Les politiques structurelles et leurs effets redistributifs

Kastrop Christian
Directeur de la Branche des études de politique économique, Département des affaires économiques, OCDE

Dans une majorité de pays de l'OCDE, la croissance a été associée au cours des trois dernières décennies à des disparités grandissantes de revenu des ménages. Cela laisse à penser que certains des déterminants de l'évolution du produit intérieur brut (PIB) ont également alimenté les inégalités. En conséquence, la progression du revenu disponible des ménages n'a généralement pas été à la hauteur de celle du PIB par habitant, et l'écart a été particulièrement marqué pour les ménages les plus démunis et la classe moyenne inférieure. Une question importante est de savoir si certains des changements de l'action publique influant sur le PIB peuvent également jouer un rôle « caché » en matière d'inégalités. De nouvelles analyses empiriques de l'OCDE concernant les effets des politiques structurelles sur les revenus des ménages dans l'ensemble de la distribution ont permis de mettre en évidence l'existence potentielle d'arbitrages à opérer et de complémentarités à exploiter entre efficience et équité.

Les réformes de la politique du marché du travail sont souvent conçues pour accroître l'emploi global en influant sur les comportements, notamment au moyen de mécanismes d'incitation ciblés sur l'offre de main-d'œuvre, et renforcer du même coup le PIB par habitant. Par ailleurs, ces mesures se répercutent également sur les inégalités de revenu en influant sur la distribution des rémunérations. Pour certaines réformes, ces deux effets induits sur les mesures des inégalités peuvent se compenser. Ainsi, une réduction des prestations de chômage et une baisse du salaire minimum légal par rapport au salaire médian s'accompagnent à la fois d'une accentuation de la dispersion des salaires et d'une hausse du taux d'emploi des travailleurs peu qualifiés, ce qui peut se traduire par une variation nette très limitée des inégalités au sein de la population d'âge actif, tandis que l'impact sur les inégalités globales est incertain. Pour d'autres réformes, en revanche, les effets induits sur les salaires et l'emploi peuvent se renforcer mutuellement, entraînant à la fois une accélération de la croissance et un recul des inégalités. Tel pourrait être le cas des réformes destinées à assouplir la législation sur la protection de l'emploi applicable aux contrats réguliers en vue de remédier au dualisme du marché du travail, c'est-à-dire à l'existence de segments distincts sur lesquels des travailleurs comparables se trouvent dans des situations différentes en termes de rémunération et deprotection de l'emploi.

De nombreuses dispositions fiscales soulèvent des problèmes d'arbitrage bien connus entre les objectifs de croissance et d'équité. La théorie économique et les analyses empiriques laissent à penser que la structure fiscale influe sur l'efficience macroéconomique, et notamment que les impôts directs ont des effets de distorsion plus marqués que les autres prélèvements en réduisant les incitations à travailler et à investir. Une des réformes fiscales considérées comme les plus propices à la croissance, qui consiste à effectuer un transfert de charge fiscale des revenus vers la consommation et le patrimoine, peut en principe avoir des effets négatifs sur les inégalités via divers canaux. Ainsi, les effets positifs des réformes sur l'emploi peuvent être contrebalancés par une accentuation de la dispersion des revenus résultant d'une diminution de la progressivité du système fiscal. Par ailleurs, des analyses empiriques tendent à indiquer que les taxes sur la consommation peuvent être régressives, au moins à court terme. Les effets redistributifs des impôts sur le patrimoine sont, quant à eux, ambigus. D'une part, suivant leur conception, les impôts périodiques sur la propriété immobilière peuvent être régressifs par rapport au revenu disponible ; d'autre part, il est clair que les droits de succession et les impôts sur les plus-values réduisent les inégalités de patrimoine.

Un assouplissement des dispositions de la réglementation des marchés de produits qui limitent la concurrence peut déboucher sur des gains de productivité et d'emploi à long terme, stimulant du même coup la croissance économique. Néanmoins, leur impact sur les inégalités de revenu est incertain, et les analyses empiriques ne permettent généralement pas de tirer des conclusions. Cela tient au fait que les gains d'emploi peuvent être au moins en partie compensés par les modifications de la dispersion des salaires, étant donné qu'une intensification de la concurrence sur les marchés de produits tend à amoindrir le pouvoir de négociation des travailleurs. Des analyses récentes ont montré cependant qu'une réduction des obstacles à la concurrence se traduisait par une augmentation des revenus de la classe moyenne inférieure plus forte que celle du PIB par habitant. Des travaux de recherche montrent également que l'association de réformes judicieusement conçues concernant l'emploi et les marchés de produits pourrait déboucher sur des gains supplémentaires en matière de croissance et d'égalité.

Un certain consensus, tant dans les pays développés que, dans une moindre mesure, dans les pays en développement, prévaut quant à l'idée que la mondialisation contribue à renforcer la croissance. En revanche, il n'existe aucun consensus sur ses effets redistributifs, et les données empiriques sur la question sont contrastées. La mondialisation économique implique une exposition internationale accrue aux échanges ainsi qu'aux flux financiers et de capitaux, une mobilité plus importante des facteurs de production (c'est-à-dire des travailleurs et des capitaux) et une fragmentation plus marquée du processus de production dans les chaînes de valeur mondiales (CVM). Les effets de la mondialisation sur les inégalités de revenu globales se sont essentiellement fait sentir via le canal de la dispersion des rémunérations, par opposition à celui de l'emploi. D'après les données disponibles, il semblerait que les effets induits par la mondialisation sur les inégalités soient principalement liés à l'accentuation de la dispersion des salaires, découlant en particulier de modifications de la composition de la demande de main-d'œuvre en termes de de qualifications et de secteurs d'activité.

Il s'avère qu'un renforcement de l'intensité des exportations fondé sur une compétitivité saine et dynamique tire vers le haut le PIB par habitant et le revenu disponible moyen des ménages à long terme. Ces effets sont constatés pour l'ensemble de la distribution des revenus des ménages, les gains estimés étant plus importants pour les pauvres – ce qui implique une réduction des inégalités. Globalement, ces conclusions indiquent qu'il existe des synergies entre différents objectifs de l'action publique, à savoir que des réformes renforçant la compétitivité destinées à favoriser les exportations des entreprises locales pourraient se traduire par des gains d'efficience et d'équité.

La mondialisation peut également influer sur la distribution des revenus, dans la mesure où l'augmentation des échanges et des flux de capitaux internationaux facilite la diffusion des technologies, et accentue ce faisant la dispersion des salaires via des canaux tels que les progrès technologiques favorisant la main-d'œuvre qualifiée. Dès lors que ceux-ci réorientent la demande de main-d'œuvre vers des travailleurs au niveau de qualification plus élevé, et en particulier lorsque cette augmentation de la demande ne s'accompagne pas d'une hausse suffisante de l'offre de travailleurs qualifiés, ces progrès technologiques peuvent entraîner une accentuation des inégalités salariales. Les implications de cette hypothèse en matière d'inégalités ont été confirmées de manière empirique pour de nombreux pays de l'OCDE. Qui plus est, des données récentes laissent fortement à penser qu'une spécialisation commerciale favorisant les travailleurs qualifiés est associée à une augmentation des inégalités de salaire, même après prise en compte de l'effet des progrès technologiques.

Il apparaît que les progrès technologiques, mesurés par le poids de l'investissement en technologies de l'information et de la communication (TIC) dans l'investissement global, tirent vers le haut le PIB par habitant et le revenu disponible moyen des ménages à long terme. Ces gains de revenu moyen des ménages sont constatés dans l'ensemble de la distribution, de sorte que rien n'indique que ces progrès aient des répercussions en termes d'inégalités.

Compte tenu de ces conclusions, l'OCDE continue de travailler sur la conception de cadres d'action généraux mais aussi adaptés aux spécificités de chaque pays, permettant d'éviter et de réduire au minimum les phénomènes d'arbitrage à court et à long terme. Il s'agit notamment de déterminer le bon dosage et le calendrier approprié pour les réformes de l'emploi et des marchés de produits, entre autres, tout en prenant en compte les systèmes en place en matière de sciences, d'innovation, d'enseignement et de redistribution, notamment les prélèvements et les prestations en espèces ou en nature.

Liens utiles

Analyses de l'OCDE sur le marché du travail, le capital humain et les inégalités www.oecd.org/fr/eco/travail/.

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2pM.

Réformes économiques : objectif croissance, www.oecd.org/fr/eco/reformes-economiques-objectif-croissance.htm.

Ruiz, N. (2016), « Connecting the dots on income inequality: what do official sources suggest when adjusted for top incomes? », Département des affaires économiques de l'OCDE, sur le blog OECD Ecoscope, https://oecdecoscope.wordpress.com/2016/03/01/connecting-the-dots-on-income-inequality-what-official-sources-suggest-when-adjusted-for-top-incomes/.