Apprendre pour gagner sa vie : Compétences, inégalités et bien-être

Schleicher Andreas
Conseiller spécial du Secrétaire général de l’OCDE chargé de la politique de l’éducation et Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences.

Emploi, revenu et bien-être ne dépendent de rien d’autre que des connaissances acquises par les individus et de ce qu’ils sont capables d’en faire. Il est indispensable de leur transmettre des compétences adéquates et de leur donner la possibilité de les exploiter à bon escient. S’il y a une leçon à retenir de l’économie mondiale ces dernières années, c’est qu’il n’y a pas de plan de sauvetage, de mesure de stimulation ou de planche à billets qui suffise à nous sortir d’une crise.

Nous pouvons en revanche faire beaucoup mieux si nous nous employons à faire en sorte que davantage d’individus soient plus à même de travailler en collaboration, de se mesurer aux autres et de créer des liens, de manière à améliorer leur situation professionnelle et leurs conditions de vie et à aider nos économies à aller de l’avant. Les Perspectives de l’OCDE sur les compétences montrent qu’un faible niveau de qualification limite sérieusement les chances d’obtenir un emploi bien rémunéré et gratifiant. C’est également le cas à l’échelle des pays : la répartition des compétences a des implications sur la manière dont les fruits de la croissance sont partagés au sein de la société. À bien y regarder, la productivité suppose de travailler plus intelligemment, pas seulement de travailler plus dur. Autrement dit, lorsque le pourcentage d’adultes peu qualifiés est élevé, il devient difficile d’introduire des technologies et des méthodes de travail améliorant la productivité, ce qui freine la progression des niveaux de vie. Les compétences ne jouent pas uniquement sur les revenus et l’emploi : dans tous les pays pour lesquels on dispose de données comparables, les adultes ayant un faible niveau en compréhension de l’écrit ont davantage tendance à se déclarer en mauvaise santé, à considérer qu’ils n’ont aucune prise sur la vie politique, et à se défier de leurs semblables.C’est pourquoi, dans les nouveaux ODD, les buts à atteindre sont exprimés non pas seulement en termes d’années d’études mais aussi de compétences acquises par les individus.

En résumé, sans les compétences adéquates, les individus restent sur la touche au plan social, le progrès technologique ne peut se traduire en croissance et les pays ne peuvent s’engager de plain-pied dans le jeu économique mondial. Il est tout simplement impossible de formuler des politiques justes et inclusives et aller à la rencontre de tous les citoyens si un déficit de compétences fondamentales empêche ceux-ci de participer pleinement à la vie de la société. Aucun groupe de population n’est plus concerné à cet égard que la jeunesse, qui ne peut rivaliser avec ses aînés sur les plans de l’expérience ou des relations sociales.

Ceci étant dit, les compétences n’ont de valeur qu’à condition d’être employées utilement, et certains pays ont pris de ce point de vue une formidable avance sur les autres. Malgré une base de compétences restreinte, les États-Unis savent tirer un bon parti de leur vivier de talents. On rencontre une situation inverse au Japon, où la rigidité du marché du travail interdit à bien des individus très qualifiés, en particulier des femmes, de recevoir la récompense qu’ils seraient en droit d’attendre. La sous-utilisation des compétences est cependant manifeste dans de nombreux pays, et pas seulement chez les femmes. Elle est en effet monnaie courante parmi les jeunes ou les travailleurs immigrés, ainsi que parmi les salariés de petites entreprises. Les employeurs pourraient se voir dans la nécessité d’offrir davantage de souplesse au sein de leurs établissements. Les syndicats pourraient quant à eux être amenés à réexaminer leur position sur le rééquilibrage de la protection de l’emploi entre travailleurs permanents et travailleurs temporaires. En dernière analyse, il apparaît que le non-emploi du capital humain équivaut à un gaspillage de compétences et rend vain l’investissement initial consenti pour le développement de celles-ci. Or avec l’évolution de la demande, les compétences inemployées sont susceptibles de devenir obsolètes ; en outre, les compétences non mobilisées pour cause d’inactivité sont vouées à s’atrophier petit à petit. À l’inverse,plus les individus sollicitent leurs compétences et s’adonnent à des tâches complexes exigeant un certain effort, que ce soit dans le cadre professionnel ou ailleurs, plus ils ont de chances de prévenir la déperdition des compétences dont le vieillissement est la cause.

Dans certains pays, l’inadéquation de l’offre et de la demande de compétences est un problème sérieux, qui a des conséquences sur les perspectives de gain des individus et sur leur productivité. Il est essentiel de savoir quelles compétences sont demandées sur le marché du travail et quels parcours éducatifs vont amener les jeunes là où ils veulent être. La sous-utilisation des compétences dans certaines professions, à court ou moyen termes, est susceptible d’entraîner leur atrophie. Les travailleurs qui sont trop qualifiés pour l’emploi qu’ils occupent ont un revenu inférieur à celui des travailleurs dont les compétences correspondent à leurs besoins professionnels et sont généralement moins satisfaits par leur travail. Cette situation engendre une rotation importante des effectifs, ce qui risque fort de peser sur la productivité de l’entreprise. La sous-qualification risque elle aussi de nuire à la productivité et, tout comme le phénomène de pénurie des compétences, de brider l’adoption de technologies et de méthodes de travail efficaces.

Développer les compétences adéquates et utiliser celles-ci de manière appropriée doit devenir l’affaire de tous : des pouvoirs publics, qui peuvent concevoir des incitations financières et des mesures fiscales favorables ; des systèmes éducatifs, qui peuvent encourager l’entrepreneuriat et proposer des formations professionnelles ; des employeurs, qui peuvent investir dans la formation ; des organisations syndicales, qui peuvent veiller à ce que les investissements dans la formation se traduisent par une amélioration qualitative de l’emploi et de plus hauts salaires ; et des individus, à qui il appartient de tirer meilleur parti des possibilités de formation qui s’offrent à eux. Les pays doivent également examiner attentivement la question de savoir qui doit payer pour quoi, quand et comment. Les pouvoirs publics doivent élaborer des incitations financières et des mesures fiscales qui encouragent les individus et les entreprises à investir dans les études et les formations post-obligatoires. Certains peuvent prendre en charge une part plus importante du coût des études supérieures et le financement peut être subordonné plus étroitement aux taux de réussite, sous réserve que les étudiants aient accès à des dispositifs de prêts remboursables en fonction de leurs revenus futurs et des systèmes de bourses sous condition de ressources.

Le jeu en vaut donc la chandelle. Si les pays industrialisés amélioraient leurs niveaux de formation de 25 points sur l’échelle du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), à l’exemple du Brésil et de la Pologne au cours des dix dernières années, ils pourraient s’enrichir de quarante mille milliards d’euros au cours de la vie des élèves d’aujourd’hui. De nombreux pays sont encore aux prises avec la récession, or le coût induit par des résultats médiocres sur le plan éducatif équivaut à celui d’une récession économique permanente.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2pB.

Perspectives de lOCDE sur les compétences 2015 : Les jeunes, les compétences et lemployabilité : https://doi.org/10.1787/9789264235465-fr.