La cohérence des politiques servie par de nouvelles données, de nouvelles études, de nouvelles mentalités

Mann Catherine L
Chef économiste et Chef du Département des Affaires économiques de l’OCDE

La performance économique mondiale récente – caractérisée par une croissance atone, un creusement des inégalités, une fragilité environnementale et une instabilité des marchés – vient crûment nous rappeler la multitude de défis auxquels doivent faire face les responsables de l’action publique. Dans quelle mesure la compréhension et la quantification des interrelations entre les politiques publiques peuvent-elles aider à concevoir des dispositifs propres à améliorer la performance ?

De nouvelles analyses réalisées à l’OCDE, s’appuyant sur de nouvelles données, de nouvelles méthodes et une nouvelle approche conceptuelle, mettent en relief l’importance de la cohérence des politiques. L’essence de la cohérence des politiques est de poser la question : dans quelle mesure l’interaction des politiques – axées sur la gestion de la demande, la structure des marchés, la durabilité environnementale et l’innovation à la frontière – permet-elle d’améliorer le bien-être global des citoyens d’un pays et, dans une plus large perspective encore, quelles en sont les retombées sur le reste du monde ? Dans quelle mesure une approche au coup par coup, au lieu d’une évaluation intégrée des politiques, nous entraîne-t-elle à la dérive ?

La logique de la cohérence des politiques semble évidente. Cela étant, il est dans la nature des gouvernements, du monde universitaire, des groupes de réflexion ou des organisations internationales d’analyser les politiques économiques en les enfermant dans leur sphère de spécialité – l’emploi, l’environnement, la concurrence, la finance, la politique budgétaire, par exemple – car l’analyse s’en trouve simplifiée et que les possibilités de négociation stratégique sont limitées. L’OCDE n’est pas épargnée par cette tendance à la compartimentation. Les Nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC) ont ouvert la voie à une tournure d’esprit qui envisage les problèmes économiques sous un nouvel angle, selon lequel la cohérence dans la recherche, au-delà des compartiments étanches propres aux différentes sphères d’action, est nécessaire pour produire des données concrètes qui aboutissent à des « politiques meilleures pour une vie meilleure ».

La recherche sur la productivité est un exemple qui illustre comment les nouvelles données et l’évolution des mentalités peuvent promouvoir la cohérence des politiques. L’approche classique de l’élaboration des politiques (et de la recherche qui la sous-tend) était plus particulièrement axée sur les moyens d’agrandir le gâteau (par des mesures favorables à la croissance de la productivité comme les dépenses de R-D) isolément des politiques de redistribution de ce gâteau (par le biais des impôts et transferts ou par l’amélioration des compétences). Cela tient en partie au fait que les ensembles de données issues des études visant à approfondir ces sujets étaient distincts les uns des autres, tout comme les intérêts des chercheurs étaient différents. Par ailleurs, l’analyse des politiques était elle aussi fragmentée, car les responsables de l’action publique chargés de la mise en œuvre des politiques avaient des mandats distincts. Quoi qu’il en soit, il n’existait pas de données détaillées sur les entreprises et les travailleurs, et la formulation des politiques devait s’appuyer sur les relations entre l’entreprise moyenne, le travailleur moyen, l’économie moyenne et le résultat obtenu moyen.

L’approche NAEC de la recherche sur la productivité évalue les politiques propres à faire gonfler le gâteau et en même temps à étendre sa distribution. Les études montrent que c’est le même type de politiques (facilité d’entrée et de sortie, flexibilité des marchés du travail, solidité des établissements financiers, par exemple) qui freinent la croissance de la productivité, qui nuisent à l’adéquation des compétences aux besoins des entreprises, avec des conséquences négatives secondaires sur la redistribution du revenu et son expansion. Ces travaux mettent en évidence des boucles de rétroaction négative qui n’avaient pas été observées auparavant, d’où la nécessité de nouvelles recommandations sur les politiques à suivre. Nous sommes capables aujourd’hui d’établir ce lien entre croissance de la productivité et distribution du revenu car nos ensembles de données sont suffisamment granulaires et peuvent être mis en correspondance de différents objectifs, les intérêts des chercheurs se sont alignés, et l’importance de la cohérence des politiques est mieux appréciée par les responsables de l’action publique.

Le même type de politiques a une incidence sur la croissance de la productivité et la distribution du revenu, mais la configuration des choix de politique publique est spécifique à chaque pays, et les défis auxquels ils sont confrontés leur sont donc propres. L’un des principaux enseignements issus de l’approche NAEC est qu’il faut promouvoir la cohérence des politiques entre les mesures structurelles, mais aussi entre les mesures de gestion de la demande. La première génération d’analyses des politiques structurelles portait généralement sur les implications des politiques du marché du travail favorables à la flexibilité sur la croissance du PIB indépendamment des mesures destinées à promouvoir la concurrence sur les marchés des produits, sans qu’il soit fait véritablement référence à la situation de la demande globale et aux mesures de gestion de la demande, par les dépenses budgétaires ou l’expansion monétaire, par exemple. Les déficiences structurelles potentielles sur les marchés des capitaux n’étaient pas prises en considération.

Cette approche au cas par cas de l’évaluation des politiques peut être source de conclusions erronées quant à la façon dont les politiques risquent d’influer sur la performance économique. À titre d’exemple, une plus grande flexibilité sur les marchés du travail associée à des marchés de produits peu ouverts à la concurrence ou sur lesquels la demande est faible font peser le poids de l’ajustement sur les individus, ce qui aggrave les inégalités. D’un autre côté, une vive concurrence entre les entreprises dans un contexte où la rigidité du marché du travail prive les entreprises compétitives des ressources nécessaires à leur croissance, et nuisent à la productivité. Troisième exemple, les systèmes bancaires qui renouvellent constamment des prêts à des entreprises peu performantes freinent la croissance de la productivité globale et piègent la main-d'œuvre, ce qui accentue les inégalités. La nouvelle démarche tient compte de la complexité des interactions entre les politiques. Des évaluations intégrées des politiques qui prennent en considération les caractéristiques spécifiques de chaque pays aident à quantifier comment les réformes peuvent, ensemble, entraîner une amélioration de la croissance de la productivité et renforcer la distribution du revenu. L’évaluation intégrée des politiques aide les responsables de l’action publique à adapter leur approche afin d’améliorer la performance économiqueet de réagir aux chocs.

Nous disposons des outils permettant de quantifier les mesures structurelles et leur impact sur les entreprises et les individus de façon cohérente, y compris dans les phases ascendante et descendante du cycle économique. Nous avons une compréhension de la meilleure façon de déployer les différents types d’instruments budgétaires pour assurer une croissance inclusive. Notre vision de la cohérence des politiques n’en est pas pour autant complète, car deux dimensions fondamentales sont absentes : les retombées macroéconomiques ainsi que les micro-comportements et l’attitude vis-à-vis du changement.

S’agissant de notre compréhension et de la quantification des retombées, il nous reste à mieux connaître les interactions commerciales et financières ainsi que le socle empirique pour appréhender pleinement et mesurer de quelle manière les retombées d’un pays sur un autre peuvent faire obstacle à la réalisation d’objectifs d’amélioration de la productivité et de croissance inclusive et durable. Ces données et ces outils existent et l’OCDE les inclut actuellement dans son évaluation intégrée des politiques à l’intention des économies concernées.

En ce qui concerne notre compréhension des micro-comportements et de l’attitude vis-à-vis du changement, il reste beaucoup plus à faire, et ce sont des travaux essentiels à notre compréhension de l’économie politique de la réforme. La difficulté réside dans le fait qu’une amélioration de la croissance de la productivité ne peut advenir que moyennant la réaffectation des entreprises et des travailleurs, et que la crainte qu’inspire cette dynamique peut contraindre l’action des responsables publics. Un environnement dynamique peut enlever aux entreprises protégées des rentes économiques et exposer les travailleurs et les ménages à des changements d’emploi et à une instabilité des revenus. Avec l’accélération des avancées technologiques, l’impératif de dynamisme s’accentue pour l’économie. Si les individus n’ont pas les moyens de s’adapter, la conséquence en est une stase des politiques en lieu et place de réformes, ou une situation qui s’en trouve dégradée, au lieu d’être améliorée.

Les études qui examinent le comportement des individus commence à apporter des éclairages quant aux mesures qui peuvent le mieux les aider à s’accommoder au changement, mais il faut faire davantage. Une réaffectation des ressources plus rapide et plus efficiente peut aider les économies à se redresser plus vite après des chocs, ce qui contribue à réduire les inégalités, à améliorer la croissance de la productivité et à relever le niveau de vie.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : https://wp.me/p2v6oD-2lN.

Projet de l’OCDE sur les Nouvelles approches face aux défis économiques : www.oecd.org/fr/naec/.

Travaux de l’OCDE sur les Objectifs de développement durable : www.oecd.org/fr/cad/objectifs-developpement-durable.htm.