De l’importance de l'approche fondée sur la Cohérence des politiques pour la mise en œuvre des Objectifs de développement durable

Dohlman Ebba
Conseillère principale, La cohérence des politiques au service du développement, OCDE

Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et le Programme d’action d’Addis Abeba appellent les pays « à assurer la cohérence des politiques et à créer des conditions favorables à la mise en œuvre du développement durable à tous les niveaux ». L’Objectif de développement durable 17 – sur les moyens à mobiliser à cette fin – comprend une cible visant à « renforcer la cohérence des politiques de développement durable ». Selon l’OCDE, la Cohérence des politiques au service du développement durable (CPDD) est une approche et un instrument d’action visant à intégrer les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable, de même que la dimension intéressant la gouvernance, à tous les stades de la prise de décision à l’échelon national et international. La CPDD vise à accroître la capacité des gouvernements à favoriser les synergies entre les domaines économique, social et environnemental de l’action publique, à identifier les arbitrages et à se préoccuper des éventuelles retombées des politiques nationales.

La Cohérence des politiques au service du développement durable est essentielle si l'on veut s'assurer que les progrès accomplis au regard d’un ODD donné contribuent à l'obtention d'avancées dans les domaines couverts par d’autres objectifs, et éviter que les progrès concernant un objectif soient obtenus aux dépens de la réalisation d’un autre. La CPDD est fondamentale si l'on veut :

  • Prendre en compte les coûts économiques, sociaux et environnementaux et les conséquences inattendues des décisions prises par les pouvoirs publics. Par exemple, le soutien annuel apporté aux combustibles fossiles par les pays de l’OCDE (entre 55 et 90 milliards USD par an) encourage le recours aux énergies fossiles émettrices de CO2 au lieu de promouvoir l’investissement dans les énergies renouvelables ; contribue au changement climatique ; aggrave la pollution et les risques pour la santé et revient à gaspiller des fonds qui pourraient être affectés à des dépenses davantage ciblées sur les populations pauvres tout en concourant à la réalisation des objectifs climatiques à l’échelle mondiale.

  • Déterminer comment utiliser efficacement diverses sources de financement autres que l’APD. Si l’APD continue de jouer un rôle essentiel pour les pays les moins avancés et les populations les plus vulnérables, elle ne représente plus aujourd’hui que 20 % de l’engagement financier du monde développé auprès des pays en développement. La CPDD peut contribuer à une meilleure utilisation des ressources existantes, notamment en promouvant des administrations fiscales plus efficaces et des recettes fiscales plus élevées , en facilitant les envois de fonds, en favorisant le commerce et l’investissement , l'accès direct aux marchés de capitaux et les prêts à faible taux d’intérêt, et en luttant contre les flux financiers illicites.

  • Éclairer les interactions sectorielles majeures à prendre en compte pour atteindre les ODD et leurs cibles. La CPDD peut aider à comprendre comment les efforts entrepris pour atteindre un objectif donné dans un secteur déterminé pourraient affecter (ou être affectés) par les actions menées dans un autre secteur; prenons par exemple les interactions entre l’eau (ODD 6), l’alimentation (ODD 2) et l’énergie (ODD 7). L’agriculture est le secteur qui consomme le plus d’eau à l’échelle mondiale ; il faut de l’énergie pour produire et distribuer l’eau et les denrées alimentaires, et la chaîne de production et de distribution des produits alimentaires représente presque un tiers du total de la consommation énergétique mondiale. Les décisions prises par les pouvoirs publics dans un de ces secteurs peuvent avoir des effets non négligeables sur chacun des deux autres et des tensions peuvent naître des arbitrages réels ou supposés entre différents objectifs. L’amélioration des services dans les secteurs de l’eau et de l’énergie réduit la charge qui pèse sur les femmes et les jeunes filles qui souvent passent plusieurs heures par jour à aller chercher de l’eau et des combustibles à base de biomasse pour la cuisson des aliments, et leur permet de participer à des activités éducatives ou génératrices de revenus grâce au temps ainsi libéré. L'approvisionnement en eau propre et les services énergétiques améliorent aussi la situation sanitaire, l’activité desmicroentreprises et la productivité agricole des femmes, stimulant ainsi le développement économique national global.

  • S’attaquer aux conditions systémiques et aux facteurs qui entravent le développement durable. Les flux financiers illicites par exemple sont un obstacle majeur au développement durable. Ils sont le symptôme de la défaillance de la gouvernance, de la faiblesse des institutions et de la corruption dans de nombreux pays d’origine mais aussi des conditions systémiques présentes dans les pays bénéficiaires qui permettent aux flux financiers illicites de prospérer, les paradis fiscaux par exemple. L’adoption d’une approche fondée sur la CPDD peut éclairer l'élaboration de mesures à l’échelon international pour favoriser l’avènement d’un système fiscal plus équitable et plus transparent au niveau mondial et faire obstacle aux stratégies visant à échapper à l’impôt en mettant indûment à profit, dans la plupart des cas sans contrevenir à la législation, les décalages entre les règles fiscales de différents pays. Au niveau national, la réussite va dépendre de la qualité des réglementations et des institutions et de la capacité du pays à identifier, suivre et combattre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption.

Englobant de multiples secteurs et porteur de transformations, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 nécessite des institutions en mesure d’opérer dans plusieurs domaines d’action (cohérence horizontale) et à plusieurs niveaux de gouvernance allant du local au mondial (cohérence verticale). Il appelle à adopter des mesures qui prennent systématiquement en compte les interconnexions sectorielles (potentiel de synergie et d’arbitrage) et les effets (ici et maintenant, ailleurs, et plus tard). Le cadre analytique de l’OCDE peut contribuer à éclairer la prise de décision et aider les responsables de l'action publique et les parties prenantes à élaborer des politiques qui prennent systématiquement en considération les points suivants :

  • Les rôles et responsabilités des différents acteurs ainsi que les diverses sources de financement (publiques ou privées, nationales ou internationales) nécessaires pour l’obtention de résultats en matière de développement durable.

  • L'interdépendance des politiques économiques, sociales et environnementales, nécessitant de mettre en évidence les synergies, les contradictions et les arbitrages à opérer, ainsi que les interactions entre les pratiques nationales et internationales.

  • Les facteurs contextuels, c’est-à-dire les leviers et les freins du développement durable (facteurs susceptibles de le favoriser ou au contraire de l'entraver) aux niveaux mondial, national, local et régional.

  • Les effets des politiques publiques « ici et maintenant », « ailleurs » et « plus tard ». Ils permettent de saisir en quoi la recherche du bien-être aujourd’hui dans un pays donné peut influer sur le bien-être dans d’autres pays ou le bien-être des générations futures (c’est l’impact à long terme des politiques aux niveaux national et mondial).

Compte tenu de tous ces éléments, l’OCDE est en train d'élabore un Cadre CPDD, outil d’autoévaluation qui vise à donner aux décideurs des orientations pratiques pour : mettre en place des dispositifs institutionnels à l’appui de la cohérence, notamment l’engagement et l’impulsion politiques, les capacités de coordination et les systèmes de suivi; gérer les interactions entre les politiques à différents niveaux de manière à déceler et résoudre les antagonismes ; analyser les facteurs contextuels qui favorisent ou qui entravent la cohérence des politiques au service du développement durable et anticiper les conséquences non voulues des décisions. Il comporte des modules thématiques sur la sécurité alimentaire, les flux financiers illicites et la croissance verte.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2mg.

Travaux de l’OCDE sur la cohérence des politiques au service du développement : www.oecd.org/Pcd/.