Sécurité alimentaire, durabilité et Objectifs de développement durable

Brooks Jonathan
Chef de la Division échanges et marchés agroalimentaires, Direction des échanges et de l’agriculture, OCDE

Parmi les nouveaux Objectifs de développement durable (ODD), beaucoup sont interdépendants et liés à l’agriculture et à l’alimentation. L’objectif 2, qui vise à « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable », porte explicitement sur l’alimentation, mais plusieurs autres sont en rapport avec les problèmes rencontrés dans le système alimentaire. Le premier est axé sur l’élimination de la pauvreté, dans laquelle l’agriculture et l’alimentation ont un rôle à jouer. L’agriculture occupe une place centrale dans la réalisation des objectifs 6 (eau), 12 (modes de consommation et de production durables), 13 (atténuation du changement climatique et adaptation à ses conséquences) et 15 (utilisation des terres et écosystèmes). De même, la gestion durable des pêches est au premier plan de l’objectif 14, relatif aux ressources marines et aux océans. Le présent chapitre décrit brièvement les principaux leviers à actionner pour disposer de systèmes alimentaires durables et sûrs, dans l’esprit de ces objectifs.

La majorité des pauvres du monde vit dans les zones rurales, où l’agriculture, pratiquée surtout par des petits paysans, est la principale activité économique. Une forte augmentation de l’investissement agricole sera nécessaire pour élever les revenus et, en même temps, accroître la production alimentaire de façon durable. Il faudra que la majeure partie de cet investissement provienne du secteur privé, mais il est important que les pouvoirs publics créent des conditions générales propices. Soutenu par l’aide au développement, l’investissement public peut aussi compléter et attirer l’investissement privé. Les mesures favorables à un environnement se prêtant à l’épanouissement de l’agriculture, mais qui ne faussent pas les incitations et n’évincent pas le secteur privé, ont des chances d’être plus efficaces sur le long terme que les subventions visant spécifiquement le secteur agricole. Pour assurer une amélioration de l’alimentation, les priorités de la dépense publique devraient être la recherche, l’innovation, les infrastructures, de même que la protection sociale et l’appui technique.

L’accroissement de la productivité agricole fera augmenter les disponibilités alimentaires et bénéficiera aux consommateurs dans la mesure où les prix intérieurs seront moins élevés qu’ils ne le seraient autrement. Il suppose des coûts unitaires inférieurs et se traduit aussi par une hausse des revenus des agriculteurs innovants. Mais la baisse des prix qui en résulte dissipe une partie de ces gains. Les agriculteurs qui n’innovent pas ne font que subir cette baisse et, par là même, l’obligation de s’adapter. C’est pourquoi un développement diversifié est nécessaire, de manière à ce que les agriculteurs moins compétitifs soient non pas chassés du secteur, mais plutôt attirés par d’autres activités plus rémunératrices.

Les échanges joueront un rôle de plus en plus important dans la sécurité alimentaire. Les économies développées et les grands pays émergents, en particulier, doivent éviter les mesures qui faussent les marchés mondiaux et limitent ainsi la fiabilité de cette source d’approvisionnement alimentaire. L’action multilatérale à mener pour que les politiques nationales n’engendrent pas une nouvelle série de retombées qui remettent en question la sécurité alimentaire dans les pays pauvres manque pour l’instant de consistance, mais elle reste une priorité à court terme.

On s’attend à ce que le changement climatique et la dégradation des terres, des ressources en eau et de la biodiversité nécessitent de faire évoluer les systèmes de production. Les politiques conduites au niveau national doivent être axées sur des objectifs de productivité durable. Il est à cet égard essentiel de supprimer les mesures incitatives propices aux pratiques qui nuisent à l’environnement et faussent les marchés, comme les subventions en faveur de l’énergie et des intrants agricoles. Davantage d’efforts doivent être consentis dans les domaines de la RD agricole, du développement technologique et de la formation. Des mesures environnementales sont nécessaires également, pour que les droits de propriété sur les ressources naturelles soient correctement définis et pour répondre aux problèmes d’environnement à l’échelle de l’économie toute entière. Compte tenu des particularités locales des difficultés, il convient de recourir entre autres à des mesures agroenvironnementales ciblées pour remédier efficacement aux dommages environnementaux et assurer une meilleure gestion des ressources.

La pêche procure du travail et de quoi manger à des millions de personnes dans le monde, notamment dans les régions côtières pauvres. La surpêche menace la santé des ressources halieutiques à long terme et, en définitive, porte tort aux populations tributaires de l’activité. Les outils modernes de gestion comme les quotas individuels de pêche aident à la limiter et améliorent les perspectives du secteur, mais ils tardent à se généraliser. Dans beaucoup de pays, le problème tient en partie au déficit de ressources nécessaires aux activités de suivi, de contrôle et de surveillance qui s’imposent, mais la résistance à la remise en question des habitudes joue aussi un rôle.

Réformer la politique de la pêche présente des avantages sans ambigüité. D’après les estimations, maîtriser les captures pour parvenir au rendement maximal durable permettrait au secteur d’accroître ses profits de 50 milliards USD ou plus chaque année. Le rétablissement des stocks pourrait en fin de compte se traduire par des captures de près de 20 % supérieures au niveau que permettent les stocks actuels.

Beaucoup de gens pensent que les problèmes se posent surtout en haute mer, où il est difficile de faire respecter le droit et où la pêche illégale est commune. Mais la pêche est pratiquée en majeure partie dans les zones économiques exclusives (ZEE), nationales, et la surpêche est la plupart du temps légale et imputable à des quotas mal définis ou à des mesures de limitation de l’effort de pêche inefficaces. C’est dans l’amélioration de la gestion des pêches dans les ZEE qu’il y a le plus à gagner.

La solution réside en partie dans la réduction des aides publiques qui accroissent l’effort de pêche et entretiennent un excédent de capital et de maind’œuvre dans le secteur. Dans de nombreux cas, l’amélioration de la gestion peut rendre le soutien superflu, car elle se répercute sur les profits et les perspectives des pêcheurs. En pêche et en aquaculture, la gestion durable et la protection des écosystèmes marins sont synonymes d’accroissement de la production, d’amélioration de la qualité et de diversification de la gamme des produits alimentaires. Ce sont à la fois les producteurs, les consommateurs et l’environnement qui y gagnent. La réussite ne nécessite pas de nouvelles technologies, ni un bond de la productivité : il suffit que les pouvoirs publics aient la volonté de s’appuyer sur une démarche scientifique sérieuse et sur des techniques de gestion éprouvées pour optimiser la productivité biologique de la ressource.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights, http://wp.me/p2v6oD-2rM.

Sécurité alimentaire mondiale : Défis pour le système agricole et agro-alimentaire, https://doi.org/10.1787/9789264201354-fr.