Comprendre et gérer les conséquences inégales des pressions et politiques environnementales

Agrawala Shardul
Chef de la Division de l’intégration de l’environnement et de l’économie, Direction de l’environnement de l’OCDE, et Rob Dellink, Administrateur principal, Division de l’intégration de l’environnement et de l’économie, Direction de l’environnement de l’OCDE

En règle générale, les conséquences de la dégradation de la qualité de l’environnement et celles des politiques environnementales sont inégalement réparties. Le plus souvent, les pays pauvres et les ménages à faible revenu pâtissent plus de cette dégradation et ont moins les moyens de s’y adapter.

La pollution de l’air extérieur provoque chaque année plus de 3.5 millions de décès dans le monde (OMS, 2012). Les problèmes de santé qu’elle occasionne touchent tout particulièrement les enfants et les personnes âgées dans les grandes économies émergentes. Entre 2005 et 2010, le nombre de décès prématurés a augmenté de 5 % en Chine et de 10 % en Inde. Le transport routier constitue une importante source d’émissions polluantes, et comme le durcissement des réglementations n’a pas permis de compenser les effets de l’explosion de la circulation, l’exposition des populations urbaines a progressé. Les coûts en bien-être du seul transport routier sont estimés à quelque 1 700 milliards USD dans les pays de l’OCDE, 1 400 milliards USD en Chine et 500 milliards USD en Inde (OCDE, 2014).

Les échanges internationaux contribuent certes à lisser les coûts économiques des effets en retour des problèmes environnementaux entre les régions, mais il ressort des estimations de l’OCDE que la plupart des pays d’Afrique et d’Asie subiront des répercussions nettement plus graves du fait du changement climatique que la plupart des pays d’Europe et d’Amérique. Même si la situation est très différente selon les régions, les conséquences économiques de la modification du climat devraient être négatives presque partout, et celles des émissions de gaz à effet de serre sont inévitables et se feront sentir pendant au moins un siècle. L’économie devrait pâtir en premier lieu d’une diminution du rendement des cultures et d’une baisse de la productivité de la main-d’œuvre, qui devraient l’une et l’autre entraîner des pertes de PIB de plusieurs pour cent dans les régions les plus touchées. Il faut y ajouter d’importants effets non marchands, ainsi que le risque de franchir des seuils critiques et de basculer dans un système climatique pouvant avoir des répercussions très graves à long terme sur les économies régionales.

Dans les pays de l’OCDE, les politiques de lutte contre le changement climatique se répercutent bien plus sur la répartition sectorielle des emplois que sur l’emploi global. Et comme les besoins en qualifications diffèrent selon les secteurs, des problèmes d’inadéquation des compétences pourraient apparaître, ce qui aurait pour effet d’alourdir notablement les coûts de transition induits par ces politiques et d’accentuer l’inégalité entre travailleurs qualifiés et non qualifiés.

Si les politiques d’atténuation et d’adaptation peuvent réduire globalement les effets négatifs du changement climatique, leurs coûts ne sont pas supportés par l’ensemble des secteurs et régions en proportion des avantages qu’elles leur apporteront ; autrement dit, ils sont répartis inégalement. Ces impacts différenciés posent d’importants problèmes d’économie politique dans l’optique des réformes.

Les conséquences redistributives sont souvent invoquées pour faire barrage à la mise en œuvre ou à la réforme des politiques environnementales. Cela soulève une importante question économique, qui est de savoir si les réformes peuvent être conçues de façon à ne pas être régressives. À titre d’exemple, une étude de l’OCDE portant sur différentes taxes énergétiques dans 21 pays membres de l’Organisation a montré que la régressivité était très variable selon les produits énergétiques et les régions.

Le cas de l’Indonésie est particulièrement éloquent. Ce pays est confronté à de graves problèmes d’environnement, notamment du fait de la modification du climat et de la pollution de l’air, et il y a peu encore, il subventionnait notablement la consommation d’énergie. Dans le contexte de l’initiative NAEC, un cadre analytique novateur a été mis au point pour évaluer les conséquences tout à la fois macroéconomiques, environnementales et redistributives qu’aurait une réforme des subventions énergétiques dans le pays. Il a révélé qu’en supprimant les subventions à la consommation de combustibles fossiles et d’électricité, l’Indonésie pouvait enregistrer des gains de PIB réel d’environ un demi-pour cent en 2020, tout en réduisant sensiblement une série d’émissions liées à l’énergie. Les simulations ont montré que remplacer les subventions énergétiques par des transferts monétaires, et dans une mesure moindre par des subventions alimentaires, pouvait rendre la réforme plus attractive pour les ménages peu fortunés et réduire la pauvreté. Les subventions alimentaires ont toutefois tendance à engendrer d’autres problèmes d’inefficience. À l’inverse, il est apparu que les mécanismes de compensation donnant lieu à des transferts proportionnels au revenu du travail profitaient plus particulièrement aux ménages à revenu intermédiaire et élevé et accentuaientla pauvreté. Cela tient au fait que les revenus de l’emploi informel ne donnent pas droit à ces transferts alors que les ménages pauvres sont surreprésentés parmi les ménages qui perçoivent ce type de revenus.

L’Indonésie a réformé ses subventions aux énergies fossiles et montré très concrètement les résultats que pouvait produire une telle réforme. La conclusion qui se dégage des travaux de l’OCDE – et qui a été validée par les réformes menées en Indonésie – est que la conception de tout éventuel mécanisme de redistribution est déterminante pour le résultat global des réformes sur le plan redistributif. Des politiques bien conçues assorties de mesures d’accompagnement adéquates peuvent être triplement gagnantes en favorisant tout à la fois l’efficience économique, l’efficacité environnementale et la réduction des inégalités. La panoplie de mesures appropriée dépend beaucoup de la situation locale, mais les analyses de l’OCDE confirment que la crainte d’inégalités ne doit pas faire obstacle aux politiques environnementales.

À l’évidence, les pays et les différents groupes à l’intérieur de chacun d’eux ne sont pas égaux devant les pressions environnementales et les effets des politiques d’environnement. Il est crucial de tenir compte des différences d’impact pour concevoir des politiques mieux ciblées et plus équitables, mais cela suppose dans un premier temps de mesurer et de quantifier ces impacts. Les outils et les cadres élaborés en particulier dans le contexte du processus NAEC apportent une importante contribution dans cette optique.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2pQ.

Chateau, J., A. Saint-Martin et T. Manfredi (2012), « Employment impacts of climate change mitigation policies In Oecd: A general equilibrium perspective », Documents de travail de l’OCDE sur l’environnement, nº 32.

Durand-Lasserve, O. et al. (2015), « Modelling of distributional impacts of energy subsidy reforms: An illustration with Indonesia », Documents de travail de l’OCDE sur l’environnement, nº 86.

Flues, F. et A. Thomas (2015), « The distributional effects of energy taxes », OECD Taxation Working Papers, No. 23, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5js1qwkqqrbv-en.

Hallegatte, S. et al. (2016), Shock Waves: Managing the Impacts of Climate Change on Poverty, Banque mondiale, Washington, https://doi.org/10.1596/978-1-4648-0673-5.

OCDE (2015), Les conséquences économiques du changement climatique, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264261082-fr.

OCDE (2014), Le coût de la pollution de lair : Impacts sanitaires du transport routier, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264220522-fr.

OCDE (2009), Adaptation au changement climatique et coopération pour le développement : Document dorientation, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264060296-fr.

Organisation mondiale de la santé (2012), Charge mondiale de morbidité, OMS, Genève.