Chapitre 5. Un nouveau modèle pour l’innovation dans le secteur public

Ce chapitre propose un modèle émergent pour comprendre les déterminants qui influent sur le rendement de l’innovation aux niveaux individuel, organisationnel et systémique. Il explore chacun des déterminants au niveau du système et les illustre à l’aide d’exemples provenant de différents gouvernements nationaux.

    

Un modèle pour les systèmes d’innovation du secteur public

Ce chapitre fournit un modèle émergent pour comprendre les systèmes d’innovation du secteur public. Ce modèle a été élaboré à partir (et pour lui) du contexte canadien, mais il se veut pertinent et applicable à d’autres pays et à leurs propres contextes.

Comme indiqué au chapitre 3, la plupart des modèles de systèmes d’innovation ont été élaborés pour comprendre les contextes du secteur privé. Cependant, les systèmes d’innovation du secteur public ont des moteurs différents, des risques et des appétits pour le risque différents, et des contraintes différentes, et il ne faut pas présumer qu’ils fonctionnent de la même manière.

Cet examen a permis d’examiner les facteurs sous-jacents qui influent sur le rendement en innovation de la fonction publique du Canada (p. ex., produit-il de l’innovation à un taux suffisamment uniforme et fiable pour répondre au contexte).

S’appuyant sur la recherche entreprise, le chapitre 4 a mis en évidence quatre principales interprétations de la pratique de l’innovation dans la fonction publique. Ces connaissances mettent en évidence la dynamique fondamentale de la nature même de l’innovation. Le présent chapitre propose un modèle pour l’examen du système d’innovation de la fonction publique du Canada (et de celui d’autres pays), en s’appuyant sur ces compréhensions et en les combinant aux points de vue d’autres éléments du travail de l’OCDE avec les pays membres.

Que suggèrent ces compréhensions sur la nature des systèmes d’innovation?

Les quatre interprétations et les 28 conclusions sur lesquelles elles reposent aident à articuler certains enjeux fondamentaux qui ont une incidence sur le système d’innovation. Chacune de ces ententes aide également à illustrer les tensions fondamentales entre l’innovation en tant que pratique et le maintien du statu quo. Ces tensions peuvent ensuite être utilisées pour examiner les facteurs sous-jacents respectifs. Le tableau 5.1 décrit ces facteurs

Tableau 5.1. Moteurs sous-jacents de l’innovation au niveau des systèmes.

Compréhension de l’innovation

Réalisations/répercussions

Qu’est-ce qui détermine le rendement du système d’innovation?

Bien qu’une attention accrue ait été accordée à l’innovation, la relation de la fonction publique avec l’innovation demeure incertaine et la nature de cette relation est incertaine (p. ex., le rôle et le lieu de l’innovation).

En raison de l’ambiguïté inhérente à l’innovation en tant que concept, toute confusion supplémentaire (concernant l’innovation en tant que chose, en tant que pratique, en tant que processus ou en tant que système) fera en sorte qu’elle deviendra une priorité secondaire derrière d’autres priorités mieux comprises.

Le degré de clarté quant au rôle, à l’importance et au but de l’innovation et à la façon dont l’innovation s’inscrit dans tout le reste.

Il y a de l’innovation dans l’ensemble de la fonction publique, mais c’est souvent un sous-produit d’autres processus ou de la détermination de certaines personnes, plutôt que la qualité ou le mérite d’une idée ou le besoin sous-jacent d’innovation.

Étant donné que les processus existants sont biaisés en faveur du statu quo par défaut, l’innovation ne sera pas priorisée dans la prise de décisions, à moins qu’il y ait des facteurs externes, ou que les personnes impliquées aillent au-delà des processus standards.

S’il y a parité entre l’innovation et le statu quo dans le processus décisionnel, et si l’innovation existe sur un pied d’égalité avec les paramètres par défaut.

Alors que le gouvernement change sa façon de fonctionner, il y a actuellement un décalage entre ce qui peut être fait à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, ce qui risque de mettre en péril une fonction publique qui n’est plus adaptée à son contexte.

Étant donné que les systèmes et les capacités existants sont biaisés en faveur des façons actuelles de faire les choses, ils ne seront pas adaptés à l’innovation sans l’apport d’un apprentissage, d’un investissement et d’un temps supplémentaires.

La mesure dans laquelle le système convient à l’innovation et s’il est suffisant pour entreprendre de nouvelles façons de faire.

La pratique de l’innovation s’est considérablement développée, mais elle demeure souvent une activité marginale et n’est pas considérée comme faisant partie des activités ou des façons de faire de base.

Étant donné que la culture et les comportements actuels se rapportent aux façons de faire actuelles, l’innovation existera sous tension avec cette conception de « normal » et, par conséquent, se heurtera à des obstacles à l’intégration avec les activités de base.

L’innovation fait-elle partie de la normalité du système et dans quelle mesure dans laquelle l’innovation fait partie de la façon habituelle de faire les choses?

Il y a donc quatre facteurs à prendre en considération au sujet d’un système :

  • Clarté – envoie-t-on un signal clair aux acteurs du système au sujet de l’innovation et de sa compatibilité avec d’autres priorités?

  • Parité – L’innovation a-t-elle la même importance que d’autres considérations en ce qui concerne les plans d’action proposés?

  • Pertinence – les capacités, les systèmes et l’infrastructure sont-ils appropriés/suffisants pour les options disponibles?

  • La normalité – l’innovation est-elle considérée comme une partie intégrante plutôt que comme un écart occasionnel à la norme?

Chacun de ces facteurs sera pertinent pour différents aspects de l’innovation (p. ex., réaliser aujourd’hui, livrer pour demain et assurer la préparation à l’innovation).

Le niveau du système comme l’un des trois niveaux d’activité d’innovation

Avant de discuter davantage de ces éléments, il est utile d’examiner comment l’innovation peut se traduire différemment selon le niveau d’analyse utilisé. S’appuyant sur l’analyse du chapitre 3, cette section propose que l’innovation soit examinée sous trois angles :

  • La personne – toute personne peut entreprendre ou lancer quelque chose d’innovateur. Il se peut que cela n’ait qu’une incidence sur elle-même ou qu’il y ait des ramifications plus vastes. Cette lentille individuelle aide à donner un aperçu de l’innovation à un niveau pratique – p. ex., ce que les gens doivent faire ou traverser lorsqu’ils entreprennent des innovations.

  • L’organisation – une organisation peut avoir de multiples initiatives innovantes en cours en réponse aux multiples besoins cernés de se doter d’approches novatrices. Cette optique organisationnelle aide à donner un aperçu de l’innovation au niveau des processus – p. ex., ce qui est en jeu lorsque l’innovation est orchestrée par plusieurs intervenants.

  • Le système – dans l’ensemble du secteur public, il y a des interactions entre de multiples initiatives, contributions et questions émanant d’individus et d’organisations, ainsi que des intersections entre d’autres structures, connaissances, processus et domaines d’activité (p. ex., le système de budgétisation). L’optique du système donne un aperçu de plus que des initiatives ou des activités particulières. Il offre l’occasion de voir les choses dans leur ensemble et d’examiner le rendement global (c.-à-d. simplement parce qu’il pourrait y avoir une innovation utile au niveau individuel et organisationnel, cela ne signifie pas que l’innovation se produira comme il se doit au niveau de l’ensemble du système).

Bien que l’objectif de cet examen soit de comprendre le système, en réalité, cela ne peut être réalisé sans une certaine compréhension de l’innovation au niveau individuel et organisationnel. De plus, si les facteurs cernés au niveau du système reflètent vraiment la nature sous-jacente de l’innovation dans le secteur public, ils devraient également refléter l’innovation à ces autres niveaux.

Que sait-on alors de l’innovation aux niveaux individuel et organisationnel?

Au niveau individuel, en s’appuyant sur les travaux de Boxall et Purcell (2011), l’OCDE (2017a) a défini un cadre pour l’innovation dans le secteur public consistant en :

  • la capacité d’innover;

  • la motivation à innover;

  • la possibilité d’innover.

Au niveau organisationnel, l’OCDE (2017b) a dégagé un cycle de vie en six étapes pour comprendre le processus d’innovation (s’appuyant sur les contributions antérieures du gouvernement australien 2010; Eggers et Singh 2009 ; Murray et al., 2010) :

  • cerner les problèmes

  • générer des idées

  • élaborer des projets

  • mettre en œuvre des projets

  • évaluer les projets

  • diffuser les leçons.

En s’inspirant de ce qui a été appris dans le contexte canadien et en adaptant ce travail et d’autres (OCDE, 2017a, 2017b), cet examen propose un modèle pour comprendre les déterminants fondamentaux de l’innovation, y compris ce à quoi ils ressemblent à différents niveaux (individuel, organisationnel et système).

Le cadre détermine quatre déterminants de l’innovation – quatre conditions préalables à l’innovation (faire quelque chose de très différent de la pratique établie).

  • Raison – pourquoi l’innovation a-t-elle lieu?

    • Au niveau individuel, l’innovation est liée à la motivation personnelle – pourquoi quelqu’un veut ou doit innover.

    • Au niveau de l’organisation (ou de l’effort collectif), où il y a plus d’une personne, les motivations varient et ne sont donc généralement pas suffisantes pour s’assurer que chacun travaille dans le même but. L’innovation consiste habituellement à réagir à un problème.

    • Au niveau systémique, où il y a de multiples acteurs organisationnels et individuels ayant des perspectives différentes, il peut y avoir convergence d’intérêts autour de problèmes particuliers. Cependant, il y aura plus souvent des priorités différentes, des intérêts différents et des responsabilités différentes, ainsi qu’un risque élevé de confusion, de concurrence ou de conflit. Il faut donc clarifier l’innovation et son lien avec les activités, les processus et les objectifs actuels de la fonction publique.

  • Possibilité – L’innovation est-elle une option et quelle est la gamme d’options envisagées?

    • Au niveau individuel, il s’agit de possibilités. La personne a-t-elle la possibilité d’essayer quelque chose de différent?

    • Au niveau organisationnel, la présence d’intervenants multiples augmente considérablement l’éventail des options. Il faut donc concentrer les efforts. Les organisations peuvent envisager un éventail d’options, mais doivent ensuite élaborer et convenir de propositions et de lignes d’action précises.

    • Au niveau systémique, les paramètres par défaut favorisent généralement le statu quo. L’innovation a-t-elle la parité avec le statu quo dans l’examen des options? Le risque de ne pas innover est-il intégré dans l’action collective?

  • Capacité – les capacités actuelles sont-elles suffisantes pour entreprendre l’innovation?

    • Au niveau individuel, il s’agit de la capacité d’innover : les compétences, les outils et les ressources nécessaires sont-ils disponibles?

    • Au niveau organisationnel, la capacité ne suffit pas; il faut des systèmes pour coordonner les différentes ressources et les capacités de tous ceux qui participent à l’innovation. Il s’agit d’une question de gestion de projet, de renouvellement du personnel et de maintien d’un portefeuille de projets différents.

    • Au niveau systémique, avec de multiples organisations et acteurs, les capacités ne se limitent pas à la gestion de projet ou même à un portefeuille de projets. Les capacités du système refléteront généralement ce qui est fait, plutôt que ce qui pourrait être fait. Des efforts doivent être déployés pour assurer la pertinence des capacités, des systèmes et de l’infrastructure pour entreprendre de nouvelles orientations d’activités.

  • Expérience – L’expérience de l’innovation mènera-t-elle à une nouvelle tentative d’innovation?

    • Au niveau individuel, l’expérience est une question d’apprentissage – qu’est-ce que quelqu’un apprend en entreprenant une innovation, et est-ce que cela l’encourage ou l’aide à innover davantage?

    • Au niveau organisationnel, les leçons tirées de multiples personnes et perspectives doivent être explicites et intégrées ou regroupées sous une forme ou une autre, en particulier si elles doivent éclairer les efforts d’innovation futurs. L’expérience dans ce contexte porte sur l’évaluation et la diffusion des leçons, y compris par l’expansion d’initiatives novatrices choisies.

    • Au niveau systémique, avec de multiples organisations et acteurs, l’apprentissage se révèle sous la forme de la normalité – dans ce qui est intégré dans les opérations quotidiennes et perçu comme attendu, et dans ce qui est intégré et soutenu.

Le tableau 5.2 décrit ce modèle proposé.

Tableau 5.2. Innovation du secteur public – déterminants de l’innovation aux niveaux individuel, organisationnel et du système

Quel est le degré d’analyse en question?

Déterminants de base de l’innovation

Individuel (effort individuel)

Organisationnel (effort collectif ou commun)

Système (croisement et combinaison de multiples efforts)

Raisons de l’innovation :

Qu’est-ce qui motive l’intention d’innover?

Motivation à innover

(p. ex., je dois ou je veux résoudre un problème / tenter de nouvelles choses; me démarquer de la foule / ou me distinguer des autres; le faire dans le cadre de mon emploi / mon rôle / mon identité)

Détermination du problème / idées générées

(p. ex., nous devons ou voulons régler des défis liés à la prestation des politiques ou des services; réagir à des crises ou à des priorités politiques; répondre aux attentes des intervenants; accomplir une mission ou nous employer à l’accomplir)

Clarté quant à l’innovation

(p. ex., il est clair que les choses doivent changer; l’innovation a du sens et est une priorité; l’innovation est une responsabilité)

Possibilité d’innovation :

Qu’est-ce qui touche la probabilité de l’innovation qui est tentée?

Possibilité d’innover

(p. ex., je peux travailler à un projet où l’innovation est appropriée ou voulue; appliquer une nouvelle technique ou approche à mon travail; tenter quelque chose de différent ou y être exposé)

Idées générées / propositions formulées

(p. ex., nous avons cerné des options pour régler un problème de façon novatrice; les processus permettent de faire les choses différemment; on a donné l’approbation de tenter quelque chose différemment, s’il y a lieu)

Parité de l’innovation

(p. ex., les paramètres par défaut peuvent être contestés ou sont ouverts à des façons de faire différentes; les règles ou les processus à l’échelle du système ne sont pas injustement défavorables aux propositions novatrices)

Capacité d’innovation :

Que faut-il pour entreprendre une tentative d’innovation?

Capacité d’innovation

(p. ex. j’ai les outils, les compétences et les ressources permettant d’entreprendre l’innovation)

Mise en œuvre de projets

(p. ex., nous avons ce qu’il faut pour entreprendre les projets, y compris les compétences, les systèmes, les technologies et les ressources pertinents)

Pertinence de l’innovation

(p. ex., il existe une infrastructure, un investissement et un engagement permettant de garantir que les systèmes généraux conviennent aux projets d’innovation, même lorsque ceux-ci peuvent ne pas avoir été prévus)

Expérience de l’innovation :

Qu’est-ce qui détermine si l’innovation se poursuit?

Apprendre de l’innovation

(p. ex., j’apprends sur les réactions des personnes et des choses, sur les réalisations et les incidences possibles et sur la question de savoir si ce changement est préconisé)

Évaluation et leçons diffusées

(p. ex., nous connaissons les effets qui ont eu lieu en raison de l’innovation et nous nous sommes servis de cette connaissance pour éclairer d’autres projets; cela contribue à façonner la culture et l’attitude de l’organisation face à l’innovation)

Normalité de l’innovation

(p. ex., l’innovation n’est pas considérée comme une aberration, une bizarrerie ou un jeu, mais comme quelque chose d’intégré sur lequel on construit)

Où se situent la responsabilité et le centre de l’innovation

Ce modèle indique que lorsque le centre de l’innovation n’est pas au niveau du système (c.-à-d. qu’il n’est pas au niveau d’activités et de processus entrecroisés entre plusieurs organisations, acteurs et structures), il incombera aux organisations. Autrement dit, si le système d’innovation n’est pas suffisamment étoffé et que l’innovation n’est pas orientée à un niveau systémique, le centre de l’activité d’innovation appartiendra aux organisations, qui sont peu susceptibles d’avoir la perspective à l’échelle du système qui est nécessaire pour veiller au niveau, à la nature et à l’incidence d’ensemble de l’innovation qui conviennent. Lorsque les organisations ne disposent pas de processus d’innovation suffisamment étoffés, la responsabilité (ou plutôt, le fardeau) de l’innovation incombe aux personnes. Lorsque cela se produit, l’innovation sera effectivement influencée par les besoins, les convictions, les possibilités, les capacités et les leçons des personnes, dont elle dépendra. Cela revient à se fier à la chance ou au hasard – à faire en sorte que l’innovation soit une activité sporadique et spontanée influencée par des événements externes, plutôt que d’être une activité systémique et systématique influencée par les besoins et les buts collectifs.

De même, si le système en général ne permet pas à l’innovation d’avoir lieu au niveau individuel, il est peu probable que les pistes nécessaires émergent de façon à éclairer de nouvelles approches, de nouveaux efforts organisationnels ou de nouvelles interprétations du système. Les trois niveaux – individuel, organisationnel et systémique – devraient être considérés comme importants, et tout système qui dépend trop d’un niveau est susceptible de connaître des problèmes à plus ou moins brève échéance.

Il faut souligner que ce modèle est actuellement agnostique en ce qui concerne l’autre considération de la responsabilité de l’innovation : entre le centre et la marge. Dans une certaine mesure, l’innovation se produira et fera son apparition en marge – où les façons de travailler actuelles ne répondent pas aux besoins. Toutefois, le centre joue un rôle important pour établir les paramètres par lesquels les autres participants au système peuvent innover, et la mesure dans laquelle ceux-ci se sentent habilités et reliés à une mission collective plus large. Le mélange exact – le centre par opposition à la marge – s’inscrira probablement dans une dynamique constante. Des acteurs différents auront tous des rôles différents à jour, et la combinaison de l’aspect que cela pourrait ou devrait prendre variera entre les contextes. Chacun des déterminants aura en outre des considérations et des possibilités différentes pour permettre au centre et aux autres acteurs d’apporter une contribution.

Examen approfondi des quatre déterminants

Dans cette section, nous examinons plus en détail chacun des quatre déterminants qui touchent le rendement de l’innovation au niveau du système. On y trouve aussi des exemples de contextes différents.

Déterminant 1 : Clarté

« Qualité de ce qui est clair, sans ambiguïté, facile à comprendre1. »

L’innovation est peu susceptible de se produire au rythme voulu sans qu’il y ait suffisamment de clarté quant aux besoins et à la place qu’occupe l’innovation par rapport aux autres priorités. En l’absence de cette clarté, l’innovation sera souvent influencée par des motifs personnels, les besoins d’organisations individuelles et des événements externes. Même si, dans ces circonstances, l’innovation peut souvent être bénéfique dans un contexte précis (p. ex., en introduisant une façon de travailler différente ou en fournissant un nouveau service), dans un système complexe avec des besoins interconnectés et collectifs, une telle innovation à elle seule est peu susceptible de fournir ce dont on a besoin (p. ex. une vision globale et connectée du problème et une réaction tout autant globale et connectée).

La clarté ne devrait pas être interprétée comme signifiant que tout le monde est conscient de tout ce qui se passe, ou que tout le monde possède une certitude absolue quant à l’innovation. Elle signifie plutôt que les acteurs en question en savent assez sur le lien que l’innovation a avec eux (et saisissent les objectifs d’ensemble) pour se sentir habilités à prendre part à ses processus – tout comme ils le pourraient avec les ressources humaines, l’approvisionnement ou d’autres fonctions organisationnelles de base. La clarté n’est pas non plus synonyme d’unanimité : il peut toujours y avoir un désaccord et des points de vue incompatibles à propos de l’innovation.

Une trop grande clarté est probablement aussi nuisible qu’une clarté insuffisante. Tout système devra assurer un équilibre entre la clarté et la confusion. Le tableau 5.3 montre l’aspect que pourrait prendre cet équilibre.

Tableau 5.3. Trouver un équilibre entre une clarté insuffisante et une clarté excessive

Insuffisante

Équilibre

Excessive

Les acteurs du système se demandent pourquoi ils devraient participer à des façons de faire différentes ou s’engager dans ce processus (« ce n’est pas mon travail »).

Les acteurs ont une idée générale de la signification de l’innovation dans le contexte du système, de la place qu’elle occupe et de la raison pour laquelle elle est nécessaire, de leur rôle et de celui des autres, et ils savent à quoi ressemblera l’innovation en pratique.

Une certitude normative quant à l’innovation élimine une bonne partie de l’ambiguïté, de la tension, de la négociation et de l’effet pousser-tirer de l’innovation, et elle entrave en fait l’innovation (se poser la question « et si…? »).

Il peut être difficile d’atteindre un tel équilibre, surtout parce qu’au niveau de tout le système, il n’existe aucun levier unique qu’on peut abaisser pour obtenir de la clarté. Toute clarté, si clarté il y a, découlera du croisement de plusieurs initiatives, événements et expériences de produisant aux niveaux individuel, organisationnel et du système. Bon nombre d’acteurs pertinents du système (par exemple, des partenaires et des fournisseurs de services) ne feront même pas partie de la fonction publique. La clarté générale du message qui est envoyé aux acteurs du système à propos de leur rôle, du contexte de l’innovation et de la place qu’occupe l’innovation devra continuellement être évaluée et recalibrée.

Pour compliquer davantage les choses, il existe aussi un certain nombre de risques ou de sources d’inquiétude possibles associés au fait de chercher à atteindre un certain niveau de clarté quant à l’innovation. Ces risques et sources d’inquiétude comprennent les suivants :

  • Le fait d’apporter de la clarté peut rendre explicites des tensions inexprimées en rendant claires des choses qui ne l’étaient pas auparavant (p. ex., en rendant visibles un conflit potentiel entre les intérêts en place et les nouvelles façons de faire les choses – « pourquoi croyez-vous que les choses doivent changer alors que nous estimons qu’elles vont bien? »).

  • Dans un système formel, la clarté peut être considérée à tort comme étant définitive (« ceci, et seulement ceci, est de l’innovation ») au lieu de faire place à une conception de l’innovation comme quelque chose de contextuel et de nuancé par rapport au contexte donné (« je sais à quoi ressemble l’innovation quand j’en suis témoin »).

  • Exprimer l’importance de l’innovation et exprimer l’attente selon laquelle les gens doivent être innovants n’est pas aussi simple que d’ouvrir et de fermer le robinet. En demandant aux gens d’innover, on leur demande de penser différemment. Toutefois, une fois que les personnes et les organisations commencent à considérer l’innovation comme faisant partie de leur rôle, le pouvoir se détourne de la prise décision centralisée. Cela représente un changement important dans la culture d’un système bureaucratique.

  • La clarté, quelle qu’elle soit, découlera d’une conversation multidirectionnelle. L’innovation se produira souvent en « marge », où des besoins différents révèlent des limites quant aux façons de faire actuelles. La clarté quant au fonctionnement réel de l’innovation constituera donc souvent une prise de conscience ascendante. La clarté comportera des éléments descendants et des messages du centre qui prépareront le terrain et les paramètres pour l’innovation, mais qui seront combinés à la rétroaction de la marge à propos de ce qui se passe vraiment.

À quoi pourrait ressembler la « clarté »?

Vu ces nuances, que signifie réellement la clarté en pratique? Les éléments proposés relatifs à la clarté comprennent la question de savoir :

  • si les acteurs comprennent ce que signifie l’innovation, que ce soit après en avoir parlé, en avoir été témoin ou en avoir fait l’expérience directe;

  • si les acteurs savent pourquoi, quand et comment l’innovation est une priorité et peuvent la situer par rapport aux autres priorités;

  • si les acteurs savent comment (si) ils peuvent contribuer à l’innovation et le rôle que jouent les autres;

  • si les acteurs entrevoient la place qu’occupe l’innovation dans l’histoire commune et dans leur propre contexte.

Les acteurs comprennent ce que signifie l’innovation

Il existe diverses situations où les acteurs d’un système peuvent en venir à comprendre ce qui signifie l’innovation pour eux, leur contexte et la place qu’elle y occupe. Certaines de ces situations peuvent se produire parce que l’on dispose des outils nécessaires pour se livrer à une conversation ou à un dialogue continu à propos de l’innovation et de sa signification dans le secteur public (voir l’encadré 5.1).

Encadré 5.1. La clarté quant à l’innovation au Danemark

Au Danemark, l’innovation est interprétée de façon élargie, comme le mesure le baromètre de l’innovation, un sondage national sur l’innovation dans le secteur public.

Cette interprétation commune de l’innovation est aidée par ce qui suit :

  • les définitions sont largement disponibles et ont été communiquées par l’entremise de groupes comme le Centre for Public Sector Innovation, MindLab et le Danish Design Centre.

  • les conceptions de l’innovation représentent des versions locales différentes, adaptées aux besoins et aux tâches à des niveaux différents et dans des « sous-secteurs » différents;

  • les deux tiers des municipalités, des régions ou des ministères danois disposent d’une stratégie d’innovation ou sont en train d’en élaborer une.

Le sondage du baromètre de l’innovation sert aussi d’outil pour connecter l’information. En offrant des mesures du rendement de l’innovation à l’échelle des organismes, l’outil sert aussi, pour les organisations, d’invitation à discuter de leur propre relation avec l’innovation et de l’étudier.

L’environnement élargi facilite aussi cette interprétation élargie de l’innovation dans le secteur public en intégrant l’apprentissage sur l’innovation dans le secteur public au système d’éducation aux niveaux d’éducation secondaire et tertiaire.

Source : Renseignements fournis par le National Centre for Public Sector Innovation (COI) du Danemark

Un autre moyen par lequel les acteurs pourraient approfondir leur compréhension consiste à être témoin de l’innovation – à avoir accès à des exemples du monde réel qui aident à communiquer vraiment ce à quoi l’innovation pourrait ressembler dans leur contexte. Cela pourrait se produit au moyen de plateformes comme la bibliothèque d’études de cas de l’Observatoire de l’OCDE sur l’innovation dans le secteur public. D’autres approches comprennent la mise en évidence d’histoires d’innovation et la mise en contexte de ces histoires – non seulement ce qui a été fait, mais aussi la raison et les personnes en coulisse. L’Australie a adopté cette approche dans son instantané de l’innovation dans la fonction publique australienne. Autrement, une compréhension approfondie pourrait découler de l’observation d’exemples et de cas dans d’autres secteurs ou domaines.

L’innovation n’est pas qu’une question conceptuelle. L’innovation est aussi très expérientielle. Au niveau individuel, elle consiste à comprendre la propre relation qu’on a avec l’incertitude – avec le fait d’agir lorsque les résultats seront inconnus. Ainsi, pour les acteurs, l’approche qui est possiblement la plus utile pour bien saisir l’innovation et ce qu’elle signifie pour eux consiste à participer au processus, à acquérir de l’expérience et à voir ce qui peut être accompli. Cela peut être soutenu par une formation formelle, mais la participation à de vrais projets d’innovation peut être d’une grande utilité. Par exemple, les laboratoires d’innovation du secteur public peuvent parfois servir de point d’entrée important pour les personnes qui ne connaissent pas bien l’innovation dans le secteur public. Ils peuvent aussi offrir un moyen sûr d’introduire de nouvelles façons de penser et de travailler et de s’y engager.

Les acteurs considèrent l’innovation comme un élément parmi de nombreuses priorités et de nombreux programmes

Même lorsque l’innovation est une priorité ou fait partie du programme, son importance ou les moments où elle est appropriée ou recherchée peuvent changer (c.-à-d. que certaines choses seront probablement interdites pour l’innovation, ou que l’appétit ou la tolérance de l’innovation dans un domaine peut changer soudainement).

Pour les acteurs en cause, un programme ou un appel à l’action explicite, comme un manifeste pour l’innovation dans le secteur public, peut contribuer à favoriser la clarté quant à l’innovation (voir l’encadré 5.2).

Encadré 5.2. Manifeste français pour l’innovation du secteur public

« Cette dynamique d’innovation du secteur public doit être au service de l’amélioration de la vie des citoyens. On parle d’innovations « centrées sur l’humain », ou sur l’usager des services publics. Il faut partir d’une compréhension fine des besoins et attentes de l’utilisateur, qu’il s’agisse du client d’un commerce ou de l’usager d’un service public. C’est un défi contemporain : redéfinir la primauté de l’humain, à l’ère du numérique. »

Le manifeste français décrit une série de valeurs concernant l’innovation du secteur public. Il soutient en outre un haut niveau d’ambition pour l’innovation.

Le gouvernement français doit relever cinq défis pour faire passer la diffusion de l’innovation au prochain suivant :

  • réaliser et diffuser des innovations utiles au plus grand nombre.

  • encourager la capacité d’innovation de 5 millions d’agents publics;

  • ouvrir les administrations à la participation citoyenne;

  • associer l’humain et le numérique;

  • transformer les cadres de travail du service public.

Source : Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (2017)

Il peut être difficile d’aider les acteurs à comprendre les nuances de l’innovation et pourquoi, quand et comment celle-ci est voulue. Vu la nature contextuelle de l’innovation, ce qui est approprié, et les situations où il l’est, changeront selon les circonstances, et le jugement individuel et organisationnel jouera un rôle essentiel. Un tel jugement sera éclairé par l’apprentissage, l’expérience directe et la prise de conscience stratégique et de la situation. Ensuite, cet apprentissage et cette prise de conscience n’auront lieu que si les acteurs se livreront directement à l’innovation et acquerront une compréhension plus approfondie de sa mise en application, ou pendant qu’ils le feront.

Les acteurs comprennent les rôles qui sont joués dans le système de l’innovation

Quels sont les divers rôles qui sont joués dans le système? Quels sont les organismes, et de quoi sont-ils responsables? En quoi l’innovation se rapporte-t-elle au travail d’organisations différentes, et quel est le rôle que les personnes sont censées jouer?

De nombreux rôles différents peuvent être joués. Vu le stade précoce de la plupart des systèmes d’innovation du secteur public, il peut être difficile de préciser des rôles formels (p. ex. dirigeants principaux de l’innovation, chefs de la conception ou experts en introspection comportementale). Il pourrait plutôt être utile de parler de façon plus générale des différentes façons dont les gens peuvent s’identifier à l’innovation (voir l’encadré 5.3).

Encadré 5.3. Les huit archétypes de l’innovation du Danemark
  • Accélérateur : L’accélérateur peut être un intermédiaire de l’innovation, ou un directeur de programme, qui a une responsabilité opérationnelle. Il amorce des projets et des initiatives dans son ministère et il veut inspirer et aider les employés à prendre l’initiative afin de trouver de nouvelles solutions. Il estime souvent difficile de trouver du temps et des ressources.

  • Porte-étendard : Le travailleur de première ligne passionné qui connaît intimement son domaine et qui souhaite vivement l’améliorer pour les citoyens avec qui il est en contact au quotidien. Il lutte pour mettre ses idées à exécution et il se cherche des alliés pour les concrétiser; toutefois, il n’a ni le temps ni l’appui de la gestion, puisqu’il y a des priorités opérationnelles à respecter.

  • Expert-conseil : Personne qui travaille uniquement à l’innovation en tant que directeur de projet ou d’expert-conseil en développement ou en innovation. Il aide ses collègues, gère lui-même les projets et aime beaucoup faire sortir les autres des sentiers battus. Souvent, il a un vaste réseau et son travail recoupe tous les paliers hiérarchiques. Il peut se sentir un peu seul avec ses compétences en innovation, dans un environnement où peu d’autres personnes en possèdent.

  • Personne possédant l’esprit d’équipe : Il arrive souvent à cette personne de travailler directement avec les citoyens, pouvant contribuer à apporter des changements concrets dans l’intérêt des citoyens et des entreprises. Elle joue davantage un rôle de soutien par rapport à l’innovation, et elle y participe surtout si son directeur lui demande. Elle ne considère pas son rôle comme de l’innovation. Cette personne peut trouver difficile d’entrevoir l’importance de travailler avec des organisations qui sont très différentes de la sienne.

  • Missionnaire : Le missionnaire cherche dans tout le pays des exemples dont il pourrait se servir pour promouvoir l’innovation à plus grande échelle. Le missionnaire parle beaucoup d’innovation et cherche à inspirer les autres par ses initiatives. Il ne possède pas beaucoup d’expérience pratique de l’innovation, mais il est très renseigné et est doué pour se tenir à jour et partager ses connaissances.

  • Stratège : Ce pourrait être un directeur qui établit l’orientation stratégique pour son organisation et qui décède des projets d’innovation qui devraient être lancés. Il considère l’innovation comme une partie nécessaire et captivante du travail à accomplir pour développer l’organisation.

  • Touriste : Le touriste ne participe pas directement au travail d’innovation, mais ce travail semble l’enthousiasmer. Il assistera aux réunions et aux événements de réseau et se tiendra à jour sur LinkedIn. Il est curieux à propos de ce qui se passe dans le domaine de l’innovation, et il aimerait se joindre être de la partie lorsqu’il arrive quelque chose de nouveau et de captivant. Il aura de la difficulté à transposer l’innovation dans son organisation d’attache.

Source : Renseignements fournis par le National Centre for Public Sector Innovation (COI) du Danemark, http://coi.dk/fakta-og-cases/kender-du-innovationstypen

Les rôles ne devraient pas se limiter à ceux de la fonction publique elle-même. On pourrait prendre en considération d’autres acteurs du système, ce qu’ils peuvent faire et en quoi ils pourraient contribuer ou participer au processus. Par exemple, l’OCDE a aussi discuté des différents rôles que les politiciens peuvent jouer à l’égard de l’innovation du secteur public (OCDE, 2017c). Les citoyens, les entreprises et les organismes sans but lucratif ont tous des contributions importantes à apporter, mais ils n’ont souvent pas d’idée nette de la façon dont ils peuvent apporter ces contributions (ou s’ils peuvent le faire). Comment peut-on apporter de la clarté à ces partenaires, défenseurs et enquêteurs potentiels quant au rôle qu’ils pourraient jouer?

Les acteurs peuvent observer la place qu’occupe l’innovation dans l’histoire et le contexte communs

L’innovation n’aura pas de sens pour les personnes et les acteurs si elle ne cadre pas dans l’histoire ou le contexte. S’il s’opère un changement où, d’une position où l’innovation n’est pas explicitement la bienvenue, on passe à une position où l’innovation est activement recherchée et privilégiée, il faudra alors du temps aux acteurs pour le croire et pour ajuster leurs interactions en conséquence.

Une façon de faciliter une telle transition consiste à songer à l’exposé narratif sur l’innovation et en quoi il aide les gens à comprendre la réorientation qui a lieu au fil du temps (voir l’encadré 5.4).

Encadré 5.4. Évolution de l’exposé narratif sur le secteur public au Danemark

En 2009-2010, le laboratoire d’innovation danois MindLab a entrepris un projet appelé « MindBorger » (EspritCitoyen), où l’on explorait la relation entre les citoyens et le secteur public. L’exposé narratif qu’a créé le laboratoire présentait un virage du secteur public en tant que père (la société de bien-être paternaliste), que père (la société de bien-être omniprésente et réconfortante) et que commerçant (l’État providence orienté vers les résultats et les contrats) vers le secteur public (la société de bien-être) en tant que collaborateur.

Cet exposé narratif est maintenant repris à l’échelle municipale, alors qu’il s’effectue une réorientation des nouveaux modèles de gestion publique vers une nouvelle gouvernance publique et le secteur public en tant que collaborateur. Par exemple, la municipalité de taille moyenne de Skanderborg se définit comme une « municipalité 3.0 ». En règle générale, le changement de paradigme de la nouvelle gestion publique vers la nouvelle gouvernance publique comporte des formes hybrides des deux et est représentatif de l’élaboration d’un exposé narratif principal pour le secteur public; les réseaux, la collaboration et la coproduction concordent bien avec le programme d’innovation.

Source : Renseignements fournis par le National Centre for Public Sector Innovation (COI) du Danemark, http://coi.dk/fakta-og-cases/kender-du-innovationstypen

Questions directrices pour réfléchir à la clarté

Une façon d’évaluer le niveau de clarté quant à l’innovation est d’établir s’il y a des réponses claires, pratiques et communes aux questions suivantes :

  • Quel est le message qui est envoyé à propos de l’innovation?

  • Quel est le récit qui est raconté à propos de l’innovation?

  • Y a-t-il une clarté suffisante quant à l’innovation, à son importance aux attentes pour s’assurer qu’elle est un centre d’intérêt?

Notons que la clarté n’est pas synonyme de consensus. Les tensions entre les interprétations et les raisonnements concurrents constituent un élément de base de l’innovation. Il devrait toutefois y avoir à tout le moins une interprétation commune de l’exposé narratif dominant, de sorte que des parties différentes du système puissent interagir sans avoir à rétablir continuellement les terrains d’entente.

Encadré 5.5. Question incitative pour se demander s’il y a suffisamment de clarté quant `à l’innovation dans le système

Les acteurs du système qui viennent de l’extérieur du gouvernement (et qui connaissent donc moins bien les rouages internes, en plus d’être plus susceptibles de n’entendre qu’un exposé narratif dominant) ont-ils une bonne idée de ce qu’on entend par « innovation » dans la fonction publique, des aspects que l’on cherche à innover et des façons dont ils peuvent apporter une contribution?

Déterminant 2 : Parité

« Rapport d’égalité, de similitude entre deux choses ou deux êtres (le plus souvent comptables)2 »

À moins que l’innovation ne profite d’une parité suffisante lorsque le statu quo est maintenu, de sorte qu’elle soit placée sur un pied d’égalité, il est peu probable qu’elle se produise au rythme voulu. En l’absence de la parité, l’innovation surviendra surtout à la suite d’efforts exceptionnels de la part de personnes (dépassant le cadre de leurs fonctions) s’employant à surmonter les obstacles qui se présentent et par des organisations réagissant à des facteurs externes de changement ou adoptant des programmes précis. Même si cela conduira à l’innovation, il ne s’agit pas d’un moyen de résoudre les besoins complexes du système.

La parité ne devrait pas être interprétée comme signifiant que toutes les idées méritent un traitement égal. Elle signifie plutôt que le statu quo ou les hypothèses par défaut ne sont jamais à l’abri de la contestation, et que dans un monde qui change rapidement, il est essentiel de réévaluer continuellement ce qui est possible.

Il peut être difficile de trouver le juste équilibre pour la parité. Cet équilibre peut se situer entre le fait de maintenir le statu quo, de pouvoir poser des questions et de tout remettre en question tout le temps. Le tableau 5.4montre l’aspect que pourrait prendre cet équilibre.

Tableau 5.4. Trouver un équilibre entre une parité insuffisante et une parité excessive

Insuffisante

Équilibre

Excessive

Les acteurs du système se demandent pourquoi ils devraient prêter attention à de nouvelles idées (« ce n’est pas ainsi que nous procédons »).

On ne s’en remet pas toujours aux options où le statu quo est maintenu, mais toutes les idées ne sont pas non plus considérées comme aussi méritoires les unes que les autres.

Chaque idée est considérée comme ayant un mérite égal, même lorsque la pratique établie affiche de bons résultats. La prise de décision et l’établissement des priorités sont donc paralysés par les processus et les débats.

Il sera complexe d’obtenir la parité pour l’innovation au niveau du système, étant donné qu’il n’y a pas de moyen simple de s’assurer que l’innovation est mise sur un pied d’égalité avec les options du maintien du statu quo. Le fait de tenter d’obtenir la parité pour l’innovation viendra remettre en question les pratiques et les processus, si ce n’est parce qu’il laisse entendre que la pratique existante n’est pas suffisamment bonne. De plus, il y aura souvent des domaines où l’innovation pourrait légitimement être considérée comme à risque élevé ou inquiétante; ainsi, on pourra toujours des arguments pour soutenir que l’innovation ne devrait pas s’appliquer.

Tenter de veiller à la parité s’accompagne aussi d’un certain nombre de risques ou de préoccupations possibles. Cela comprendra les risques et les préoccupations ci-après :

  • S’aliéner ceux qui tentent de faire du bon travail ou de protéger ce qu’ils estiment être important. Il y aura des personnes qui peuvent s’être investies dans le statu quo et estimer que les efforts visant à contester le statu quo sont difficiles, voire offensants – « êtes-vous en train de dire que nous ne faisions pas la bonne chose? »

  • Ou ouvre ainsi la voie aux personnes qui, pour une raison ou une autre, peuvent chercher à affaiblir les normes, à miner les processus ou à réduire la rigueur, et qui pourraient se servir de l’« innovation » comme excuse pour le faire. De plus, ce n’est pas tout le monde qui abordera un tel effort avec bonne foi.

  • Prévenir le « système immunitaire » des menaces possibles (« ces gens veulent une exception au processus; ils font donc quelque chose de discutable et il faut les surveiller, leur compliquer la tâche ou les arrêter »).

À quoi la « parité » pourrait-elle ressembler?

Que signifie la parité en pratique? Les éléments proposés relatifs à la parité comprennent la question de savoir :

  • si les processus se prêtent à la contestation;

  • si les goulots d’étranglement de l’information et de la prise de décision peuvent être contournés;

  • s’il est facile de trouver et de constituer une coalition de partenaires intéressés par des questions communes;

  • si l’on peut faire la distinction entre des types de risque différents, et si l’on saisit la différence entre le risque et l’incertitude.

Les processus se prêtent à la contestation

Une façon de permettre l’innovation afin d’obtenir une plus grande parité par rapport au statu quo est de s’assurer que l’option par défaut n’est pas seulement acceptée en fait. Cela peut être réalisé à l’aide de processus ou de mécanismes qui permettent de soulever des options de rechange (voir l’encadré 5.6).

Encadré 5.6. Le programme SIMPLEX du Portugal

Le programme SIMPLEX a d’abord été lancé en 2006 dans le contexte d’une stratégie visant à moderniser l’administration publique et à faire participer tous les services aux échelles centrale et locale. Dix ans plus tard, l’initiative est revenue sous l’appellation SIMPLEX+. Ce programme de simplification collaboratif et national a été lancé par le gouvernement portugais dans le but de créer conjointement de nouveaux services publics en ligne, d’optimiser les services existants et de débureaucratiser la relation entre les institutions publiques et la société civile. Le programme comportait un examen des processus et des pratiques, englobant tous les domaines où l’État est activement présent.

Puisque les citoyens et les entrepreneurs ont été consultés sur la conception des mesures, qu’ils y ont contribué et qu’ils ont continué de le faire pendant la mise en œuvre du programme, SIMPLEX+ représente une initiative participative, produite conjointement et transparente. En plus d’organiser des audiences nationales avec les intervenants, dans les sphères publique comme privée, le site Web de SIMPLEX fait office de voie ouverte de communication et de présentation d’idées, où les données concernant l’exécution du programme sont régulièrement divulguées.

Dans certaines organisations, ce peut être relativement informel (processus de partage d’idées) ou plus structuré (p. ex. événements du genre Dans l’œil du dragon où de nouvelles idées sont lancées en mode concurrentiel et des juges choisissent entre elles). De tels processus peuvent prendre de nombreuses formes différentes. Au niveau du système, l’aspect le plus pertinent est celui de savoir si des perspectives nouvelles ou différentes peuvent être sérieusement prises en considération.

Une autre approche consiste à basculer les paramètres par défaut en introduisant des mécanismes de contestation plus actifs et plus délibérés, selon lesquels l’option existante doit se justifier au lieu d’attribuer aux nouvelles options toute la responsabilité de faire leurs preuves. Un mécanisme de contestation pourrait signifier qu’il faut défendre ou justifier l’option existante comme étant la plus appropriée, plutôt que de présupposer qu’elle l’est (voir l’encadré 3.7).

Encadré 5.7. Exemple de mécanisme pour accorder la parité à l’innovation – « ne jamais dire non »

Rapport du comité de Singapour sur l’économie de l’avenir, recommandation SC1.6 : [Traduction] « Innovations en matière de réglementation (comme la “lettre de non-intervention” et les bacs à sable) visant à rendre possibles de nouveaux modèles opérationnels novateurs :

Les organismes de réglementation devraient adopter une approche « ne jamais dire non » au moment de composer avec un nouveau modèle d’Affaires, ainsi qu’être prêts à permettre que ces modèles soient mis à l’essai avec des conditions, même si celles-ci sont strictes. Cela pourrait vouloir dire de mettre sur pied des bacs de sable réglementaires, de sorte que, dans certaines limites, de nouveaux modèles d’affaires pourraient faire une percée sur le marché singapourien. Cela peut être complété par des “lettres de non intervention” émises par les organismes de réglementation afin d’assurer les acteurs perturbateurs qu’ils respectent les limites de la loi tant qu’ils ne dépassent pas les limites visées. Afin de veiller à des conditions de jeu équitables, de telles mesures devaient être limitées dans le temps, après quoi une réglementation tenant compte de ces nouveaux modèles d’affaires serait formulée en conséquence. »

Source : CFE (2017).

Les goulots d’étranglement peuvent être contournés

Toute organisation hiérarchique aura inévitablement des goulots d’étranglement où les décisions ou le flux de l’information ralentiront. Cela peut avoir des conséquences négatives pour la capacité de contester efficacement le statu quo, puisqu’une offre limitée (de décisions ou d’information) fera probablement en sorte que la priorité soit accordée du domaine où la demande est la plus grande (p. ex. les façons de faire établies). Une telle situation pourrait être abordée en ayant recours à des forums ouverts (en ligne) (voir l’encadré 5.8) où l’information est ouverte par défaut, facilitant ainsi le contournement ou l’élimination des blocages ou des goulots d’étranglement. Une délégation et des efforts clairs visant à garantir que les acteurs du système ont les moyens de prendre des décisions jusqu’à ce qu’une perspective plus large soit absolument nécessaire peut également contribuer à contourner ces problèmes.

Encadré 5.8. États-Unis : Project Open Data (projet des données ouvertes)

La Maison-Blanche tire parti du référentiel de codes et de la plateforme de médias sociaux GitHub pour coordonner et collaborer avec les représentants du gouvernement et le public de façon à innover continuellement en ce qui concerne la mise en œuvre de la politique sur les données ouvertes des États-Unis (É.-U.), l’Open Data Policy, à l’aide du Project Open Data.

Le Project Open Data est un recueil de documents d’orientation sur les politiques, de codes, d’outils et d’études de cas vivants qui visent à aider les organisations gouvernementales à mettre en œuvre l’Open Data Policy et le site Data.gov des É.-U. en vue de libérer le potentiel des données du gouvernement. La plateforme a évolué au fil avec le temps sous forme de ressource communautaire destinée à faciliter l’adoption plus large des pratiques liées aux données ouvertes au gouvernement. Par l’intermédiaire de GitHub, quiconque – fonctionnaires, entrepreneurs, promoteurs ou membres du public – peut visionner les fils de discussion, y contribuer et y communiquer. Des ressources et des membres du personnel sont dédiés à la collaboration et à la communication avec les utilisateurs, examinant la rétroaction et révisant les politiques en fonction de la rétroaction, au besoin, et ils ont les moyens de prendre les décisions nécessaires pour exécuter ce rôle.

De plus, des réunions sont tenues aux deux semaines à l’intention des fonctionnaires intéressés, en personne et par voie électronique. Ces réunions portent sur des sujets relatifs aux données ouvertes et à la gouvernance et cherchent à discuter de mises à jour formelles des politiques, en plus d’offrir une occasion informelle d’interaction et d’échange de connaissances.

Il peut y avoir certaines tensions entre le contournement des goulots d’étranglement et le fait d’appliquer une approche plus systématique, étant donné que le premier conduit à la décentralisation et à l’habilitation et que l’autre laisse présager un point de vue plus coordonné.

Il existe des alliés

Parfois, les options par défaut seront bien ancrées et les façons de faire existantes seront profondément intégrées, même s’il se présente des possibilités qui sont plus prometteuses, quoiqu’elles ne soient pas encore tangibles ou ne se sont pas encore pleinement réalisées. Au début, les innovations ne seront jamais aussi bonnes que le processus en place, étant donné qu’elles aux premiers stades de développement, tandis qu’il est probable que l’on ait investi dans le processus établi et qu’on l’ait peaufiné au fil du temps.

Une façon de surmonter cet obstacle consiste, pour les personnes qui entrevoient le potentiel d’une nouvelle façon de faire ou pour celles qui sont souffrent le plus du problème, de trouver des alliés qui peuvent les aider à faire valoir pourquoi le statu quo n’est pas suffisant, et pourquoi il faut envisager l’innovation.

Au niveau du système, cela se produira probablement par des voies informelles, qu’il s’agisse de communautés de pratique, de réseaux ou, simplement, de la capacité d’interagir avec des personnes aux vues similaires dans d’autres parties du système (voir l’encadré 5.9).

Encadré 5.9. Le Change Makers Network de la Finlande

Le Change Makers Network (réseau des réalisateurs de changements) est une équipe vaguement organisée et autodirigée composée d’experts de ministères différents possédant des antécédents, une éducation et une expertise différentes. Les participants ont en commun le besoin et la volonté de bâtir une culture de travail fondée sur une mentalité pangouvernementale et sur des façons de travailler qui nécessitent de « traverser les frontières ».

Le réseau est en outre prêt à mettre à l’essai et à adopter des façons de travailler modernes, préliminaires et numériques. Les participants sont tous des volontaires. Ils ne sont pas nommés pour représenter un point de vue ou un ministère en particulier dans le réseau. Le modèle de réseau est radicalement différent de l’approche où un groupe de travail ou un comité est mis sur pied et des participants sont nommés pour atteindre une cible particulière établie.

Le Change Makers Network est une communauté ou un « mouvement » allant de la base qui traverse les frontières de tous genres : administrative, professionnelle, des attitudes, et ainsi de suite. De plus, le réseau conteste fortement les pratiques de gestion traditionnelles et hiérarchiques, ainsi que les vieilles pratiques de gestion des ressources humaines. Les pratiques de gestion de même que les services administratifs devraient tous être considérés comme des facteurs qui habilitent ce renouvellement plutôt que de créer des obstacles contre le changement.

Les risques et l’incertitude peuvent être gérés

Faire les choses différemment comporte des risques. Bien entendu, la routine présente aussi des risques, mais ceux-ci sont déjà connus et acceptés dans une certaine mesure, et ils peuvent être plus facilement gérés (ou écartés). Ainsi, les risques possibles associés à de nouvelles approches peuvent être surdimensionnés, tandis que les risques associés aux activités existantes peuvent s’estomper en arrière-plan.

En aidant les acteurs du système à mettre en perspective ces divers types de risques, on peut favoriser un changement des hypothèses par défaut quant au niveau de risque réel. On peut y contribuer en aidant les acteurs à faire la distinction entre les risques (les conséquences possibles connues) et l’incertitude (ce qui pourrait arriver n’est pas connu). Il pourrait aussi être nécessaire de s’assurer que les personnes sont conscientes des risques et qu’elles sont qualifiées pour les gérer, mais qu’elles n’assument pas inutilement de risques personnels en tentant d’entreprendre des efforts qui en valent la peine.

Questions directrices pour réfléchir à la parité

Les questions clés pour orienter la réflexion sur la parité comprennent les suivantes :

  • Les pratiques et les processus en place sont-ils antagoniques ou ouverts aux façons de faire différentes?

  • Les personnes qui présentent de nouvelles idées sentent-elles qu’elles sont mises au défi d’améliorer et d’étoffer leurs propositions novatrices en interagissant avec les pratiques et les processus pertinents, ou se sentent-elles exaspérées, exténuées et épuisées par ceux-ci?

  • Les titulaires de postes de gestion intermédiaires sentent-ils qu’ils sont capables de lancer de nouvelles idées et des possibilités novatrices, qu’ils en sont outillés et qu’ils en ont les moyens?

  • Les pratiques et les processus pertinents encouragent-ils un sain engagement vis-à-vis les risques? Encouragent-ils généralement la prise en compte des risques associés au fait de ne pas innover?

Encadré 5.10. Question incitative pour se demander s’il y a parité entre l’innovation et le statu quo

On peut aisément considérer les nombreuses innovations importantes qui se sont produites comme étant le fruit de leur potentiel plutôt que (i) du fait que les personnes responsables ont dépassé le cadre de leurs fonctions et ont déployé des efforts exceptionnels; (ii) du fait que l’innovation se voulait une intervention à la suite d’une crise ou d’une urgence où les règles habituelles ont été fléchies ou ne s’appliquaient pas; (iii) du fait que l’innovation s’est produite sous l’effet d’une priorité politique; ou (iv) du fait que l’innovation s’est produite discrètement, évitant ainsi la surveillance habituelle.

Déterminant 3 : Pertinence

« Qualité de ce qui est adapté exactement à l’objet dont il s’agit3 »

Si le système ne possède pas la pertinence requise pour entreprendre de nouvelles façons de travailler, le gouvernement sera incapable d’innover effectivement au niveau du système. En l’absence de la pertinence (des technologies, des infrastructures, des systèmes et de la capacité jumelée au contexte opérationnel), les personnes et les organisations feront face à une série de coûts accrus au moment d’innover. Ces coûts pourraient comprendre les coûts à engager pour réaliser des investissements afin de mettre en place les capacités pertinentes ou d’y avoir recours, pour s’assurer que la capacité nécessaire est disponible, pour perfectionner les compétences, pour apprendre ce qui fonctionne et pour développer les infrastructures. De tels coûts initiaux feront probablement en sorte que l’innovation se produise dans le cadre de projets isolés ou par poches, avec une capacité limitée de mise à l’échelle ou d’orientation des opérations d’autres parties du système.

La pertinence ne devrait pas s’entendre comme le fait d’être prêt pour toutes les possibilités imaginées. Elle signifie plutôt qu’il y a prise de conscience des horizons futurs qui éclairent les investissements et les engagements.

Quels qu’ils soient, les systèmes devront trouver un équilibre de niveau de pertinence qui est suffisant dans le contexte. Le tableau 5.5montre l’aspect que pourrait prendre cet équilibre.

Tableau 5.5. Trouver un équilibre entre une pertinence insuffisante et une pertinence excessive

Insuffisante

Équilibre

Excessive

La capacité du gouvernement de composer avec de nouveaux enjeux et de nouvelles technologies sera probablement limitée, puisque le gouvernement ne possède pas la compréhension ou l’expérience requise, ce qui nuira à la pertinence, au caractère approprié et à l’efficacité.

Les besoins naissants sont relevés, pris en compte et surveillés afin de suivre leurs conséquences, et les acteurs du système ont une idée nette d’où et de quand réaliser des investissements et des engagements de sorte qu’ils correspondent à leur contexte.

Les acteurs du système investissent trop tôt dans des initiatives qui nécessiteront toujours un développement considérable ou qui sont spéculatives, ou encore où de nombreux systèmes sont toujours à être développés ou peaufinés malgré les attentes, par les citoyens, de stabilité et d’uniformité des services et de l’expérience (p. ex. à l’avant-garde).

Les risques ou les enjeux possibles associés au fait de tenter d’assurer la pertinence du système comprennent les suivants :

  • le gouvernement peut aisément être critiqué pour avoir fait preuve de « gaspillage » ou de non-efficience en investissant dans des choses qui sont émergentes ou qui « ne sont pas prêtes »;

  • la recherche de nouveautés peut parfois conduire à l’abandon prématuré de choses qui fonctionnent bien avant que ces nouveautés soient en fait prêtes, éprouvées et suffisamment fiables;

  • il est possible d’investir dans des choses qui finissent par ne pas offrir ce qui a été promis.

À quoi pourrait ressembler la « pertinence »?

Que signifie la pertinence en pratique? Les éléments proposés par rapport à la pertinence comprennent les suivants :

  • la capacité d’apprendre de domaines où le taux de changement correspond au taux externe;

  • les technologies et leurs conséquences sont assimilées au gouvernement;

  • de nouveaux modèles opérationnels sont entrepris, mis à l’essai et éprouvés au gouvernement;

  • la compréhension des attentes changeantes et des tendances et indications selon lesquelles les capacités existantes sont insuffisantes.

Apprendre de ceux qui suivent le rythme

Y a-t-il des secteurs du gouvernement qui suivent efficacement le rythme des changements se produisant à l’extérieur du gouvernement? Y a-t-il des secteurs du gouvernement qui parviennent à entreprendre efficacement les changements, et qui contribuent même à y donner forme? Ou y a-t-il des secteurs qui ont une saine relation avec des partenaires externes (potentiels ou actuels) pour entreprendre de nouveaux raisonnements et acquérir de nouvelles capacités (voir l’encadré 5.11)? Ces secteurs du gouvernement pourraient avoir de précieuses leçons à offrir à d’autres parties du gouvernement. Autrement, ces secteurs pourraient être le fruit d’efforts antérieurs d’investissement, d’établissement de relations et d’enrichissement de leur contexte. Quoi qu’il en soit, il y aura probablement des leçons dont le système en général devra tirer quant aux éléments qui pourraient être nécessaires ou appropriés.

Encadré 5.11. L’Open Innovation Team

L’Open Innovation Team (OIT) (équipe de l’innovation ouverte) au Bureau du Cabinet du Royaume-Uni (R.-U.) a été mise sur pied en août 2016 afin d’aider les ministères de Whitehall à générer des analyses et des idées en approfondissant la collaboration avec les universitaires. L’équipe est soutenue par l’organisme Research Councils UK et est parrainée par quatre universités principales : Bath, Lancaster, Southampton et Warwick.

L’équipe procure aux collègues chargés des politiques à l’échelle du gouvernement divers moyens de mobiliser les universitaires pour obtenir des conseils légers, par la négociation d’ententes de collaboration, pour le soutien intensif dirigé par l’OIT. L’OIT a aussi mis au point une nouvelle forme de placement de doctorat, permettant aux étudiants en doctorat de passer entre trois et six mois dans un ministère où ils travaillent à des défis relatifs à la politique publique qui s’appliquent à leur intérêt de recherche.

Les représentants du gouvernement profitent d’un accès amélioré et simplifié à la recherche universitaire et aux réflexions les plus récentes, tandis que les universités et les universitaires ont intérêt à pouvoir illustrer les effets directs que leur travail a sur la politique publique.

Assimilation des technologies

De quelle façon les technologies et leurs conséquences sont-elles assimilées dans le système? Autrement dit, comment les décideurs et les autres intervenants prennent-ils conscience des nouvelles capacités ou possibilités qui accompagnent les évolutions technologiques? Comment connaissent-ils les conséquences possibles de ces technologies, ou en quoi les opérations actuelles pourraient être touchées?

Vu le rythme rapide des changements, et la réalité où une grande partie des changements technologiques se produiront à l’extérieur du gouvernement (d’un gouvernement en particulier), bon nombre de décideurs peuvent consacrer suffisamment de leur temps ou de leurs pensées, dans le cadre de leurs responsabilités et de leurs rôles existants, à se tenir au courant des nouvelles technologies. Souvent, une grande partie de l’assimilation des nouvelles technologies (p. ex. les médias sociaux) aura lieu à l’extérieur du milieu de travail (p. ex. par l’expérience personnelle). Cela peut fonctionner pour certaines nouvelles technologies, mais ce ne sera probablement pas suffisant ou fiable pour toutes les technologies. On peut avoir besoin de mécanismes explicites et délibérés pour assimiler les technologies. Ces mécanismes pourraient prendre un éventail de formes, allant de l’accroissement de la prise de conscience (p. ex. voir l’encadré 5.12) à une activité plus directe.

Encadré 5.12. Emerging Citizen Technology Office (ECTO) et Atlas

La General Service Administration des É.-U. a lancé l’Emerging Citizen Technology Office (ECTO) (bureau des technologies citoyennes émergentes) dans le but de travailler avec un réseau de partenaires de 300 entités des gouvernements fédéral, étatiques et locaux – y compris tous les départements au niveau du Cabinet, toutes les agences des services armés et plus d’une douzaine d’États – en vue de contribuer à évaluer, à mettre à l’essai et à mettre en œuvre des initiatives de modernisation de la TI au moyen de technologies émergentes. Même si les orientations technologiques individuelles changent de temps à autre, les efforts actuels englobent ce qui suit :

  • l’intelligence artificielle et l’automatisation du processus de robotique;

  • la chaîne de blocs et les technologies de grand livre distribué;

  • les technologies sociales et collaboratives;

  • la réalité virtuelle et la réalité amplifiée.

L’ECTO est l’hôte de l’Emerging Citizen Technology Atlas (atlas des technologies citoyennes émergentes) des É.-U., un référentiel de source ouverte et sociofinancé conçu pour consigner les efforts en cours liés aux technologies émergentes, pour fournir des ressources aux intervenants et pour encourager une meilleure collaboration entre les services publics et les entreprises des É.-U.

Source : GSA (sans date)

Examiner de nouveaux modèles opérationnels

Les changements de technologies et de raisonnements créent une capacité de nouveaux modèles opérationnels et de nouvelles façons de fonctionner. Le gouvernement possède-t-il la capacité de mettre à l’essai de nouveaux modèles sans perturber les modèles opérationnels existants? Ou existe-t-il une capacité de créer des espaces ou des structures qui permettent de mettre à l’essai de nouveaux modèles adjacents à la fonction publique ou à l’extérieur de celle-ci (voir l’encadré 5.13)?

Encadré 5.13. Le Future Policy Network

Le Future Policy Network (FPN) (réseau des politiques futures) du R.-U. est un groupe d’équipes d’innovation au gouvernement qui se penchent sur des enjeux prioritaires transversaux nécessitant une réflexion novatrice et des solutions orientées vers l’avenir. Les projets sont principalement mis en service tous les trimestres par un conseil de mise en service des projets, où l’on trouve des représentants du numéro 10 (le Cabinet de la première ministre), le secrétaire du Cabinet et le ministre du Bureau du Cabinet.

L’équipe des projets de l’EDS (au Economic and Domestic Affairs Secretariat du Bureau du Cabinet) fait office de secrétariat pour le conseil de mise en service et de carrefour centralisé qui rassemble les équipes au sein du réseau afin d’offrir une fonction coordonnée pour :

  • les courts projets de conception de politiques ou de services – en générant de nouvelles pistes de réflexion et idées;

  • les analyses stratégiques transversales à long terme – en exerçant un leadership et en renforçant la capacité face aux tendances futures;

  • les plus récentes réflexions et connaissances à propos de l’élaboration de politiques novatrices – dont la défense de nouvelles approches méthodologiques à l’échelle du gouvernement.

Le Future Policy Network possède une vaste expérience de l’exécution d’approches nouvelles et novatrices. Le réseau collabore avec les ministères à l’application de divers outils de politiques et de conception, dont les suivants : l’introspection comportementale et les essais à grande échelle; la conception et la création conjointes avec les personnes touchées; la collaboration avec des experts externes et le milieu universitaire; les approches de financement novatrices; les nouveaux modèles de partenariat; les essais rigoureux visant à fournir des preuves de « ce qui fonctionne »; des statistiques indépendantes et les plus récentes techniques de sciences des données et approches relatives à la mesure de l’incidence; et l’analyse de l’horizontal et les scénarios d’avenir stratégiques.

Les projets ont compris les suivants : l’exécution d’essais comportementaux destinés à réduire l’abandon des services de santé mentale, l’utilisation de l’introspection commerciale pour augmenter l’efficience du marché de la garde d’enfants, l’exploitation des données sur les plaintes du gouvernement pour cerner les questions et les tendances actuelles, la collaboration avec l’industrie pour mettre à l’essai de nouvelles applications pour drones et l’élaboration d’analyses de l’automatisation future des emplois.

De plus, le réseau collabore avec les ministères et les organisations du secteur public afin d’échanger des connaissances à propos des techniques novatrices liées aux politiques, s’inspirant des plus récentes pratiques nationales et internationales.

Suivre les attentes en évolution

Quels sont les mécanismes existants, s’il y a lieu, qui assurent une prise de conscience, dans tout le système, de la façon dont les attentes évoluent et du signal que cela envoie à propos des capacités existantes?

Questions directrices pour réfléchir à la pertinence

Les questions clés pour orienter la réflexion sur la pertinence comprennent les suivantes :

  • Les systèmes de gouvernement sous-jacents sont-ils considérés comme étant adaptés à l’innovation?

  • De quelle façon les nouvelles technologies sont-elles assimilées et introduites au gouvernement?

  • Comprend-on bien les attentes des citoyens envers le gouvernement dans un climat de taux élevé de changement et d’innovation externes?

  • L’engagement à l’égard de l’innovation et l’investissement dans celle-ci sont-ils compatibles avec le discours sur la nécessité d’innover?

Encadré 5.14. Question incitative pour se demander si l’on veille à la pertinence de l’innovation dans le système

Si la fonction publique annonce qu’elle entreprendra un grand projet technologique de transformation, la réaction immédiate est-elle le scepticisme, le questionnement ou des roulements des yeux, ou encore est-elle la prise en compte, l’enthousiasme ou l’anticipation?

Déterminant 4 : Normalité

« Caractère de ce qui est normal4 »

S’il n’y a pas de sentiment de normalité par rapport à l’innovation, celle-ci demeurera une activité marginale qui a lieu en réaction à une pression plutôt qu’en raison de son potentiel. Si l’innovation n’est pas considérée comme faisait partie des activités quotidiennes, elle sera perçue comme une aberration utile à l’occasion plutôt qu’une chose que tout le monde devrait reproduire en vue d’obtenir de meilleurs résultats.

La normalité ne devrait pas produire l’interprétation selon laquelle l’innovation est la seule façon d’aborder les enjeux ou l’innovation devrait être la seule réaction aux problèmes. Elle sous-entend plutôt que les gens ne devraient pas considéré l’innovation comme quelque chose d’inhabituel ou d’exceptionnel.

Il faudra obtenir un équilibre qui consiste à établir une saine tension où l’innovation est considérée comme normale, mais ne conduit pas à un état de réinvention ou de révolution continues. Le tableau 5.6 examine cette tension.

Tableau 5.6. Trouver un équilibre entre une normalité insuffisante et une normalité excessive

Insuffisante

Équilibre

Excessive

L’innovation est considérée comme un jeu, comme quelque chose qui n’est pas sérieux ou qui n’est pas vraiment soutenu, et elle sera marginalisée au lieu d’être intégrée.

L’innovation est considérée comme essentielle à l’obtention des meilleurs résultats, et les comportements par défaut la soutiennent.

L’optimisation et l’efficience peuvent être affectées en raison de la tension entre ce qui est nouveau et ce qui existe. Les intervenants peuvent se désengager ou être aliénés, et il peut se produire une lassitude face au changement.

L’établissement de la normalité de l’innovation peut aussi être risqué. Un tel mouvement peut conduire à un affrontement de cultures alors que des éléments fondamentaux qui sont actuellement préconisés et valorisés sont remis en question et que de nouvelles attentes sont mises en place et peuvent mal coexister avec les anciennes.

À quoi pourrait ressembler la « normalité »?

Que signifie la normalité en pratique? Les éléments proposés par rapport à la normalité comprennent les suivants :

  • les comportements cernés à l’appui de l’innovation;

  • le renforcement des liens entre l’innovation et les activités normales;

  • l’assimilation de l’innovation;

  • le maintien de l’innovation.

Comportements à l’appui de l’innovation

Pour que l’innovation soit considérée comme normale, les comportements qui l’entourent doivent en témoigner. La détermination et la démonstration de comportements qui appuient l’innovation voir l’encadré 5.15) peut apporter une contribution clé à la mise en place d’une culture où l’innovation est acceptée et attendue.

Encadré 5.15. Comportements d’innovation pour la fonction publique australienne

L’innovation concerne les gens – que ce soit obtenir des appuis pour une idée, inciter les gens à utiliser réellement l’idée ou à y donner réellement suite, ou encore réfléchir à ce qu’accomplit l’idée pour d’autres personnes. Puisqu’elle concerne les gens, l’innovation est largement rattachée aux interactions avec autrui et aux comportements qui en sont modelés. Si les leaders veulent encourager l’innovation, ils doivent afficher des comportements qui conduiront à une réflexion et à des gestes novateurs de la part de leurs employés. Les comportements suivants ont été relevés par la fonction publique australienne comme étant pertinents pour soutenir l’innovation – par les leaders ou par d’autres.

Pour les leaders – les personnes qui veulent que d’autres exercent des actions novatrices :

  • donnez les moyens d’agir aux autres – précisez là où l’on a le plus besoin de l’innovation;

  • invitez les personnes représentant des cas isolés – démontrez que la diversité est préconisée;

  • dites « oui », et non « non, parce que »;

  • ne réagissez pas excessivement – comprenez l’erreur expérimentale;

  • appuyez les novateurs et partagez les histoires de succès.

Pour les innovateurs – les personnes qui cherchent à exercer des actions novatrices :

  • posez des questions – aux autres et à vous-même;

  • essayez des choses – faites un peu (ou beaucoup) d’expériences;

  • racontez un récit (ou aidez à le raconter) – à qui cela est-il important, et pourquoi?

  • concentrez-vous sur le problème à résoudre – ne vous attachez pas à « votre » idée;

  • ne lâchez pas – croyez en le pouvoir de la persistance.

Source : Roberts (le 15 février 2016)

Bien entendu, c’est la démonstration de ces comportements – les voir à l’œuvre et renforcés, voire récompensés – qui comptera vraiment. Une vive attention sera portée au traitement des personnes qui démontrent les comportements – ce qui arrive à ces dernières aidera les autres acteurs du système à décider s’ils imiteront ces comportements.

Relier l’innovation aux activités normales

Si l’innovation n’est jamais reliée à des projets ou des initiatives prioritaires, elle ne sera jamais perçue comme une chose vraiment importante ou qui doit être réellement intégrée.

En revanche, si l’innovation n’est toujours associée qu’à des projets prioritaires descendants, elle ne sera jamais considérée comme était véritablement de routine. L’innovation sera considérée comme un processus utilisé uniquement pour certains projets plutôt que comme une approche ou un processus allant du bas que d’autres intervenants (dont les acteurs et partenaires externes) peuvent influencer.

Les mécanismes servant à relier l’innovation aux activités normales peuvent jouer un rôle important pour démontrer que l’innovation fait partie du nouvel état normal. Cela peut être complété en prévoyant des espaces pour les petites innovations et en facilitant le partage et l’assimilation des petites innovations, ce qui contribue aussi à démontrer la régularité de l’innovation, en plus de montrer qu’il s’agit d’une chose entièrement normale.

Assimilation de l’innovation

L’innovation peut sembler à l’écart du travail quotidien. Même si elle est comprise et qu’il en existe des exemples tangibles (« clarté »), ce processus peut tout de même être considéré comme n’étant entrepris que par d’autres personnes ou dans d’autres domaines. Comment l’innovation peut-elle être assimilée au niveau du système, de sorte que les acteurs du système puissent observer en quoi elle contribue à leur travail plutôt que d’y ajouter?

Une façon de le faire est d’avoir recours à des événements et à des activités pour aider les fonctionnaires, leur organisation et d’autres acteurs du système à se familiariser avec l’innovation afin de la considérer comme une partie de leur routine normale (même si elle ne se produit pas tous les jours) (voir l’encadré 5.16).

Encadré 5.16. Le mois de l’innovation en Australie

Le mois de l’innovation est une série annuelle d’événements et d’activités qu’organise la fonction publique australienne, mais qui sont ouverts à d’autres ordres de gouvernement et aux partenaires. Ce mois se veut pour les agences participantes une occasion d’avoir divers types de conversations et, fait important, d’être des témoins de l’innovation et d’y participer. Pendant ce mois, l’Institute of Public Administration Australia annonce aussi les gagnants des prix de l’innovation du secteur public.

Source : Public Sector Innovation Toolkit, https://innovation.govspace.gov.au

Maintenir l’innovation

L’innovation dans le secteur public peut entraîner des critiques, et le degré de tolérance envers les expériences des gouvernements –et donc, parfois, les échecs de ceux-ci – peut être très faible. Cela peut créer une culture où la fonction publique ne souhaite pas tenter de nouvelles choses par crainte d’être ciblée si quelque chose se passe mal (ou est représenté comme se passant mal). La situation inverse, où l’innovation se passe bien, peut bien passer inaperçue, mais le coût d’un échec peut être élevé.

Toutefois, l’innovation, et l’expérimentation, consistent à faire des choses qui n’ont jamais été faites (dans ce contexte), et elles présentent donc un niveau élevé d’incertitude quant ce qui se produira. Les « échecs » occupent une place importante dans le processus d’innovation en contribuant à rétrécir le champ d’incertitude et, donc, à se rapprocher vers la connaissance de ce qui pourrait fonctionner.

L’innovation dans le secteur public ne sera jamais acceptée comme étant normale si cette caractéristique n’est pas comprise, voire défendue au besoin. L’innovation doit être maintenue comme étant quelque chose de nécessaire, même si elle ne fonctionne pas toujours. Par conséquent, un critère clé pour tout secteur public intéressé par l’innovation est ce qui se produit lorsque des processus novateurs sont repoussés et critiqués, même s’ils ont été tentés avec rigueur, qu’ils tenaient compte du caractère approprié et qu’ils ont été suivis avec soin.

Questions directrices pour réfléchir à la normalité

Les questions clés pour orienter la réflexion sur la normalité comprennent les suivantes :

  • Existe-t-il un ensemble de comportements relevés et démontrés pour appuyer l’innovation?

  • L’innovation (et le non-respect associé de la convention ou la remise en question associée des pratiques actuelles) est-elle préconisée au chapitre de l’avancement de carrière?

  • Que se passe-t-il en cas de critique publique d’une chose considérée (à tort ou autrement) comme étant novatrice? La réaction par défaut est-elle défensive ou ouverte?

Encadré 5.17. Question incitative pour se demander s’il y a normalité quant à l’innovation

Arrive-t-il couramment, pendant les entrevues d’emploi, qu’on interroge des candidats, ou qu’on étudie leur candidature, en se rapportant à leur expérience de projets novateurs, leurs compétences en innovation ou leur gestion de projet dans des situations de nouveauté et d’incertitude.

Un cycle de renforcement

Chaque déterminant influencera les autres; toutefois, la relation la plus forte sera la clarté>parité>pertinence>normalité>clarté.

  • Clarté – Un manque de compréhension de l’innovation, de son importance et des secteurs où elle importante empêchera les processus novateurs de profiter de la parité par rapport au statu quo. Autrement, si l’on comprend clairement pourquoi l’innovation importe, il est beaucoup plus probable qu’on lui accorde une attention égale pendant la prise de décision.

  • Parité – Si l’innovation n’est pas mise sur un pied d’égalité avec les opérations par défaut, et qu’elle ne se produit qu’en raison d’efforts individuels exceptionnels ou de facteurs externes occasionnels, il est peu probable que le besoin de changement à la base des capacités, des systèmes et des infrastructures soit compris, et l’innovation continuera d’être une activité occasionnelle. À l’inverse, si l’innovation est toujours prise en compte pendant la prise de décision, les investissements sont plus susceptibles de mieux représenter les nouvelles possibilités.

  • Pertinence – Si les systèmes sous-jacents ne sont pas pertinents par rapport à l’innovation, et qu’il faut donc plus de temps, d’efforts et d’apprentissages pour accomplir les processus d’innovation, l’innovation sera peu susceptible d’être intégrée aux activités de base et d’être perçue comme une pratique normale. En revanche, si les systèmes sous-jacents sont pertinents par rapport à l’innovation, on trouvera plus normal d’entreprendre des innovations, étant donné que le coût d’apprentissage sera moins élevé.

  • Normalité – Si l’innovation n’est pas intégrée à la pratique fondamentale, elle demeurera une activité marginale; la place qu’occupe l’innovation ne sera pas très claire, y compris en quoi consiste l’innovation, pourquoi elle est importante ou à qui elle importe. Cependant, si l’innovation est intégrée aux pratiques de base, il est probable que l’on comprenne beaucoup mieux l’innovation, sa signification et la raison de son importance.

Cette interdépendance entre les divers déterminants signifie que le rendement général du système sera restreint par le facteur le plus faible. Les problèmes relatifs au système convergeront probablement sur le facteur qui recevra le moins d’appuis.

Un système d’innovation ne se résume pas à la production d’innovations

Le modèle proposé ci-dessus s’intéresse au rendement de base d’un système d’innovation – produit-il des innovations d’une façon fiable et uniforme qui correspond au besoin ou à l’appétit de l’innovation? On pourrait considérer cela comme le « niveau 1 », ou la base de référence de ce qui pourrait être attendu ou nécessaire pour un système d’innovation du secteur public.

Pourtant, dans un système démocratique, cela ne suffit pas. Il faut aussi se demander si les bons types d’innovation ont lieu – pas seulement l’innovation qui a lieu pour résoudre les problèmes immédiats, mais celle qui aborde ou reflète aussi des préoccupations d’un ordre plus élevé.

Le tableau 5.7 propose un modèle de maturité quelque peu spéculatif. Il s’agit d’un examen des différents niveaux de sophistication que pourrait présenter un système d’innovation. L’objectif est d’illustrer qu’on ne s’intéresse pas seulement à la question de savoir si une innovation (même une bonne) se produit. Si le niveau 1 est la base de référence, le niveau 2 pourrait être considéré comme un système où l’innovation est intégrée, où on réfléchit délibérément à ce pour quoi on veut une innovation, et si celle-ci est appropriée, durable et acceptée. Le niveau 3 pourrait être considéré comme une représentation d’un système où l’innovation est profondément intégrée et est éclairée par les valeurs sociales, et où les chocs perturbateurs viennent en fait renforcer le système plutôt que l’affaiblir.

Ce modèle de maturité n’est pas suffisamment étoffé ou éprouvé aux fins de l’étude du rendement de l’innovation dans la fonction publique du Canada. Il est plutôt inclus ici dans l’unique but de susciter une réflexion à mesure que la pratique de l’innovation se développe, afin de contribuer à l’étude de préoccupations plus larges. Il devrait être considéré comme un point de départ d’une discussion plutôt que comme un modèle normatif, étant donné qu’il y a encore beaucoup à apprendre.

Sans une telle réflexion, il y a un risque qu’un système d’innovation fasse fiasco ou soit défait. Un système pourrait, par exemple, permettra la promulgation d’innovations hautement efficaces qui contreviennent à certaines aspirations et valeurs sociales, et qui portent donc atteinte à la licence sociale de l’innovation du gouvernement.

En parallèle, l’innovation façonnera et changera les valeurs et les ambitions, et donc les attentes envers le gouvernement. Il n’y aura pas de réponse unique à la question de l’aspect que devrait prendre un système évolué.

Le modèle de maturité sera peaufiné et développé davantage à mesure que les systèmes d’innovation du secteur public seront mieux compris et qu’on en apprendra davantage à propos de la façon dont la pratique de l’innovation dans le secteur public peut (et, possiblement, devrait) évoluer.

Tableau 5.7. Innovation du secteur public – Déterminants de l’innovation à divers niveaux de maturité du système

Niveau d’analyse

Déterminants de base de l’innovation

Système d’innovation, niveau 1 :

a) Le système est-il fonctionnel?

b) L’innovation survient-elle?

c) Régit-on au contexte de l’innovation dans son ensemble?

d) L’innovation est-elle tolérée?

Système d’innovation, niveau 2 :

a) Y a-t-il une réflexion ou un apprentissage sur le système?

b) L’innovation qui survient est-elle l’innovation voulue?

c) Est-on engagé de façon proactive face au contexte de l’innovation dans son ensemble?

d) L’innovation est-elle acceptée?

Système d’innovation, niveau 3 :

a) Y a-t-il une prise de conscience ou une introspection quant à la nature du système?

b) L’innovation qui survient est-elle celle qui devrait idéalement survenir?

c) Est-ce qu’on façonne activement le contexte de l’innovation dans son ensemble?

d) L’innovation est-elle adoptée?

Motifs :

Qu’est-ce qui motive l’intention d’innover?

Clarté quant à l’innovation

A-t-on une idée nette de la raison pour laquelle l’innovation est nécessaire, du but de celle-ci et des personnes qui en sont responsables ou qui peuvent y jouer un rôle?

Aspiration à innover

L’innovation est-elle non seulement nécessaire, mais voulue pour atteindre des buts et des objectifs au-delà des priorités actuelles?

Vision de l’innovation

L’innovation est-elle non seulement voulue, mais considérée comme fondamentale pour réaliser une vision d’un état possible des choses?

Possibilité :

Qu’est-ce qui touche la probabilité de l’innovation qui est tentée?

Parité de l’innovation

Les processus et les paramètres par défaut sont-ils ouverts aux propositions et aux possibilités novatrices imprévues?

Légitimité de l’innovation

Est-ce que non seulement les processus et les paramètres par défaut sont ouverts à l’innovation, mais qu’on y accorde la priorité à ceux qui ont une licence sociale et qui contribuent à la légitimité de l’innovation et du gouvernement?

Valeurs éclairant l’innovation

Est-ce que non seulement les processus et les paramètres par défaut sont réglés en fonction de la légitimité de l’innovation, mais reflètent les valeurs sociales de base et une prise de conscience de la façon dont l’innovation les croise, interagit avec eux et les éclaire?

Capacité :

Que faut-il pour entreprendre une tentative d’innovation?

Pertinence de l’innovation

Les technologies, les infrastructures, les modèles de fonctionnement et les investissements sous-jacentes s’harmonisent-ils avec l’étendue globale des possibilités et sont-ils pertinents par rapport à tout ce qui pourrait être tenté?

Pertinence de l’innovation

Est-ce que les technologies, les infrastructures, les modèles de fonctionnement et les investissements sous-jacents non seulement s’harmonisent avec l’étendue des possibilités, mais contribuent réellement à maintenir la capacité continue d’innover?

Anti-fragilité de l’innovation

Est-ce que les technologies, les infrastructures, les modèles de fonctionnement et les investissements non seulement contribuent à la durabilité du système d’innovation, mais contribuent aussi à un système qui sera amélioré par d’autres perturbations futures lorsque celles-ci surviendront?

Expérience :

Qu’est-ce qui a une incidence sur la question de savoir si l’innovation est maintenue?

Normalité de l’innovation

L’innovation est-elle considérée comme faisant partie du quotidien de la façon de faire, et y réagit-on en conséquence?

Assimilation de l’innovation

L’innovation est-elle non seulement considérée comme normale, mais acceptée et assimilée comme faisant partie intégrante du mode de fonctionnement?

Modalité de l’innovation

Est-ce que non seulement l’innovation est intégrée, mais que des modes différents d’innovation et de raisonnement sont préconisés, encouragés et utilisés, de sorte que l’apprentissage et la formation puissent avoir lieu de façons différentes et que les nouveaux paradigmes dominants soient ouverts à la contestation?

Références

Gouvernement australien (2010), Empowering Change: Fostering Innovation in the Australian Public Service, Canberra, www.apsc.gov.au/sites/g/files/net4441/f/empoweringchange.pdf.

Boxall, P. et J. Purcell (2011), Strategy and Human Resource Management, troisième édition, Palgrave McMillan, Londres.

CFE (2017), Report of the Committee on the Future Economy: Pioneers of the Next Generation, Committee on the Future Economy, Singapore, www.gov.sg/~/media/cfe/downloads/mtis_full%20report.pdf.

Eggers, W.D. et S.K. Singh (2009), The Public Innovator’s Playbook: Nurturing Bold Ideas in Government, Deloitte Research, Toronto, www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Public-Sector/dttl-ps-public-innovators-playbook-08082013.pdf.

GSA (sans date), « Welcome to the U.S. Emerging Citizen Technology Atlas », General Services Administration, Washington D.C., https://emerging.digital.gov.

Murray, R., J. Caulier-Grace et G. Mulgan (2010), The Open Book of Social Innovation, Nesta, Londres.

OCDE (2017a), Innovation Skills in the Public Sector: Building Capabilities in Chile, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd-ilibrary.org/governance/revue-de-l-ocde-sur-la-gouvernance-publique_22265961.

OCDE (2017b), Fostering Innovation in the Public Sector, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264270879-en.

OCDE (2017c), « Public Sector Innovation and Politicians », Observatoire pour l’innovation dans le secteur public, https://oecd-opsi.org/public-sector-innovation-and-politicians/.

Roberts, A. (le 15 février 2016), « Innovation Behaviours for the Public Service – beta version », Gouvernement australien, Public Sector Innovation, https://innovation.govspace.gov.au/innovation-behaviours-public-service-beta-version.

SGMAP (2017), Manifeste pour l’innovation publique français : Concevoir autrement les politiques publiques, Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, Paris, https://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/manifeste_innovation_publique_-_mars_2017_0.pdf.

Taleb, N. (2012), Antifragile: How to Live in a World We Don’t Understand, Penguin.

End of the section – Back to iLibrary publication page