Les Objectifs de développement durable, un devoir et une chance

Ramos Gabriela
Directrice du Cabinet de l’OCDE et Sherpa pour le G20

Les Objectifs de développement durable (ODD) ont un caractère universel et multidimensionnel, et ils sont ambitieux. Pour pouvoir les atteindre, il est nécessaire de disposer d’un cadre intégré qui permette d’établir une trajectoire de croissance respectueuse de l’environnement, dont les effets bénéfiques profitent à tous, et pas seulement à une poignée de privilégiés. Le concept de développement durable nous commande de reconsidérer notre relation à ce qui nous entoure et de réfléchir à la façon dont les pouvoirs publics devraient procéder pour définir des politiques propres à donner corps à cette vision du monde.

Tout d’abord, force est de constater que la croissance économique seule ne suffit pas : il existe des liens étroits entre les dimensions économique, sociale et environnementale de toute action. Les appréhender chacune séparément engendre des erreurs de jugement et ne permet d’obtenir que des résultats éphémères. L’analyse causale de la croissance sur laquelle nous nous sommes appuyés n’a pas répondu aux attentes, faute d’avoir alerté sur l’accumulation de déséquilibres qui a provoqué la crise de 2008, la plus grave que nous ayons jamais connue, et sur l’appauvrissement des ressources naturelles et l’existence de fortes inégalités entre les personnes quant à leur revenu et à leur devenir.

Ensuite, le caractère interdépendant des diverses dimensions du développement durable demande que soient dépassées les frontières géographiques ou institutionnelles pour pouvoir coordonner les stratégies et prendre de bonnes décisions. Il est rarement possible de confiner les problèmes à l’intérieur de limites préétablies, comme celles du champ de compétence d’un organisme public donné ou d’une division administrative urbaine particulière, et la recherche de solutions intelligentes exige une coopération qui s’inscrive dans le processus de décision. Lors de la définition des choix stratégiques, il importe de garder à l’esprit le fait que ces choix et les actions qui en découleront auront des répercussions ailleurs, influeront sur l’avenir et seront nécessairement tributaires de la situation nationale, du cadre institutionnel et des traits historiques et culturels qui caractérisent la société.

Mais, surtout, il importe de mettre en place une trajectoire de croissance qui placera le bien-être des personnes au coeur des efforts des pouvoirs publics, et dont le PIB par habitant et le revenu constitueront certes des paramètres essentiels, mais non les seuls. Dans une économie mondiale fortement interdépendante, l’articulation entre les pays sur les plans économique, social et environnemental doit être au centre des préoccupations, et les choix stratégiques doivent tenir compte de toute la complexité de cet impératif.

Par conséquent, les ODD viennent nous rappeler de manière salutaire que, pour obtenir des résultats, nous devons modifier notre façon d’agir et réformer les outils que nous employons pour comprendre le monde. Nous devons en fait prendre conscience du fait que le PIB est un moyen de parvenir à une fin, et non une fin en soi.

À l’OCDE, nous avons commencé à nous préparer à ce changement au cours de la dernière décennie. Nous avons ainsi lancé l’Initiative relative aux Nouvelles approches face aux défis économiques, en vue de l’élaboration d’un programme d’action en faveur d’une croissance durable et inclusive. Nous avons aussi défini un projet concret pour l’instauration d’une croissance verte, et nous étudions la possibilité de remédier au ralentissement de la croissance de la productivité au moyen de mesures qui permettent aussi de faire reculer les inégalités de revenu et progresser l’égalité des chances. Cette démarche exige que nous réformions notre manière de travailler, en défaisant les cloisonnements et en nous attachant à prévoir et à comprendre les conséquences indésirables des choix que nous effectuons.

Nos travaux sur la croissance inclusive en constituent une bonne illustration. La montée des inégalités de revenu s’accompagne dans bien des cas d’une polarisation plus forte des résultats en matière d’éducation et de santé, ce qui ne fait que perpétuer le cercle vicieux de l’exclusion et de l’inégalité. De plus, les inégalités ont un coût pour la croissance économique, en particulier lorsque l’inégalité des chances se traduit par un verrouillage des privilèges et un ancrage de l’exclusion, entravant la mobilité sociale intergénérationnelle. Prendre en compte le caractère multidimensionnel des inégalités signifie évaluer les effets produits par les politiques sur les résultats tant monétaires que non monétaires, ainsi que sur différents groupes sociaux.

Il ressort de notre analyse que « le niveau de vie multidimensionnel », indicateur qui conjugue l’évolution du revenu des ménages, celle des résultats en matière de santé et celle du devenir sur le marché du travail, a progressé plus vite en moyenne dans les catégories sociales relativement aisées que dans la classe moyenne ou chez les ménages à faible revenu dans les pays de l’OCDE, ce qui donne à penser que l’amélioration de l’espérance de vie et les importantes créations d’emplois observées au cours de la période 1995-2007 n’ont pas compensé l’aggravation des inégalités de revenu.

Une meilleure compréhension des effets que les politiques exercent sur certains groupes sociaux permet aux responsables de l’élaboration des politiques de déterminer comment arbitrer entre les objectifs de croissance et les objectifs redistributifs et comment tirer parti de leur potentiel de complémentarité. Par exemple, la réduction des obstacles réglementaires à la concurrence au niveau national, au commerce et à l’investissement direct étranger entrant peut augmenter le revenu de la classe moyenne inférieure davantage que le PIB par habitant. À l’inverse, un durcissement de l’indemnisation des chômeurs de longue durée, s’il ne s’accompagne pas d’un renforcement de l’aide à la recherche d’un emploi et des autres dispositifs d’activation, peut entraîner une baisse du revenu de la classe moyenne inférieure, même s’il fait croître le revenu moyen.

Ces constats sont corroborés par nos travaux sur la qualité des emplois, déterminée par la perception d’une bonne rémunération, la sécurité du marché du travail et des conditions de travail décentes. Il n’existe apparemment pas de forte corrélation négative entre qualité et quantité des emplois, mais il y a plutôt entre elles un potentiel de synergie : les pays qui ont des résultats relativement médiocres quant à la qualité des emplois tendent à enregistrer des taux d’emploi relativement faibles, et vice versa.

Lorsque l’on se penche sur la question de l’emploi et de l’égalité, il importe de ne pas oublier que l’environnement n’est pas un sujet dont on peut remettre l’examen à plus tard, jusqu’au moment où la croissance sera devenue suffisante. C’est l’environnement qui constitue le socle du progrès économique. Le capital naturel – l’air, l’eau et autres ressources – est limité et doit donc être géré avec tout autant de circonspection que les autres formes de capital. Des politiques de l’environnement plus rigoureuses, si elles sont bien conçues, ne seront pas nécessairement préjudiciables à la croissance de la productivité. De même, des politiques conformes à la logique environnementale peuvent favoriser la croissance économique et faire aussi progresser la cohésion sociale.

Définir une stratégie de mise en œuvre des ODD revient essentiellement à répondre à trois questions : Que doivent faire les pays ? Comment doivent-ils le faire ? Et pour qui ? Ces questions ne sont pas nouvelles. Dans le rapport qu’elle a publié en 1987 sous le titre Notre avenir à tous, Gro Brundtland avait ainsi souligné que les pays devaient promouvoir « une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable ». Mais vingt ans après la parution de cet ouvrage, nous n’avons toujours pas réussi à mettre au point un cadre intégré qui articule entre eux les grands objectifs relatifs au bien-être de manière à les mettre en synergie. Pour y parvenir, nous avons besoin de disposer des meilleurs outils, mais surtout, de modifier nos habitudes – ce qui n’est pas chose aisée – ou de nous opposer aux groupes d’intérêt qui profitent du statu quo. L’économie politique de la réforme ne sera pas facile à définir.

Pour réaliser les changements dont ils sont porteurs, les ODD nous placent devant l’obligation de faire progresser notre réflexion. Mais c’est aussi une chance qu’ils nous offrent. Ne la manquons pas !

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights: http://wp.me/p2v6oD-2r5.

Travaux de l’OCDE sur la croissance verte et le développement durable : www.oecd.org/fr/croissanceverte/.

Travaux de l’OCDE sur la croissance inclusive : www.oecd.org/inclusive-growth.