Tirer parti de la prochaine révolution de la production

Pilat Dirk
Directeur adjoint, et Alistair Nolan, Analyste principal, Direction de la science, de la technologie et de l’innovation de l’OCDE

La production de biens et de services évolue à de nombreux égards depuis quelques années. Pour commencer, elle acquiert un caractère transfrontalier toujours plus marqué avec les chaînes de valeur mondiales. Ensuite, elle repose de plus en plus sur le capital intellectuel et fait intervenir un ensemble de biens et de services, phénomène connu également sous le nom de « servicisation des industries manufacturières ». Troisièmement, et en lien étroit avec ce qui précède, elle est affectée dans une mesure croissante, en particulier dans le secteur des services, par la transformation numérique et peut, dans certains cas, être assurée par des moyens électroniques. Enfin, une nouvelle vague technologique atteint aujourd’hui à sa nature-même, ouvrant la voie à ce que d’aucuns qualifient de prochaine révolution de la production. Mettre ces mutations au service de la croissance globale et du bien-être requiert des politiques bien pensées dans de nombreux domaines et représente l’un des grands axes de travail de l’OCDE à l’heure actuelle.

Les chaînes de valeur mondiales. Les dernières décennies ont vu s’intensifier les mouvements de capitaux, de biens intermédiaires, de produits finis et de personnes. Les progrès technologiques et l’innovation, notamment dans les domaines des transports et des communications, conjugués à la libéralisation des échanges, ont conduit à une fragmentation de la production à l’échelon international et dans les processus mis en œuvre. Biens et services, ainsi que leurs composants, sont produits et assemblés en des lieux différents, souvent au niveau de pôles locaux ou régionaux, avant d’arriver sur les marchés auxquels ils sont destinés. Le fractionnement de la production le long de chaînes de valeur mondiales (CVM) a attiré l’attention sur la contribution des différents maillons formant ces chaînes à la création totale de valeur. Les indicateurs dérivés de la base de données OCDE-OMC sur les échanges en valeur ajoutée (TiVA) révèlent l’importance croissante des CVM dans le commerce international et la production mondiale en même temps que le caractère hétérogène et complexe des courants d’échanges qui s’organisent le long de ces chaînes. Qu’elle soit destinée à la consommation intérieure ou internationale, la production dépend de plus en plus de biens intermédiaires fabriqués en d’autres lieux, ce qui vient souligner combien il est nécessaire que les pays s’attachent à exploiterleurs avantages comparatifs et à tirer pleinement parti des CVM.

Le capital intellectuel. Parallèlement à cela, l’innovation s’affirme de plus en plus comme la source d’un avantage compétitif durable dans le champ de la production et dépend elle-même des investissements consacrés à la R-D et aux dessins et modèles, aux logiciels et données ainsi qu’au capital organisationnel, aux compétences propres aux entreprises, aux stratégies de marque et au marketing, entre autres actifs intellectuels. L’accélération de la création de valeur ajoutée par les entreprises repose en grande partie sur l’accroissement (en continu) de capacités et de ressources qui leur sont bien souvent spécifiques. Ces capacités et ressources sont d’ordinaire intangibles, tacites, non commercialisables et difficilement reproductibles. L’investissement dans le capital intellectuel est devenu l’une des clés du succès dans les CVM. La valeur ajoutée est générée en bonne partie par des activités situées en amont, par exemple la R-D, le design et la fabrication d’éléments et de composants essentiels, mais aussi en aval, telle que le marketing, la valorisation de la marque et le service à la clientèle. Les pays de l’OCDE tendent à se spécialiser dans le développement d’idées, de concepts et de services en rapport avec la production de biens tangibles et à délaisser cette dernière. Une fraction toujours plus importante de la production étant délocalisée vers les économies émergentes, les fabricants implantésdans les pays de l’OCDE misent davantage sur des fonctions non productives complémentaires pour pourvoir à la création de valeur et font appel au capital intellectuel afin de mettre au point des produits et services sophistiqués, difficilement imitables.

La transformation numérique de l’économie et de la société. Si importants soient-ils, le capital intellectuel et les CVM n’offriraient pas autant de possibilités sans la montée en puissance des technologies numériques. Ces dernières ont amorcé des mutations profondes dans l’économie comme dans la société et permettent de réaliser de très appréciables gains de productivité. Le secteur du numérique n’est pas le seul en cause, l’internet et les autres technologies numériques, aujourd’hui omniprésents, sous-tendent en effet l’activité économique dans tous les secteurs. Les innovations suscitées par ces technologies sont fortement susceptibles de doper la croissance et d’inspirer des améliorations sociétales, en particulier en ce qui concerne les administrations publiques, la santé, l’enseignement et la recherche. À titre d’exemple, la généralisation de très gros volumes de données et la capacité à en extraire des connaissances et des informations (« données massives ») annoncent une nouvelle vague d’innovations et de gains de productivité (induits par les données exploitées). L’analyse de ces données (y compris en temps réel), qui se fait de plus en plus sur des périphériques intelligents incorporés à l’internet des objets, ouvre de nouvelles possibilités de création de valeur grâce à l’optimisation des procédésproductifs. Il s’agit là de ce que certains appellent l’« internet industriel », dans lequel des machines et systèmes autonomes, capables d’apprendre et de prendre des décisions sans intervention humaine, sont à l’origine de produits et de marchés nouveaux.

La prochaine révolution de la production. Tandis que l’économie mondiale poursuit sa transformation, les technologies se mêlent et amplifient réciproquement leurs possibilités en se combinant. Bien des technologies de production susceptibles de marquer des ruptures occupent l’horizon ou sont déjà à l’œuvre, ainsi :

  • L’analytique des données et les données massives permettent de plus en plus de doter les machines de fonctionnalités qui rivalisent avec les performances humaines.

  • Les robots sont appelés à gagner en intelligence, en autonomie et en agilité.

  • La biologie de synthèse, discipline encore balbutiante, pourrait avoir un grand pouvoir de transformation. Entre autres applications, elle pourrait permettre de fabriquer des produits pétroliers à l’aide de micro-organismes utilisant des sucres, et donc de rendre les procédés productifs plus écologiques.

  • Les imprimantes 3D coûtent de moins en moins cher et se perfectionnent. On peut désormais imprimer des objets (comme une batterie électrique) contenant une multiplicité de structures utilisant des matériaux différents.

  • Il se peut que la construction intelligente agrégative et l’auto-assemblage de dispositifs se généralisent, grâce notamment à une meilleure compréhension des principes de l’autoconstruction biologique.

  • Les nanotechnologies – qui utilisent les propriétés de matériaux et systèmes dont l’ordre de grandeur est inférieur à 100 nanomètres – pourraient rendre les matériaux plus solides, plus légers, plus conducteurs ou améliorer d’autres de leurs propriétés encore.

  • La technologie du nuage informatique donne déjà lieu à l’apparition de nouveaux modèles économiques et permet l’essor rapide de services internet.

Les conséquences économiques exactes de l’avènement à court terme de ces technologies, et d’autres encore, restent nébuleuses. Mais il est probable qu’elles seront de taille. Ces nouvelles technologies de production devraient consentir un net gain de productivité, en particulier si elles peuvent se diffuser aux entreprises les moins performantes de ce point de vue et venir à l’appui d’un processus de croissance inclusive. Elles pourraient aussi rendre la production plus sûre, les robots venant se substituer à l’homme pour les tâches de fabrication les plus dangereuses. Les nouvelles technologies productives augurent une production plus propre et un ensemble de produits nouveaux qui pourraient aider à relever les défis mondiaux. Par exemple, des installations produisant des bioproduits chimiques ou des bioplastiques pourraient contribuer à traiter les questions environnementales et le problème des déchets, et créer des emplois.

Les enjeux de l’action des pouvoirs publics. Cependant, des obstacles de différents ordres sont susceptibles d’amoindrir les répercussions attendues de la prochaine révolution de la production sur les plans de la productivité, de la croissance, de l’emploi et du bien-être. Pour commencer, l’adoption des technologies numériques est encore un vain mot dans la plupart des entreprises, ce qui ne permet pas d’en exploiter tout le potentiel. Au demeurant, le déclenchement de la prochaine révolution de la production n’est pas seulement une question de changement technologique : la concrétisation des bienfaits promis par les nouvelles technologies dépend aussi de la capacité des entreprises, des travailleurs et de la société de s’adapter au changement et de l’existence de politiques publiques propres à garantir que ce changement ait un caractère inclusif et draine de larges retombées parmi la population. Le changement organisationnel, l’innovation sur le lieu de travail, la gestion et les compétences sont quelques-uns des domaines dans lesquels les entreprises vont devoir investir pour favoriser un changement technologique rapide, soutenues sur ce plan par des investissements publics complémentaires dans l’enseignement, la recherche et les infrastructures. Il est par ailleurs essentiel de faciliter les redéploiements de ressources vers les entreprises les plus productives et les plus innovantes. La confiance sera également une condition impérative pour maximiser les bienfaits économiques et sociaux de l’économie numérique. Enfin, à mesure que grandit notredépendance vis-à-vis des technologies numériques, nos vulnérabilités s’accentuent elles aussi, conférant une importance encore plus capitale à la sécurité en ligne, à la protection de la vie privée et à la protection du consommateur.

Mieux les pouvoirs publics et les entreprises parviendront à appréhender les répercussions des nouvelles technologies sur la production, mieux ils seront à même d’en anticiper les risques potentiels, de définir des mesures appropriées et de recueillir les fruits de cette révolution. C’est la raison pour laquelle l’OCDE a entrepris d’étudier les évolutions possibles des technologies de production, avec ce qu’elles comportent de risques et de possibilités, afin d’aider responsables politiques et chefs d’entreprise à tirer le meilleur parti de la révolution annoncée tout en en minimisant le coût.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2ph.

Travaux de l’OCDE sur l’innovation scientifique, technologique et industrielle : www.oecd.org/sti/inno.