents, sur les moyens de traduire les engagements de principe en efforts financiers et en programmes concrets, ainsi que de mettre en lumière les tendances qui marquent le financement et les lacunes en la matière. Après avoir atteint un niveau élevé en 2010, les engagements financiers au titre de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix semblent s’être stabilisés ; il faut maintenant qu’ils connaissent un regain d’intérêt. C’est une question sur laquelle il va falloir se pencher d’urgence pour que les engagements essentiels qui ont été pris au niveau politique en faveur de la paix dans le cadre d’un grand nombre de programmes d’action de portée mondiale puissent conserver leur légitimité.

Graphique 5.14. Les dix premiers apporteurs de contributions statutaires au titre des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, et les dix principaux exportateurs d’armes, 2017
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Sources : (ONU/DOMP, 2018[22]), « How we are funded », https://peacekeeping.un.org/en/how-we-are-funded; (SIPRI, s.d.[35]), SIPRI Arms Transfers (base de données), https://www.sipri.org/databases/armstransfers.

 StatLink https://doi.org/10.1787/888933787427

Références

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Notes

← 1. Ce chiffre comprend les dépenses consacrées par la communauté internationale aux interventions humanitaires, au maintien de la paix et à l’accueil des réfugiés. Voir : www.un.org/press/en/2018/sgsm18923.doc.htm.

← 2. On trouvera une liste des codes du Système de notification des pays créanciers de l’OCDE qui sont utilisés pour chaque catégorie à l’adresse suivante : www.oecd.org/dac/conflict-fragility-resilience/listofstateoffragilityreports.htm.

← 3. On trouvera des exemples d’activités relevant de chacun de ces quatre domaines à l’adresse suivante : https://www.oecd.org/dac/evaluation/dcdndep/39289596.pdf.

← 4. Ces cinq missions se trouvent respectivement en République centrafricaine (MINUSCA), au Darfour (MINUAD), en République démocratique du Congo (MONUSCO), au Mali (MINUSMA) et au Soudan du Sud (MINUSS). Voir http://peaceoperationsreview.org/thematic-essays/the-end-of-a-peacekeeping-era/.

← 5. Ces pays et contextes sont Abiyé, la République centrafricaine, le Darfour, Haïti, le Mali, le Pakistan dans le cadre du Groupe d’observateurs militaires des Nations Unies pour l’Inde et le Pakistan (GOMNUIP), la République démocratique du Congo, ainsi que le Soudan du Sud.

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