Mesurer le bien-être multidimensionnel et le développement durable

Durand Martine
Chef statisticienne de l'OCDE et Directrice de la Direction des statistiques, et Simon Scott, Chef de la Division des statistiques et du suivi, Direction des statistiques de l'OCDE

Compte tenu du caractère profondément multidimensionnel du concept de développement durable, il est indispensable, pour évaluer les progrès accomplis dans ce domaine, de s’appuyer sur des mesures multidimensionnelles du bien-être. La quantité et la diversité des nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) témoignent des multiples facettes du développement (santé, travail décent, climat, etc.), qu’il est indispensable de prendre en compte dans la réflexion sur les politiques à suivre afin de faire avancer la situation à tous les niveaux.

L'OCDE a pris acte de longue date du caractère multidimensionnel du bien-être et des ressources nécessaires pour le préserver à long terme. Conscients que les indicateurs de la production totale ne sont pas adaptés pour évaluer le progrès dans toute sa complexité, nous sommes à la recherche de nouvelles mesures pertinentes du bien-être et de la prospérité, et nous œuvrons à l’élaboration de politiques publiques propres à améliorer durablement la vie de tous.

Ces dernières années, ces efforts se sont intensifiés et ont bénéficié d’un nouvel élan, l’accélération de la croissance économique ne s’étant pas accompagnée d’une amélioration du bien-être, ce qui a favorisé l’exclusion sociale et accentué les inégalités. Le décalage grandissant entre la santé des économies, telle que mesurée par le taux de croissance du PIB, et le vécu et la satisfaction des personnes à l’égard de leur existence a conduit à fixer de nouveaux objectifs en termes de mesure et d’action publique, afin de définir des indicateurs du bien-être permettant d’évaluer l’évolution de nos sociétés et son rythme.

L’OCDE joue un rôle de premier plan dans ce domaine, par le biais notamment de son cadre multidimensionnel du bien-être qui permet à la fois de déterminer si les conditions de vie des individus s’améliorent et d’étayer les actions menées par les pouvoirs publics dans ce sens. Ce cadre vise également à évaluer la pérennité de ces progrès et à recenser les domaines où les pouvoirs publics et les acteurs privés doivent investir pour améliorer le bien-être, aujourd’hui et demain. 

L'OCDE a lancé l’Initiative du vivre mieux en 2011 pour évaluer les progrès accomplis au regard de 11 dimensions du bien-être : état de santé, équilibre travail-vie privée, éducation et compétences, liens sociaux, engagement civique et gouvernance, qualité de l’environnement, sécurité des personnes, revenu et patrimoine, emploi et salaires, logement et bien-être subjectif. Ces onze dimensions sont considérées comme universelles, au sens où elles s’appliquent à toutes les sociétés à travers le monde, quel que soit leur niveau de développement socioéconomique et humain. Le cadre de l'OCDE met l’accent sur le vécu des personnes, tient compte de la distribution, englobe des indicateurs objectifs et subjectifs, et se concentre sur les résultats et non sur les ressources.

Le cadre prend également en compte les ressources nécessaires au bien-être futur, ce qui permet de se situer dans une perspective de durabilité. L’approche retenue par l'OCDE est plus particulièrement axée sur les systèmes naturels, économiques, humains et sociaux plus vastes qui sous-tendent le bien-être individuel à long terme. L’accent mis sur les stocks de « capital » ou de ressources s’inscrit dans la ligne des recommandations formulées dans le rapport de Stiglitz, Sen et Fitoussi (2009) et d’autres initiatives récentes qui établissent une distinction entre le bien-être actuel et les stocks de ressources susceptibles d’influer sur le bien-être des générations futures. Plusieurs de ces initiatives vont au-delà de la simple mesure des stocks de ressources afin d’examiner comment ces derniers sont gérés, préservés ou mis en péril. En tenant compte des difficultés posées par la préservation durable du bien-être et des responsabilités qui doivent être partagées à cet égard à l’échelle de la planète, ces initiatives montrent aussi comment les mesures adoptées dans un pays peuvent avoir des répercussions sur le bien-être des habitants d’un autre pays.

Il existe une forte concordance entre le cadre du bien-être de l'OCDE et les ODD, non seulement sur un plan général (accent sur le vécu des individus, pluridimensionnalité, analyses de la situation actuelle et future, prise en compte des retombées à l’échelle internationale) mais aussi au regard de leurs dimensions spécifiques.

Compte tenu de ces liens étroits, les travaux de l'OCDE sur le bien-être peuvent être particulièrement utiles aux pays pour atteindre leurs Objectifs de développement durable.

Du point de vue de la mesure, le cadre et les indicateurs de l'OCDE peuvent déterminer avec précision les ensembles de données permettant de suivre les progrès accomplis au regard des ODD au niveau national et régional dans les pays de l'OCDE, notamment lorsque les indicateurs officiels relatifs aux ODD sont davantage applicables à la situation des économies émergentes et en développement et/ou au suivi à l’échelle mondiale.

Du point de vue de l’action publique, le cadre de l'OCDE couvre plusieurs domaines ayant trait aux ODD dans lesquels l'OCDE se distingue par la somme des connaissances qu’elle a accumulées et des outils qu’elle a développés (santé, éducation, environnement, emploi, etc.).

Du point de vue de la cohérence, le cadre de l'OCDE repose sur le principe selon lequel de nombreuses dimensions du bien-être sont interdépendantes et doivent donc être examinées ensemble et non séparément. C’est déjà cette démarche qui a présidé à l’élaboration du cadre d’action de l'OCDE pour une croissance inclusive, qui vise à recenser les liens entre les différentes politiques publiques.

Pour que le concept de bien-être soit davantage utilisé aux fins d’actions concrètes, des travaux sont actuellement menés pour étudier ses déterminants, à savoir les politiques publiques et les caractéristiques individuelles et sociales qui influent sur chacun des résultats considérés. Par ailleurs, pour aider les décideurs à mieux appréhender les arbitrages à opérer entre les politiques publiques et à trouver des solutions pour améliorer à la fois le niveau du bien-être et sa distribution, l'OCDE a développé de nouvelles mesures du « niveau de vie multidimensionnel » qui s’appuient sur la pluridimensionnalité du cadre de l’Initiative du vivre mieux pour mettre l’accent sur la répartition des dimensions monétaires et non monétaires du bien-être.

L’avantage d’une telle approche est qu’elle établit un lien direct avec les principales politiques structurelles et leurs conséquences sur différentes tranches de revenus, ce qui permet d’estimer les effets des trains de mesures dont l’incidence réelle sur le bien-être des différentes catégories de population est ambiguë. Par exemple, des politiques plus strictes en matière d’atténuation du changement climatique et l’extension de la couverture maladie via une hausse des impôts peuvent améliorer les résultats des ménages sur le plan de la santé tout en réduisant leur revenu, les effets nets en termes de bien-être dépendant de l’élasticité relative du revenu et de la santé par rapport à ces réformes. L’OCDE a lancé des travaux visant à quantifier ces effets, de manière à pouvoir analyser les résultats nets à travers le prisme des indicateurs du niveau de vie multidimensionnel. Il s’agit d’une méthode flexible qui peut être facilement adaptée au cadre des ODD. Elle permet de définir les moyens d’action les plus performants pour atteindre plusieurs objectifs à la fois – un défi crucial lié au caractère multidimensionnel des ODD.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2m0.

Initiative du vivre mieux de l'OCDE : www.oecd.org/fr/statistiques/initiative-vivre-mieux.htm.

Travaux statistiques de l'OCDE : www.oecd.org/fr/std/.