Le vieillissement est l’avenir du développement

Bluestone Ken
Conseiller pour les politiques et l’action des pouvoirs publics, Age International

Deux thèmes ont un écho particulièrement fort à l’OCDE : la nécessité de donner au développement un caractère durable et le poids croissant du vieillissement démographique. Il est rare cependant que l’on superpose ces deux problématiques pour réfléchir à l’importance de ce dernier phénomène pour les pays en développement.

Cela paraît d’autant plus surprenant que le vieillissement de la population est un phénomène d’envergure mondiale qui est particulièrement marqué dans les pays en développement. Les nombres parlent d’eux-mêmes : il y avait, en 2014, 868 millions de personnes âgées de plus de 60 ans dans le monde – soit 12 % de la population totale. D’ici 2030, il y en aura 1.2 milliard – soit 16 % de la population ; à l’horizon 2050, d’après les estimations actuelles, elles seront 2.03 milliards – ou 21 % de la population. D’ici 2047, il y aura davantage d’adultes de plus de 60 ans que de jeunes âgé de 16 ans ou moins et ce, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité.

Cette réalité est déjà palpable dans les pays en développement, où vivent aujourd’hui 62 % des personnes âgées de 60 ans ou plus, une proportion qui devrait passer à 80 % d’ici 2050. Plus spectaculaire encore est le rythme auquel le changement intervient dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Le paysage démographique se transforme en effet de façon radicale dans de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, de sorte que les gouvernements ont peu de temps devant eux pour s’adapter à la nouvelle donne. Même en Afrique subsaharienne, avec l’allongement de la durée de vie et le développement économique, on peut s’attendre à coup sûr à voir l’explosion de la population jeune se transformer en une explosion de la population âgée en l’espace de quelques courtes générations.

Qu’est-ce que cela implique au niveau de la lutte contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique ? À tout le moins, il convient de nous demander s’il y a, dans notre conception du développement, une place pour les personnes âgées. Si tel n’est pas le cas, cela signifie que nous en excluons jusqu’à 20 % de la population mondiale. Le Programme de développement durable pour l’après 2015 marque à cet égard un tournant en ce sens que le vieillissement et les personnes âgées y sont reconnus comme des composantes à part entière du processus de développement. Les négociations autour des Objectifs de développement durable ont fait d’ores et déjà clairement apparaître que la prise en compte des droits et des besoins des aînés est indissociable de l’ambition affichée de ne laisser personne sur le bord du chemin.

Plus encore, cela exige de repenser fondamentalement ce que l’on entend par être productif au sens social, de même que le rôle des personnes âgées. Les responsables politiques, les responsables de la planification et les spécialistes du développement tendent par trop souvent à considérer que l’existence comporte trois stades : l’enfance (dépendance), l’âge adulte (productivité) et la vieillesse (dépendance). Ce découpage simpliste ne saurait être plus éloigné de la réalité et occulte une multitude d’activités économiques et d’interactions sociales à tous les âges de la vie.

C’est ainsi que nous échappe le rôle joué par les grands-parents retraités dans l’instruction et l’alimentation des enfants. Il n’existe aucun calcul qui rende compte de la valeur économique d’une ancienne infirmière qui, bénévolement, prend soin de proches, l’intéressée ayant déjà été cataloguée comme « retraitée » et « improductive ». Aucune donnée chiffrée ne permet d’évaluer correctement les services rendus et l’aide reçue par des individus de tous âges dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

À l’heure où l’on met la dernière main au cadre des ODD, qui sera adopté incessamment, la promesse d’une « révolution des données » et les engagements pris de ventiler les données par âge laissent espérer que les choses puissent changer un tant soit peu. Cependant, une analyse, quelle qu’elle soit, doit s’appuyer sur des données concernant tous les âges de la vie d’une personne. Sans une meilleure connaissance du vieillissement et du développement, le risque est d’allouer des fonds au financement de programmes de développement et de construction qui passeront à côté des foyers de pauvreté et d’inégalités. La ventilation des données par âge, par sexe et par handicap peut être ajoutée à moindre coût au cadre des ODD et former le socle sur lequel il sera possible de fonder des décisions judicieuses ; aussi convient-il de lui consacrer les investissements nécessaires.

Autre leçon importante, l’ambition affichée de ne laisser personne sur le carreau nous amène à réaliser que les pierres angulaires de sociétés durables, pacifiques et équitables sont à proprement parler les individus qui appartiennent aux groupes de population concernés. Sans une meilleure compréhension du vieillissement et du développement, nous ne pouvons apprécier à sa juste valeur le potentiel que les individus, quels que soient leur âge et leurs talents, peuvent offrir à la société. Vivre plus longtemps en bonne santé permet aux aînés de contribuer au renforcement de la résilience dans les zones à risques. L’accès aux moyens de financement peut être synonyme de meilleurs revenus et d’une meilleure alimentation pour les agriculteurs âgés et leurs proches. Assurer des soins de santé adéquats aux grands-parents peut permettre à leurs enfants de consacrer davantage de temps à s’instruire.

Le vieillissement est une donnée du développement. Aucun jugement de valeur ne devrait s’attacher à la vieillesse ou à l’âge d’une personne, que celle-ci soit jeune ou non. Il y a, parmi les personnes âgées, des soignants, des enseignants, des agriculteurs, des athlètes, des marchands, des ouvriers non qualifiés, des cadres et des prix Nobel. Il y a aussi des personnes dépendantes, atteintes de maladies chroniques, de démence ou handicapées. L’essentiel est que la réalité du vieillissement ne soit plus occultée. Nous devons aussi avoir le courage de remettre en cause nos idées reçues quant à la vieillesse afin que puissent voir le jour des mesures adaptée à nos sociétés dont l’âge moyen s’élève rapidement.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-23K.

Age International, Facing the facts: The truth about ageing and development , Age International, www.ageinternational.org.uk/what-we-do/Policy-where-we-stand-/ageing-and-international-development/.

The Disaster Risk and Age Index de HelpAge, 190 pays classés selon le niveau de risque auquel les personnes âgées sont exposées : www.helpage.org/what-we-do/climate-change/disaster-risk-and-age-index/.

Travaux de l’OCDE sur les sociétés inclusives et le développement : www.oecd.org/development/inclusivesocietiesanddevelopment/.