Coordination et mise en œuvre des ODD : le rôle des Centres de gouvernement

de Mello Luiz
Directeur adjoint de la Direction de la gouvernance publique et du développement territorial de l’OCDE

La principale difficulté pour les gouvernements eu égard aux Objectifs de développement durable réside dans l’harmonisation des politiques dans la pratique compte tenu de l’ampleur et de la complexité du programme de développement durable, qui compte 17 objectifs et 169 cibles, du bilan mitigé de la plupart des gouvernements s'agissant de travailler de façon horizontale, et de la nécessité d’associer un éventail inédit d’acteurs privés et publics à la fois à la formulation et à l’application des politiques publiques. Les différentes étapes de ce processus comportent chacune des difficultés très spécifiques. Par exemple, adapter les cibles mondiales aux contextes nationaux et définir des cibles au niveau des ministères est une tâche difficile sur le plan politique, laquelle exige des négociations prudentes et délicates afin de veiller à ce que le processus soit inclusif et à ce que les principales parties prenantes, à la fois au sein du gouvernement et en dehors, y adhèrent véritablement. La mise en œuvre des ODD est un formidable enjeu de gouvernance, dont il est nécessaire de guider la réalisation. Compte tenu de l’ampleur de ce défi, et dans le cadre d’un changement d’approche depuis l’approbation du dernier ensemble d’objectifs mondiaux, les ODD soulignent l’importance de mettre en place des institutions efficaces, responsables et inclusives à tous les niveaux (objectif 16), lesquelles sont essentielles pour obtenir les résultats attendus, depuis l’éliminationde la pauvreté jusqu’à l’amélioration de la santé, en passant par la lutte contre le changement climatique et ses conséquences.

Pour faire avancer les travaux de mise en œuvre des ODD, les gouvernements devront œuvrer dans plusieurs domaines d’action et guider la mise en œuvre de ces objectifs ambitieux. Mais cela n’est pas une tâche aisée : les obstacles au décloisonnement des administrations sont bien connus. Par exemple, les pressions économiques et sociales immédiates supplantent souvent les initiatives d’intérêt stratégique, en particulier lorsque les avantages de ces dernières couvrent les mandats électoraux. Les budgets publics et les systèmes de responsabilisation des décideurs sont habituellement alignés sur les structures ministérielles et il est par conséquent difficile de suivre les progrès réalisés et de valoriser les résultats qui s’accumulent dans de multiples domaines d’intervention. Le Centre de gouvernement est l’une des institutions clés qui sont capables de guider la mise en œuvre des ODD en mettant en évidence les arbitrages, et en faisant ainsi en sorte que les politiques publiques qui couvrent plusieurs domaines d’intervention puissent viser des objectifs multiples et parfois concurrents.

L’enquête de l’OCDE sur le rôle et les fonctions du Centre de gouvernement a confirmé que, pour la plupart des pays, le nombre d’initiatives interministérielles a augmenté depuis 2008, mais que les gouvernements sont encore à la recherche de modèles efficaces pour appliquer des politiques couvrant plusieurs ministères. Les gouvernements ont essayé de nombreuses solutions. Par exemple, des « super-ministres » ou des « tsars » de l’action publique peuvent être efficaces s’ils possèdent une volonté et une autorité suffisantes, mais la réussite dépend du statut de la personne et n’aboutit pas forcément à l’intégration souhaitée des politiques publiques. De même, les super-ministères peuvent favoriser l’intégration des politiques de plusieurs ministères, mais des cloisons internes demeurent souvent. Les comités permanents ou ad hoc sont le mécanisme le plus courant pour coordonner les activités de « routine », mais semblent moins adaptés aux initiatives ambitieuses. Enfin, des unités stratégiques indépendantes peuvent apporter des idées et des compétences nouvelles mais risquent de rencontrer des difficultés pour asseoir leur légitimité dans les différents ministères. Ces modèles présentent tous des points forts et des points faibles, mais aucun d’entre eux ne s’est avéré pleinement adapté à sa destination.

Bien entendu, les gouvernements disposent déjà d’instances et d’organismes pour évaluer la mise en œuvre des politiques – équipes chargées de contrôler l’exécution des principaux contrats, institutions supérieures de contrôle des finances, équipes du ministère des Finances chargées du suivi des dépenses, etc. Ces organismes fournissent des renseignements essentiels pour assurer la transparence, suivre les dépenses et mesurer les résultats, mais comme en général ils utilisent chacun leurs propres points de référence et imposent chacun leurs propres obligations de notification, ils ont rarement une vue d’ensemble des performances, laquelle serait pourtant nécessaire pour suivre l’avancement des ODD.

Le Centre de gouvernement possède un certain nombre d’atouts qui peuvent contribuer à ce que la fixation des priorités d’action donne lieu à une approche réaliste et concertée. D’abord, le centre est, sur le plan technique, politiquement neutre, par rapport aux ministères. Ensuite, le centre a autorité pour réunir, autorité qu’il emprunte au chef du gouvernement, et peut exercer des pressions sur les ministères pour qu’ils ajustent les politiques et y consacrent des ressources. En principe, en fonction des priorités du chef du gouvernement, le centre n’a pas à obtenir un consensus par le biais de compromis ou de négociations fondées sur le plus petit dénominateur commun. Enfin, si les ministères opérationnels, y compris ceux qui possèdent l’expertise technique la plus pertinente, manquent probablement d’expérience en ce qui concerne l’orientation des politiques pluridisciplinaires, le centre allie habituellement expertise de la coordination et sensibilité politique.

Souvent, les éléments clés fournis par le centre sont des outils pratiques de portée relativement limitée, pour venir à bout de la rigidité administrative, comme le fait de conserver des réserves de financement, de définir des cadres comptables adaptés ou d’accueillir des équipes de projets dont les spécialistes sont issus de différents ministères ou sont extérieurs au gouvernement. Ensemble, ces éléments positifs font en sorte que les perturbations des autres tâches opérationnelles des ministères soient réduites au minimum et que les missions et les attentes soient claires pour tout le monde.

En outre, le centre doit participer plus activement à l’examen et à l’amélioration de la mise en œuvre des politiques liées à des stratégies complexes telles que les ODD. Le rôle du centre évolue déjà dans cette direction dans certains pays. Cette évolution présente un certain nombre d’avantages. D’abord, elle crée un système plus flexible au sein duquel les décideurs peuvent intervenir si nécessaire pour résoudre des problèmes ou changer de cap. Ensuite, le centre peut identifier les blocages et proposer un appui et des conseils à l’organisme concerné pour l’aider à résoudre ses problèmes. Les équipes spéciales du Centre de gouvernement sont devenues l’outil de prédilection pour assurer ce suivi proche du terrain, les pays mettant sur pied une ou plusieurs équipes dans les trois principaux domaines : stratégie, action et exécution. Elles sont également chargées de constituer une base de données des expériences et des attentes des citoyens concernant la réalisation des priorités du gouvernement. Ces équipes accordent une attention spéciale aux domaines prioritaires choisis, qui sont souvent complexes et exigent d’être gérés dans le cadre de plusieurs ministères depuis la phase de conception jusqu’à la phase de mise en œuvre. En substance, les Centres de gouvernement peuvent aider à diriger l’action du gouvernement depuis la planification jusqu’à l’exécution des ODD.

Les Centres de gouvernement ont des bonnes pratiques à partager en matière de conception, d’orientation et d’exécution de politiques complexes telles que les ODD, lesquelles s’appuient sur une expérience pratique de l’élaboration, et de plus en plus de la direction, de programmes complexes à l’échelle des gouvernements. Pour aller de l’avant, et étant donné que les ODD forment un programme universel, les Centres de gouvernement pourraient envisager :

  • de déterminer s’il existe une base de données suffisamment développée pour améliorer la qualité de la prise de décisions tout au long du cycle de l’action publique eu égard à la mise en œuvre des ODD ;

  • de maintenir l’attention sur les buts qui sous-tendent les ODD malgré les urgences à court terme, l’évolution des priorités politiques et les ruptures électorales ;

  • de définir des plans pour gérer les éventuels arbitrages dans le programme des ODD et de veiller à ce que l’inclusivité soit au centre du plan de mise en œuvre afin de n’exclure personne.

Dans tous ces domaines, le contexte régional ou national définira les plans de mise en œuvre – il n’y aura pas de voie d’exécution unique. Par conséquent, les Centres de gouvernement ont tout intérêt à mettre en commun leurs expériences quant à la façon dont les pays traitent les programmes complexes, tels que celui des ODD, qui ne relèvent pas précisément des portefeuilles ministériels, et à la mesure dans laquelle les innovations dans ce domaine peuvent contribuer à mettre en place des institutions efficaces et transparentes.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2rI.

Réseau des Hauts responsables des Centres de gouvernement : www.oecd.org/fr/gov/reseaudeshautsresponsablesdescentresdegouvernement.htm.