Chapitre 5. Impact des politiques sectorielles sur les migrations en Côte d’Ivoire

Les politiques sectorielles adoptées dans des domaines importants pour le développement, à l’instar du marché de l’emploi, de l’agriculture, de l’éducation, de l’investissement et des services financiers, ainsi que de la protection sociale et la santé, peuvent influer sur les décisions liées à la migration et sur le lien entre migrations et développement. Les enquêtes menées dans le cadre du projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) en Côte d’Ivoire intégraient un large éventail de programmes politiques menés dans ces cinq secteurs clés, dans l’objectif d’identifier quelques-uns des liens existant entre les politiques sectorielles et les migrations. Ce chapitre analyse en quoi les programmes conduits dans ces secteurs en Côte d’Ivoire influencent les décisions individuelles d’émigrer, de transférer des fonds ou de retourner au pays, ainsi que les perspectives d’intégration des immigrés.

  

Les migrations subissent inévitablement l’influence des politiques adoptées dans le pays d’origine. La plupart des pays ont adopté tout un ensemble de politiques directement axées sur les migrations, à l’image des politiques de contrôle à l’entrée du territoire (déterminant qui peut entrer et dans quelles conditions) et de celles visant à faciliter les transferts de fonds. Outre celles-ci, d’autres politiques se répercutent également sur les migrations. Le projet IPPMD en Côte d’Ivoire se concentre sur les politiques déployées dans des secteurs importants pour le développement : le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, l’investissement et les services financiers, ainsi que la protection sociale et la santé.

Le Chapter 4 a montré que les différentes dimensions migratoires exerçaient une incidence distincte sur ces cinq secteurs. Et pour chacun de ces secteurs, le contexte politique, à son tour, influence les résultats en matière de migrations, à l’instar de la décision d’émigrer et de rentrer au pays, l’envoi et l’utilisation des transferts de fonds, mais aussi l’intégration des immigrés. À ce jour, l’incidence des politiques sectorielles sur les migrations demeure trop peu étudiée. Ce chapitre tente de démêler le lien entre les migrations et un large ensemble de programmes politiques déployés dans les cinq secteurs clés en Côte d’Ivoire (Table 5.1).

Tableau 5.1. Politiques sectorielles et programmes visés dans le cadre du projet IPPMD

Secteurs

Politiques / programme

Marché de l’emploi

  • Agences nationales pour l’emploi

  • Programmes de formation professionnelle

Agriculture

  • Programmes de subvention

  • Programmes de formation agricole

  • Programmes fondés sur des assurances

  • Titres fonciers

Éducation

  • Programmes de distribution en nature

  • Programmes reposant sur une aide en espèces

  • Autres types de programmes de formation

Services financiers et investissement

  • Politiques liées aux investissements des entreprises

  • Politiques relatives à l’inclusion financière et l’éducation

Protection sociale et santé

  • Contrats de travail formels

  • Prestations liées à l’emploi

Le présent chapitre s’articule autour des cinq secteurs étudiés. Il cherche dans un premier temps à déterminer en quoi les résultats en matière de migrations sont influencés par les politiques sur le marché de l’emploi, avant de s’intéresser aux effets des politiques régissant l’agriculture, l’éducation, l’investissement et les services financiers, et enfin la protection sociale et la santé.

Politiques relatives au marché de l’emploi et migrations

Bien que les migrations se répercutent par divers canaux sur le marché de l’emploi (Chapter 4), les politiques du marché de l’emploi mises en œuvre en Côte d’Ivoire peuvent influer sur les décisions de migration des ménages et sur l’intégration des immigrés. Les données IPPMD confirment que la recherche d’emploi et de possibilités d’emploi constitue le principal moteur de l’émigration à partir de la Côte d’Ivoire (Chapter 3). Les instruments politiques permettant d’améliorer le marché du travail national pourraient par conséquent réduire les raisons incitant à émigrer. De même, des politiques du marché de l’emploi favorables à l’insertion peuvent permettre d’appuyer plus avant l’intégration des travailleurs immigrés.

Les politiques, programmes et projets mis en œuvre en faveur de l’emploi des jeunes reposent sur la situation de déséquilibre sur le marché de l’emploi. En Côte d’Ivoire, la politique en faveur de l’emploi des jeunes a subi l’influence des diverses phases de développement économique du pays. Au cours des deux premières décennies de l’indépendance ivoirienne, l’économie nationale était caractérisée par une croissance durable et bénéfique à l’emploi moderne. La troisième décennie a été marquée par une récession économique, conduisant à des licenciements massifs sous l’effet des programmes d’ajustement structurel (PAS). Face aux effets négatifs des PAS, le gouvernement a introduit des mesures de soutien à l’emploi des jeunes. La politique de retour à la terre a été mise en œuvre en 1985 afin de mettre un terme au chômage des jeunes diplômés, en concurrence défavorable avec les travailleurs plus âgés et plus expérimentés sur le marché de l’emploi. Comme on pouvait s’y attendre, cette politique s’est soldée par un échec en raison de son incohérence vis-à-vis de la théorie économique du développement.

Face à la généralisation du chômage et au fait que les PAS n’ont pas donné les résultats espérés, les mesures de soutien à l’emploi ont été renforcées et diversifiées entre 1991 et 1999 avec la conception d’un Plan national de l’emploi en 1991, révisé en 1995. Ces plans nationaux s’appuient sur le Programme d’aide à l’embauche (PAE), sur le Programme spécial d’insertion des femmes (PSIF), sur le Programme d’insertion des jeunes ruraux (PIJR) et sur le Programme de création de microentreprise (PCME). Tous ces programmes ont été arrêtés ou suspendus pour manque de fonds.

Une dernière phase, de 2000 à 2011, se caractérise par une série de crises politiques et militaires et un environnement défavorable à la création d’emplois. Face à cette situation, le gouvernement a créé en 2003 un fonds national de solidarité pour la promotion de l’emploi des jeunes, une plate-forme de services composée de l’Agence d’études et de promotion de l’emploi (Agepe), l’Agence nationale de la formation professionnelle (Agefop), du Fonds de développement de la formation professionnelle (FDFP) et du fonds national de solidarité (FNS) afin de renforcer la formation et l’intégration des jeunes. En outre, le programme Travaux à haute intensité de main-d’œuvre (Thimo) a été réactivé en vue de créer des emplois temporaires pour les jeunes et les femmes. Un Plan national de développement de l’emploi 2006-08 a également été formulé en 2006, mais il n’a pas pu être mis en œuvre. Par ailleurs, conformément au Programme par pays de promotion du travail décent (PPTD) 2008-13, la Côte d’Ivoire a introduit plusieurs mesures visant à promouvoir le travail décent pour les jeunes.

Depuis la fin de la crise en avril 2011, la lutte contre le chômage figure au cœur des préoccupations du gouvernement ivoirien. La création d’emploi, en particulier au profit des jeunes, est le fer de lance de l’action gouvernementale. Dans cette perspective, le pays a adopté une Politique nationale de l’emploi (PNE) en juin 2012.

L’étude IPPMD se concentre sur les politiques ayant pour objectif de renforcer l’efficacité du marché de l’emploi au travers des agences nationales pour l’emploi, d’améliorer les compétences de la main-d’œuvre par le biais de programmes de formation professionnelle, et d’accroître la demande de main-d’œuvre en augmentant les programmes publics pour l’emploi. Elle s’interroge sur la prévalence de ces politiques en Côte d’Ivoire et sur leur influence sur les migrations.

Les programmes de formation professionnelle tendent à freiner l’émigration en Côte d’Ivoire

La pertinence de la formation des demandeurs d’emploi en vue d’assurer leur employabilité est une question importante sur le marché de l’emploi ivoirien. L’étude IPPMD a révélé que 2.3 % des personnes actives interrogées avaient participé à un programme de formation professionnelle dans les cinq ans précédant l’enquête. Il s’agit du deuxième taux de participation le plus faible parmi les pays IPPMD, après le Maroc (1 %). Avec 12 %, le Costa Rica affichait le taux le plus élevé. La participation à des programmes de formation professionnelle était plus élevée chez les hommes que chez les femmes en Côte d’Ivoire (2.8 % contre 1.7 %) et concernait davantage les zones urbaines que les zones rurales (2.9 % contre 1.5 %). Selon les résultats de l’enquête, les programmes de formation les plus courants concernent l’entreprise/l’entrepreneuriat (52 %), suivis par l’informatique/les technologies de l’information (TI ; 14 %) et la mécanique (8 %).

Les programmes de formation professionnelle peuvent influer sur les migrations de deux façons. S’ils peuvent aider certaines personnes à trouver un emploi de meilleure qualité sur le marché de l’emploi domestique, réduisant ainsi le besoin de migrer, ils peuvent aussi améliorer l’employabilité à l’étranger des candidats potentiels à l’émigration. Une étude comparative des dix pays partenaires du projet IPPMD met en évidence que, dans la plupart des pays, le pourcentage de personnes envisageant de migrer est plus élevé chez les personnes ayant participé à un programme de formation professionnelle que chez celles qui n’en ont pas suivi (OCDE, 2017). Ce qui laisse penser que les individus tendent à prendre part à de tels programmes dans l’objectif de trouver un emploi à l’étranger. La Côte d’Ivoire s’inscrit dans ce modèle : alors que 15 % des personnes n’ayant pas suivi de programme de formation professionnelle projettent d’émigrer, la proportion de personnes ayant participé à ce type de programme et envisageant d’émigrer est nettement plus élevée (29 %). Ce schéma semble plus marqué chez les femmes que chez les hommes (Figure 5.1).

Graphique 5.1. Les participants à des programmes de formation professionnelle en Côte d’Ivoire sont plus susceptibles d’envisager l’émigration que les non-participants
Part d’individus envisageant d’émigrer (%), selon qu’ils ont ou non participé à des programmes de formation professionnelle
picture

Note : Un test du khi carré a servi à mesurer le niveau de signification statistique entre chaque ensemble de groupes. Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

La relation entre les programmes de formation professionnelle et l’émigration est étudiée de manière approfondie au moyen d’une analyse de régression (Box 5.1)1 . Elle examine les liens entre la participation à des programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration, tout en tenant compte d’autres facteurs, tels que le chômage. Les résultats (Table 5.2) n’indiquent toutefois aucun lien significatif entre les programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration, ni pour les hommes, ni pour les femmes.

Encadré 5.1. Liens entre les programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration

Afin de déterminer le lien entre la participation à des programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration, le modèle probit suivant a été utilisé :

Prob(picture (1)

picture représente si l’individu i projette d’émigrer à l’avenir. Il s’agit d’une variable binaire qui prend la valeur de 1 si la personne prévoit de quitter le pays ; picture est la variable d’intérêt. Elle correspond à une variable binaire indiquant si la personne a participé à un programme de formation professionnelle dans les cinq ans précédant l’enquête ; picture représente une série de variables de contrôle au niveau individuel et picture au niveau du ménagea ; picture implique des effets régionaux fixes et picture correspond au terme d’erreur réparti de manière aléatoire. Le modèle a été testé pour deux groupes différents : les hommes et les femmes. Les coefficients des variables d’intérêt sont indiqués dans le Table 5.2.

Tableau 5.2. Les programmes de formation professionnelle ont peu d’incidence sur les projets d’émigration

Variable dépendante : Individu envisageant d’émigrer

Principales variables étudiées : Individu ayant participé à un programme de formation professionnelle

Type de modèle : Probit

Échantillon : Population active en âge de travailler (15-64 ans)

Variables étudiées

Échantillon

Tous

Hommes

Femmes

Individu ayant participé à un programme de formation professionnelle

0.042

(0.033)

0.026

(0.043)

0.070

(0.054)

Ménage avec au moins un émigré

0.027

(0.017)

0.036

(0.023)

0.014

(0.026)

Individu au chômage

0.042

(0.025)

0.017

(0.038)

0.054

(0.033)

Nombre d’observations

3 678

2 168

1 419

Note : Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Erreurs-types entre parenthèses.

a. Les variables de contrôle incluent l’âge, le sexe, le niveau d’éducation des individus ainsi que le fait qu’ils soient au chômage ou non. Au niveau du ménage, la taille du ménage et sa valeur au carré, le ratio de dépendance, l’indicateur de richesse et sa valeur au carré sont contrôlés. Le fait que le ménage compte un émigré ou non est également contrôlé.

Les agences nationales pour l’emploi déploient peu d’efforts face au phénomène migratoire

Les agences nationales pour l’emploi peuvent influencer indirectement les décisions de migration des ménages. Si les individus parviennent à trouver un emploi par l’intermédiaire de ces agences sur le marché de l’emploi domestique, il est probable qu’ils choisissent alors de rester plutôt que d’émigrer pour chercher du travail. Cependant, dans l’échantillon IPPMD, seuls quelque 2 % des travailleurs ivoiriens employés dans les secteurs public ou privé ont trouvé un emploi grâce à ces agences (1 % en milieu rural et 2 % en milieu urbain). La plupart des gens avaient trouvé leur emploi par l’entremise d’amis ou de membres de leur famille, ou en contactant directement les employeurs potentiels (Figure 5.2). Considérées conjointement, ces deux méthodes concernent 73 % de tous les adultes interrogés ayant des emplois rémunérés dans les secteurs public et privé.

Graphique 5.2. Les agences nationales pour l’emploi jouent un rôle mineur dans la recherche d’emploi chez les répondants ivoiriens du projet IPPMD
Méthodes ayant permis de trouver l’emploi occupé actuellement, dans les secteurs public et privé
picture

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Si le pourcentage de personnes ayant bénéficié de l’aide des agences nationales pour l’emploi est particulièrement faible en Côte d’Ivoire, on observe toutefois certaines tendances en lien avec les migrations. Parmi les personnes ayant trouvé un emploi par le biais de ces agences, 23 % projetaient d’émigrer mais cette part était plus importante chez les personnes n’ayant pas eu recours à ces agences (26 %). Les caractéristiques individuelles des bénéficiaires des agences nationales pour l’emploi expliquent cette tendance. Les bénéficiaires sont en général plus instruits que les non-bénéficiaires et sont plus susceptibles d’aller occuper des emplois dans la fonction publique, qui sont considérés comme stables (sécurité de l’emploi).

Politiques agricoles et migration

Le Chapter 4 conclut que les migrations exercent un effet positif sur le secteur agricole en Côte d’Ivoire, en particulier parce qu’elles soulagent et redynamisent un marché de l’emploi saturé. Les ménages avec un émigré s’appuient davantage sur une main-d’œuvre agricole externe que les ménages sans émigré. Les politiques agricoles peuvent elles aussi influer sur les migrations. À 23 % en 2015, le poids de l’agriculture dans le produit intérieur brut (PIB) de la Côte d’Ivoire est relativement élevé si on le compare aux autres pays partenaires du projet IPPMD (Banque mondiale, 2017). Le Plan national de développement (PND) 2016-20 (République de Côte d’Ivoire, 2015) met en relief la dépendance du pays vis-à-vis de ce secteur. Le PND considère le secteur agricole comme un rouage essentiel au cœur des premières mesures tournées vers une croissance forte et partagée dans le pays, mais souligne par ailleurs les nombreux écueils qui continuent d’entraver une telle croissance. Relevons notamment le bilan médiocre en matière de droits fonciers et de disponibilité des terres, la faible capacité technique des agriculteurs, les difficultés d’accès au financement et aux intrants agricoles, les occasions manquées dans les chaînes de valeur agricoles et l’absence de grandes industries agricoles. En outre, un autre rapport fait état de coopératives non fonctionnelles, d’un faible niveau de mécanisation, de subventions insuffisantes et d’un manque de terres arables, expliquant la situation médiocre que connaît le secteur agricole en Côte d’Ivoire (Amede, 2011).

Le conflit gangrénant le pays a rendu difficile le déploiement de programmes de politique publique pour résoudre les problèmes précédemment décrits. Depuis que la paix s’est installée en 2011, le gouvernement et plusieurs de ses partenaires ont investi des fonds dans le but de rétablir et de stimuler ce secteur agricole jadis florissant. En 2013, par exemple, la Banque africaine de développement (BAfD), de concert avec les Gouvernements de la Suède et des États-Unis, a lancé un programme de 23 millions d’euros (EUR) intitulé Fonds pour l’accélération du développement agricole (FADA), dont la première phase portait sur six pays, y compris la Côte d’Ivoire. Le programme visait à améliorer l’irrigation, les chaînes de valeur, l’accès au financement et la qualité de production. Au cours de la même année, le Gouvernement français a lancé le Programme d’appui de la relance des filières agricoles en Côte d’Ivoire, à hauteur de 63 millions EUR, dont l’objectif est de réhabiliter les activités agricoles stratégiques dans le pays et d’intensifier le dialogue agricole avec les décideurs politiques du pays. L’une des composantes importantes du programme concerne l’accès à la terre par les agriculteurs. En 2015, le Gouvernement français a poursuivi sur sa lancée en introduisant un autre programme (Filières agricoles durables en Côte d’Ivoire), à hauteur de 77 millions EUR, qui a vocation à soutenir les petits producteurs en augmentant la capacité technique et en promouvant des méthodes durables, y compris par le biais de subventions à l’agriculture.

Ainsi que le suggèrent les programmes précédemment décrits, bon nombre des politiques en place sont plutôt récentes et, en conséquence, peu de ménages bénéficiant de programmes agricoles directs ont pu être identifiés dans le cadre du projet IPPMD. Selon les données recueillies, seuls 51 des 1 210 ménages agricoles (soit 4 %) ont expressément bénéficié d’un programme de subventions agricoles entre 2010 et 2014, 26 ménages ont bénéficié de programmes de formation (2 % de tous les ménages agricoles) et un seul ménage de mécanismes d’assurance. Cependant, les droits fonciers et l’accès à la terre constituent une autre question politique majeure pour l’agriculture en Côte d’Ivoire et l’enquête IPPMD a cherché à savoir si les ménages possédaient un titre de propriété sur leurs terres agricoles. Des 757 ménages agricoles possédant des terres et ayant répondu à la question, 202 à peine (soit 27 %) ont affirmé être en possession d’un titre attestant de leurs droits. L’analyse ci-dessous se concentre par conséquent sur les titres fonciers et les subventions agricoles.

Les ménages détenant des titres fonciers sur des terres agricoles sont plus susceptibles de compter un membre qui projette d’émigrer

L’accès à la terre et les droits fonciers constituent une problématique sérieuse et de longue date en Côte d’Ivoire. Figurant au 113e rang sur un total de 187 pays, la Côte d’Ivoire compte ainsi au nombre des pays les moins performants en termes de facilité d’inscription au registre foncier, selon la base de données de la Banque mondiale, Doing Business (Banque mondiale, 2016). La problématique des droits fonciers en Côte d’Ivoire est apparue dans le sillage d’une initiative de son premier Président (Félix Houphouët-Boigny) qui a déclaré, en 1963, que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ». Ce principe non-écrit et informel a perduré dans le pays jusqu’en 1998, date à laquelle le Parlement a adopté la Loi n° 98-750 relative au domaine foncier rural, dont l’objectif était d’identifier, reconnaître et protéger les droits acquis au travers des transferts coutumiers de terres (il s’agissait, en somme, de codifier les transactions foncières) ; mais la loi excluait les étrangers de l’accès à la propriété foncière, donnant lieu à contestation. Cette loi, et ses implications pour les immigrés, est restée au cœur du conflit qui a duré jusqu’en 2011, rendant d’autant plus importante la possession de titres fonciers. Quelque 98 % de l’espace rural ivoirien serait placé sous un régime de gestion coutumier et non au moyen de titres de propriété officiels, faisant de la mise en œuvre de la loi un projet ambitieux. En 2013, le Parlement ivoirien a adopté une prorogation du délai précédant la mise en œuvre de la loi de 1998 pour une période supplémentaire de dix ans. À l’issue de ce délai de grâce, l’État s’appropriera les terres non enregistrées (Mitchell, 2015).

Les titres fonciers peuvent influencer l’émigration de diverses façons. Premièrement, le titre foncier va permettre au ménage d’utiliser ses terres à titre de garantie pour accéder au crédit bancaire (Poyo, 2003). En jouissant d’une capacité d’emprunt auprès des banques, les ménages sont mieux positionnés pour financer la migration, mais aussi pour investir dans des activités agricoles plus productives, réduisant ainsi la probabilité de migration. Par ailleurs, les ménages qui détiennent des titres officiels de propriété sur leurs terres peuvent les vendre plus aisément, et les résultats en matière de migrations peuvent s’en trouver affectés de la même manière. Dans de nombreux pays en développement, les droits à la terre sont subordonnés à l’utilisation qui en est faite. Le fait de dissocier les droits fonciers de l’utilisation des terres peut augmenter l’émigration, dès lors que les ménages n’ont plus à utiliser la terre de façon productive afin d’en conserver la propriété. Ils sont ainsi libres de la laisser en jachère ou de la louer, sans risquer de la perdre. Au Mexique, par exemple, les ménages qui avaient obtenu des certificats de propriété par l’intermédiaire du programme de certification foncière mexicain, déployé de 1993 à 2006, étaient 28 % plus susceptibles de compter un membre migrant (de Janvry et al., 2014). Pour les mêmes raisons, les émigrés sont moins susceptibles de retourner dans leur pays d’origine si le droit dont ils jouissent à l’égard de leur terre est protégé. Les titres fonciers peuvent également déterminer si les émigrés transfèrent des fonds ; les personnes dont les terres ne sont pas protégées par un document officiel peuvent donc être amenées à transférer des fonds à titre de sécurité sociale.

Parmi les 757 ménages agricoles possédant des terres et ayant indiqué s’ils disposaient ou non d’un titre foncier, ceux qui jouissaient d’un tel titre étaient bien plus susceptibles de compter un membre projetant d’émigrer (34 % contre 22 %, différence statistiquement significative) et plus susceptibles de compter un émigré actuel (24 % contre 17 %) que les ménages ne détenant aucun titre foncier (Figure 5.3). Ce résultat correspond aux valeurs publiées dans la littérature citée plus haut, qui indique que la possession de titres fonciers peut conduire à l’émigration, puisque les ménages et les individus sont moins exposés au risque de perte de leurs terres lorsqu’ils se trouvent à l’étranger. Conformément à ce constat, les ménages migrants (avec un émigré ou avec un migrant de retour) disposant d’un titre foncier étaient également moins susceptibles de compter un migrant de retour (26 % contre 35 %, Figure 5.3), ce qui signifie que la sécurité foncière peut les dissuader de revenir afin de revendiquer leur droit. Il semble que les titres aient peu d’influence sur le fait que les ménages reçoivent des transferts de fonds (9 % des ménages sont concernés, qu’ils détiennent ou non des titres fonciers).

Graphique 5.3. Le fait de détenir des titres de propriété foncière peut entraîner une hausse de l’émigration et un recul de la migration de retour en Côte d’Ivoire
Part des ménages titulaires et non-titulaires d’un titre foncier, selon les résultats en matière de migrations
picture

Note : Seuls les ménages étant propriétaires terriens ou travaillant la terre sont considérés. Un test du khi carré a servi à mesurer le niveau de signification statistique entre chaque ensemble de groupes. Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

L’on pourrait également penser que, en raison du contexte actuel tendu concernant l’immigration dans le pays, et compte tenu de la loi de 1998, les immigrés pourraient être moins susceptibles que les ménages sans immigré de détenir des titres de propriété concernant leurs terres. Pourtant, l’accès à la propriété foncière étant moins aisé pour les immigrés, il est plus probable que ces derniers cherchent à obtenir l’acte de propriété foncière officiel ou à acquérir la nationalité ivoirienne afin de détenir des terres. Les ménages avec un immigré étaient en effet plus nombreux à disposer de titres fonciers (33 % contre 24 %) en Côte d’Ivoire.

D’autres facteurs que la possession d’un titre foncier peuvent également avoir une incidence sur ces résultats en matière de migrations, ils ont été analysés de manière plus approfondie à l’aide de l’analyse de régression (Box 5.2). Les résultats confirment que le fait de détenir un titre foncier officiel augmente la probabilité qu’un ménage compte également un membre qui projette d’émigrer. Ainsi que cela a été suggéré plus tôt, ce constat résulte probablement du moindre risque que le ménage perde son droit une fois parti à l’étranger, réduisant par là-même les risques liés à l’émigration (Table 5.3, colonne 2). Cependant, les liens entre la possession d’un titre foncier et l’émigration (qui augmente) et la migration de retour (qui diminue) vont dans le même sens que les statistiques descriptives du Figure 5.3 (colonnes 2 et 4), mais ne présentent plus de caractère statistiquement significatif. Cela s’explique par le fait que les statistiques descriptives ne tiennent pas compte des facteurs importants pour l’émigration, à savoir la situation en milieu urbain, étant donné que nombre de ménages agricoles vivent également en milieu urbain en Côte d’Ivoire ; le fait que le ménage compte moins d’hommes, probablement en raison de l’émigration masculine ; et un niveau de richesse accru du ménage, compte tenu des coûts induits par l’émigration. De même, les statistiques descriptives ne tiennent pas compte non plus des facteurs entraînant la migration de retour, tels que des ratios de dépendance plus faibles, puisque les migrants adultes peuvent avoir à réintégrer des ménages avec plus d’enfants ou de personnes âgées, et la situation en milieu rural (les coefficients de ces variables ne sont pas indiqués dans le Table 5.3).

Encadré 5.2. Liens entre possession de titres fonciers et migrations

Le modèle de régression probit suivant a été utilisé pour estimer la probabilité que la possession de titres fonciers ait influé sur un résultat en matière de migrations :

picture (2)

où l’unité d’observation est le ménage m et la variable binaire dépendante (migm) prend la valeur 1 si le ménage a enregistré un résultat en matière de migrations et 0 dans le cas contraire. picture représente une variable nominale prenant la valeur de 1 si le ménage est en possession de son titre foncier. picture correspond à des régresseurs (variables explicatives) au niveau du ménagea. Les erreurs types, picture, sont robustes en présence d’hétéroscédasticité. Un deuxième modèle est estimé, remplaçant picture par picture, qui prend la valeur 1 si le ménage a reçu une subvention agricole au cours des cinq dernières années.

Tableau 5.3. Les ménages détenant des titres de propriété officiels sont plus susceptibles de compter un membre qui projette d’émigrer

Variable dépendante : Résultats en matière de migrations

Principales variables d’intérêt : Le ménage détient un titre de propriété sur son terrain

Type de modèle : Probit

Échantillon : Ménages agricoles

Variables étudiées

Variables dépendantes

(1)

Ménage dont un membre prévoit d’émigrer

(2)

Ménage avec un émigré

(3)

Ménages ayant reçu des transferts de fonds au cours des 12 derniers mois

(4)

Ménage dont un membre est revenu (parmi les ménages avec migrant)

Le ménage détient un titre de propriété officiel

0.109

(0.038)

0.044

(0.033)

-0.018

(0.011)

-0.061

(0.074)

Nombre d’observations

757

757

757

201

Le ménage a reçu des subventions agricoles

0.191

(0.071)

0.022

(0.044)

-0.034

(0.029)

0.045

(0.140)

Nombre d’observations

1 210

1 080b

1 210

293

Note : La signification statistique est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Les résultats reflètent des effets marginaux. Les coefficients reflètent des effets marginaux. Les erreurs-types sont indiquées entre parenthèses et sont robustes en présence d’hétéroscédasicité.

a. Les variables de contrôle associées au modèle incluent la taille du ménage, son ratio de dépendance (le nombre d’enfants de 0 à 15 ans et de personnes âgées de plus de 65 ans, divisé par le nombre total des autres membres), le ratio d’adultes hommes et femmes, sa richesse estimée par un indicateur (voir Chapter 3) et le type de région : rurale ou urbaine. En outre, les analyses de régression spécifiques examinant si le ménage compte un membre qui envisage d’émigrer et s’il a reçu des transferts de fonds comprennent une variable de contrôle déterminant si le ménage compte actuellement un émigré.

b. Pour ce modèle de régression, les ménages avec un émigré qui a quitté le foyer plus de cinq ans avant l’enquête ne sont pas inclus.

Les ménages bénéficiant de subventions agricoles sont aussi plus susceptibles de compter un membre qui projette d’émigrer

Les subventions peuvent influer sur les résultats en matière de migrations, notamment sur la décision d’émigrer, de transférer des fonds ou de revenir dans le pays ; mais il n’est pas toujours évident de déterminer si elles ont des effets positifs ou négatifs. En augmentant le flux de revenus du ménage, elles peuvent réduire les contraintes financières, par exemple. Elles peuvent ainsi réduire la nécessité pour le ménage de chercher une source de revenus ailleurs et, partant, diminuer la pression en faveur de l’émigration au sein du foyer. En revanche, elles pourraient également apporter un revenu supplémentaire suffisant pour couvrir les coûts de l’émigration. Parallèlement, les subventions pourraient inciter les émigrés à revenir dans le pays et, plus important encore, à y rester. Elles pourraient également inciter les ménages à investir et à consacrer des fonds aux activités agricoles, et augmenter ainsi leur besoin de transferts de fonds, ou en diminuer la nécessité et réduire ainsi les mouvements d’argent (OCDE, 2017).

Les données IPPMD démontrent que les ménages bénéficiant de subventions lors des cinq dernières années sont plus susceptibles d’avoir un membre ayant un projet d’émigration (41 % contre 25 %) ou un membre ayant émigré depuis 5 ans (9 % contre 7 %). Le Table 5.3 présente les résultats tirés d’une analyse de régression similaire à celle développée dans l’Box 5.2 cherchant à déterminer si les ménages avaient reçu des subventions agricoles au cours des cinq dernières années. Dans la droite ligne des idées développées précédemment, les subventions agricoles accroissent effectivement la probabilité qu’un ménage compte un membre envisageant d’émigrer, et le lien est statistiquement important (Table 5.3, colonne 1). Néanmoins, elles ne semblent pas conduire concrètement à l’émigration : les résultats de l’analyse de régression ne révèlent aucun lien statistiquement significatif entre les ménages avec un émigré et ceux qui bénéficient de ces subventions (Table 5.3, colonne 2). Alors que les subventions semblent se substituer aux transferts de fonds, dès lors que le lien entre les deux est négatif, le coefficient de régression n’est pas statistiquement significatif (Table 5.3, colonne 3). Cela s’explique en grande partie par le fait que le ménage puisse compter un émigré, ce qui peut également jouer un rôle eu égard au lien entre les subventions agricoles et les migrations, comme précédemment évoqué. Par conséquent, la conduite d’une nouvelle analyse de régression, tenant cette fois compte du fait que le ménage puisse compter un émigré, révèle un lien négatif statistiquement significatif, suggérant en fait que les subventions agricoles réduisent la probabilité pour les ménages de recevoir des fonds. En d’autres termes, les subventions agricoles atténuent les besoins financiers au sein du ménage. Par ailleurs, aucun lien n’a été établi entre les subventions agricoles et la migration de retour (Table 5.3, colonne 4), bien que cela soit dû essentiellement à la situation géographique. Lorsque les régions des ménages sont incluses dans le modèle comme effets fixes, le modèle révèle un lien positif avec la migration de retour, ce qui suggère que les subventions peuvent effectivement attirer les migrants et les inciter à rentrer au pays, mais que cela dépends de la région du ménage.

Politiques en matière d’éducation et migrations

La relation entre les politiques en faveur de l’éducation et les migrations présente un caractère multidimensionnel. Comme indiqué au Chapter 4, les migrations ont à la fois des effets positifs et négatifs sur les résultats en matière d’éducation. Dans le même temps, les politiques en matière d’éducation peuvent également influer positivement et négativement sur les décisions de migration. Les politiques visant à améliorer l’accès à une éducation de qualité peuvent se traduire par une diminution de l’émigration motivée par le souhait de financer l’éducation des enfants. En particulier, les programmes d’éducation basés sur des prestations pécuniaires, telles que les transferts monétaires conditionnels et les bourses, peuvent alléger la pression qui pèse sur les ménages pour gagner un revenu supplémentaire afin de payer l’éducation des enfants et réduire ainsi les raisons incitant à émigrer. En revanche, ils pourraient avoir l’effet contraire en donnant aux ménages les moyens financiers de permettre à l’un de leurs membres d’émigrer. Le fait de bénéficier d’une aide financière pour l’éducation des enfants pourrait aussi influer sur le montant et la fréquence des fonds rapatriés. L’accès aux programmes d’éducation peut également améliorer l’intégration des immigrés. La présente section analyse l’incidence des politiques d’éducation sur les migrations et les modes de transfert de fonds en Côte d’Ivoire.

Sous l’effet des programmes éducatifs, l’intention d’émigrer est plus faible

L’instabilité politique et la guerre civile de 2000 à 2011 ont ralenti le développement socio-économique en Côte d’Ivoire et conduit à une augmentation des taux de pauvreté. Le secteur de l’éducation a lui aussi subi des répercussions négatives, alors qu’il souffrait déjà de problèmes structurels tels que les faibles niveaux d’investissement et la pénurie d’enseignants (Drake et al., 2016 ; PNUD, 2010). Comme évoqué au Chapter 4, l’investissement public dans le système éducatif a depuis augmenté, et atteint aujourd’hui un niveau supérieur à la moyenne régionale. Le programme de cantines scolaires relève des politiques éducatives les plus importantes dans le pays. En Côte d’Ivoire, ce type de programme remonte à plusieurs décennies, et avait été lancé pour contribuer à l’objectif d’éducation universelle (Drake et al., 2016). En avril 2012, le ministère de l’Éducation nationale, à travers la Direction nationale des cantines de Côte d’Ivoire, a formulé la Stratégie nationale d’alimentation scolaire en Côte d’Ivoire pour la période 2012-17. Avec pour slogan « Une école, une cantine, un groupement », la stratégie d’alimentation scolaire entend assurer l’établissement d’une cantine scolaire au sein de chaque école, approvisionnée grâce à la production agricole locale. Le programme applique un ciblage géographique fondé sur quatre indicateurs liés à l’insécurité alimentaire, la prévalence de la malnutrition chronique, le taux de scolarisation et les niveaux de pauvreté (Drake et al., 2016). Le projet vise à augmenter les taux de fréquentation scolaire en milieu rural, en particulier chez les filles. Il est soutenu par le Programme alimentaire mondial (PAM), qui distribue aux filles une ration à emporter ou un transfert monétaire équivalent afin d’encourager les ménages à envoyer les filles à l’école et à les y laisser. Le PAM soutient également la Direction nationale des cantines de Côte d’Ivoire en vue de lui permettre de mettre en œuvre son propre programme d’alimentation scolaire (Programme alimentaire mondial, n.d.).

L’enquête IPPMD auprès des ménages a recueilli des données relatives à la participation des ménages à divers programmes d’éducation au cours des cinq dernières années. Elle portait sur les programmes de distribution en espèces (prestations pécuniaires) et en nature. Les programmes basés sur des prestations pécuniaires comprennent les transferts monétaires conditionnels et les bourses, tandis que les principaux programmes de distribution en nature consistent à distribuer des manuels scolaires et des repas dans les écoles (Figure 5.4).

Graphique 5.4. Dans les ménages bénéficiant de programmes de distribution en nature, les membres sont moins susceptibles d’envisager d’émigrer
Part des ménages dont un membre prévoit d’émigrer (%), selon les programmes d’éducation
picture

Note : Un test du khi carré a servi à mesurer le niveau de signification statistique entre chaque ensemble de groupes. Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Le questionnaire incluait des questions distinctes pour les bourses d’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Compte tenu du faible pourcentage de ménages bénéficiant de bourses, les données ont été agrégées afin d’inclure une seule catégorie pour les bourses couvrant tous les niveaux d’enseignement. La plupart des programmes d’éducation étant axés sur les enfants et les jeunes de l’enseignement primaire et secondaire, l’échantillon comprend uniquement les ménages avec des enfants âgés de 6 à 20 ans. Le libellé « Tout programme en faveur de l’éducation » renvoie à un ménage ayant bénéficié d’au moins une des politiques éducatives visées dans le cadre de l’enquête auprès des ménages du projet IPPMD.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Le lien entre les programmes d’éducation et les modèles de migration est analysé de manière plus approfondie à l’aide de l’analyse de régression présentée dans l’Box 5.3. Les résultats (présentés dans le Table 5.4) ne montrent pas de lien statistiquement significatif entre le fait qu’un ménage bénéficie d’un programme d’éducation et le fait qu’il compte un émigré qui a quitté le foyer au cours des cinq années précédant l’étude2 ou qu’il reçoive des transferts de fonds. Cependant, le lien entre le fait d’avoir bénéficié d’un programme d’éducation et d’avoir un membre qui envisage d’émigrer à l’avenir est négatif et statistiquement significatif, ce qui peut indiquer que le fait de bénéficier de programmes éducatifs peut atténuer le besoin d’émigrer, ainsi que les incitations à cet égard. Il aurait également été intéressant de tester séparément le lien entre les programmes basés sur des prestations pécuniaires et les résultats en matière de migrations, dès lors que ces programmes sont susceptibles d’avoir un impact plus important sur les décisions de migration des ménages. Toutefois, l’échantillon de ménages ayant bénéficié de programmes de transferts monétaires (programmes de TMC et de bourses) est particulièrement réduit et ne permet pas une analyse plus poussée.

Encadré 5.3. Liens entre les politiques en faveur de l’éducation et les migrations

Afin d’estimer l’impact des programmes en faveur de l’éducation sur la décision d’émigrer, l’équation probit suivante est appliquée :

picture (3)

picture représente le statut migratoire du ménage correspondant à une variable binaire pour le ménage comptant au moins un membre prévoyant d’émigrer à l’avenir (spécification 1), comptant au moins un émigré ayant quitté le pays dans les cinq ans précédant l’enquête (spécification 2), et recevant des transferts de fonds (spécification 3). picture est la variable d’intérêt et représente une variable binaire indiquant si le ménage a bénéficié d’une politique pour l’éducation au cours des cinq ans précédant l’étude (résultats présentés dans la partie supérieure du tableau). Elle prend la valeur 1 si le ménage a bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation et 0 dans le cas contraire. picture correspond à un ensemble de caractéristiques observées sur le ménage, influençant le résultat.a picture représente les effets fixes régionaux et picture correspond au terme d’erreur réparti de manière aléatoire.

Tableau 5.4. Les ménages bénéficiant de programmes en faveur de l’éducation sont moins susceptibles d’avoir des membres qui souhaitent émigrer

Variable dépendante : Ménage avec émigré/recevant des transferts de fonds/dont un membre prévoit d’émigrer

Principales variables étudiées : Ménage ayant bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation

Type de modèle : Probit

Échantillon : Tous les ménages

Variables étudiées

Variable dépendante

(1)

Envisage d’émigrer

(2)

Ménage comptant un émigré (5 ans)

(3)

Ménage recevant des transferts de fonds

Ménage ayant bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation au cours des cinq dernières années

-0.057

(0.023)

0.013

(0.018)

0.008

(0.012)

Nombre d’observations

2 313

1 594

2 313

Note : La signification statistique est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Les erreurs-types sont indiquées entre parenthèses et sont robustes en présence d’hétéroscédasticité.

a. Les variables de contrôle incluent la taille du ménage, le ratio de dépendance du ménage (défini comme le nombre d’enfants et de personnes âgées au sein du ménage par rapport au nombre de membres en âge de travailler), le niveau d’éducation moyen des adultes au sein du ménage, le nombre de jeunes enfants (de 6 à 14 ans) et le nombre de jeunes (de 15 à 17 ans) dans le ménage, une variable nominale pour le milieu urbain, un indice d’actifs visant à déterminer la richesse du ménage, et les effets fixes régionaux.

Les étudiants immigrés n’ont pas accès à des programmes d’éducation dans la même mesure que les étudiants autochtones

L’éducation est un outil fondamental pour l’intégration sociale des enfants issus de l’immigration (y compris les enfants immigrés et les enfants de parents immigrés) puisqu’elle les aide à apprendre la langue locale, à comprendre le contexte et l’histoire du pays, et à se constituer des réseaux sociaux. L’adaptation des systèmes éducatifs au phénomène migratoire s’accompagne de répercussions à la fois économiques et sociales pour les enfants d’immigrés eux-mêmes, mais aussi pour la société dans laquelle ils vivent, étant donné qu’elle détermine la productivité et la capacité de gain futures. Cependant, les enfants d’immigrés et les enfants au sein de ménages avec un immigré en Côte d’Ivoire étudiés dans le cadre du projet IPPMD, sont bien moins susceptibles de fréquenter l’école à tous les niveaux d’enseignement (Chapter 4) que les enfants autochtones. Les données IPPMD montrent également que les ménages avec un immigré accèdent moins aux programmes de soutien à l’éducation, qu’il s’agisse de programmes de distribution en nature ou de programmes basés sur des prestations pécuniaires, sous la forme de bourses d’études (Figure 5.5). Le moindre accès à ces programmes de soutien à l’éducation peut constituer un obstacle supplémentaire à l’intégration des immigrés, ainsi qu’à la concrétisation de l’éducation universelle.

Graphique 5.5. Les ménages avec un immigré sont moins susceptibles de bénéficier de politiques éducatives en Côte d’Ivoire
Part des ménages bénéficiant de programmes en faveur de l’éducation (%), selon qu’ils comptent ou non un immigré
picture

Note : Un test du khi carré a servi à mesurer le niveau de signification statistique entre chaque ensemble de groupes. Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. La plupart des programmes d’éducation étant axés sur les enfants et les jeunes de l’enseignement primaire et secondaire, l’échantillon comprend uniquement les ménages avec des enfants âgés de 6 à 20 ans. Le libellé « Tout programme en faveur de l’éducation » renvoie à un ménage ayant bénéficié d’au moins une des politiques éducatives visées dans le cadre de l’enquête auprès des ménages du projet IPPMD.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Politiques en matière d’investissement et de services financiers et migrations

L’inclusion financière est un facteur essentiel pour réduire la pauvreté et parvenir à une croissance économique inclusive. L’utilisation de comptes bancaires, livrets d’épargne et mécanismes de paiement formels permet d’augmenter l’épargne, d’autonomiser les femmes et de stimuler l’investissement productif ainsi que la consommation (Demirguc-Kunt et al., 2015). Cependant, nombre de ménages n’accèdent toujours pas au secteur financier formel. L’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient sont les régions affichant la plus forte proportion d’adultes non bancarisés : 34 % des adultes en Afrique subsaharienne possèdent un compte bancaire, soit une proportion égale à la part d’adultes ayant un compte bancaire en Côte d’Ivoire (Demirguc-Kunt et al., 2015). Par conséquent, la majorité de la population adulte n’a toujours pas accès aux services bancaires.

Les petites et moyennes entreprises d’Afrique se heurtent au problème de l’accès à des sources de financement adéquates en raison de leur accès limité aux marchés de capitaux. Bien qu’ils aient la possibilité d’accéder à des programmes de microfinance, les petits entrepreneurs doivent souvent lutter pour pouvoir accéder à des institutions financières formelles. De plus, les compétences entrepreneuriales sont limitées dans de nombreux pays africains (BAD/OCDE/PNUD, 2014).

Le fait d’avoir un compte en banque incite à transférer des montants supérieurs

L’inclusion financière peut renforcer l’impact des transferts de fonds sur le développement en incitant à davantage épargner et en encourageant une meilleure adéquation entre l’épargne et les possibilités d’investissement (PNUD, 2011). Généralement, le transfert de fonds par l’entremise d’institutions financières formelles s’avère plus sûr et peut aussi contribuer au développement du système financier et mobiliser des ressources en vue de financer des activités économiques à grande échelle, dépassant les investissements réalisés par les ménages bénéficiaires.

L’enquête IPPMD auprès des ménages comprenait un certain nombre de questions liées à l’inclusion financière et à l’éducation financière3 . Les statistiques descriptives montrent que moins d’un tiers des ménages (28 %) de l’échantillon de ménages ivoiriens possèdent un compte en banque ; en conséquence, plus de deux ménages sur trois au sein de l’échantillon ne sont pas bancarisés. On relève des différences importantes entre les ménages urbains et les ménages ruraux : 37 % des ménages urbains possèdent un compte bancaire, contre seulement 13 % des ménages ruraux. Mais aucune différence n’a été observée en matière d’accès à un compte bancaire selon que les ménages sont dirigés par des femmes ou des hommes.

L’accès au secteur financier formel peut faciliter l’envoi et la réception de montants supérieurs de fonds, en particulier à travers les circuits formels. Les données IPPMD montrent que les ménages titulaires d’un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds (13 %) que ceux qui n’en ont pas (8 %). Par ailleurs, le fait de posséder un compte en banque est également associé à la réception de montants supérieurs lors des transferts de fonds : ainsi, le montant annuel des transferts de fonds reçus par les ménages possédant un compte bancaire est d’environ 786 dollars américains (USD) en moyenne, contre 477 USD en moyenne pour les ménages non titulaires d’un compte bancaire (Figure 5.6).

Graphique 5.6. Les ménages possédant un compte bancaire reçoivent des montants supérieurs lors des transferts de fonds
Part des ménages recevant des transferts de fonds (%) et montant moyen reçu par les ménages au cours des 12 derniers mois (USD), selon que le ménage possède ou non un compte bancaire
picture

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

La relation entre le fait d’avoir un compte bancaire et les tendances en matière de transferts de fonds est étudiée plus avant au moyen d’un cadre de régression tenant également compte des autres facteurs susceptibles d’affecter la probabilité que le ménages reçoive des transferts de fonds et les montants de ces transferts (Box 5.4). Selon les résultats, le fait d’avoir un compte en banque est corrélé avec des montants accrus transférés, bien que l’effet ne soit statistiquement significatif que pour les zones urbaines (Table 5.5).

Encadré 5.4. Liens entre comptes bancaires et comportements en matière de transfert de fonds

Des analyses de régression ont été appliquées en vue d’estimer le lien entre la possession d’un compte en banque et les tendances en matière de transferts de fonds, à l’aide du modèle suivant :

picture (4)

où la variable dépendante représente le montant des transferts de fonds reçus par le ménage. picture représente une variable binaire indiquant si le ménage possède un compte en banque, où 1 indique que le ménage possède un compte et 0 dans le cas contraire. picture correspond à un ensemble de caractéristiques individuelles et relatives aux ménages observées, influençant le résultat.a picture représente les effets fixes régionaux et picture correspond au terme d’erreur réparti de manière aléatoire.

Tableau 5.5. La possession d’un compte en banque implique des transferts de fonds plus conséquents dans les zones urbaines en Côte d’Ivoire

Variable dépendante : Montant des transferts de fonds reçus/ménage recevant des transferts de fonds par des circuits formels

Principales variables étudiées : Le ménage dispose d’un compte bancaire

Type de modèle : Probit/MCO

Échantillon : Tous les ménages recevant des transferts de fonds

Variables étudiées

Variables dépendantes

(1)

Montant des transferts de fonds reçus

(2)

Montant des transferts de fonds reçus - zone urbaine

Le ménage dispose d’un compte bancaire

221.6

(206.7)

407.0

(221.2)

Nombre d’observations

136

98

Note : La signification statistique est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95%, * : 90 %. Les erreurs-types sont indiquées entre parenthèses et sont robustes en présence d’hétéroscédasticité. Les résultats pour les zones rurales ne sont pas présentés en raison de la taille réduite de l’échantillon.

a. Les variables de contrôle incluent la taille du ménage, le ratio de dépendance du ménage (défini comme le nombre d’enfants et de personnes âgées au sein du ménage par rapport au nombre de membres en âge de travailler), le niveau d’éducation moyen des adultes au sein du ménage, le nombre de jeunes enfants (de 6 à 14 ans), une variable binaire pour le milieu urbain, un indice d’actifs visant à déterminer la richesse du ménage, une variable de contrôle pour les ménages avec un immigré et les effets fixes régionaux.

La couverture en matière d’institutions et de formation dans le domaine financier est faible

Les programmes de formation financière et les cours de gestion d’entreprise permettent d’améliorer les connaissances financières, ce qui peut encourager l’investissement dans des actifs productifs. Pour permettre aux ménages de maximiser le rendement des investissements réalisés grâce aux transferts de fonds, ils doivent disposer d’informations sur les produits de placement disponibles, sur l’épargne et sur les possibilités d’investissement. Les connaissances en matière de gestion d’entreprise sont elles aussi importantes pour les ménages qui pourraient vouloir investir dans la création d’entreprise. Cela vaut tant pour les ménages recevant des transferts de fonds, que pour ceux qui vivent dans des communautés où les transferts de fonds entrants sont élevés et génèrent des retombées pour l’économie locale.

L’enquête IPPMD auprès des ménages incluait une question portant sur la participation du ménage à un programme de formation financière au cours des cinq dernières années. Très peu de ménages avaient participé à ce type de formation : 3 % des ménages recevant des transferts de fonds et 2 % des ménages ne recevant pas de transferts de fonds (Figure 5.7). En outre, la couverture en matière d’institutions financières est faible dans les communautés rurales comme urbaines. L’enquête auprès de la communauté révèle que peu de communautés de l’échantillon sont desservies par des organismes de microcrédit et des sociétés de transfert de fonds, et aucune communauté rurale n’a accès à une banque. Ces données sont révélatrices de la marge de manœuvre disponible pour formuler des politiques sectorielles destinées à créer un environnement plus favorable, par exemple en introduisant des mesures visant à accroître l’inclusion financière et offrir une formation financière qui permettra d’utiliser plus efficacement les migrations et les transferts de fonds.

Graphique 5.7. Le niveau de participation des ménages à des programmes de formation financière et de couverture des institutions financières est très faible en Côte d’Ivoire
Part des communautés (%) avec des institutions financières (graphique de gauche) ; part des ménages (%) participant à des programmes de formation financière (graphique de droite)
picture

Note : Aucune communauté rurale incluse dans l’échantillon n’a accès à une banque.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Politiques de protection sociale et de santé et migrations

Le Chapter 4 s’est intéressé à l’incidence de l’immigration sur les secteurs de la protection sociale et la santé, relevant peu d’éléments prouvant que les immigrés en Côte d’Ivoire sont des bénéficiaires nets des transferts gouvernementaux ou des services de santé. Par contre, l’insuffisance de la couverture en matière de protection sociale ou de santé pourrait également influencer les résultats en matière de migrations. Cet état de fait peut, par exemple, inciter les gens à émigrer vers un pays où la couverture est meilleure ou à transférer des fonds en vue d’aider le ménage à remédier aux insuffisances en matière de protection sociale ou de santé. La présente section s’interroge sur l’influence que peuvent avoir les politiques de protection sociale et de santé sur l’intégration des immigrés. Un accès égal à la protection sociale et à la santé peut améliorer l’intégration des immigrés et déterminer le niveau de contribution d’un immigré au profit du pays d’accueil (OCDE/Union européenne, 2015 ; Huber, 2015).

En Côte d’Ivoire, tous les membres de la société ont un même accès aux services de santé et de protection sociale, qu’ils soient ou non immigrés, avec ou sans documents officiels4 . L’accès à la santé et à la protection sociale demeure un problème en Côte d’Ivoire (République de Côte d’Ivoire, 2015 [Tome 1] ; MSHP, 2015), mais le gouvernement a récemment pris des mesures afin de remettre le pays sur la bonne voie. La Stratégie de développement national de la Côte d’Ivoire pour la période 2016-20 (République de Côte d’Ivoire, 2015) souligne la nécessité de renforcer les systèmes de protection sociale comme un enjeu de premier ordre, décisif pour lutter contre la vulnérabilité. Dans le même temps, la Côte d’Ivoire a publié un plan d’action spécifique pour la santé, le Plan national de développement sanitaire 2016-20 (MSHP, 2015), pour un budget de 2.4 milliards francs CFA BCEAO (XOF ; soit environ 4 millions USD) couvrant la période 2016-2020. En 2013, le gouvernement a adopté une loi garantissant la couverture maladie universelle (CMU) pour tous les individus vivant en Côte d’Ivoire. La nouvelle loi a été mise en œuvre, quoique lentement, depuis décembre 2014, mais il a fallu attendre décembre 2016 pour que des cartes de santé individuelles donnant accès aux services soient enfin éditées.

Les particuliers peuvent également accéder aux prestations de protection sociale et de santé grâce à leurs régimes de travail. Dès lors, l’accès à ces prestations peut être subordonné au fait d’occuper un emploi dans le secteur formel. Ainsi, les contrats formels peuvent inclure des prestations, autres que le salaire, au profit du travailleur. Cependant, peu d’individus en Côte d’Ivoire bénéficient de contrats de travail formels. Tous les employeurs sont tenus de s’inscrire auprès de la Caisse nationale de prévoyance sociale et d’enregistrer leurs employés. Les estimations indiquent que 70 % des travailleurs non agricoles dans le pays sont employés de manière informelle, ce qui signifie que la plupart n’ont pas de contrat de travail formel (OIT, 2013). Il s’agit d’une part notable, étant donné que les contrats de travail formels augmentent la probabilité d’obtenir des prestations liées à l’emploi ainsi qu’une assurance, et que bon nombre des avantages s’appliquent également aux autres membres du ménage. De plus, les contrats de travail formels garantissent le recours des travailleurs à des systèmes juridiques en cas de problèmes opposant le travailleur à l’employeur (Jütting et de Laiglesia, 2009).

Les immigrés sont moins susceptibles de jouir d’une protection sociale que les personnes nées en Côte d’Ivoire

L’enquête IPPMD a identifié si les individus âgés d’au moins 15 ans bénéficiaient de contrats de travail formels et elle a recueilli des informations sur les avantages auxquels ils accèdent par l’intermédiaire de leur emploi. La convention statistique mesure les taux d’informalité au sein du segment non agricole de la population (OIT, 2013). Parmi le groupe de personnes qui ne travaillent pas dans l’agriculture5 , 17 % occupent des emplois dans le secteur formel ; le taux correspondant d’informalité, à savoir 83 %, est beaucoup plus élevé que le taux suggéré de 70 % avancé par l’Organisation internationale du travail (OIT). En outre, 12 % des travailleurs non agricoles disposaient de contrats formels à durée indéterminée, 12 % bénéficiaient de prestations de santé rattachées à leur emploi, et 5 % de régimes de retraite.

Les statistiques descriptives suggèrent également que les immigrés sont bien moins susceptibles d’être couverts par des contrats de travail formels et d’avoir accès à des prestations liées à leur emploi que les personnes nées en Côte d’Ivoire (Figure 5.8). Les immigrés travaillant dans le secteur non agricole sont moins susceptibles de bénéficier d’un contrat de travail formel (8 % contre 19 %), d’un contrat à durée indéterminée (6 % contre 14 %), de prestations de santé (5 % contre 13 %) et de prestations de retraite (1 % contre 6 %). L’inclusion des travailleurs agricoles dans ces statistiques ne modifie en rien l’ampleur des écarts entre les immigrés et les personnes nées dans le pays. Ces différences sont marquées pour les hommes comme pour les femmes : la ventilation des statistiques par sexe révèle un accès nettement supérieur pour les autochtones que pour leurs homologues immigrés (Figure 5.8). Même en incluant les travailleurs agricoles dans l’analyse, les immigrés, hommes et femmes, demeurent moins susceptibles d’être couverts que les personnes nées en Côte d’Ivoire.

Graphique 5.8. Les immigrés, hommes et femmes, ont moins accès à la protection sociale que les autochtones en Côte d’Ivoire
Part d’individus ayant accès à la protection sociale, selon que l’individu en question est un immigré ou non
picture

Note : Un test du khi carré a servi à mesurer le niveau de signification statistique entre chaque ensemble de groupes, pour tous les individus. Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. L’échantillon n’inclut pas les travailleurs agricoles.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

En examinant les divisions entre milieux urbains et ruraux, seuls 19 travailleurs non agricoles en milieu rural disposaient de contrats de travail formels ; l’écart général entre les immigrés et les personnes nées dans le pays résulte donc surtout des zones urbaines. Cela peut toutefois s’expliquer par la taille réduite de l’échantillon créé en s’intéressant uniquement aux travailleurs non agricoles. En effet, bon nombre d’ouvriers agricoles en Côte d’Ivoire travaillent pour le compte de grandes entreprises productrices de café et de cacao, et peuvent avoir un contrat de travail formel. Si l’on tient compte de l’échantillon complet de travailleurs, il apparaît en effet que les hommes et les femmes immigrés sont toujours moins susceptibles de bénéficier d’une telle couverture et de ces prestations que leurs homologues nés en Côte d’Ivoire. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet état de fait, comme le type de secteurs dans lesquels les immigrés s’engagent par rapport aux individus nés dans le pays et le degré de discrimination à l’égard des immigrés.

De nombreux autres facteurs peuvent déterminer si un immigré est couvert par un contrat de travail formel ou d’autres avantages liés à son emploi, l’analyse de régression a donc servi à examiner ces liens plus avant (Box 5.5). Les résultats confirment que, de manière générale, les immigrés sont moins couverts par la protection sociale, par des contrats de travail formels, des contrats à durée indéterminée, des prestations de santé et des régimes de retraite (Table 5.6, lignes du haut). Conformément aux statistiques descriptives, les immigrés, hommes comme femmes, étaient moins susceptibles de bénéficier d’une telle couverture que leurs homologues nés dans le pays. Ce constat valait également pour les zones urbaines, mais rien ne prouve que les immigrés soient moins couverts dans les zones rurales, bien que l’échantillon soit nettement plus réduit ici (Table 5.6, lignes du bas).

Encadré 5.5. Liens entre la protection sociale, la santé et les migrations

Le modèle de régression probit suivant a été utilisé pour estimer la probabilité que la couverture en matière de protection sociale et de santé influe sur les résultats en matière de migrations :

picture (5)

où l’unité d’observation est l’individu i et la variable binaire dépendante (pro_soci) prend la valeur 1 si l’individu bénéficie d’un type donné de couverture et 0 dans le cas contraire. picture représente une variable nominale prenant la valeur de 1 si l’individu est un immigré. picture représente l’ensemble des régresseurs (variables explicatives) au niveau individuel et du ménage.a Les erreurs types, picture, sont robustes en présence d’hétéroscédasticité.

Les résultats sont présentés dans le Table 5.6. La colonne (1) présente les résultats indiquant si une personne active dispose d’un contrat de travail formel, la colonne (2) si une personne active dispose d’un contrat à durée indéterminée, la colonne (3) si une personne active bénéficie de prestations en matière de santé, et la colonne (4) si une personne active a accès à des prestations de retraite.

Tableau 5.6. Les immigrés sont moins susceptibles de bénéficier d’une protection sociale

Variable dépendante : Couverture sociale

Principales variables d’intérêt : Individu étant lui-même un immigré

Type de modèle : Probit

Échantillon : Population active (non agricole) (15 ans et +)

Variables étudiées

Variables dépendantes

(1)

L’individu dispose d’un contrat de travail formel

(2)

L’individu dispose d’un contrat de travail à durée indéterminée

(3)

L’individu bénéficie de prestations de santé liées à son emploi

(4)

L’individu jouit d’un régime de retraite

Individu étant lui-même un immigré

-0.061

(0.017)

-0.040

(0.014)

-0.042

(0.013)

-0.020

(0.006)

Nombre d’observations

2 365

2 365

2 364

2 363

Échantillons fondés sur le genre et la situation géographique des ménages

Hommes uniquement

-0.069

(0.029)

-0.045

(0.024)

-0.045

(0.023)

-0.032

(0.013)

Femmes uniquement

-0.049

(0.018)

-0.058

(0.020)

-0.057

(0.020)

-0.012

(0.007)

Vivant dans des ménages urbains uniquement

-0.071

(0.021)

-0.045

(0.018)

-0.050

(0.017)

-0.023

(0.008)

Vivant dans des ménages ruraux uniquement

-0.019

(0.014)

s.o.

-0.032

(0.027)

s.o.

Note : La signification statistique est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Les résultats reflètent des effets marginaux. Les coefficients reflètent des effets marginaux. Les erreurs-types sont indiquées entre parenthèses et sont robustes en présence d’hétéroscédasicité. « s.o. » renvoie au fait que l’échantillon est trop petit pour permettre une analyse. Les résultats présentés n’incluent pas les travailleurs agricoles.

a. Les variables de contrôle appliquées pour le modèle comprennent l’âge des individus, le niveau d’instruction (Chapter 3), le sexe, la richesse du ménage, la taille du ménage et si le ménage se situe dans une région rurale. En raison des tailles réduites des échantillons, aucun effet fixe pour la région administrative du ménage n’a été inclus dans le modèle.

Des analyses de régression ont également été menées sur la base d’un échantillon incluant l’ensemble des travailleurs, et pas uniquement les travailleurs agricoles, afin de tester la validité des résultats, dès lors qu’il peut être difficile de transmettre des renseignements de nature professionnelle lors des entretiens et également en raison du caractère potentiellement fréquent des contrats de travail formels dans le cas particulier de l’agriculture en Côte d’Ivoire. Ces nouveaux résultats s’avèrent toujours négatifs, mais la probabilité négative d’occuper un emploi dans le secteur formel en particulier, ne présente plus de signification statistique pour les hommes, pour les femmes et dans les zones rurales ; ce n’était pas le cas pour les zones urbaines, où le coefficient reste négatif et statistiquement significatif. En fait pour les hommes, le seul résultat statistiquement significatif (négatif) était pour les prestations de santé. Pour tous les autres résultats pour les femmes et pour les individus en zones urbaines, les immigrés demeurent moins concernés que les autochtones. En outre, la réduction de l’échantillon pour inclure seulement les personnes âgées de moins de 65 ans n’a pas non plus changé les résultats (résultats non-présentés).

Comme précédemment mentionné, les prestations de santé et de retraite peuvent dépendre de l’existence d’un contrat formel. En effet, la conduite d’analyses de régression dans le sous-échantillon de personnes occupant un emploi dans le secteur formel a révélé uniquement l’absence de différence statistiquement significative entre les immigrés et les personnes nées en Côte d’Ivoire pour ce qui concerne les contrats à durée indéterminée, les prestations de santé et les régimes de retraite. Par conséquent, l’écart entre les deux groupes découle principalement de l’accès à des contrats de travail formels. Dès lors, aux fins de mieux intégrer sa population immigrée et d’en tirer meilleur parti, la Côte d’Ivoire se doit de remédier à l’écart qui règne entre immigrés et autochtones en matière d’accès à des emplois du secteur formel.

Conclusions

Ce chapitre a identifié les liens qui existent entre les politiques sectorielles et les migrations en Côte d’Ivoire. Les résultats révèlent l’influence involontaire de diverses politiques sur les migrations. Ainsi les programmes de formation professionnelle, la possession de titres fonciers et les subventions agricoles sont-ils tous liés de façon positive à une intention d’émigrer à l’avenir. Ces programmes permettent de réduire le risque de l’émigration ou la contrainte financière empêchant les individus d’émigrer. Les titres fonciers, par exemple, assurent une sécurité foncière accrue, réduisant ainsi le risque que les personnes qui émigrent perdent leurs terres. Les subventions agricoles accroissent le niveau de richesse d’un ménage, lui permettant ainsi de se lancer dans l’aventure coûteuse de l’émigration. Cependant, elles ne semblent pas conduire concrètement à l’émigration, suggérant que les ménages, même lorsqu’ils bénéficient du programme, ne seraient toujours pas en mesure de se permettre d’émigrer. Compte tenu de la croissance nationale continue et de l’enrichissement des ménages en Côte d’Ivoire, ces programmes peuvent cependant entraîner des taux accrus d’émigration. Néanmoins, certains programmes atténuent le besoin d’émigrer. En présence de programmes d’éducation, par exemple, et plus particulièrement de programmes de distribution en nature, le ménage est moins susceptible de compter un émigré.

Les transferts de fonds peuvent également subir l’influence des programmes déployés dans le secteur des services financiers et de l’investissement. Les ménages qui possèdent un compte bancaire se voient transférer des montants plus élevés, ce qui peut aboutir à de meilleurs résultats en matière de développement dans le pays. Dès lors, les programmes qui visent à développer la possession de comptes bancaires peuvent entraîner une utilisation accrue et plus efficace des transferts de fonds. Toutefois, la participation à des programmes de formation financière demeure très faible chez les ménages migrants comme non-migrants en Côte d’Ivoire. Par conséquent, des actions peuvent être envisagées afin d’étendre la portée des programmes de formation financière à l’endroit des ménages et ainsi encourager les transferts de fonds par le biais de circuits formels et permettre aux ménages d’investir ces fonds de façon productive. Encourager la concurrence sur le marché des transferts de fonds pourrait par ailleurs contribuer à une diminution de leur coût.

Enfin, les immigrés bénéficient dans une moindre mesure des programmes visés dans l’enquête. Ils sont moins susceptibles de bénéficier de politiques en faveur de l’éducation et ils sont relativement peu nombreux à bénéficier d’une protection sociale au travers de contrats de travail formels, comparativement aux personnes nées en Côte d’Ivoire. Un niveau de couverture accru s’avère pourtant fondamental en vue de leur intégration. L’accès à des contrats de travail formels et des programmes politiques dans des domaines clés, tels que l’éducation, la protection sociale et la santé, est important pour leur permettre de s’intégrer et de contribuer au pays qui les accueille.

Références

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Notes

← 1. Voir le Chapter 3 pour le cadre méthodologique sur les analyses de régression appliquées dans ce projet.

← 2. L’enquête IPPMD a recueilli des données au sujet des ménages ayant bénéficié de programmes d’éducation au cours des cinq années précédant l’enquête, sans toutefois préciser l’année lors de laquelle le ménage avait bénéficié d’une telle politique. Afin de limiter l’analyse aux ménages ayant bénéficié d’une politique et dont un ou plusieurs membres avaient émigré autour de la même période, les ménages avec des émigrés qui avaient quitté le foyer plus de cinq ans avant l’enquête ont été exclus.

← 3. L’enquête auprès des ménages comprenait également des questions sur les politiques liées aux activités commerciales, à l’image des crédits d’impôts. Ces questions n’ont toutefois été posées qu’aux seuls ménages possédant une entreprise de plus de quatre employés, et l’échantillon est trop petit pour permettre une analyse plus poussée.

← 4. Article 9 de la Loi 2016-886 du novembre 2016 portant sur la Constitution de la République de Côte d’Ivoire et la Loi 2014-131 du 24 mars 2014 instituant la couverture maladie universelle, et ses articles 4 et 10.

← 5. Les professions agricoles regroupent les métiers de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche (catégorie CITP 6), ainsi que les personnes qui travaillent dans les professions élémentaires dans ces domaines (catégorie CITP 92).