Chapitre 4. Les échanges de services et les politiques en la matière favorisent une croissance inclusive

Le chapitre 4 récapitule, sous l’angle des politiques à mener, les principales conclusions qui se dégagent des chapitres précédents, et formule des recommandations ciblées quant à la manière dont des stratégies coordonnées à l’échelle nationale visant à améliorer les politiques et le cadre réglementaire des échanges de services peuvent favoriser une croissance économique inclusive, la compétitivité, la productivité et l’emploi.

  

La transformation structurelle vers une économie de services, en cours dans tous les pays et à tous les niveaux de développement, recèle un immense potentiel d’amélioration du bien-être. Le présent ouvrage fait la synthèse des travaux récemment menés par la Direction des échanges et de l’agriculture de l’OCDE en vue d’analyser les politiques relatives aux échanges de services et de quantifier leur incidence sur le commerce des biens et des services, sur la performance des secteurs des biens et des services dans l’économie mondiale, et sur l’influence qu’exercent les restrictions aux échanges de services sur les décisions et les résultats des entreprises présentes sur les marchés internationaux.

La complexité et le dynamisme de l’activité commerciale au XXIe siècle engendrent une myriade d’interrelations entre les secteurs des services et dans l’ensemble de l’économie. Les télécommunications, l’audiovisuel et les services informatiques constituent un réseau numérique au cœur du système commercial mondial. Les services de transport, de messagerie, de logistique et de distribution forment l’épine dorsale des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les services juridiques, comptables, assurantiels et bancaires sont indispensables au commerce et à la finance. Les services d’architecture, d’ingénierie et de construction sont, quant à eux, au fondement des infrastructures physiques. Bien souvent, la politique commerciale et la réglementation adoptées dans ces différents secteurs des services ne tiennent guère compte des effets qui en résultent pour l’ensemble de l’économie.

Dans ce contexte, les conclusions décrites ci-dessous et dans les chapitres précédents amènent à recommander aux gouvernements nationaux d’envisager l’adoption de stratégies interministérielles afin de tirer parti du potentiel prouvé qu’offrent des politiques et réformes réglementaires coordonnées dans le domaine des échanges de services. L’indice OCDE de restrictivité des échanges de services (IRES), la base de données et les outils en ligne fournissent des données et des références complètes, détaillées et comparables au sujet des meilleures pratiques mondiales, qui peuvent faciliter une telle démarche.

Des marchés de services ouverts donnent accès aux chaînes de valeur mondiales

Dans une économie moderne, de plus en plus numérique, des marchés de services ouverts et bien réglementés assurent l’accès à l’information, aux compétences, aux technologies, aux financements et aux marchés. Ainsi, les services constituent des intrants intermédiaires essentiels dans les chaînes de valeur. En effet, ils permettent de transporter les pièces et les composants jusqu’à la chaîne de montage et les produits finis jusqu’aux consommateurs ; ils sont présents dans la conception, l’ingénierie et l’innovation ; ils servent à suivre l’évolution de la demande et des goûts des consommateurs, et à transmettre ces informations aux concepteurs de produits ; ils offrent financements et assurances ; et ils permettent de se conformer aux lois et règlements en vigueur sur tous les marchés où le produit est vendu, pour ne citer que quelques-unes de leurs fonctions. Selon leur position dans la chaîne de valeur, les services intermédiaires contribuent à réduire les coûts, à améliorer la qualité et à mettre en relation fournisseurs et clients dans le monde entier, comme le montre le graphique 4.1.

Graphique 4.1. Les services dans les chaînes de valeur
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De même que l’abondance relative de main-d’œuvre qualifiée est le fondement de l’avantage comparatif dans les secteurs à forte intensité de compétences, de même une base de prestataires de services bien fournie est à la base de l’avantage comparatif dans les secteurs à forte intensité de services. Les secteurs où l’intensité de services est la plus forte sont souvent les secteurs de haute technologie. Pour s’élever dans la chaîne de valeur, par conséquent, un pays doit pouvoir compter sur un secteur local de services aux entreprises qui soit ouvert aux idées, aux compétences et aux investissements émanant d’entreprises à la pointe du progrès, où qu’elles se situent.

Un secteur de la distribution compétitif constitue un canal important pour que les entreprises, y compris les PME, puissent atteindre les consommateurs. Des réformes dans ce secteur, en particulier dans les pays émergents et en développement, peuvent encourager la création d’entreprises dans toutes sortes de secteurs productifs, y compris l’agriculture, en sus de profiter aux consommateurs.

Les réformes des services favorisent les PME

Les restrictions réglementaires aux échanges de services dissuadent de façon disproportionnée les petites entreprises et les sociétés récentes, sans expérience à l’exportation, d’affronter la concurrence sur de nouveaux marchés. Ces conclusions laissent penser que les obstacles au commerce des services consolident les parts de marché non seulement des entreprises déjà installées sur le marché intérieur, mais même des grands exportateurs en place. Des coussins de trésorerie plus confortables, des experts juridiques internes, un vaste réseau existant de partenaires commerciaux dans le pays et à l’étranger, ainsi qu’une taille permettant d’absorber des frais généraux font partie des nombreuses raisons pour lesquelles les grandes entreprises sont mieux équipées pour réussir dans des environnements réglementaires complexes et difficiles à appréhender.

Une autre preuve en est l’observation selon laquelle le coût des restrictions aux échanges de services est généralement plus faible pour les entreprises étrangères qui exportent en retour vers le pays d’origine de leur société mère multinationale. Il est ainsi permis de penser que la familiarité avec les exigences réglementaires d’un marché confère une longueur d’avance décisive dans le traitement des restrictions, et que l’amélioration de la transparence serait une avancée bénéfique vers la réduction des coûts qu’entraîne une lourde réglementation des services.

Les exemples de PME de services dites à « internationalisation rapide et précoce » qui s’implantent sur les marchés mondiaux sont suffisamment nombreux pour inspirer et déclencher des réactions des pouvoirs publics visant à promouvoir de telles activités. Néanmoins, si l’on prend du recul, force est de constater que les PME opérant à l’échelle mondiale sont relativement rares. La plupart des entreprises exportatrices de services, indépendamment de leur taille, exportent occasionnellement vers un ou plusieurs pays, et la plupart des relations d’exportation ne durent qu’un an ou deux. Le manque de persistance des PME sur les marchés internationaux semble indiquer que la mise en conformité avec la réglementation sur des marchés et dans des cultures et des langues qu’elles ne connaissent pas est peut-être au-dessus de leurs forces.

Le taux élevé d’exportations sporadiques laisse penser que la difficulté, dans l’exportation, réside non pas tant dans la pénétration d’un marché étranger que dans l’établissement d’une clientèle. La racine du problème semble être la baisse du rythme de création de jeunes pousses dans la plupart des pays de l’OCDE, conjuguée aux obstacles au passage à une échelle supérieure sur les marchés étrangers. Ce phénomène soulève de complexes problèmes pour les gouvernements qui tiennent à maintenir des normes élevées de sécurité et de protection des consommateurs tout en encourageant les PME à tirer parti des opportunités qu’offrent la technologie et la libéralisation des échanges pour s’implanter sur les marchés internationaux. Un taux d’échec élevé est inévitable lorsqu’on prend des risques dans un environnement incertain. L’existence d’un marché du capital-risque est donc nécessaire, et les programmes publics appuyant l’internationalisation des PME doivent traiter les échecs comme une composante normale de la prise de risque plutôt que comme une défaillance du programme. Cela étant, les pouvoirs publics doivent aussi prendre la mesure des défaillances du marché et recenser les options qui s’offrent pour remédier aux distorsions existantes, tout en évaluant les coûts et avantages des actions à mener.

Il est clair que le coût des restrictions aux échanges de services est supporté de façon disproportionnée par les PME, en raison de l’importance de la composante « coûts fixes ». Par conséquent, pour que la mondialisation soit au bénéfice de tous, il serait plus efficace d’abaisser, lorsque c’est possible, la charge que représente la réglementation. En outre, une coopération en matière de réglementation visant à minimiser la duplication des coûts de mise en conformité, associée à une meilleure utilisation de la technologie pour alléger les procédures administratives, seraient des démarches de nature à aider les PME. L’exportation n’est pas un objectif en soi mais, dans les cas où le marché national n’offre guère d’opportunités, elle peut représenter une stratégie attrayante pour des jeunes pousses qui réussissent et qui pourraient se développer et passer rapidement à l’échelle supérieure.

La coopération en matière de réglementation réduit les frictions commerciales

L’hétérogénéité réglementaire exerce, sur les flux d’échanges de services, une influence négative qui dépasse l’impact des restrictions aux échanges de services. À l’inverse, les pays échangent davantage avec les partenaires qui appliquent une réglementation similaire. L’effet de l’hétérogénéité réglementaire sur le commerce est d’autant plus grand que les pays pratiquent moins de restrictions aux échanges : l’harmonisation à un faible niveau de restrictivité est associée à un solide soutien aux échanges de services, alors que l’harmonisation à un niveau de restrictions plus élevé n’offre pas d’avantages. Les accords commerciaux sont susceptibles d’avoir le plus d’effets sur les échanges lorsque i) les parties sont relativement similaires dans leur approche de la réglementation et du cadre réglementaire ; ii) la première étape consiste à réduire le niveau de restrictivité imposé aux échanges ; iii) l’abaissement du niveau de restriction va de pair avec une coopération prospective en matière de réglementation ; iv) la coopération en matière de réglementation s’intensifie avec le recul des règles restreignant les échanges ; et v) la coopération en matière de réglementation parvient à éliminer la duplication des coûts de mise en conformité pour les exportateurs.

Le mouvement des personnes physiques fait partie des échanges de services et des accords commerciaux

Le mouvement des personnes ne représente peut-être pas une grande partie des échanges de services, mais il demeure néanmoins essentiel à l’activité commerciale internationale. La mobilité des individus à travers les frontières internationales est cruciale, en particulier pour les échanges de services professionnels, lesquels sont un important vecteur de transfert des connaissances. En outre, les analyses de l’OCDE montrent que les restrictions relatives au mouvement des personnes sont associées de façon négative au chiffre d’affaires des filiales étrangères.

Pour attirer les multinationales de services étrangères, les pays doivent assouplir les règles régissant le mouvement des personnes qui est destiné à fournir un service de manière temporaire. Les voyages d’affaires pourraient être facilités par l’adoption de dispositifs efficaces et peu onéreux de traitement des visas, comme les visas électroniques. Des dispositions flexibles, comme l’octroi de licences temporaires à des professionnels pour des tâches spécifiques ou de courtes périodes, pourraient aussi être utiles dans les secteurs où des licences sont nécessaires. Des accords commerciaux internationaux comme l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) comportent des dispositions relatives au mouvement des personnes physiques prestataires de services, catégorie distincte des migrants et des demandeurs d’emploi. Pourtant, rares sont les pays qui établissent une telle distinction dans les lois sur l’immigration et dans la réglementation.

L’économie numérique dépend des services, et fait naître de nouveaux services sur les marchés mondiaux

Les télécommunications sont certes cruciales pour la coordination et la synchronisation des chaînes d’approvisionnement manufacturières, mais la large bande constitue aussi l’infrastructure qui rend possible le commerce des services professionnels à haute intensité de connaissances en facilitant les transferts de connaissances par-delà les frontières. Les analyses de l’OCDE montrent que la libéralisation et les réformes favorisant la concurrence dans le secteur des télécommunications sont associées à une réduction substantielle du coût des échanges de services professionnels. En outre, les services qui profitent le plus de l’accès à des réseaux de télécommunications plus performants et moins coûteux sont des services spécialisés, haut de gamme, ou personnalisés.

La présence de réseaux à haute capacité et à des prix compétitifs est une condition nécessaire mais non suffisante pour assurer la transition numérique des services à forte intensité de connaissances. L’accès aux professions et aux services qu’ils offrent est lui aussi essentiel. L’octroi de licences par des organes autoréglementés crée des barrières à l’entrée, limite l’offre et élève les prix des professions réglementées. En outre, comme les exigences de qualifications diffèrent selon les pays, les États et les territoires, les accords de reconnaissance mutuelle peuvent être complexes à négocier et encore plus difficiles à faire respecter. L’accord économique commercial global (AECG) récemment conclu entre l’Union européenne et le Canada, par exemple, prévoit un cadre dans lequel les autorités de réglementation négocieront des accords de reconnaissance mutuelle pour les professions qui « réglementées dans chaque Partie, y compris dans l’ensemble ou une partie des États membres de l’Union européenne, et dans l’ensemble ou une partie des provinces et territoires du Canada. [article 11.2] » Ainsi, malgré l’existence d’un accord commercial global, il reste des obstacles potentiels à surmonter avant que les professionnels puissent offrir leurs services dans toutes les entités membres de l’AECG.

La numérisation et la standardisation des tâches empiètent de plus en plus sur les domaines réservés des professionnels licenciés. Pour que les gros fabricants et les PME, où qu’ils soient, puissent avoir accès à des services professionnels à haute intensité de connaissances, il convient de passer en revue les activités qui ont vraiment besoin d’être protégées par une licence, de déterminer si l’octroi des licences pourrait être confié à un organisme indépendant et d’approfondir la coopération internationale en matière de réglementation. Des exemples d’une telle coopération sont les normes comptables internationales, ou encore l’accord de l’APEC reconnaissant « l’équivalence substantielle » des compétences professionnelles en ingénierie. Pour que le marché des services à forte intensité de connaissances fonctionne correctement, les professionnels doivent être autorisés à déployer du personnel auprès de leurs clients en tant que besoin et pour accumuler, transférer, stocker et analyser des données pour aider leurs clients de manière rentable.

Des marchés de services ouverts et bien réglementés favorisent une croissance inclusive

Une meilleure compréhension du rôle des échanges de services et des politiques y afférentes dans les économies nationales et dans le système commercial mondial revêt une importance particulière en cette époque d’incertitude quant au rôle de la mondialisation et de la technologie dans un contexte d’aggravation des inégalités de revenus et de richesse. Ce phénomène s’accentue, à un degré plus ou moins grand, dans le monde entier, mais les pays accusent des différences substantielles dans leur capacité à rendre la croissance inclusive.

À long terme, la source première de croissance économique est le progrès technologique. La révolution des TIC qui est en cours va de pair avec l’ouverture aux échanges, aux investissements, aux informations et aux idées, et elles ne seraient pas possibles l’une sans l’autre. Ainsi, le développement technologique et la mondialisation sont les deux faces d’une même médaille. En effet, le développement technologique repose sur un accès mondial aux savoirs ainsi qu’aux réseaux, aux biens et aux services qui font circuler ces connaissances autour du monde. En outre, l’échelle qu’offrent des marchés ouverts accroît souvent les rendements de l’innovation. À l’inverse, la technologie a permis d’abaisser considérablement les coûts des échanges et des transactions, bien souvent davantage que la levée des obstacles aux échanges induits par les politiques publiques.

Cette articulation entre TIC et mondialisation, à l’instar des révolutions technologiques qui l’ont précédée, fait naître de nouveaux produits et modèles opérationnels. Dans ce contexte, les réformes de l’éducation sont essentielles pour assurer une meilleure adéquation entre travailleurs et emplois. L’éducation et la formation des adultes, ainsi que la formation à la création d’entreprises au sein de l’enseignement professionnel, sont des composantes importantes de ces réformes (OCDE, 2016). Enfin, des filets de sécurité de base bien conçus, en matière de santé, de pensions et de chômage, améliorent la mobilité de la main-d’œuvre et favorisent la création d’entreprises. En présence de tels dispositifs, restructurer des entreprises, changer d’emploi et créer une entreprise présentent plus d’attraits et moins de risques.

Références

OCDE (2016), L’importance des compétences : Nouveaux résultats de l’évaluation des compétences des adultes, Études de l’OCDE sur les compétences, Éditions OCDE, Paris, www.oecd.org/fr/competences/piaac/l-importance-des-competences-9789264259492-fr.htm.

OCDE (2013), Lignes directrices régissant la protection de la vie privée et les flux transfrontières de données de caractère personnel, OCDE, Paris, www.oecd.org/fr/sti/ieconomie/lignesdirectricesregissantlaprotectionde laviepriveeetlesfluxtransfrontieresdedonneesdecaracterepersonnel.htm.