Chapitre 3. Comprendre le cadre méthodologique utilisé en Côte d’Ivoire
Afin de fonder empiriquement l’analyse des liens entre politique et migrations, le projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) en Côte d’Ivoire s’attache à recueillir des données au moyen de trois outils : des enquêtes auprès des ménages ; des enquêtes auprès des communautés ; et des entretiens avec des représentants d’organisations publiques, internationales et locales, permettant d’obtenir des informations qualitatives supplémentaires à propos des migrations en Côte d’Ivoire.
Ce chapitre explique les outils utilisés, la méthode d’échantillonnage de l’enquête et décrit les approches statistiques utilisées dans les chapitres suivants pour analyser les effets de l’émigration, de la migration de retour, des transferts de fonds et de l’immigration sur les principaux secteurs ciblés par les politiques. Il comprend une synthèse des résultats d’enquête, y compris des différences entre les régions rurales et urbaines, et entre les ménages migrants et non-migrants. Il met en évidence des disparités hommes/femmes, en particulier en ce qui concerne le pays d’origine ou de destination et les raisons du départ, du retour ou de l’arrivée.
Le cadre du projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement s’appuie sur une démarche empirique. Entre juillet et août 2014, des données ont été collectées en Côte d’Ivoire afin d’étudier empiriquement les interactions entre les migrations et les différents secteurs étudiés. Le travail de terrain a introduit trois principaux outils mis au point par le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : une enquête auprès des ménages, une enquête auprès des communautés et des entretiens avec les parties prenantes. La version générique de chaque outil a été adaptée au contexte ivoirien, en collaboration avec le Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (CIRES), qui a dirigé les travaux sur le terrain.
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L’enquête auprès des ménages incluait un questionnaire soumis à 2 345 ménages. Le questionnaire comprenait des questions destinées à déterminer si les ménages et les individus avaient bénéficié de certaines politiques susceptibles d’avoir des effets sur leurs parcours migratoires et sur le retour sur investissement généré grâce aux migrations. Il s’agissait également de renseigner sur les caractéristiques des individus et des ménages en lien avec divers secteurs clés du développement, tels que le marché du travail, l’agriculture, l’éducation, l’investissement et les services financiers, ainsi que la protection sociale et la santé. Représentative à l’échelle nationale, l’enquête a été menée sur l’ensemble du territoire. Elle a permis de recueillir des renseignements auprès des ménages migrants et non-migrants, offrant une base comparative à des fins d’analyse.
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L’enquête auprès des communautés a vocation à compléter l’enquête auprès des ménages. Elle a été réalisée dans chacune des 110 communautés où l’enquête auprès des ménages a été conduite. Le questionnaire était adressé aux responsables communautaires et aux chefs de village dans le but de recueillir des données sur les caractéristiques démographiques, sociales et économiques, ainsi que sur les politiques et les programmes de développement.
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Les entretiens avec les parties prenantes ont été menés auprès de 44 représentants de ministères, d’institutions publiques et d’organisations non gouvernementales, religieuses, syndicales et internationales. Ils ont permis de recueillir des informations sur les tendances, les politiques, les opinions et les anticipations relatives à différents aspects ayant trait aux migrations en Côte d’Ivoire. Ces informations ont permis de compléter et de mieux interpréter les enquêtes quantitatives auprès des ménages et des communautés en incluant des détails supplémentaires quant au contexte spécifique au pays.
Le présent chapitre décrit le processus d’échantillonnage appliqué aux fins de la collecte des données quantitatives et qualitatives. Il illustre également les approches analytiques utilisées afin d’explorer les interactions entre les diverses dimensions des migrations et les politiques publiques sectorielles. Enfin, il présente des statistiques descriptives de base établies à partir des données recueillies.
Comment s’est déroulé l’échantillonnage des communautés et des ménages ?
Tous les ménages vivant sur le territoire de la Côte d’Ivoire ont été inclus dans l’échantillon cible. Le Recensement général de la population et de l’habitation de 1998 (RGPH98), dernier recensement en date en Côte d’Ivoire au moment de l’enquête1 , a servi de base d’échantillonnage. Les communautés et les ménages ont été échantillonnés sur la base d’un échantillonnage en grappes, à plusieurs degrés.
Les districts de recensement (DR), qui sont des divisions géographiques couvrant l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire, ont été définis comme unités primaires d’échantillonnage (UPE) dans le cadre du processus d’échantillonnage. Les 26 000 DR en Côte d’Ivoire sont des entités aréolaires qui ont représenté l’espace de travail des agents recenseurs lors de la phase de dénombrement du RGPH98. Deux facteurs ont servi à identifier l’échantillon cible d’UPE de 100 DR. En premier lieu, pour permettre de constituer un échantillon d’immigrés suffisamment important, le processus d’échantillonnage a été pondéré en multipliant le nombre de ménages existant dans chaque DR par la part d’étrangers2 dans la population totale du même DR. Cela a permis d’accroître les chances de sélection dans les DR plus peuplés, ainsi que dans ceux où les étrangers étaient plus nombreux. Deuxièmement, en raison du taux élevé escompté de non-réponse ou du risque de se heurter à un nombre insuffisant de ménages migrants dans certains DR, l’échantillon cible de UPE a été porté à 110.
Un résumé de la stratégie d’échantillonnage quantitatif est proposé dans le Table 3.A1.1 (Annex 3.A1) et le Figure 3.1 illustre les DR sélectionnés aux fins des entretiens avec les ménages et les communautés sur une carte représentant la Côte d’Ivoire.
Enquêtes auprès des ménages
Lors de la deuxième étape, les ménages ont été sélectionnés de façon aléatoire dans chaque DR. Cependant, compte tenu de l’absence de données récentes à l’appui desquelles constituer un échantillon aléatoire de ménages migrants (comprenant un membre du ménage émigré, un membre de retour ou encore un membre immigré) et de ménages non-migrants, un dénombrement de l’ensemble des ménages des 110 UPE (DR) échantillonnées a été constitué. Il s’agissait, pour l’ensemble des ménages du DR concerné, de solliciter auprès des chefs de famille des informations de base concernant l’expérience migratoire des membres du ménage. Ensuite, les ménages ont pu être classés en fonction d’une éventuelle expérience migratoire et un échantillonnage représentatif des ménages a ainsi été établi à partir des listes produites.
Au total, 22 ménages ont été sélectionnés de façon aléatoire en suivant la méthode des pas3 dans chaque DR : 11 ménages migrants et 11 ménages non-migrants. Était considéré comme « ménage migrant » un ménage dont au moins l’un des membres est actuellement un émigré, un migrant de retour ou un immigré. Les définitions correspondantes sont énoncées dans l’Box 3.1.
Un ménage est composé d’une ou de plusieurs personnes, apparentées ou non, qui vivent normalement dans une même unité d’habitation ou dans un groupe d’unités d’habitation, et qui partagent les espaces de cuisine et de repas.
Le chef de famille est la personne la plus respectée du ménage, celle qui est responsable des autres membres du ménage et subvient à la plupart de leurs besoins, qui prend les décisions essentielles et dont l’autorité est admise par tous les membres du ménage.
Le principal répondant est la personne qui connaît le mieux le ménage et les membres qui le composent. Il peut s’agir du chef de famille (homme ou femme), ou de toute autre personne âgée de 18 ans ou plus. Le principal répondant répond à la majorité des modules que comprend le questionnaire, à l’exception de celui ayant trait à la migration de retour, qui est traité directement par les personnes concernées. Lorsqu’il n’était pas possible de mener l’entretien avec les migrants qui se trouvaient à l’étranger au moment de l’enquête, le principal répondant a également répondu aux questions du module sur l’émigration.
Un ménage migrant est un ménage dont au moins l’un des membres est actuellement un émigré international, un migrant de retour ou un immigré.
Un ménage non-migrant est un ménage dont aucun membre actuel n’est un émigré international, un migrant de retour ou un immigré.
Un émigré international est un ancien membre du ménage qui est parti vivre dans un autre pays, et qui n’est pas revenu dans le ménage depuis au moins trois mois1.
Un migrant international de retour est un membre actuel du ménage qui a auparavant vécu dans un autre pays pendant au moins trois mois consécutifs et qui est revenu vivre dans le pays concerné.
Un immigré est un membre actuel du ménage qui est né dans un autre pays et qui vit depuis au moins trois mois dans le ménage.
Les transferts de fonds internationaux sont des transferts en espèces ou en nature réalisés par des émigrés internationaux. Dans le cas de transferts de fonds en nature, le répondant doit estimer la valeur des biens reçus par le ménage.
Un ménage recevant des transferts de fonds est un ménage ayant reçu des fonds par transfert international dans les 12 mois précédant l’enquête. Ces fonds peuvent être envoyés par d’anciens membres du ménage, ou par des migrants qui n’ont jamais fait partie du ménage.
← 1. En général, les enquêtes sur les migrations considèrent qu’un individu est un migrant si celui-ci est parti depuis 6 ou 12 mois. La prise en compte de périodes de migration plus courtes permet toutefois de représenter les migrants saisonniers dans l’échantillon (les déplacements temporaires, tels que des vacances, n’entrent pas dans cette définition). Le cadre de l’enquête ne prévoit aucune limite s’agissant du temps écoulé depuis l’émigration, l’immigration ou la migration de retour. Par conséquent, toutes les expériences migratoires peuvent être prises en compte. Toutefois, il est probable que les expériences migratoires plus récentes soient davantage représentées dans cette enquête, car les émigrés partis depuis longtemps sont moins susceptibles d’être mentionnés par le ménage.
L’enquête auprès des ménages a été menée par 32 enquêteurs et 8 superviseurs du CIRES. Elle a eu lieu entre le 5 juillet et le 12 août 2014, après la tenue d’un séminaire de formation d’une semaine et de tests pilotes sur le terrain réalisés par le CIRES et l’OCDE. Les données ont été recueillies à l’aide de questionnaires sur papier. Les enquêteurs ont travaillé durant la semaine et à toutes heures de la journée, y compris tard dans la soirée. Le Table 3.A1.2 (Annex 3.A1) présente une brève description des modules de l’enquête.
Les entretiens ont été menés en français dans la plupart des cas. Cependant, les enquêteurs ont parfois mené ces entretiens dans les langues locales, notamment en sénoufo, malinké, baoulé, attié, godié ou moré. Ainsi, certaines questions du formulaire ont été reformulées afin de permettre aux enquêtés de mieux comprendre l’enjeu de la question. Dans certains villages, les agents ont eu recours à des membres scolarisés de la famille ou du voisinage pour aider à interpréter certaines questions.
Les données obtenues ont ensuite été testées pour vérifier qu’elles ne contenaient ni erreurs ni incohérences. Au total, 2 345 ménages ont été interrogés. Parmi eux, les ménages urbains (1 430) étaient plus nombreux que les ruraux (915) et les ménages non-migrants (1 180) un peu plus nombreux que les migrants (1 165), rendant raisonnablement compte du partage à 50/50 visé à l’origine. Le Table 3.1 synthétise l’échantillon final.
Enquêtes auprès des communautés
L’enquête auprès de la communauté a été réalisée auprès des dirigeants communautaires locaux (maires, fonctionnaires, membres du personnel technique et chefs de village) ayant de bonnes connaissances sur la communauté, au sein de chaque UPE sélectionnée dans le cadre de l’enquête auprès des ménages. Étant donné que les UPE sont de petite taille et ne constituent pas des unités administratives, les zones géographiques couvertes par les questionnaires sur la communauté étaient différentes et souvent plus vastes que les UPE. Cela valait en particulier pour 27 % des entretiens, notamment dans les zones urbaines, dès lors que la personne la mieux informée sur la région couvrant l’UPE ne vivait pas directement dans l’UPE elle-même.
Les entretiens ont été menés par les superviseurs de chaque équipe de dénombrement, qui avaient déjà mené des enquêtes similaires et disposaient de connaissances locales. Pour des raisons logistiques et d’efficacité, l’ensemble des questionnaires sur la communauté a été administré au cours de l’enquête auprès des ménages.
L’enquête comprenait des questions sur la part des ménages dont l’un des membres vit actuellement dans un autre pays et sur le pays de résidence le plus courant, ainsi que sur les emplois les plus répandus dans la communauté. Elle comprenait également un aperçu des diverses politiques publiques et des programmes actuels ou passés au sein de la communauté.
Entretien avec les parties prenantes
Afin de compléter les données quantitatives, des entretiens semi-directifs ont été menés avec les parties prenantes de différents milieux en s’appuyant sur un guide conçu par le Centre de développement de l’OCDE. Ce guide comportait cinq axes :
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sensibilisation générale aux questions de migrations
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actions, programmes et politiques directement liés aux migrations
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actions, politiques et programmes principaux susceptibles d’être liés aux migrations
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perception des problèmes liés aux migrations
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coordination avec d’autres parties prenantes en matière de migrations.
Dans chaque partie, les questions ont été modifiées selon que l’entité interrogée travaillait directement ou indirectement sur les migrations et en fonction de son rôle à l’égard des politiques ayant trait aux migrations. Les institutions retenues étaient notamment des agences du gouvernement œuvrant ou non sur la question des migrations, des organisations de la société civile, des syndicats, des établissements universitaires et des organisations internationales. Environ un tiers des répondants représentait les institutions publiques, tant au niveau national que régional (Table 3.2).
Comment les données ont-elles été analysées ?
Après une description des outils qui ont servi à recueillir des données pour le projet, cette section montre comment ces données ont été analysées. Dans ce rapport, les analyses comportent à la fois des tests statistiques et une analyse de régression. Les tests statistiques déterminent la probabilité que la relation entre deux variables ne résulte pas du hasard :
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Un test t compare la moyenne d’une variable dépendante, pour deux groupes indépendants. Par exemple, il sert à vérifier s’il existe une différence entre le nombre moyen de travailleurs embauchés par des ménages agricoles avec émigrés et celui de travailleurs recrutés par des ménages agricoles sans émigrés.
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Un test du khi carré permet d’examiner la relation entre deux variables catégoriques (nominales), comme la fréquentation d’une école privée (seules deux catégories sont possibles, oui ou non) par les enfants issus de deux types de ménages : ceux recevant des transferts de fonds et ceux n’en recevant pas.
Ce type de tests statistiques ne permet pas de rendre compte d’autres facteurs. L’analyse de régression, quant à elle, permet de vérifier l’effet quantitatif d’une variable sur une autre tout en tenant compte d’autres facteurs susceptibles d’influencer, eux aussi, le résultat. Les enquêtes auprès des ménages et des communautés ont intégré des informations détaillées sur les ménages, leurs membres et les communautés dans lesquelles ils vivent. Ces informations ont servi à élaborer des variables de contrôle. Celles-ci ont été incluses dans les modèles de régression afin de distinguer l’effet d’une variable étudiée d’autres caractéristiques des individus, des ménages et des communautés qui sont susceptibles d’affecter le résultat, comme, par exemple, les investissements du ménage dans une activité commerciale ou les projets d’émigration d’un individu.
Le rapport comporte deux modèles de régression de base : moindres carrés ordinaires (MCO) et probit. Le choix du modèle à utiliser est fonction de la nature de la variable de résultat. On fait appel à une régression MCO lorsque la variable de résultat est continue (un nombre infini de valeurs) et à un modèle probit quand la variable de résultat ne peut avoir que deux valeurs (par exemple, la possession d’une entreprise ou non).
Les interactions entre politiques publiques et migrations sont explorées à la fois au niveau des ménages et au niveau individuel, même si cela dépend du sujet et de l’hypothèse étudiés. Pour chaque secteur, l’analyse s’intéresse à deux relations :
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l’impact d’une dimension migratoire sur un résultat propre au secteur
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l’impact d’une politique de développement sectorielle sur un résultat migratoire
L’analyse de régression repose sur quatre ensembles de variables :
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A) Migrations : 1) dimensions migratoires, dont émigration (parfois, utilisation de la variable de substitution d’une intention d’émigrer à l’avenir), transferts de fonds, migration de retour et immigration ; 2) résultats migratoires, incluant la décision d’émigrer, le transfert et l’utilisation de fonds, la décision et la pérennité de la migration de retour, et l’intégration des immigrés.
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B) Politiques de développement sectorielles : un ensemble de variables indiquant si un individu ou un ménage a pris part à une politique ou à un programme spécifique, ou en a bénéficié, dans cinq principaux secteurs : marché du travail ; agriculture ; éducation ; investissement et services financiers ; protection sociale et santé.
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C) Résultats propres au secteur : un ensemble de variables mesurant les résultats obtenus dans les secteurs du projet étudiés, tels que la participation à la main-d’œuvre, l’investissement dans l’élevage, la scolarisation ou la propriété d’une entreprise.
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D) Caractéristiques au niveau du ménage et de l’individu : un ensemble de variables socio-économiques et géographiques explicatives qui tendent à influer sur les résultats migratoires et sectoriels.
Que révèlent les enquêtes sur les migrations en Côte d’Ivoire ?
Les 2 345 enquêtes auprès des ménages ont permis de recueillir des renseignements sur les 13 337 personnes vivant dans ces ménages. Parmi les membres de ces ménages, 1 349 immigrés et 190 migrants de retour ont été recensés. Outre les membres des ménages, l’enquête a également recueilli des données sur 630 anciens membres vivant actuellement dans un autre pays (émigrés). Les émigrés sont issus de 450 ménages interrogés, soit 19 % de l’échantillon (Figure 3.2, diagramme circulaire de gauche). Les parts des ménages comptant un immigré ou un migrant de retour sont respectivement de 30 % et 8 % (Figure 3.2, diagramme circulaire au centre et diagramme circulaire de droite). Parmi les 2 345 ménages, 168 (7 %) ont une expérience migratoire dans au moins deux des catégories suivantes : l’émigration, la migration de retour et l’immigration.
Les dimensions migratoires de l’émigration, de la migration de retour et de l’immigration ont été laissées au hasard lors de l’échantillonnage du groupe migrant, d’où un dénombrement qui reflète la taille relative de ce dernier dans des environnements urbains et ruraux. Le Figure 3.3 propose une comparaison entre les taux de migration relatifs en fonction des données concernant le ménage. Il montre que l’immigration et, dans une moindre mesure, la migration de retour, sont des phénomènes plus courants dans les zones rurales que dans les zones urbaines.
Le Table 3.3 montre comment les caractéristiques des ménages échantillonnés diffèrent suivant leur expérience migratoire. Les différentes catégories ne s’excluent pas mutuellement : par exemple, 85 % des ménages recevant des transferts de fonds comptent également un émigré et sont inclus dans les deux catégories. Les ménages qui reçoivent des transferts de fonds vivent plus généralement en milieu urbain, à raison de 75 % d’entre eux contre 68 % chez les ménages avec un émigré et 60 % chez les ménages sans expérience migratoire. Les ménages avec un immigré représentent les ménages les plus importants en nombre (6.3 membres en moyenne), aux côtés des ménages recevant des transferts de fonds.
Le ratio de dépendance est très similaire entre les catégories, allant de 0.78 pour les ménages recevant des transferts de fonds à 0.84 pour les ménages avec immigré. Conformément à ce qui précède, la part des ménages avec enfants âgés de 0 à 14 ans est similaire elle aussi, avec en moyenne 78 % des ménages comptant des enfants. Les ménages avec des migrants de retour sont les moins susceptibles d’avoir des enfants (72 %). Quant aux ménages qui reçoivent des transferts de fonds, ils sont près de deux fois plus susceptibles que la moyenne de compter une femme à leur tête (28 % contre 15 %). Les ménages avec un émigré sont, eux aussi, plus susceptibles de compter une femme comme chef de famille (20 %), mais leur part est largement inférieure à celle des ménages recevant des transferts de fonds. Ces derniers sont les plus instruits, 60 % d’entre eux comptant un membre ayant achevé au moins le premier cycle du secondaire, contre 43 % des ménages de l’échantillon global.
Aux fins du présent projet, un indicateur du patrimoine des ménages a été élaboré à partir des questions de l’enquête auprès des ménages portant sur le nombre d’actifs détenus par le ménage, allant d’un téléphone portable à un bien immobilier. Cet indicateur a été créé sur la base d’une analyse en composantes principales. Il suggère que les ménages avec une expérience migratoire ont tendance à être plus riches, à l’exception des ménages avec des immigrés, pour qui les scores sont les plus faibles.
L’enquête comprenait également une question directe à tous les membres des ménages âgés de 15 ans ou plus afin de déterminer s’ils avaient l’intention d’émigrer. Plus d’un ménage sur trois comptait au moins un membre prévoyant d’émigrer, et pas uniquement en raison de la forte prévalence de ménages avec une expérience migratoire dans l’échantillon. Parmi les ménages sans expérience migratoire, 36 % comptaient un membre prévoyant d’émigrer. Cette part était de 51 % chez les ménages recevant des transferts de fonds et de 25 % (soit la part la plus faible) chez les ménages avec immigrés.
Le Table 3.4 synthétise les caractéristiques des individus qui sont issus des ménages échantillonnés et ventilés en groupes non-migrants, émigrés, migrants de retour ou immigrés. Les migrants de retour forment le groupe le plus âgé (âge moyen de 42 ans), suivis par les immigrés (40 ans), les émigrés actuels (35 ans) et les non-migrants (33 ans). Alors que les femmes représentent 49 % de l’ensemble de l’échantillon, les individus qui jouissent d’une expérience migratoire sont plus généralement des hommes. Seuls 40 % des émigrés et 32 % des migrants de retour sont des femmes. Parmi les immigrés, la proportion de femmes est légèrement plus élevée, à 42 %.
Quelque 1 % d’immigrés ont achevé des études supérieures contre 8 % des non-migrants. Les émigrés et les migrants de retour sont les plus nombreux à avoir achevé des études supérieures (13 % et 12 % respectivement). Chez les individus âgés de 25 ans et plus, ceux qui n’envisagent pas d’émigrer affichent un niveau d’études inférieur à celui de ceux qui envisagent émigrer (6 % contre 14 % avaient achevé des études supérieures [non représenté]).
Émigration : hommes et femmes ne suivent pas les mêmes tendances
Les données collectées sur les émigrés concernaient leur pays de résidence actuel, le temps qui s’est écoulé depuis qu’ils sont partis et la raison de leur départ. Les pays de destination diffèrent selon que les émigrés sont des hommes ou des femmes (Figure 3.4). Alors que les hommes migrent principalement vers les pays de la région, comme le Burkina Faso, le Mali et d’autres pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) - 46 % d’hommes contre 28 % de femmes - les femmes ont tendance à davantage émigrer vers la France et d’autres pays de l’OCDE (55 % de femmes contre 41 % d’hommes).
Près de 22 % des émigrés avaient quitté la Côte d’Ivoire moins de deux ans avant l’enquête, 23 % entre deux et cinq ans plus tôt, 18 % entre cinq et dix ans et les 37 % restants avaient quitté le pays plus de dix ans avant l’enquête. Parmi les émigrés résidant dans des pays limitrophes de la Côte d’Ivoire, un quart avait quitté le pays plus de dix ans avant l’enquête. Dans les pays non-frontaliers, 50 % des émigrés avaient quitté le pays plus de dix ans avant l’enquête.
Si les principales raisons de l’émigration demeurent d’ordre financier ou professionnel (Figure 3.5), une part importante d’hommes comme de femmes avait quitté le pays pour aller étudier à l’étranger. Le regroupement familial ou le mariage représentent un motif plus important pour les femmes que pour les hommes puisque 26 % de femmes migrent pour cette raison contre à peine 9 % d’hommes.
Transferts de fonds
Bien que les transferts de fonds et l’émigration soient étroitement liés, l’un n’implique pas nécessairement l’autre. Sur les 2 345 ménages interrogés, 215 (9 %) avaient reçu des transferts de fonds internationaux dans les 12 mois précédant l’enquête. Pour la majorité d’entre eux, soit 83 %, les transferts provenaient d’un ancien membre du ménage. Pour les 17 % restants, les transferts provenaient d’une autre source. Quelque 40 % des ménages avec un émigré ont reçu des transferts de fonds, contre 2 % des ménages sans émigrés. Les ménages urbains sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds (11 %) que les ménages ruraux (Figure 3.6), ce qui peut s’expliquer en partie par la proportion plus élevée de ménages avec un émigré dans les zones urbaines (22 % en milieu urbain, contre 16 % en milieu rural). Quelque 30 % des émigrés de l’échantillon ont effectué des transferts en espèces ou en nature au cours des 12 mois précédant l’enquête, pour une valeur moyenne de 230 772 francs CFA BCEAO (XOF), soit 481 dollars américains (USD).
Les migrants de retour sont satisfaits de rentrer au pays
Les pays d’où reviennent les migrants de retour sont similaires aux pays de destination des émigrés actuels, mais la proportion de migrants revenant de pays de l’OCDE est sensiblement inférieure à celle des émigrés actuels qui y résident (Figure 3.7). Pour les pays de la région en revanche, la part de migrants de retour de ces pays est plus élevée que celle des émigrés actuels qui y résident. En matière de migration de retour, des tendances similaires s’observent entre hommes et femmes.
En moyenne, les migrants de retour ont passé 40 mois dans un autre pays au cours de leur dernier épisode migratoire, mais la durée du séjour varie sensiblement selon le sexe. Les femmes y ont séjourné 4 ans en moyenne, les hommes seulement 3. Le temps moyen écoulé depuis le retour est de 8 ans, alors que 30 % des migrants de retour sont rentrés au cours de l’année écoulée. Une grande majorité (93 %) se disent satisfaits ou très satisfaits d’être de retour en Côte d’Ivoire, mais près d’un migrant de retour sur trois envisage d’émigrer à nouveau l’année suivante.
À l’origine, ces individus avaient émigré pour les mêmes raisons que les émigrés actuels qui ont quitté le pays. Les motifs étaient surtout d’ordre financier ou professionnel, et une part importante d’entre eux a quitté le pays pour aller étudier à l’étranger - bien que la proportion pour ce motif soit plus réduite pour les migrants de retour (12 %) que pour les émigrés actuels (22 %). Comme dans le cas de l’émigration, les raisons du retour varient selon le sexe (Figure 3.8). Les femmes sont plus susceptibles de revenir en raison de préférences personnelles, y compris pour des raisons familiales. Les hommes sont plus susceptibles que les femmes de rentrer au pays parce qu’ils considèrent que la Côte d’Ivoire offre de meilleures opportunités ou parce qu’ils ont participé à un programme de retour volontaire.
L’immigration en provenance de pays voisins repose sur des liens sociaux
Outre les questions qui ont été posées à tous les membres du ménage, les immigrés ont dû répondre à des questions supplémentaires sur les raisons qui les ont poussés à migrer, sur leur vie avant la migration et sur leur expérience de l’intégration. La majorité des immigrés sont nés dans les pays voisins, le Burkina Faso ou le Mali (Figure 3.9). Les pays d’origine des immigrés sont très similaires pour les hommes et les femmes.
Les immigrés interrogés ont déclaré avoir essentiellement migré vers la Côte d’Ivoire parce qu’ils y connaissaient des gens (Figure 3.10). Pour les hommes, les meilleures perspectives d’emploi en Côte d’Ivoire constituaient la deuxième raison la plus importante tandis que les femmes ont évoqué le désir de se rapprocher de leur famille et leurs amis. En moyenne, les immigrés ont vécu en Côte d’Ivoire pendant 16.5 ans (Figure 3.11). Les hommes immigrés avaient vécu en Côte d’Ivoire plus longtemps que les femmes immigrées (17.5 ans pour les premiers, 15 ans pour les secondes), et les immigrés dans les zones urbaines demeurent en Côte d’Ivoire légèrement plus longtemps que ceux des zones rurales (16.7 années contre 16.3 années). Seuls 13 % des immigrés étaient arrivés dans le pays au cours des 2 dernières années. Près de 5 % des immigrés déclarent être des migrants saisonniers, se déplaçant entre la Côte d’Ivoire et leur pays d’origine pour des travaux saisonniers. Globalement, 11 % des immigrés envisagent de retourner dans leur pays d’origine. Les hommes immigrés étaient légèrement plus susceptibles d’envisager un retour par rapport aux femmes immigrées (12% contre 10%) ; par contre les immigrés dans les zones urbaines étaient plus de deux fois plus susceptibles de d’envisager un retour que les immigrés dans les zones rurales (15% contre 7%).
Environ 30 % des immigrés ont aidé des personnes de leur pays d’origine à immigrer en Côte d’Ivoire, principalement en leur donnant des informations (50 %), mais aussi en leur apportant une aide financière (29 %) ou en les aidant à trouver un emploi (17 %). Les immigrés ont également été interrogés directement sur la question de savoir s’ils avaient investi en Côte d’Ivoire. Les immigrés dans les zones rurales étaient plus susceptibles de l’avoir fait (43%) que les immigrés dans les zones urbaines (35 %).
Ce chapitre a présenté les trois outils (enquêtes auprès des ménages, enquêtes auprès des communautés et entretiens qualitatifs avec les parties prenantes) qui servent à recueillir des données permettant d’analyser les interactions entre migrations, politiques publiques et développement. Les chapitres suivants adoptent une approche sectorielle pour présenter les résultats de l’analyse des données : marché du travail, agriculture, éducation, investissement et services financiers et protection sociale et santé.
Notes
← 1. Un recensement de suivi était prévu en 2008, mais a finalement eu lieu en 2014. Il aurait été préférable de disposer de données plus récentes que celles du recensement de 1998, mais les données du recensement de 2014 n’étaient pas disponibles et ne pouvaient servir de base d’échantillonnage aux fins du projet IPPMD.
← 2. Il convient d’établir une distinction entre le terme « étranger », dont l’utilisation ici est fondée sur la nationalité, et le terme « immigré » utilisé dans le cadre du projet IPPMD, fondé sur le pays de naissance. L’utilisation de données relatives aux étrangers a été décidée à l’appui des données disponibles dans le RGPH98 ; elles sont considérées comme la meilleure variable de substitution disponible. Il importe également de noter que le poids des étrangers dans la population de chaque district de recensement a pu évoluer au cours des 16 années écoulées depuis le RGPH98, notamment dans les régions les plus directement touchées par le conflit ivoirien entre 2002 et 2011.
← 3. Les équipes de terrain ont reçu deux chiffres. Le 1er chiffre détermine le 1er ménage à interviewer à partir de la liste du dénombrement des ménages. Le 2e (le « pas ») détermine les ménages suivant à interviewer sur la liste. Par exemple, si le 1er ménage est le 7e dans la liste et que le « pas » est de 4, le 2e ménage sera le 11e ménage sur la liste.