Chapitre 2. Paysage de la migration en Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire est essentiellement un pays d’immigration, bien que l’émigration soit à la hausse. La politique d’immigration relativement ouverte lancée dans les années 60 a favorisé l’installation de nombreux immigrés dans le pays. Le conflit qui s’est déroulé de 2002 à 2011 a temporairement interrompu ces flux et augmenté l’émigration. Les transferts de fonds vers le pays ont également commencé à augmenter. Ce chapitre présente un aperçu des migrations en Côte d’Ivoire : leurs moteurs et leurs incidences, qui sont les migrants, et où ils sont allés, et ce que nous dit la documentation disponible sur les répercussions des migrations pour ceux qui restent au pays. Il se conclut par une présentation de la politique et du cadre institutionnel qui régissent les migrations en Côte d’Ivoire.

  

La Côte d’Ivoire est depuis longtemps un pays d’immigration nette. La politique relativement ouverte que le pays a mise en œuvre dans les années 60 a permis à des immigrés de s’installer et travailler en Côte d’Ivoire. Lorsque les perspectives d’avenir se sont assombries et que le conflit s’est répandu dans le pays, ces flux ont été momentanément interrompus et de nombreuses personnes sont parties. Face à la complexité de ces flux, le gouvernement a placé le sujet des migrations au cœur de sa stratégie nationale et prévu d’élaborer une stratégie spéciale en la matière.

Ce chapitre décrit le paysage migratoire en Côte d’Ivoire, plantant le décor pour les chapitres et l’analyse qui suivent. Il expose les tendances actuelles et rend compte de l’état de la recherche sur les questions essentielles liées aux migrations dans le pays. Il étudie également le rôle des migrations dans les politiques nationales de développement, les politiques migratoires spécifiques et le cadre institutionnel mis en œuvre pour gérer les migrations au niveau national.

Bref aperçu des tendances migratoires et des transferts de fonds en Côte d’Ivoire

L’expérience de la Côte d’Ivoire en tant que pays d’immigration remonte à plusieurs décennies. La Côte d’Ivoire avait joué un rôle relativement important dans l’exportation de produits agricoles lorsqu’elle a obtenu son indépendance de la France en 1960. Souhaitant capitaliser sur la relative richesse agricole de la Côte d’Ivoire, son premier président, Félix Houphouët-Boigny, s’est tourné vers un système d’immigration plutôt ouvert. L’augmentation de la main-d’œuvre devait favoriser l’économie agricole et faire de la Côte d’Ivoire un grand exportateur. Le changement de politique a provoqué un afflux sans précédent d’immigrés dans le pays, notamment en provenance des pays voisins, et principalement dans le secteur du cacao.

Les récents conflits qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire, en particulier depuis le début des années 2000, ont changé la nature des flux migratoires en provenance et en direction du pays. De nombreux immigrés, ainsi que leurs enfants nés en Côte d’Ivoire, sont retournés dans leur pays d’origine. Parallèlement, l’émigration à partir de la Côte d’Ivoire suit une tendance à la hausse, et renforce le rôle des transferts de fonds, de la migration de retour et de la diaspora dans le développement du pays. Cette section brosse un tableau des tendances migratoires actuelles en Côte d’Ivoire.

L’immigration reste élevée mais suit une tendance à la baisse en pourcentage de la population

L’immigration est un facteur caractéristique et un rouage essentiel de l’économie ivoirienne, en particulier depuis que le pays a progressivement adopté une politique relativement ouverte dans les années 60. Le dénombrement des immigrés résidant dans le pays dépend en grande partie de la façon dont on définit un immigré. L’institut national de la statistique (INS), le département de la statistique du pays, s’appuie sur une définition fondée sur la nationalité : une personne qui n’a pas la nationalité ivoirienne est considérée comme immigrée. Selon cette définition et les données des recensements effectués dans le pays, les immigrés représentaient 28 % de la population en 1988, 26 % en 1998 et 24 % en 2014, suggérant une tendance à la baisse (INS, 2015). Le total actuel correspond à 5.5 millions de personnes. L’INS fournit également la part des immigrés nés en Côte d’Ivoire, et cette part augmente avec le temps, passant de 43 % en 1988, à 47 % en 1998 et 59 % en 2014. Soit environ 2.3 millions d’individus vivant en Côte d’Ivoire, mais n’étant pas nés dans ce pays. L’équilibre entre les sexes est resté stable au fil du temps (56 % des immigrés étaient des hommes en 1988, 55% en 1998 et 2014 selon INS, 2015).

Selon la Banque mondiale, qui définit l’immigration en comptant le nombre de personnes vivant dans le pays mais nées ailleurs, le nombre d’immigrés est passé de 750 000 en 1960 à un peu plus de 2.4 millions en 2010 (Figure 2.1). Cependant, cette augmentation du nombre d’immigrés cache une baisse de l’immigration en pourcentage de la population. Ce pourcentage, qui était de près de 23 % en 1970, a diminué à 12 % en 2010 (Figure 2.1). Les derniers chiffres de la Banque mondiale estiment toujours à environ 2.4 millions le nombre d’immigrés en 2013, mais confirment la tendance à la baisse de ce nombre en pourcentage de la population, à 11 % (Banque mondiale, 2017a). Selon les Nations Unies, l’immigration est passée de 1.8 million – 15 % de la population – en 1990 à 2.3 millions en 2015 – soit 9.6 % de la population (DAES des Nations Unies, 2015).

Graphique 2.1. La part des immigrés en pourcentage de la population de la Côte d’Ivoire diminue au fil du temps
Stock total d’immigrés et stock d’immigrés en pourcentage de la population, 1960-2010
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Source : Banque mondiale (2017b), à l’exception des chiffres de l’année 2010 tirés de Banque mondiale (2017c), www.worldbank.org/en/topic/migrationremittancesdiasporaissues/brief/migration-remittances-data ; Banque mondiale (2017d) pour les statistiques démographiques, http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.POP.TOTL.

Une grande majorité des immigrés en Côte d’Ivoire viennent d’un autre pays africain, et plus particulièrement de la région de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les personnes nées au Burkina Faso représentaient environ 60 % des immigrés dans le pays en 2013, suivies par les immigrés du Mali (16 % ; Figure 2.2). Du fait de la politique d’immigration relativement ouverte qui a été instaurée dans les années 60, d’une forte croissance économique et d’une demande de main-d’œuvre élevée dans le secteur agricole, les pays offrant une main-d’œuvre agricole similaire ont été attirés par les possibilités et les salaires plus intéressants en Côte d’Ivoire. Par conséquent, la majeure partie des immigrés est originaire d’un grand nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, et beaucoup d’entre eux sont des saisonniers qui travaillent une partie de l’année en Côte d’Ivoire et le reste du temps dans leur pays d’origine, en fonction de la demande de main-d’œuvre (Neya, 2010). Ces immigrés saisonniers ne sont pas toujours pris en compte dans les statistiques.

Graphique 2.2. La majorité des immigrés en Côte d’Ivoire vient du Burkina Faso
Distribution des immigrés, par pays d’origine (2013, %)
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Source : Banque mondiale (2017a).

L’immigration, et plus spécifiquement la présence de Burkinabè en Côte d’Ivoire, ayant joué un rôle majeur dans le conflit qui s’est déroulé de 2002 à 2011, on pourrait penser que de nombreux immigrés burkinabè sont retournés dans leur pays d’origine et que relativement moins de personnes ont quitté le Burkina Faso pour immigrer en Côte d’Ivoire pendant cette période. Cela pourrait expliquer en partie la réduction de la part des immigrés en Côte d’Ivoire, en pourcentage de la population, avec le temps. Ce n’est pas le cas, toutefois, et dans les faits la part de Burkinabè a plutôt augmenté. En 1960, ils représentaient 52 % de tous les immigrés dans le pays. Cette part est passée à 57 % en 2000, puis à 60 % en 2013 (Banque mondiale 2017a ; 2017b). Les Nations Unies estiment que les immigrés du Burkina Faso représentaient 60 % de tous les immigrés en Côte d’Ivoire en 2015. Par ailleurs, selon les estimations des Nations Unies pour 2015, 55 % des immigrés en Côte d’Ivoire sont des hommes (DAES des Nations Unies, 2015), conformément à la part déclarée par le recensement de 2014 discutée ci-dessus.

Même si son niveau reste relativement faible, l’émigration à partir de la Côte d’Ivoire augmente

Il existe peu de statistiques détaillées sur la taille, l’évolution et les caractéristiques de l’émigration ivoirienne. C’est encore un phénomène relativement récent en Côte d’Ivoire, mais il prend de l’ampleur depuis la récente décennie de troubles du pays. Il faut rappeler que l’émigration politique, quoiqu’extrêmement marginale, a marqué la Côte d’Ivoire. Les opposants aux divers régimes politiques qui se sont succédé ont tous, à un moment ou l’autre, pris la voie de l’exil (la France étant le pays d’accueil privilégié), suscitant des craintes de complot ou autre menace à la stabilité (Dozon, 2011).

La Banque mondiale définit les émigrés comme étant des personnes nées en Côte d’Ivoire, mais vivant dans un autre pays. Sur la base de cette définition, elle estime que le nombre d’émigrés augmente à un rythme de plus en plus soutenu depuis 1980, à la fois en termes absolus et relatifs. Le nombre d’émigrés est resté relativement faible et stable jusqu’en 1980, année où il a commencé à augmenter. En 1980, environ 173 103 personnes nées en Côte d’Ivoire vivaient ailleurs, tandis qu’en 2010 leur nombre était estimé à 1 172 151. Cette augmentation est également visible en pourcentage de la population. En 1980, les émigrés représentaient environ 2 % de la population, tandis qu’en 2010 ils étaient environ 6 %. Les dernières estimations pour 2013 donnent 1 020 416 émigrés et une part de 5 % de la population (Banque mondiale, 2017a). Les estimations des Nations Unies suggèrent un total de 370 832 émigrés en 1990 (3 % de la population) et 850 105 émigrés en 2015 (4 % de la population ; DAES des Nations Unies, 2015).

Graphique 2.3. L’émigration à partir de la Côte d’Ivoire, en pourcentage de la population, a augmenté
Stock total d’émigrés et stock d’émigrés en pourcentage de la population, 1960-2010
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Source : Banque mondiale (2017b), à l’exception des chiffres de l’année 2010 tirés de Banque mondiale (2017c) ; Banque mondiale (2017d) pour les statistiques démographiques.

En 2013, plus de la moitié (55 %) des personnes qui avaient émigré de Côte d’Ivoire vivaient au Burkina Faso, une proportion moindre par rapport à l’année 2000 où elles représentaient plus des trois quarts (76 %) des émigrés (Banque mondiale, 2017a, 2017b et 2017d). Beaucoup des émigrés qui vivent au Burkina Faso sont pour la plupart les enfants de parents nés au Burkina Faso, mais qui sont nés eux en Côte d’Ivoire, ce qui en fait des immigrés selon la définition. Nombre d’entre eux ont sans doute fui pendant la crise qu’a subie le pays. La diminution de la part relative des immigrés du Burkina Faso est due en grande partie à l’émigration depuis la Côte d’Ivoire vers le Libéria pendant la crise ivoirienne. Le nombre d’émigrés ivoiriens dans ce pays est passé de 2 000 en 2000 à plus de 150 000 en 2013. En 2013, la communauté ivoirienne au Libéria était la deuxième communauté d’émigrés ivoiriens au monde. Les Nations Unies estiment qu’en 2015, les émigrés de Côte d’Ivoire vivant au Burkina Faso représentaient 64 % du nombre total d’émigrés en provenance du pays, mais la France suivait (11 % du total) et non le Libéria (5 % du total ; DAES des Nations Unis, 2015).

Les informations sur ce que font les émigrés de Côte d’Ivoire dans les autres pays sont rares et la plupart des données sont anciennes. La dernière étude connue a constaté que les travailleurs et les étudiants formaient le gros de l’émigration ivoirienne. Les travailleurs émigrés dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont principalement employés dans le secteur manufacturier (26 %), la distribution et les services sociaux (13 % et 11 % ; Konan, 2009). Quant aux étudiants, ils se retrouvent principalement en France, mais le Canada et les États Unis d’Amérique accueillent de plus en plus d’étudiants ivoiriens (Kouakou, 2009).

Graphique 2.4. Plus de la moitié des émigrés de Côte d’Ivoire vivent au Burkina Faso
Distribution du nombre total d’émigrés par pays de résidence en 2013 (%)
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Source : Banque mondiale (2017a).

Les transferts de fonds vers la Côte d’Ivoire restent faibles, mais ils augmentent en même temps que le nombre d’émigrés

Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds internationaux à destination de la Côte d’Ivoire augmentent. Ils sont passés de 120 millions de dollars américains (USD) en 2000 à 385 millions USD en 2015 (Figure 2.5). Cependant, leur niveau reste relativement faible en comparaison avec le produit intérieur brut (PIB) du pays. En 2015, ils représentaient 1.2 % du PIB du pays, un pourcentage similaire à celui de 2000 (1.1 %). Une base de données de la Banque mondiale différente suggère que la part était de 1% en 2015 (Banque mondiale, 2017e). D’autres pays voisins enregistrent des taux bien supérieurs, comme le Maroc (6.9 %), le Nigéria (4.3 %) et le Sénégal (11.9 % ; Banque mondiale, 2017g). Les transferts de fonds ont connu une hausse soudaine, à la fois en termes absolus et relatifs, en 2008, lorsque la Côte d’Ivoire était en plein conflit armé mais subissait aussi une crise financière mondiale. Ces transferts ont probablement été dynamisés en raison d’une augmentation de l’émigration au cours du conflit en Côte d’Ivoire, mais aussi du fait de la nécessité d’une aide financière provenant du pays pendant la crise. Selon les estimations de la Banque mondiale pour 2015, la plus grande source de transferts de fonds vers la Côte d’Ivoire était le Burkina Faso (187 millions USD), suivie de la France (55 millions USD) et du Libéria (50 millions USD ; Banque mondiale, 2017i).

Graphique 2.5. Le montant total des transferts de fonds vers la Côte d’Ivoire reste faible, mais il a enregistré un pic pendant la guerre civile et la crise financière mondiale
Total des transferts de fonds (millions USD) et part des transferts de fonds en pourcentage du PIB (%), 2000-15
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Sources : Banque Mondiale (2017f) ; Banque mondiale (2017g).

Les montants transférés peuvent représenter une somme importante pour un ménage. Une enquête menée en 2012 en Côte d’Ivoire et au Ghana montre que le montant moyen des transferts internationaux reçus se situe entre 160 000 francs CFA BCEAO (XOF ; environ 265 USD) et 170 000 XOF (environ 282 USD) par émigré (CIRES, 2012). La fréquence de réception par année est de quatre fois en moyenne, ce qui revient à un gain annuel maximum de près de 700 000 XOF (environ 1 160 USD). Cette somme est presque l’équivalent du PIB du pays par habitant en 2015, qui s’élevait à 1 400 USD (Banque mondiale, 2017h).

Quels sont les principaux enjeux et les lacunes en matière de connaissances ?

Si de nombreuses études menées en Côte d’Ivoire sont axées sur l’immigration, l’émigration à partir de la Côte d’Ivoire est encore un sujet très peu étudié. En réalité, les études sur l’émigration s’intéressent principalement à l’effet des transferts de fonds. En outre, la migration de retour vers la Côte d’Ivoire est rarement mentionnée dans les documents de recherche, probablement parce que le nombre total des migrants de retour reste limité. Les études conduites jusqu’à présent fournissent des éléments de preuve fragmentaires quant au caractère de l’émigration issue de Côte d’Ivoire. Cette section propose un aperçu des principales études empiriques récemment menées sur l’émigration en provenance de Côte d’Ivoire.

Les immigrés sont principalement attirés par la Côte d’Ivoire pour des raisons économiques

D’après les études, les immigrés choisissent principalement la Côte d’Ivoire comme pays de destination pour des raisons économiques, même si les facteurs sociaux jouent un rôle non négligeable. Les immigrés sont attirés par la croissance économique du pays et la perspective de gagner plus d’argent que chez eux. La motivation principale des migrants à destination de la Côte d’Ivoire entre 1998 et 2006 était l’emploi ou la recherche d’emploi (Merabet, 2006 ; Konan, 2009). Malgré les diverses crises, ce pays attire toujours les immigrés (De Vreyer et al., 2010a). On enregistre aussi des motivations d’ordre politique liées à la relative stabilité du pays dans une zone ouest-africaine secouée par des crises socio-politiques et parfois militaires. De par son caractère spontané et son ampleur, la migration des personnes réfugiées est également considérée comme un facteur déstabilisant pour des pays d’accueil tels que la Côte d’Ivoire (Cissé et Fall, 2007).

Enfin, on note les effets de réseau qui pèsent fortement parmi les facteurs d’immigration. Les migrants ont tendance à s’installer dans les pays où existe déjà une forte concentration de leur communauté d’origine. De plus les membres de la diaspora mettent en place des dispositifs d’aide qui réduisent le coût et l’aléa de la migration en accueillant le nouveau venu, éventuellement en l’aidant à trouver du travail ou un logement, avec un soutien psychologique adéquat par le biais des associations et des activités culturelles (Shaw, 2007). On considère même que les réseaux tendent, à terme, à perpétuer les flux migratoires lorsque la cause originale (recherche d’emploi ou guerre) n’est plus d’actualité. En Côte d’Ivoire, les réseaux tels que ceux des Maliens ou des Mauritaniens perpétuent cette logique et s’inscrivent dans une stratégie pérenne. En ce qui concerne les différences entre les sexes, une enquête auprès des ménages d’Abidjan en 2001-02 suggère que les immigrés sont plus souvent des hommes, quel que soit leur pays d’origine, ce qui correspond aux données du recensement (De Vreyer et al, 2010a).

Par ailleurs, malgré la crise, la Côte d’Ivoire demeure un lieu où les immigrés ont une plus grande probabilité d’insertion, confirmant ainsi l’hypothèse d’enclave d’immigrés1 (Piché, 2013).

Les immigrés ont un effet bénéfique sur l’économie

L’effet de l’immigration en Côte d’Ivoire a porté sur la stimulation de l’activité économique. Une étude qui a recueilli des données sur les producteurs de coton auprès de 700 ménages dans le nord du pays en 1997 et 1998, a constaté que la production agricole était plus performante dans les régions où les immigrés sont plus nombreux (Audibert, Mathonnat et Henry, 2003). D’autres études ont également examiné la concurrence entre les immigrés et les travailleurs nés dans le pays sur le marché de l’emploi. Ainsi, Konan et Kouakou (2012) analysent la probabilité d’avoir un emploi en Côte d’Ivoire et au Ghana en fonction du statut d’immigré ou de non-immigré2 . À partir des données des enquêtes sur le niveau de vie au Ghana et en Côte d’Ivoire, l’estimation des déterminants de la probabilité d’être en emploi montre que l’intégration des migrants par l’emploi est liée en grande partie à la politique migratoire de la Côte d’Ivoire. Par contre au Ghana, c’est l’état de la conjoncture économique qui influence le plus la probabilité d’être en emploi. De plus, en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de différence significative dans la probabilité d’accès à l’emploi d’un immigré relativement au natif. Par ailleurs, quoiqu’il n’existe à priori aucune discrimination entre immigrés et natifs du point de vue de l’emploi, les ressortissants de la CEDEAO s’intègrent mieux au plan professionnel en Côte d’Ivoire.

Une étude basée sur un échantillon représentatif de fermes montre que les théories malthusienne et de Boserup se complètent. Selon Malthus, le non-contrôle de la démographie pose un risque de famine, de guerre et d’émigration tandis que, d’après Boserup, la pression de la population pousse les paysans à s’adapter en cultivant de façon plus intensive et ainsi en innovant. Dans un premier temps, la pression démographique enclenche un processus malthusien qui mène à la migration vers des zones plus favorables et ainsi à la régulation des naissances. Mais cette migration incite aussi à l’intensification des cultures et permet d’introduire la mécanisation pour les populations natives (Demont et al, 2007).

Cependant, l’immigration a un coût en termes de cohésion sociale au niveau national

La migration a un impact sur la cohésion sociale. En effet, les sentiments à l’égard des immigrés, dans les pays à fort taux d’immigration, varient en fonction de la conjoncture. Si la conjoncture est mauvaise, les migrants sont perçus comme une concurrence pour les nationaux sur le marché de l’emploi. Ainsi, pour les natifs, les immigrés contribuent à saturer le marché du travail et sont, en conséquence, la source de la rareté de l’emploi. Cette vision mérite d’être nuancée dans la mesure où l’emploi n’est pas fixe ; il est dynamique et facteur de croissance économique avec tout le potentiel de création de nouveaux emplois dans le futur. En Côte d’Ivoire, les crises sociopolitiques successives et récentes ont cristallisé les débats autour de la question des immigrés. En conséquence, bon nombre de leurs biens ont été détruits. Le rapport de Yaro et Pilon (2005) sur les conséquences du conflit ivoirien sur l’éducation et l’économie des pays limitrophes met l’accent sur les dommages qu’ils y ont subi avant de se décider à quitter le pays. De même l’étude de Klapper et al. (2013), qui analyse l’impact du conflit civil sur la productivité des entreprises en Côte d’Ivoire, révèle que les entreprises étrangères ou employant du personnel non ivoirien ont été les plus touchées.

L’étude de Kouamé et al. (2013) montre que la région de l’Ouest, en proie à de nombreux conflits fonciers impliquant des nationaux et des non-nationaux, se caractérise par un fort sentiment de victimisation. Chaque communauté, native comme étrangère, se considère comme victime de l’autre, ce qui affecte la cohésion sociale. L’émergence du concept d’« ivoirité » et son dévoiement ont aussi cristallisé les débats autour des immigrés. L’ivoirité est un concept qui favorise la préférence nationale, le privilège qui devrait être accordé aux nationaux par rapport aux immigrés dans l’accès aux emplois publics et au foncier rural, entres autres. Né sous le régime du Président Bédié, il a été galvaudé et sa simple évocation durant la crise armée qui a éclatée en 2002 était synonyme de xénophobie, d’exclusion notamment. Pour certains auteurs, l’une des causes des conflits en Côte d’Ivoire est à rechercher dans l’utilisation et l’exploitation politique de ce concept, notamment comme un moyen d’exclusion de l’étranger, et même d’exclusion de l’adversaire politique dans les processus électoraux (Dabalen et Paul, 2012).

La récente hausse des transferts de fonds et des migrations de retour a entraîné un développement économique et social en Côte d’Ivoire

De nombreux travaux affirment que les transferts d’argent réduisent la pauvreté extrême. Adams et Page (2005), dans un travail mené sur un panel de 71 pays en développement, dont la Côte d’Ivoire, indiquent qu’une hausse de 10 % dans les volumes de transfert d’argent international par tête aboutit à une baisse de 3.5 % de la proportion de personnes vivant dans la pauvreté.

Les transferts de fonds par les ménages ivoiriens servent principalement à l’achat de biens de consommation courante, mais aussi à l’éducation et l’immobilier (Konan et Kouakou, 2011). Les recherches sur la Côte d’Ivoire montrent que les transferts de fonds reçus accroissent les dépenses d’éducation par tête. Ils permettent aussi de réduire significativement la probabilité d’être pauvre (Ahouré et Kimou, 2014). Les transferts d’argent permettent également d’accroître l’épargne ainsi que l’inclusion financière. Avec le développement des moyens de transfert d’argent numérique fournis par les services de téléphonie mobile, des individus qui autrement n’auraient pas accès aux services financiers sont sensibilisés à l’épargne et à la bancarisation. L’État peut également y gagner (Ratha et al, 2011). Une autre étude montre que les hommes qui reçoivent des transferts d’argent ont une probabilité plus faible de participer au marché du travail. Ce résultat rejoint d’autres études menées en Asie ou en Amérique latine qui poussent à croire que la réception d’argent n’incite pas au travail (Ahouré et Kimou, 2014).

En termes de migration de retour, une étude dans les principales villes de l’Afrique de l’Ouest révèle l’existence d’une prime de salaire et d’avantages en matière d’entreprenariat pour les migrants qui retournent des pays de l’OCDE, mais pas pour les autres migrants de retour (De Vreyer et al., 2010b). En s’appuyant sur une enquête auprès des migrants de retour au Ghana et en Côte d’Ivoire, un autre article de recherche trouve une corrélation positive entre l’investissement dans l’activité entrepreneuriale par les migrants de retour et l’accumulation d’épargne, l’expérience professionnelle (plutôt que l’éducation), les visites régulières dans le pays d’origine et l’appartenance à une association dont tous les membres provenaient du pays d’origine (Black et Castaldo, 2009).

Quel rôle jouent les migrations dans les stratégies de développement national ?

En Côte d’Ivoire, le principal instrument qui offre au gouvernement une orientation politique est le Plan national de développement (PND) 2016-20 (République de Côte d’Ivoire, 2015). Les migrations jouent un rôle notable dans plusieurs sections de ce plan, surtout dans deux de ses axes stratégiques. L’axe stratégique 1, qui consiste à renforcer la qualité des institutions et de la gouvernance, envisage la possibilité d’élaborer un plan visant à gérer les flux migratoires. L’axe qui cible le renforcement de l’intégration régionale et de la coopération internationale examine le rôle des Ivoiriens résidant à l’étranger dans le développement du pays et la lutte contre les migrations clandestines.

Dans le cadre de son évaluation de la situation actuelle, le PND affirme que les flux migratoires sont satisfaisants, étant donné la possibilité de libre circulation au sein de la CEDEAO. Il évoque la nécessité de renforcer la capacité institutionnelle en matière d’immigration dans le cadre d’un projet de fichier unique de la population qui permettrait de délivrer une carte d’identité à chaque individu.

La politique globale de la Côte d’Ivoire en matière d’immigration a été qualifiée de libérale, de restrictive et, plus récemment, d’une approche plus inclusive. Les politiques publiques ont, dans l’ensemble, été non-discriminantes.

Au lendemain de l’indépendance, en 1960, le pays a opté pour une politique d’entrée libre sur son territoire (Konan, 2009). Cette politique s’inscrit dans une logique d’acquisition de la main-d’œuvre nécessaire pour le développement de l’économie de plantation et la construction des infrastructures de transport de la Côte d’Ivoire (Dembélé, 2009 ; Bredeloup, 2003 ; Brou et Charbit, 1994 ; Ahouré et Kimou, 2014). Pendant cette période, la législation ivoirienne est laxiste et des mesures sont prises dans le cadre de cette politique pour l’intégration des migrants. Pour ce faire, elle se dote d’instruments juridiques, notamment des accords bilatéraux (convention avec la Haute-Volta, accord de coopération franco-ivoirien) et multilatéraux (CEDEAO) en vue de favoriser l’immigration de la main-d’œuvre.

En outre, pour la mise en œuvre de sa politique libérale, diverses mesures incitatives ont été instaurées par les autorités ivoiriennes afin de favoriser l’implantation et l’intégration des migrants tant au niveau économique, social que politique. Ces mesures concernent, entre autres, la possibilité d’accès des étrangers à la propriété foncière et aux emplois du secteur public, l’accès aux services sociaux de base et l’octroi du droit de vote aux ressortissants de l’Afrique de l’Ouest.

À partir de 1975, après avoir adopté pendant plusieurs années une politique très libérale en matière d’immigration, donnant le « droit » aux immigrés d’accéder à la terre, à des emplois publics et de participer aux différentes élections, la Côte d’Ivoire a considérablement révisé cette politique du fait de la pression démographique, de la raréfaction des terres, de la crise économique et du multipartisme naissant. De façon plus précise, un ensemble de mesures a été pris visant progressivement à restreindre le droit des étrangers résidant en Côte d’Ivoire. Il s’agit de la poursuite de la politique d’ivoirisation de certaines hautes fonctions de l’administration (1975), de l’identification des étrangers et l’instauration de la carte de séjour (1990), de la suppression du droit de vote des étrangers (1994) et de la réglementation de l’accès à la propriété foncière (1998).

Sous l’effet de la politique d’ivoirisation, l’accès à l’emploi public sera interdit aux étrangers au profit des ressortissants nationaux. Cette politique sera suivie d’un processus d’identification des étrangers à partir de 1990. Chaque étranger sera appelé à justifier son séjour sur le territoire ivoirien lorsque celui-ci dépassera trois mois, par la détention d’une carte de séjour. Cette identification facilitera l’exclusion des étrangers du jeu électoral (comme candidat ou électeur) avec l’adoption du nouveau Code électoral par le Parlement en 1994 qui reconnaît seulement les nationaux. Dans ce contexte, les tensions politiques issues de l’instauration du multipartisme (1990) vont se révéler et parasiter le débat sur le concept d’ivoirité. Enfin, l’adoption de la loi sur le foncier en 1998 va interdire aux non-nationaux de posséder un titre foncier. Cela a mis en cause les droits précédemment acquis et a généré un nouveau marché, en remplaçant celui où les transactions étaient souvent faites symboliquement et sur la base de la confiance. Cette situation va porter préjudice à la cohésion sociale puisque les étrangers, surtout les Burkinabè, nombreux dans les zones forestières, seront spoliés des terres qu’ils avaient déjà mis en valeur. Ceci est l’une des causes expliquant l’apparition des conflits fonciers.

Dans le cadre de la résolution de la crise sociopolitique qu’a traversé le pays depuis 2002 et dans le souci de traiter l’une des causes de la crise en rapport avec la situation des étrangers, divers décrets ont été pris pour permettre une certaine réintégration des étrangers. Ainsi dans le domaine foncier, la loi de 1998 qui réservait l’accès à la propriété foncière aux Ivoiriens a été amendée en 2004, conférant un droit de transmission de titres fonciers aux héritiers des détenteurs, même si ces derniers ne remplissent pas les conditions d’accès à la propriété prévues par la loi, c’est-à-dire le fait d’être Ivoirien3 . En outre, la loi instituant la carte de séjour a été abrogée4 en 2007. Selon cette ordonnance, « Les étrangers ressortissants de la CEDEAO vivant en Côte d’Ivoire devront être munis de documents d’identification délivrés par leur pays d’origine ou leur représentation consulaire » ; pour les étrangers des pays non membres de la CEDEAO, il est prévu la carte de résident lorsque le séjour est supérieur à trois mois. Dans le même ordre d’idée, en août 2013, le Parlement ivoirien a adopté le projet de loi portant « régime spécial en matière d’acquisition de la nationalité » qui autorise le Président ivoirien à ratifier la convention internationale de 1951 sur la protection des apatrides et celle de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Cette loi permettra aux personnes qui vivaient sur le territoire ivoirien avant 1961, à celles nées en Côte d’Ivoire de 1961 à 1972 et à leurs descendants nés par la suite dans le pays, d’obtenir la nationalité ivoirienne par simple déclaration5 .

Les immigrés ont généralement les mêmes droits de jure et le même accès aux services que les natifs

En matière d’emploi, la Loi n°95-15 du 12 janvier 1995 portant Code du travail garantit l’accès de tous, y compris les immigrés avec statut irrégulier. La législation du travail et de la sécurité sociale sont ainsi inclusives en Côte d’Ivoire. Cependant, un arrêté en juin 20046 relatif à la réglementation du recrutement et des frais de visa du contrat de travail des personnels non nationaux spécifie le rôle clé que doit jouer l’Agence pour la promotion de l’emploi (Agepe). Il institue surtout des frais de visa de travail. Le recrutement de non-nationaux entraine des frais à payer à la charge de l’employeur en fonction du type de contrat (contrat à durée déterminée [CDD] ou indéterminée [CDI]). Aux termes de l’article 8 de l’arrêté précité, certains types de travailleurs sont exemptés du paiement de ces frais ; il s’agit :

  • les travailleurs non nationaux rémunérés aux résultats, sauf s’ils sont salariés

  • les salariés mandataires sociaux (président directeur général, directeur général, directeur général adjoint)

  • les travailleurs agricoles

  • les employés domestiques.

Ces exemptions peuvent justifier la présence de nombreux non-nationaux dans ces types d’activités, notamment dans l’agriculture et les services à la personne (employé de maison).

Le travail des enfants (et la traite des enfants) est interdit en Côte d’Ivoire et l’engagement de l’État s’est matérialisé par la signature de plusieurs accords. Il s’agit notamment :

  • de la signature de l’accord multilatéral de lutte contre la traite des enfants en juillet 2005

  • de la signature de l’accord de coopération Côte d’Ivoire-Mali en 2002 et entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso en 2013, pour la lutte contre la traite transfrontalière

  • de la prise de nouvelles dispositions contre l’utilisation des enfants de moins de 18 ans dans toute activité et révision de la liste des travaux dangereux interdits aux enfants de moins de 18 ans en janvier 2012

  • En novembre 2014, le gouvernement a mis sur pied un comité national de lutte contre la traite des personnes.

L’accès à l’école publique est ouvert à tous sans condition de nationalité ni de statut migratoire. Les politiques récentes de gratuité de l’école mises en place par les autorités sont inclusives. Elles concernent l’annulation de certains frais et surtout la distribution gratuite de manuels scolaires7 . Cependant, dans l’enseignement supérieur public, les frais d’inscription varient en fonction de la nationalité des étudiants et sont plus élevés, tendant vers les prix du marché. Il faut aussi signaler que, pour les nationaux, l’État subventionne la formation à hauteur de 70 % du droit d’inscription. Ce qui peut expliquer la différence de coûts.

En matière de sécurité sociale, l’État a créé deux structures de protection sociale des travailleurs : la Caisse générale des retraités et agents de l’État (CGRAE), qui s’occupe des fonctionnaires et agents de l’État, et la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), en charge des travailleurs du secteur privé. Ces structures ne font pas de discrimination de nationalité à l’endroit des bénéficiaires de leurs services. À cet effet, un ensemble de conventions et de traités internationaux ont été conclus. Il s’agit de l’accord bilatéral Côte d’Ivoire-France, des accords de paiement des pensions de retraite entre l’IPS-CNPS et les Caisses de sécurité sociale du Bénin, du Togo, du Burkina Faso, du Mali, du Niger et du Sénégal. Ceci devrait permettre aux ressortissants de chacun de ces États qui souhaitent jouir de leur droit à la retraite dans leur pays d’origine de pouvoir retirer leur pension de retraite dans leur pays d’origine. En outre, même si la protection sociale est largement limitée (à peine 10 % de la population couverte), sa branche non contributive prend en compte toute la population ivoirienne.

En matière d’investissements privés réalisés en Côte d’Ivoire, une ordonnance de 20128 , portant sur le code des investissements postule que « les personnes physiques ou morales de nationalité étrangère reçoivent un traitement identique à celui accordé aux personnes physiques ou morales de nationalité ivoirienne ». Ainsi, l’application du principe d’égalité de traitement se fait dans le respect des dispositions des traités et accords conclus par la République de Côte d’Ivoire. De plus, des facilités sont accordées aux investissements non nationaux afin de bénéficier des visas de travail. En effet, l’article 15 du Code précise que « l’Organisme national chargé de la promotion des investissements prend toutes les mesures pour faciliter l’obtention des visas de travail et visas de séjour. Les visas de travail et visas de séjour sont accordés dans le cadre de l’application du présent Code exclusivement aux dirigeants d’entreprises, aux actionnaires et à toutes personnes en mission pour le compte des entreprises ». Enfin, l’article 18 permet à tout expatrié membre du personnel d’une entreprise bénéficiant des dispositions du présent Code, de transférer librement, conformément aux dispositions de la réglementation des changes, tout ou partie de sa rémunération, quels qu’en soient la nature juridique et le montant exprimé en monnaie locale ou en devises.

Les politiques de migration ciblent de plus en plus la diaspora

Les politiques liées à la diaspora ont été de deux ordres : la politique de protection des Ivoiriens et de leurs biens, et la politique de mobilisation des ressources et d’incitation aux investissements.

En raison de l’importance croissante de la diaspora ivoirienne, le gouvernement a entrepris des actions spécifiques en leur direction. Ces actions s’inspirent de la vision desdites autorités. L’actuel président déclarait en 2010 : « Nous faciliterons les investissements des Ivoiriens de l’étranger en Côte d’Ivoire, dans des secteurs porteurs comme l’habitat, l’agriculture et la microfinance. Nous n’hésiterons pas à faire appel aux Ivoiriens de l’étranger qui ont acquis des compétences pointues et avérées »9 . Ces mesures en direction des Ivoiriens vivant à l’étranger porte sur la restructuration de la carte diplomatique de la Côte d’Ivoire afin d’améliorer le taux de couverture de l’ensemble des représentations diplomatiques ivoiriennes.

En accord avec le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici)10 , il est organisé tous les deux ans le forum dénommé « Diaspora for Growth », destiné à nouer des réseaux d’affaires entre les Ivoiriens de la diaspora et divers partenaires (gouvernements, acteurs locaux, etc.). L’édition 2015 de ce forum, qui s’est tenue les 2-3 février à Abidjan, a enregistré une grande mobilisation avec la participation de plus de 1 500 invités en provenance du monde entier11 . Le Forum 2013 avait déjà enregistré des engagements d’environ 10 milliards XOF sous la forme de la mise en œuvre de divers projets d’investissement en Côte d’Ivoire.

D’autres initiatives sont également développées pour encourager le retour des compétences nationales à l’étranger et inverser ainsi la fuite des cerveaux. Aussi les cadres ivoiriens vivant à l’étranger sont-ils recrutés à des emplois supérieurs lors des appels à candidature internationaux ouvert aux membres de la diaspora12 .

Quel cadre institutionnel régit les migrations ?

Au plan politique, des actions majeures ont été entreprises, notamment au plan sous-régional avec la signature par la Côte d’Ivoire du Protocole sur la libre circulation, le droit de résidence et d’établissement de la CEDEAO le 1er mai 1979, et au plan national avec la création de ministères et d’organes avec des compétences élargies en matière de gestion de certains aspects du fait migratoire.

Depuis 2014, le pays travaille sur une stratégie nationale de politique migratoire, mais le document n’a pas encore été adopté par le gouvernement. En outre, il a tenu deux Forum de la diaspora, en mai 2015 et mai 2017, où l’objectif est de faire le point sur les préoccupations de la diaspora ivoirienne en vue de la création d’une Politique nationale de gestion des Ivoiriens de l’extérieur. Cependant, la gestion des migrations en Côte d’Ivoire est assurée par des ministères et institutions publiques distinctes, avec peu de coordination (ICMPD et OIM, 2015).

Le dispositif institutionnel actuel en Côte d’Ivoire a été bâti autour de plusieurs ministères selon les attributions spécifiques. Quatre institutions publiques en particulier se coordonnent pour donner une clarté à la volonté du gouvernement d’être à nouveau un pôle attractif de la sous-région :

1. Le ministère d’État, ministère de l’Intérieur et de la Sécurité (MIS)

Au sein du ministère, l’autorité chargée des questions migratoires est l’Office national d’identification (ONI) créé par le décret n°2001-103 du 15 février 2001. L’article 3 de ce décret stipule que c’est l’ONI qui prend en charge les immigrés lorsque leur séjour est supérieur à trois mois, avec la délivrance d’un titre provisoire de séjour (TPS). L’ONI supervise par le biais de son département de l’immigration et de l’émigration, l’identification des personnes étrangères, la délivrance des visas d’entrée en Côte d’Ivoire et la délivrance des titres de séjour des personnes étrangères vivant en Côte d’Ivoire (art. 12). Avec l’ordonnance n°2007- 604 du 8 novembre 2007 portant suppression de la carte de séjour, les étrangers originaires de la CEDEAO ne sont plus soumis à la détention de la carte de séjour. Désormais, le permis de libre circulation sert de titre de séjour aux ressortissants de la CEDEAO lorsque le séjour est inférieur ou égal à trois mois. La carte de résident est utilisée pour les séjours supérieurs à trois mois. Selon cette ordonnance, « Les étrangers ressortissants de la CEDEAO vivant en Côte d’Ivoire devront être munis de documents d’identification délivrés par leur pays d’origine ou leur représentation consulaire ». À côté de l’ONI, la Direction de la surveillance du territoire (DST) intervient également dans la gestion des migrations en rapport avec les questions de sécurité et de souveraineté nationale.

2. Le ministère du Plan et du Développement (MPD)

Le MPD, à travers l’Office national de la population (ONP) créé par décret n° 2012-161 du 9 février 2012, coordonne l’action gouvernementale sur le plan migratoire. Mais cette coordination est difficilement exhaustive car les multiples dimensions du phénomène sont traitées par d’autres ministères ou entités publiques notamment en ce qui concerne la diaspora, les réfugiés et les migrants de retour. En effet, avant la création de l’ONP, l’Office national de l’identification (ONI) coordonnait l’action gouvernementale en rapport avec la migration. Dans la pratique, cela avait été difficile car les compétences de l’ONI interféraient avec celles des autres structures et directions en charge de la question migratoire. Par exemple, l’ONI et la Direction de la surveillance du territoire (DST) avaient un conflit de compétence en matière de délivrance des visas d’entrée et de contrôle des flux migratoire aux frontières terrestres, aériennes et maritimes.

3. Le ministère de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur (MIAIE)

Avec la création du MIAIE, un acteur supplémentaire va jouer un rôle important en matière de gestion de la migration, en particulier de la diaspora. Ce ministère sert d’interface en la matière, notamment avec des organisations telles que la CEDEAO et l’Union africaine. En son sein a été créée la Direction générale des Ivoiriens de l’extérieur (DGIE), dont le premier responsable a été nommé en 2013 (décret 2013-729). Aux termes du décret, la DGIE est chargée notamment de :

  • assister les Ivoiriens qui vivent à l’étranger en encourageant et en coordonnant les initiatives visant leur regroupement et leur organisation

  • apporter un appui à la réinsertion économique, sociale et culturelle des Ivoiriens de l’extérieur

  • apporter un appui à la mobilisation des compétences.

4. Le Service d’aide et d’assistance aux réfugiés et apatrides (Saara)

Afin de mieux coordonner les actions en faveur des réfugiés libériens dans les années 90, le gouvernement a créé le Saara par le décret n°2000_84 du 6 février 2000. Rattaché depuis septembre 2001 au ministère des Affaires étrangères, le Saara gère les questions liées aux réfugiés, aux demandeurs d’asile et aux personnes apatrides. Le Saara avait également en charge l’élaboration des politiques en faveur de la diaspora ivoirienne. Depuis le 22 novembre 2012 toutefois, cette compétence a été transférée au ministère de l’Intégration africaine, devenant ainsi le ministère de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur. En définitive, conformément à l’article 14 du décret 2006-110 du 7 juin 2006, le Saara a en charge :

  • la coordination de la gestion des réfugiés et des apatrides

  • la détermination du statut de réfugié

  • la protection juridique et l’assistance accordée aux réfugiés

  • la collaboration avec les institutions des Nations Unies et autres organismes nationaux et internationaux du domaine.

Conclusions

Les migrations constituent un élément fondamental de l’histoire moderne de la Côte d’Ivoire. Depuis son indépendance en 1960, sa politique d’immigration relativement ouverte a généré des niveaux d’immigration élevés dans le pays. Néanmoins, le taux d’immigration a diminué depuis le conflit qui s’est déroulé dans le pays dans les années 2000. L’immigration continue de façonner et de définir le paysage social et économique du pays. Dans le même temps, la hausse de l’émigration, les perspectives de transferts de fonds et la migration de retour redéfinissent la façon dont le gouvernement considère les liens entre migrations et développement dans le pays.

Cependant, la Côte d’Ivoire n’a pas de stratégie migratoire, bien que le gouvernement ait étudié l’éventualité d’en élaborer une. La complexité des migrations en Côte d’Ivoire a conduit à la création de plusieurs institutions publiques et différentes orientations politiques au fil des ans. Les décisions relatives aux migrations sont ainsi réparties entre différents ministères et départements du gouvernement et, par conséquent, il est difficile de garantir une cohérence politique en la matière. Par ailleurs, si le pays a pris des mesures importantes en veillant à ce que les problèmes liés à l’immigration soient traités au sein de secteurs spécifiques, les différents ministères ne sont actuellement pas engagés dans les discussions sur la politique migratoire.

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Notes

← 1. L’hypothèse d’enclave est un mode d’insertion pour un immigré sur le marché de l’emploi en travaillant dans des entreprises appartenant à d’autres immigrés.

← 2. Le statut migratoire renvoie ici au fait d’être non migrant, immigré provenant de la zone CEDEAO et immigré provenant de la zone hors CEDEAO.

← 3. Loi n° 2004- 412 du 14 août 2004 portant amendement de l’article 26 de la loi 1998 relative au domaine foncier.

← 4. Ordonnance n° 2007-604 du 8 novembre 2007 portant suppression de la carte de séjour.

← 5. Loi n°2013-653 du 13 septembre 2013. Voir aussi la Loi n°2013-647 du 13 septembre 2013 autorisant le Président de la République à ratifier la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’Apatridie et la Loi n°2013-649 du 13 septembre 2013 autorisant le Président de la République à ratifier la Convention de 1954 relative au Statut des Apatrides.

← 6. Arrêté n° 6421 du 15, portant modification de l’arrêté n° 1437 du 19 février 2004.

← 7. Le gouvernement entend actuellement prendre des mesures en faveur de l’école gratuite et obligatoire jusqu’à l’adolescence.

← 8. L’article 6 de l’ordonnance n° 2012-487 du 7 juin 2012.

← 9. Citation extraite du programme de gouvernement « Vivre ensemble ».

← 10. Le CEPICI est un organe placé sous la tutelle du Cabinet du Premier Ministre.

← 11. L’édition 2013 dudit forum s’est tenue à Paris et a enregistré environ 300 participants en provenance de l’Union européenne.

← 12. Dans ce cadre, les Directeurs généraux du Cepici, du Village des technologies de l’information et des biotechnologies (Vitib) de Grand Bassam et du Centre National de télédétection et d’information géographique (CNTIG), ont été respectivement recrutés sous ce modèle.