Chapitre 4. La criminalisation de la corruption au Maroc

La responsabilité pénale pour corruption est un élément nécessaire de tout cadre global de lutte contre la corruption. La corruption des agents publics sape l'intégrité de l'administration publique, affecte le développement social et économique et érode la confiance dans le gouvernement. Ce chapitre analyse le cadre législatif au Maroc en matière de criminalisation de la corruption par rapport aux normes internationales.

    

4.1. L’importance de la criminalisation de la corruption pour lutter contre la corruption

Aucun gouvernement ni aucune économie de marché ne peut fonctionner efficacement s’ils sont gangrenés par la corruption. L’acceptation de pots-de-vin par des agents publics cause un grave préjudice, notamment dans le cadre de l’attribution de marchés à des entreprises étrangères dans des domaines comme la construction de routes, les infrastructures hydrauliques, les médicaments ou l’électricité. Outre les souffrances humaines occasionnées par des produits et services de moindre qualité, la corruption fausse le fonctionnement des marchés et sape le développement économique.

La corruption peut se définir comme l'agissement par lequel une personne investie d'une fonction déterminée, publique ou privée, sollicite ou accepte un don, une offre ou une promesse en vue d'accomplir, retarder ou omettre d'accomplir un acte entrant, d'une façon directe ou indirecte, dans le cadre de ses fonctions. La corruption implique donc la violation, par le coupable, des devoirs de sa charge. En droit pénal, il est usage de distinguer deux sortes de corruption :

  • La corruption passive lorsqu'une personne exerçant une fonction publique profite de cette fonction en sollicitant ou en acceptant des dons promesses ou avantages en vue d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction cette personne reçoit le nom de corrompu ;

  • La corruption active lorsqu'une personne physique ou morale obtient ou essaie d'obtenir moyennant des dons des promesses ou avantages d'une personne exerçant une fonction publique qu'elle accomplisse ou retarde ou s'abstienne d'accomplir ou de retarder un acte de sa fonction ou un acte facilité par elle ; le tiers reçoit le nom de corrupteur.

Ce chapitre examine les mesures qui ont été prises au Maroc en vue d’incriminer la corruption d’agents publics nationaux et étrangers. Il ne couvre pas d’autres formes de corruption, telles que le détournement de fonds, le trafic d’influence ou l’enrichissement illicite. Il ne couvre pas non plus la corruption de particuliers. Par ailleurs, il met également l’accent sur la « corruption active » par opposition avec la « corruption passive » (cf. supra). Cette analyse tient par ailleurs compte des rapports d'évaluation dont le Maroc a déjà fait l'objet, y compris l'examen de l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption conduit en 2012. Elle est conduite sur la base des standards anti-corruption qui figurent à la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (ci-après Convention anti-corruption de l'OCDE).

Encadré ‎4.1. La Convention de l'OCDE sur la Lutte Contre la Corruption

La Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales est un accord international juridiquement contraignant. Les Parties à la Convention acceptent de prendre les mesures nécessaires pour que la corruption d’un agent public étranger constitue une infraction pénale en vertu de leur droit et pour enquêter, poursuivre et sanctionner cette infraction. La Convention anti-corruption est le premier et le seul instrument international de lutte contre la corruption qui se concentre sur « l’offre » —c’est-à-dire la personne ou l’entité qui offre, promet ou octroie un pot-de-vin.

Source : l’OCDE, Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.

L’incrimination de la corruption d’agents publics, tant nationaux qu’étrangers, et l’application des lois sont des composantes essentielles à un cadre anti-corruption général et s’ajoutent à d’autres initiatives parallèles visant à prévenir et à détecter les comportements de corruption.

La mise en place d’un système efficace de lutte contre la corruption passe avant tout par la mise en place d’un éventail d’infractions de la corruption qui soit le plus large possible. Il est également nécessaire de veiller à ce que les autorités répressives soient indépendantes et vigilantes dans la mise en œuvre de ces sanctions.

4.2. Statut actuel et analyse critique

Les instruments juridiques pertinents au Maroc sont: le Code pénal adopté en 1962 et amendé à plusieurs occasions; le Code de procédure pénale adopté en 2002; le Code des tribunaux financiers adopté en 2002; la loi n° 43-05 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux adoptée en 2007; la loi n° 10-13 portant amendement de la législation anti-blanchiment d’argent adoptée en 2011; et, pour ce qui est des infractions dans le secteur privé, le Code de commerce et la loi relative aux sociétés anonymes, adoptés en 1996. Une série de traités bilatéraux dans le domaine de l’entraide judiciaire, notamment avec l’Espagne, les États-Unis d’Amérique, la France, les Pays-Bas et le Portugal, sont aussi applicables.

Le processus pénal au Maroc comprend trois phases, à savoir les recherches préliminaires et l’enquête préparatoire, l’enquête par un juge (le juge d’instruction) et le procès. L’étape de l’enquête préliminaire fait intervenir tous les organes de détection et de répression, y compris la police judiciaire sous le contrôle du bureau du Procureur général. Les affaires de corruption font l’objet d’enquêtes par les unités de police en charge des crimes économiques. À l’issue de la première phase, les affaires ne nécessitant pas d’enquête supplémentaire sont directement soumises par le bureau du Procureur général au tribunal pour audition et jugement. Si des preuves supplémentaires sont nécessaires, le bureau du Procureur renvoie l’affaire devant un juge pour complément d’instruction. Une fois l’instruction close, l’affaire est portée devant le tribunal compétent pour audition et jugement.

La plupart des infractions énumérées dans la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) sont incriminées dans le Code pénal marocain et dans d’autres textes juridiques, tels que la loi n° 43-05 relative au blanchiment d’argent. L’évolution la plus importante au Maroc ces dernières années en ce qui concerne l’incrimination des infractions liées à la corruption est l’adoption de la loi n° 13-10 portant amendement de la loi n° 43-05 susmentionnée. Également en discussion actuellement, un projet d’amendement du Code pénal apportera des changements quant aux infractions liées à la corruption. Il a notamment pour objectif d'incriminer la corruption d'agents publics étrangers telle que prévue à la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (Convention de l’OCDE). En effet, le droit marocain n'érige pas expressément en infraction la corruption d'agents publics étrangers.

4.2.1. Définition d’agent public

Il n’est pas certain que la définition de ‘fonctionnaire public’ prévue à l’article 224 du Code pénal soit totalement conforme aux standards internationaux de l’Article 2(a) de la Convention des Nations Unies et de l’Article 1(4)(a) de la Convention de l’OCDE. En particulier, la définition d’agent public doit inclure toute personne :

  • Qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire ;

  • Nommée ou élue ;

  • Quel que soit son niveau hiérarchique.

Selon les autorités marocaines, l’article 224 du code pénal identifie de manière générale le concept de « fonctionnaire public » comme toute personne chargée d’une fonction ou mission de nature législative, exécutive, administrative ou judiciaire. Elles indiquent avoir poursuivi et sanctionné des personnels détenant un mandat judiciaire, législatif et exécutif. Aucune jurisprudence n'a été communiquée en appui de cette affirmation. Selon les autorités marocaines, l’article 224 du code pénal ne fait pas de distinction entre les fonctionnaires publics en termes de hiérarchie.

La définition doit également inclure toute autre personne qui exerce une fonction publique pour une entreprise publique. Il convient de noter que la définition de l'article 224 CP fait une référence explicite à la catégorie des "établissements publics" et exclut a priori les entreprises publiques. Les autorités marocaines ont indiqué que la notion de "service d'intérêt public" visé par l'article 224 CP englobe l'activité des entreprises publiques. Il est essentiel que cette dernière catégorie soit couverte par la législation marocaine et ce, expressément et sans aucune ambiguïté. En ce qui concerne les agents publics étrangers, il convient d'incriminer la corruption de tout fonctionnaire ou agent d’une organisation internationale publique.

4.2.2. Infraction de corruption active d’agents publics

Suite à son obligation sous l’Article 15 de la CNUCC, le Maroc devrait pénaliser le ‘fait de promettre, d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles.’ Au titre de l'article 1 de la Convention de l'OCDE, les pays signataires doivent constituer en infraction pénale " le fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international".

Le code pénal marocain (articles 248 à 251) incrimine la corruption passive et active. La rédaction du code pénal met l'accent sur l'incrimination de la corruption passive (articles 248 et 249), l'infraction de corruption active étant rédigée en référence à l'incrimination de corruption passive. Le corrupteur est défini de manière fonctionnelle, c'est-à-dire par rapport aux fins poursuivies :

« Quiconque, pour obtenir soit l'accomplissement ou l'abstention d'un acte, soit une des faveurs ou avantages prévus aux articles 248 à 250, a usé de voies de fait ou menaces, de promesses, offres, dons ou présents, ou autres avantages, ou cédé à des sollicitations tendant à la corruption, même s'il n'en a pas pris l'initiative, est, que la contrainte ou la corruption ait ou non produit son effet, puni des mêmes peines que celles prévues auxdits articles contre la personne corrompue »

‘Le fait intentionnel de promettre, d’offrir ou d’accorder’ – l’article 251 du code pénal marocain pénalise le fait "d'user de promesses, offres, dons ou présents", incriminant ainsi le fait d'offrir, de promettre ou d'octroyer un avantage indu. Aucune référence n'est faite au caractère intentionnel de l'infraction. Les autorités signalent que la seule formulation d'une offre ou d'une promesse permet de constituer l'infraction et que l'infraction est constituée en l'absence d'acceptation de ladite offre ou promesse. Aucune jurisprudence n'étaye cet état de fait.

‘un agent public’ – voir l’analyse ci-dessus. L'article 251 du code pénal s'attache à incriminer l'acte de corruption active sans définir le statut ni du corrupteur, ni du corrompu.

‘directement ou indirectement’ – l’article 251 ne fait pas référence aux promesses, offres ou accords faits indirectement au corrompu. Il est ainsi possible que les auteurs des schémas de corruption soient ainsi exonérés pour les actes effectués par des intermédiaires. L'article 129 du code pénal pénalise les faits de complicité.

‘un avantage indu’ – en utilisant la formule ‘dons, présents ou autres avantages’, l’article 251 semble adresser une large gamme d’avantages possibles – pécuniaires ou autres – et rend ainsi cet élément conforme aux standards internationaux. Il conviendra de s'assurer que dans les faits la notion "d'autres avantages" couvre des avantages non pécuniaires ou non matériels.

à son profit ou au profit d’un tiers’ – l’article 251 ne couvre pas expressément la situation où l'offre, la promesse et le don a pour objet de bénéficier à un tiers et non exclusivement au corrupteur.

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‘pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles’ – L’Article 1(4)(c) de la Convention de l’OCDE précise que cette phrase désigne toute utilisation qui est faite de par la position officielle de l’agent public, que cette utilisation relève ou non des compétences conférées à cet agent. L’article 251 du Code pénal marocain vise la corruption active en vue "d'obtenir soit l'accomplissement ou l'abstention d'un acte". Aucune référence n'est faite à la nature requise de l'acte (lié ou pas à une fonction ou des compétences).2

4.2.3. Sanctions

L’Article 30(1) de la CNUCC demande aux États parties de rendre les infractions de corruption passibles de sanctions qui tiennent compte de la gravité de l’infraction. L’Article 3 de la Convention de l’OCDE requiert que l’infraction correspondant à la corruption d’un agent public étranger soit passible de sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives. En droit marocain, corrompu et corrupteur sont passibles de sanctions identiques (cf. articles 248 et 251): une peine d'emprisonnement de cinq à dix ans et d'une amende de 10.000 [900 EUR] à 100.000 [9.000 EUR] dirhams. Si le montant de la corruption est inférieur à 100.000 DH, le coupable est puni d'emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 10.000 à 50.000 [4.500 EUR] dirhams, sans être inférieur au montant de la corruption donnée ou offerte. Alors que les peines d’emprisonnement semblent comparables à celles appliquées dans d’autres pays, les sanctions pécuniaires sont trop peu élevées pour satisfaire les standards internationaux.

L’Article 3(4) de la Convention de l’OCDE demande à chaque Partie d’envisager l’application de sanctions complémentaires civiles ou administratives à toute personne, physique ou morale, soumise à des sanctions pour corruption d’un agent public étranger. Le commentaire 24 relatif à la Convention donne des exemples de telles sanctions complémentaires qui peuvent être imposées aux personnes morales : l’exclusion du bénéfice d’un avantage public ou d’une aide publique ; l’interdiction temporaire ou permanente de participer à des marchés publics ou d’exercer une activité commerciale ; le placement sous surveillance judiciaire ; ou la dissolution judiciaire. Il s'agit là de sanctions complémentaires efficaces qui ont prouvé leur utilité dans de nombreux cas de corruption transnationale.

4.2.4. Saisie et confiscation

Selon l’Article 31(1) de la CNUCC, tout État partie doit prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation (a) du produit du crime provenant des infractions de corruption ou de biens dont la valeur correspond à celle de ce produit; et (b) des biens, matériels ou autres instruments utilisés ou destinés à être utilisés pour les infractions de corruption. Également, l’Article 3(3) de la Convention de l’OCDE demande à chaque Partie de prendre les mesures nécessaires pour saisir et confisquer l’instrument et les produits de corruption d’agent public étranger ou les avoirs d’une valeur équivalente.

Le code pénal marocain prévoir expressément la confiscation des fonds provenant de certaines infractions de corruption (article 247 du code pénal). Néanmoins, cet article relève de la "SECTION III DES DETOURNEMENTS ET DES CONCUSSIONS COMMIS PAR DES FONCTIONNAIRES PUBLICS" (articles 241 à 247) du code pénal et non de la "SECTION IV DE LA CORRUPTION ET DU TRAFIC D'INFLUENCE" (articles 248 à 256) du code pénal. De plus, article 255 du code pénal ne prévoit pas des mesures de confiscation dans des cas de corruption active. Il ne vise que les articles 249 à 250 du code pénal (et non l'article 251).

D'après l'article 255 du code pénal, la confiscation s’étend à tout ce qui est obtenu à l’aide des infractions prévues aux articles 248, 249 et 250 du présent code quelle que soit la personne qui le détient ou qui en a profité. En ceci, le droit marocain prévoit explicitement des mesures de confiscation visant les produits de corruption d’agent public ("tout ce qui est obtenu"). Il n'est pas certain que les avoirs d’une valeur équivalente soient susceptibles de saisie et confiscation. La confiscation de l'instrument de corruption (le pot de vin, quelle que soit sa forme) n'est pas non plus incriminée.

4.2.5. Tentative

Conformément à l’Article 27 de la CNUCC et l’Article 1(2) de la Convention de l’OCDE, chaque État partie doit adopter les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale au fait de participer à l’infraction à quelque titre que ce soit et également au fait de tenter de commettre ou de préparer une infraction. Le Maroc pénalise la tentative, notamment la tentative de commettre des infractions de corruption. L’article 256-2 du code pénal prévoit que « la tentative de commettre les délits prévus dans les sections II et VI (corruption, trafic d’influence, trahison, détournement des fonds publics, l’obtention d’un intérêt illégitime …) est punie comme l’infraction consommée ».

La tentative de corruption fait l’objet des mêmes peines que celles applicables à l’infraction de base, ce qui est conforme aux standards internationaux (cf. l'analyse critique des sanctions de ce chapitre).

4.2.6. Participation

L’Article 27(1) de la CNUCC oblige les États parties à pénaliser le fait de participer à l’infraction de corruption à quelque titre que ce soit, comme la complicité, l’assistance ou l’instigation. Par ailleurs, l’Article 1(2) de la Convention de l’OCDE exige que les États parties prennent les mesures nécessaires pour que constitue une infraction pénale, le fait de se rendre complice d’un acte de corruption d’un agent public étranger, y compris par instigation, assistance ou autorisation. En ce qui concerne la participation, le coupable est puni conformément aux dispositions de l’article 129 du code pénal marocain.

4.2.7. Moyen de défense

Tout en reconnaissant l’importance des témoins coopératifs dans la poursuite efficace des infractions de corruption, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption a systématiquement critiqué les Parties qui ont établi des défenses complètes dites de « repentir réel » ("effective regret"), pour les infractions de corruption. Selon le Groupe, la coopération n’est pas un moyen de défense complet reconnu par la Convention de l’OCDE. Même si elle peut constituer une circonstance atténuante au moment de la détermination de la peine (à condition que les sanctions demeurent efficaces, proportionnées et dissuasives), elle ne saurait constituer un moyen de défense à part entière susceptible de dégager la responsabilité de l’auteur de l’infraction. L’article 256-1 du Code pénal marocain exonère le corrupteur sans autre condition que de dénoncer l'infraction aux autorités soit avant de donner suite à la sollicitation soit après, sous condition de démontrer l'agissement sous la contrainte. Ceci soulève les mêmes inquiétudes que celles présentées précédemment.

4.2.8. Infraction de corruption active d’agents publics étrangers

L’Article 1 de la Convention de l’OCDE prévoit comme infraction de corruption d’agents publics étrangers « le fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international. » La CNUCC oblige également ses États parties à promulguer une infraction de corruption d’agents publics étrangers et de fonctionnaires d’organisation internationales publiques dans son Article 16. Comme indiqué précédemment, le droit marocain n'incrimine pas la corruption d'agents publics étrangers, ceux-ci n'étant pas prévus explicitement dans le champ d'application de la loi. Un projet de loi visant à introduire une telle incrimination dans le droit pénal marocain a été porté à la connaissance des experts de l'OCDE au moment de la rédaction de ce rapport.

4.2.9. Responsabilité pénale des personnes morales

L’Article 26 de la CNUCC et l’Article 2 de la Convention de l’OCDE oblige les Parties à établir la responsabilité des personnes morales pour les infractions de corruption. Cette responsabilité peut être administrative, civile ou pénale, selon les exigences de chaque système judiciaire national. Elle doit également s’appliquer aux entreprises publiques. Il est également impératif que la responsabilité de la personne morale puisse être engagée sans préjudice à la responsabilité pénale des personnes physiques qui ont commis les infractions. La responsabilité pénale des personnes morales doit aussi être accompagnée de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives de nature pénale ou non pénale, y compris des sanctions pécuniaires.

Bien que la législation pénale marocaine ne prévoie pas suffisamment expressément la responsabilité pénale des personnes morales dans des termes généraux, un certain nombre d’articles du Code pénal – y compris les dispositions incriminant le blanchiment d’argent – prévoient des sanctions pénales et des mesures dissuasives à l’endroit des personnes morales reconnues responsables d’infractions spécifiques. Par conséquent, les autorités marocaines soutiennent que leur droit reconnaît la responsabilité pénale des personnes morales. Au titre de la Convention de l’OCDE, étant donné que le Maroc a établi la responsabilité pénale des personnes morales pour certaines infractions, il doit être en mesure d’établir le même cadre de responsabilité pénale pour les entreprises impliquées dans des affaires de corruption. Il convient de noter que le Maroc a mis en place un casier judiciaire des personnes morales. Les autorités ont indiqué que ce casier est opérationnel.

4.2.10. Compétence

L’Article 42 de la CNUCC et l’Article 4 de la Convention de l’OCDE établissent les standards internationaux pour la compétence dans les affaires de corruption. Il faut ainsi établir la compétence pour les actes de corruption commis (a) en tout ou en partie sur son territoire, et (b) par ses ressortissants, y compris ses entreprises, dans n’importe quel pays. La condition de double incrimination doit être réputée satisfaisante lorsque l’acte est illicite dans le territoire où il est commis, même s’il a une qualification pénale différente dans ce territoire.

Le pouvoir judiciaire marocain a la compétence de poursuivre toute personne qui commet des crimes de corruption sur le sol marocain, et de punir chaque personne marocaine (physique ou morale) qui commit des crimes de corruption en dehors du Royaume. L’article 707 prévoit ce qui suit « Toute action qui, selon la loi marocaine, est équivalent à une infraction, commise en dehors du Royaume du Maroc par un marocain, peut être sujet d’une poursuite ou un procès au Maroc ». Cependant, l’accusé ne peut être poursuivi et jugé que s’il retourne sur le sol marocain, et qu'il n'a pas été prouvé qu’il a été condamné à un jugement à l’étranger, entré en force. Et en cas de condamnation, il doit avoir purgé sa peine. L’article prévoit aussi que : « Toute action qui, selon la loi marocaine, est équivalent à un délit, commis en dehors du Royaume du Maroc par un marocain, est sujet d’une poursuite ou d’un procès au Maroc ».

4.2.11. Indépendance des enquêtes et poursuites

L'Article 5 de la Convention Anti-corruption de l’OCDE exige des Parties à la Convention de s’assurer que « Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger … ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause. ».

Le rôle du Ministère public et les initiatives que la loi lui réserve, à toutes les phases de la procédure, peuvent déterminer l’orientation, le rythme et l’issue d’une affaire. L’article 82 de la Constitution de 1996 et l’article 107 de la Constitution de 2011 prévoient que "Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif". Néanmoins, malgré cette consécration constitutionnelle des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire, plusieurs obstacles, en droit et en pratique, ont longtemps compromis l'indépendance. Notamment, les magistrats du parquet ont été longtemps placés sous l’autorité du Ministre de la Justice et, par conséquent, subordonnés au pouvoir exécutif. Pour remédier à ces manquements, une réforme approfondie du système judicaire a été initiée par les autorités marocaines. La Constitution de juillet 2011 a ouvert la porte à une telle réforme en prévoyant spécifiquement des dispositions pour la promulgation de nouvelles lois organiques relative au statut des magistrats (article 112) et régissant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) (article 116).

Au Maroc, la Constitution de 2011, tout en garantissant l’indépendance des juges sans distinction aucune entre les juges du siège et les juges du parquet, a exclu ces derniers de la protection contre l’inamovibilité. L'article 108 prévoit que, « les magistrats du siège sont inamovibles ». L'article 110 précise que « les magistrats du parquet sont tenus à l’application du droit et doivent se conformer aux instructions écrites émanant de l’autorité hiérarchique ».

Adoptée le 25 juillet 2017 par la Chambre des représentants, la loi sur le transfert des compétences du ministre de la Justice au procureur général du Roi près la Cour de cassation prévoit que le procureur général du Roi près la Cour de cassation remplace le ministre de la Justice dans “ses fonctions de présidence du ministère public et son autorité sur ses magistrats”. De ce fait, le procureur général du Roi est désigné président du parquet, qui comprend les procureurs et les substituts des procureurs du roi. Il a la responsabilité de “veiller et contrôler le ministère public dans l’exercice de ses fonctions relatives à l’action publique (c’est-à-dire d’engager les poursuites judiciaires)”, d’après l’article 2 de ladite loi. Avec le passage du parquet directement sous l’autorité du procureur général, les procureurs du Roi ne sont plus subordonnés au ministre de la Justice dont le travail est contrôlé, en théorie, par le parlement. Le ministre de la Justice ne peut plus enjoindre les procureurs d’engager des poursuites judiciaires. Si les procureurs gardent leurs prérogatives sur l’ouverture d’une instruction judiciaire, le procureur général peut désormais les saisir et les sommer d’engager les poursuites juridiques qui s’imposent en cas de violations constatées. Par cette nouvelle loi, le chef du parquet peut saisir directement une juridiction et soumettre un recours pour vice de procédure constaté au cours d’un procès. Cette option ne relevait pas auparavant des compétences du ministre de la Justice.

La loi donne au parquet général une autonomie financière et la prérogative de recruter les cadres qu’il souhaite. Il est essentiel que, dans cette nouvelle architecture, le parquet dispose de moyens matériels, humains, logistiques et financiers appropriés et que les enquêtes de corruption puissent être conduites dans les faits en toute indépendance et sans influence indue.

Vis-à-vis des juridictions d’instruction et de jugement, le parquet est indépendant en ce sens que celles-ci ne sauraient lui donner des instructions, ni encore moins, lui adresser des injonctions, au contraire ces juridictions ne peuvent pas en principe se saisir d’une affaire, elles doivent attendre les réquisitions du ministère public (exercice de l’action publique). Vis-à-vis ensuite de la victime de l’infraction, le parquet est indépendant car d’une part, il n’est pas tenu d’exercer l’action publique sur simple plainte de la victime et même lorsque celle-ci l’oblige à exercer cette action publique en se constituant partie civile ; le parquet n’est pas tenu de soutenir l’accusation. D’autre part, et sauf exception, le parquet reste libre d’engager des poursuites même en absence de plainte de la victime, tout comme il reste libre de demander la condamnation même en cas de retrait de la plainte par la victime ou de transaction passée entre celle-ci et l’inculpé.

Il est noté qu’un instrument important en droit marocain- la possibilité, pour la ou les victimes d’une infraction pénale, de porter plainte avec constitution de partie civile – peut permettre de contrer une inertie possible du Ministère public qui, informé des faits, ne jugerait pas opportun de poursuivre un délit tel que l’infraction de corruption active d’agents publics. Cette procédure a pour conséquence de priver le procureur de son pouvoir de classer sans suite pour des raisons d’opportunité. Dans le cadre de leur réflexion actuelle sur l’indépendance du Ministère public, les autorités marocaines devraient considérer le maintien de la possibilité de déposer plainte avec constitution de partie civile, y compris dans le cas où l’infraction de corruption d’agents publics étrangers viendrait à être établie.

Quatre divisions spécialisées en crimes financiers ont été établis dans le cadre du respect du Maroc de ses engagements internationaux, notamment la Convention des Nations Unies contre la Corruption, et ce dans le but de pouvoir statuer sur ce genre de questions tout en acquérant la spécialité et le professionnalisme exigé par la nature de ces questions.

4.2.12. Prescription

Le Code de procédure pénale prévoit les règles suivantes en matière de prescription :

  • Article 3 - L'action publique s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose irrévocablement jugée. Elle peut, en outre, s'éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément; il en est de même en cas de retrait de plainte lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite ;

  • Article 4 - Sauf dérogations résultant des lois spéciales, l'action publique se prescrit: En matière criminelle, par vingt années grégoriennes révolues à compter du jour où le crime a été commis; en matière délictuelle, par cinq années grégoriennes révolues à compter du jour où le délit a été commis; en matière de simple police, par deux années grégoriennes révolues à compter du jour où la contravention a été commise ;

  • Article 5 - La prescription de l'action publique est interrompue par tout acte d'instruction ou de poursuite accompli par l'autorité judiciaire ou ordonné par elle. Il en est ainsi, même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite. Un nouveau délai de prescription d'une durée égale à celui fixé à l'article précédent court à compter du dernier interruptif ;

  • Article 6 - La prescription de l'action publique est suspendue au cas d'impossibilité d'agir provenant de la loi elle-même. Du jour où cette impossibilité prend fin, la prescription reprend son cours pour une durée égale à celle qui restait à accomplir lorsque la suspension est intervenue.

Le Code Pénal marocain distingue, selon la gravité des sanctions, 3 grandes catégories d’infractions : les crimes, les délits et les contraventions. Les crimes sont les infractions les plus graves et les peines qui les sanctionnent varient : la dégradation civique, la peine capitale, la réclusion perpétuelle et la réclusion à temps (5 à 30 ans). Les délits sont des infractions de gravité moyenne et ils sont de 2 sortes : (i) les délits correctionnels : ils font appel à des peines d’emprisonnement dont la durée est comprise entre 2 et 5 ans et (ii) délits de police : La peine d’emprisonnement encourue est d’un minimum de 1 mois et d’un maximum égal ou inférieur à 2 ans + amende supérieure à 1200 dirhams.

La corruption active d'agents publics est considérée comme un crime et se prescrit par vingt années grégoriennes révolues à compter du jour où le crime a été commis. De plus, la prescription de l'action publique est interrompue par tout acte d'instruction ou de poursuite accompli par l'autorité judiciaire ou ordonné par elle.

En tant que point de référence, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption a systématiquement considéré que toute période de prescription inférieure à 5 ans était insuffisante pour enquêter et poursuivre des faits de corruptions d’agents publics étrangers.

4.2.13. Techniques d’investigation

Les standards internationaux exigent des « ressources adéquates » de façon à permettre des enquêtes et des poursuites efficaces des faits de corruption ainsi que des techniques d’enquête spéciales (respectivement, Convention de l’OCDE, commentaire 27 et Annexe I à la Recommandation de 2009 ; CNUCC, Article 50). En ce qui concerne les techniques d’enquête, la CNUCC constate l’importance de prévoir la possibilité, pour les autorités compétentes, de recourir à des livraisons surveillées, à la surveillance électronique ou à toutes autres formes de surveillance de même à recourir aux opérations d’infiltration, et à prévoir aussi que les preuves recueillies au moyen de ces techniques soient admissibles devant les tribunaux. Le Groupe de travail exige aussi des efforts de formation afin de développer des expertises adéquates au sein des services compétents.

La constitution marocaine renferme diverses propositions d’ordre procédural, elle proclame des garanties essentielles tel que l’interdiction de toute accusation, de détention, punition, perquisition et vérification non conforme aux conditions et formes prévues par la loi (art 10), tout comme elle proclame l’inviolabilité du domicile (art 10), le secret de la correspondance (art 11) et l’indépendance de la magistrature (art 82). La constitution énonce par ailleurs le principe de l’immunité parlementaire et en précise les limites (art 39), elle institue la Haute Cour et détermine les conditions de mise en accusation des membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions (de l’art 88 à l’art 92).

Le ministère public exerce plusieurs fonctions. Ayant la haute main sur la police judiciaire, le procureur général du Roi et le procureur du Roi assurent la direction et la surveillance de l’activité des membres de la police judiciaire relevant de leur ressort et peuvent à cet effet les requérir et leur donner des instructions concernant la constatation des infractions et la recherche des délinquants. Le magistrat du parquet peut d’ailleurs en sa qualité d’officier supérieure de police judiciaire accomplir lui-même des actes d’enquête et de constatation des infractions et recevoir des plaintes et des dénonciations. Il peut aussi placer sous mandat de dépôt la personne inculpée d’une infraction punissable d’emprisonnement lorsqu’il s’agit d’une infraction flagrante ou si l’inculpé ne présente pas de garanties suffisantes de représentation ou encore s’il est jugé dangereux (art 47 et 74 du Code de Procédure Pénale marocain) ou (art 147).

Les tribunaux de 1ère instance et les Cours d’appel comprennent des juges d’instruction qui sont nommés en cette qualité pour 3 ans renouvelables parmi les magistrats du siège des dites juridictions, et ce par arrêté du ministre de la justice sur proposition, selon les cas du président du tribunal de 1ère instance, ou du président de la Cour d’appel, c'est ce qui ressort de l’article 52 du Code de Procédure Pénale marocain qui précise en outre qu’il peut être mis fin à leurs fonctions de juges d’instruction dans les mêmes formes. L’instruction est obligatoire au Maroc pour les crimes punissables de la peine de mort ou réclusion perpétuelle ou la réclusion temporaire dont la durée maximum est fixée à 30 ans; pour Toute infraction qualifiée crime commise par un mineur et pour les délits au cas où une disposition spéciale le prévoir. L’instruction est facultative pour les autres crimes commis par les délinquants majeurs et pour les délits commis par les mineurs, ainsi que pour les délits punissables d’une peine égale ou supérieure à 5 ans.

Les organes investis d’une mission habituelle de la police judiciaire sont les officiers supérieur de la police judiciaire « OSPJ » (cette catégorie est composé d’organe ayant tous la qualité de magistrat, il s’agit des magistrats du parquet « procureur général du Roi, procureur du Roi, et leurs substituts », et des juges d’instructions) et les officiers de la police judiciaire « OPJ » : ce sont des fonctionnaires qui relèvent statutairement soit du ministère de l’intérieur, soit du département chargé de la défense nationale. Outre qu’elle exécute les délégations des juridictions d’instruction et obéit à leurs réquisitions, la police judiciaire a des attributions générales qui consistent à constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves et à en rechercher les auteurs –art 18- « Article 18 : Elle est chargée suivant les distinctions établies au présent titre de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs ». À cet effet, elle est investie d’une fonction spécifique qui consiste à procéder à des enquêtes soit d’office, soit sur les instructions du parquet. En ce qui concerne la réunion des éléments de preuves et la recherche des auteurs de l’infraction, la tâche de la police judiciaire consiste à rassembler des indices comme des traces ou des empreintes, à recueillir des témoignages, à recevoir des aveux, des dénonciations et des plaintes.

Dans ce même cadre, l'OCDE s'attache également à revoir la capacité institutionnelle des pays à remplir les conditions édictées à l'article 5. De nombreuses recommandations faites aux pays Partie à la Convention de l'OCDE consistent à leur demander de mobiliser les ressources humaines et en formation afin de s'assurer que les principes édictés dans la loi puissent être déployés en des actions répressives efficaces et effectives.

4.2.14. Entraide judiciaire et extradition

Selon le Code de procédure pénale marocain, les traités internationaux priment sur le droit interne pour ce qui est des questions de coopération internationale. Les dispositions générales du Code de procédure pénale marocain (Section III du Livre VII), y compris les dispositions sur l’extradition, s’appliquent aux questions non régies par les traités bilatéraux ou multilatéraux.

La Convention de l'OCDE prévoit que chaque Partie à la Convention accorde, autant que le permettent ses lois et ses instruments internationaux pertinents, une entraide judiciaire prompte et efficace aux autres Parties aux fins des enquêtes et des procédures pénales engagées par une Partie pour les infractions relevant de ladite Convention ainsi qu’aux fins des procédures non pénales relevant de la présente Convention engagées par une Partie contre des personnes morales (article 9). De même, une Partie ne peut refuser d’accorder l’entraide judiciaire en matière pénale en invoquant le secret bancaire.

Les Conventions de l’OCDE et de l’ONU, contre la corruption, spécifient que lorsqu’une Partie subordonne l’entraide judiciaire à une double incrimination, celle-ci est réputée exister si l’infraction, pour laquelle l’entraide est demandée, relève de ces Conventions. Le Maroc devra s’assurer qu’il n’est pas nécessaire de vérifier l’existence de la double incrimination lorsqu’il s’agit de demandes d’entraide émanant d’autres Parties à ces deux Conventions.

Entraide judiciaire

Il n’existe pas, dans la législation marocaine, de texte juridique spécifique distinct sur l’entraide judiciaire. La question est réglementée par le Code pénal et le Code de procédure pénale marocains. Dans ce domaine, une série d’accords bilatéraux ont également été conclus par le Maroc, dont les traités avec l’Espagne, les États-Unis d’Amérique, les Pays-Bas, le Portugal et la Turquie. De tels traités existent aussi avec des pays du monde arable (Algérie et Tunisie) et un pays africain (Côte d'Ivoire). Ces accords portent sur différents aspects de la coopération judiciaire internationale et ne se limitent pas à un domaine particulier. L'on peut noter avec satisfaction le nombre important de traités signés par le Maroc dans le domaine de l’entraide judiciaire et encourager le Maroc à conclure d'autres accords similaires avec d’autres États afin de promouvoir davantage la coopération. Le Maroc est par ailleurs signataire de la Convention d'Entraide judiciaire et d'extradition contre le terrorisme des Nations Unies.

L’autorité centrale désignée par le Royaume du Maroc pour recevoir les demandes d’entraide judiciaire est le Ministère de la justice. Selon le droit marocain, les demandes d’entraide judiciaire doivent être adressées par la voie diplomatique. Cependant, selon certains accords bilatéraux comme celui conclu avec le Portugal, la demande peut être adressée directement aux autorités centrales. En outre, le Maroc accepte qu’en cas d’urgence les demandes soient adressées par l’intermédiaire d’INTERPOL. En ce qui concerne la langue à utiliser, le Maroc a indiqué qu’en règle générale, une traduction des demandes d’entraide judiciaire en arabe, langue officielle du Maroc, était exigée.

Les autorités marocaines indiquent ne pas recevoir souvent de demandes d’entraide judiciaire concernant des infractions liées à la corruption. Toute une série de fins auxquelles l’entraide judiciaire peut être demandée est prévue dans la législation nationale marocaine et dans les traités bilatéraux applicables. Il n'est pas certain que la demande d’entraide judiciaire aux fins de recouvrement d’avoirs soit couverte de manière adéquate.

Le Maroc indique ne pas invoquer le secret bancaire pour refuser l’entraide judiciaire. Ce principe énoncé expressément dans les traités bilatéraux applicables est aussi respecté dans la pratique par les autorités judiciaires marocaines, qui répondent aux demandes de divulgation de documents bancaires tant que ces demandes entrent dans le cadre d’enquêtes judiciaires.

La législation marocaine prévoit une série de motifs de refus d'octroi de l'entraide: les demandes d’entraide judiciaire ne sont pas exécutées si elles ne relèvent pas de la compétence des autorités judiciaires marocaines, ou si leur exécution devrait compromettre la souveraineté, la sécurité, l’ordre public ou d’autres intérêts fondamentaux du Royaume du Maroc. Les autorités indiquent que l’État requérant est toujours informé du refus de la demande et des raisons ayant motivé ce refus.

Extradition

Au Maroc, les règles sur les conditions et les procédures en matière d’extradition figurent dans un chapitre du Code de procédure pénale. Le Maroc a conclu un certain nombre de traités bilatéraux sur l’extradition, mais ne subordonne pas cette dernière à l’existence d’un traité. En l’absence d’un traité applicable, l’extradition peut être accordée sur la base des dispositions du Code de procédure pénale.

Les ressortissants marocains ne peuvent pas être extradés, mais ils peuvent être poursuivis au Maroc pour des infractions commises à l’étranger si un pays étranger le demande officiellement aux autorités marocaines (aut dedere aut judicare; extrader ou poursuivre). Dans un contexte identique, les autorités marocaines n’envisageraient pas l’exécution d’une peine prononcée par une autorité étrangère à l’encontre d’un citoyen marocain.

Le Maroc exige le respect du principe de la double incrimination dans tous les cas, puisque l’extradition ne sera pas accordée si l’acte n’est pas punissable en vertu du droit marocain. En raison d’un strict respect du principe de la double incrimination, le Maroc ne peut accorder de façon discrétionnaire l’extradition d’une personne pour l’une quelconque des infractions visées par la Convention de l'OCDE qui ne sont pas punissables en vertu de son droit interne.

L’infraction pour laquelle l’extradition est demandée doit être sanctionnée dans l’État requérant d’une peine maximum d’un an d’emprisonnement. Le droit marocain prévoit la possibilité de mettre la personne concernée en détention. L’extradition n’est accordée que si la personne extradée n’est pas poursuivie, jugée, arrêtée ou soumise à toute autre mesure restrictive de liberté pour tout acte commis avant la date de l’extradition, sauf l’acte pour lequel l’extradition est demandée. De plus, selon le droit marocain, l’extradition n’est pas accordée si l’acte pour lequel elle est demandée est considéré comme une infraction politique ou en rapport avec une infraction politique.

Plan d’action et identification des réformes prioritaires

Recommandations

Infraction de corruption active d’agents publics

Le Maroc pourrait envisager une réforme législative dont les éléments suivants pourraient être considérés:

  • Définition d’agent public: (i) clarifier par tout moyen approprié que toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire ; nommée ou élue ; et quel que soit son niveau hiérarchique a le statut de ‘fonctionnaire public’ au titre de l’article 224 du Code pénal; (ii) couvrir de manière explicite toute autre personne qui exerce une fonction publique pour une entreprise publique.

  • Offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre par des intermédiaires: couvrir expressément les promesses, offres ou accords faits indirectement au corrompu.

  • ‘à son profit ou au profit d’un tiers’: incriminer l'offre, la promesse et le don qui ont pour objet de bénéficier à un tiers et non exclusivement au corrupteur ayant statut de fonctionnaire public.

  • ‘pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles’: clairement incriminer toute utilisation qui est faite de par la position officielle de l’agent public, que cette utilisation relève ou non des compétences conférées à cet agent.

Sanctions applicables à l'infraction de corruption active d’agents publics

Dans ce domaine également, une réforme de la législation en place pourrait être envisagée comme suit :

  • Sanctions pécuniaires: augmenter le niveau des sanctions pécuniaires pour l’infraction de corruption d’agents publics afin de s'assurer de leur caractère efficace, proportionné et dissuasif.

  • Sanctions complémentaires: envisager l’application de sanctions complémentaires civiles ou administratives à toute personne, physique ou morale, soumise à des sanctions pour corruption d’un agent public.

  • Saisie et confiscation: permettre de saisir et confisquer l’instrument et les produits de la corruption d’agent public ou les avoirs d’une valeur équivalente.

Infraction de corruption d’agents publics étrangers

  • Établir une infraction de corruption d’agents publics étrangers conformément à l’Article 1 de la Convention de l’OCDE.

  • Exclure la possibilité d’invoquer le moyen de défense basé sur le « repentir réel » de l’article 256-1 du Code pénal dans les affaires de corruption d'agents publics étrangers.

Responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions de corruption

  • Établir sans ambiguïté la responsabilité pénale des personnes morales, en incluant les entreprises publiques, pour les infractions de corruption.

  • Mettre en place des garanties afin de s'assurer que cette responsabilité est indépendante de la responsabilité pénale des personnes physiques qui ont commis les infractions.

  • Adopter à l'encontre des personnes morales un régime de sanctions qui soient efficaces, proportionnées et dissuasives.

Compétence pour poursuivre les infractions de corruption

  • Il s'agit d'un domaine qui demande d'être acté clairement dans l'arsenal législatif afin de s'assurer que la volonté de poursuivre les actes délictuels des entreprises peut être suivie d'effet en pratique. Le Maroc peut confirmer la compétence des autorités de poursuite marocaines pour la poursuite des entreprises marocaines lorsqu’elles commettent les infractions à l’étranger, et confirmer la compétence territoriale lorsque l’infraction est commise en tout ou en partie sur le territoire marocain.

Indépendance des enquêtes et poursuites

  • S’assurer dans les faits de l'indépendance du Ministère public dans la conduite des affaires de corruption en accord avec les standards internationaux et principes du droit marocain.

Période de prescription pour des affaires de corruption

  • S'assurer que la période de prescription qui s’applique à l’infraction de corruption d’agents publics est conforme aux standards internationaux tels que prévus à la CNUCC et à la Convention de l’OCDE.

Plan d’action

Axes de réformes

Soutien potentiel de l’OCDE

- Réforme/clarification du droit pénal dans les domaines suivants: (i) définition d’agent public; (ii) responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions de corruption; (iii) sanctions pour l’infraction de corruption d’agents publics; (iv) compétence pour poursuivre les infractions de corruption; (v) indépendance des enquêtes et poursuites; (vi) période de prescription pour des affaires de corruption et (vii) coopération internationale

- Accompagnement des réformes du droit pénal, y compris la mise à disposition de l'expertise en matière de rédaction législative;

- Actions de formations et de sensibilisation sous des formes variées (ateliers, participation à des sessions de formation internationales, etc.)

- Réforme du droit pénal – infraction de corruption d’agents publics étrangers

- Accompagnement de la réforme en cours visant à introduire dans le droit marocain une infraction de corruption transnationale. Cet accompagnement peut prendre notamment la forme d'une mise à disposition de l'expertise en matière de rédaction législative, y compris une revue dans le détail du projet de loi en cours de discussion.

- Organisation de sessions de discussion avec les parlementaires ou toute autre instance appropriée visant à sensibiliser et expliquer la norme internationale.

- Actions de formations et de sensibilisation sous des formes variées (ateliers, participation à des sessions de formation internationales, etc.)

Références

OCDE (2014), Rapport de l'OCDE sur la corruption transnationale - Une analyse de l'infraction de corruption d'agents publics étrangers (http://www.oecd.org/fr/daf/rapport-de-l-ocde-sur-la-corruption-transnationale-9789264226623-fr.htm).

OCDE (1997), Texte officiel de la Convention anti-corruption de l'OCDE et les commentaires relatifs, la Recommandation de 2009 visant à renforcer la lutte contre la corruption, la Recommandation de 2009 sur les mesures fiscales visant à renforcer la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et documents connexes, http://www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/conventionsurlaluttecontrelacorruptiondagentspublicsetrangersdanslestransactionscommercialesinternationales.htm.

OCDE (s.d.), Le Groupe de travail sur la corruption dans le cadre des transactions commerciales internationales de l’OCDE: information sur son rôle dans le suivi de la mise en œuvre et de l’application de la Convention de l’OCDE sur la corruption (http://www.oecd.org/fr/corruption/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/legroupedetravaildelocdesurlacorruption.htm), consulté le 12 avril 2018.

OCDE (s.d.), Rapports par pays sur la mise en œuvre de la Convention anticorruption de l’OCDE, site Internet de l’OCDE (http://www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/rapportsparpayssurlamiseenoeuvredelaconventiondeluttecontrelacorruptiondelocde.htm, consulté le 12 avril 2018.

Notes

← 1. Il convient de noter qu'en matière de corruption passive, l'article 248 du code pénal est plus explicite en ceci qu'il vise le fait de « solliciter ou agréer des offres ou promesses, solliciter ou recevoir des dons, présents ou autres avantages, soit directement ou indirectement, au profit du fonctionnaire lui-même ou au profit d’autre […] ».

← 2. Il convient de noter qu'en matière de corruption passive, l'article 248 du code pénal est plus explicite en ceci qu'il vise le fait de « faire toute action même en dehors de ses mandats personnels, sa fonction étant facile à exercer ou pouvant être facile à exercer ».

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