Chapitre 1. Évaluation et recommandations de politiques en Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire ne tire pas suffisamment parti du potentiel de développement offert par les niveaux élevés d’immigration, mais aussi d’émigration, qui caractérisent le pays. Le projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) a été mis en œuvre en Côte d’Ivoire entre 2013 et 2017 afin d’étudier, au travers d’une analyse quantitative et qualitative, la relation bilatérale entre les migrations et les politiques publiques dans cinq secteurs clés : marché de l’emploi, agriculture, éducation, investissement et services financiers, et protection sociale et santé. Ce chapitre propose un aperçu des conclusions du projet, en mettant l’accent sur le potentiel de promotion du développement qu’offrent les migrations dans bon nombre de leurs dimensions (émigration, transferts de fonds, migration de retour et immigration) et en analysant les politiques sectorielles nationales qui en permettront la réalisation.

  

Au moins depuis que son indépendance a été reconnue par la France en 1960, la Côte d’Ivoire est un pays d’immigration en raison d’une politique relativement ouverte, qui a fait des migrations une maille essentielle de son tissu économique et social. Avec le recul de l’économie dans les années 90, puis le conflit dans les années 2000, les flux d’immigration ont ralenti et les flux d’émigration ont augmenté. Malgré le rétablissement de la paix en 2011, ces flux d’émigration ont continué pour finalement aboutir à un retour de transferts de fonds dans le pays. Ces flux ont contribué à façonner le pays, s’accompagnant de nombreuses répercussions positives au plan économique et social. Désormais, la question essentielle qui se pose est de savoir comment créer un environnement politique favorable afin de tirer le meilleur parti des migrations au profit du développement en Côte d’Ivoire.

Dans ce contexte, le présent rapport a pour objectif de fournir aux décideurs des données empiriques sur le rôle joué par les migrations dans les domaines politiques importants pour le développement. Il examine l’influence que peuvent avoir sur les migrations les politiques publiques qui ne sont pas expressément axées sur la question (Box 1.1). Ce chapitre propose un aperçu des conclusions et des recommandations politiques afin de tenir compte des interactions entre migrations et politiques publiques dans le cadre des stratégies de développement.

Encadré 1.1. En quoi consiste le projet IPPMD ?

En janvier 2013, le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a lancé un projet, cofinancé par le Programme thématique des migrations et de l’asile de l’Union européenne, sur les Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) dans les pays partenaires : études de cas et recommandations politiques. Ce projet, mené entre 2013 et 2017 dans dix pays à revenu faible et intermédiaire, visait à fournir aux décideurs des éléments en faveur de l’inscription de la migration dans les stratégies de développement, et à favoriser la cohérence de l’ensemble des politiques sectorielles. Une combinaison équilibrée de pays en développement a été sélectionnée pour participer au projet : Arménie, Burkina Faso, Cambodge, Costa Rica, Côte d’Ivoire, Géorgie, Haïti, Maroc, Philippines et République dominicaine.

Alors que les preuves de l’incidence – positive comme négative – des migrations sur le développement abondent, trop peu de données empiriques justifient pour les décideurs d’intégrer les questions de migrations dans la planification du développement. Le projet IPPMD visait à combler ce manque de connaissances en fournissant des éléments fiables, non seulement sur la contribution des migrations au développement, mais aussi sur les moyens de renforcer cette contribution par l’adoption de politiques dans différents secteurs. À cet effet, l’OCDE a élaboré un cadre conceptuel qui étudie les liens entre quatre dimensions migratoires (émigration, transfert de fonds, migration de retour et immigration) et cinq secteurs politiques essentiels : le marché de l’emploi ; l’agriculture ; l’éducation ; l’investissement et les services financiers ; ainsi que la protection sociale et la santé (Figure 1.1). Le cadre conceptuel faisait également le lien entre ces cinq politiques sectorielles et divers résultats en matière de migrations (Table 1.1).

Graphique 1.1. Migrations et politiques sectorielles de développement : une relation bilatérale
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Tableau 1.1. Dimensions de la migration et résultats en matière de migrations dans l’étude IPPMD

Dimensions de la migration

Résultats en matière de migrations

Émigration

On parle d’émigration lorsque des personnes vivent en dehors de leur pays d’origine pendant au moins trois mois consécutifsa.

La décision d’émigrer est un résultat important pour les pays d’origine, non seulement parce qu’elle est susceptible d’occasionner des départs effectifs de personnes à court terme, mais aussi d’accroître les effectifs d’émigrés installés à l’étranger à long terme.

Transferts de fonds

Les transferts de fonds désignent les transferts internationaux, essentiellement financiers, que les émigrés envoient à ceux qui sont restés au paysb.

Les transferts de fonds renvoient au volume des fonds reçus et aux canaux utilisés pour transférer l’argent et qui, à leur tour, influent sur la capacité à opérer des investissements à long terme.

L’utilisation des transferts est souvent considérée comme une priorité pour les décideurs politiques, qui souhaitent orienter ces derniers vers des investissements productifs.

Migration de retour

Les migrations de retour résultent de la décision de migrants internationaux de rentrer dans leur pays d’origine et de s’y installer de façon permanente ou temporaire.

La décision de retour est influencée par divers facteurs, notamment les préférences personnelles en matière de pays d’accueil, ou des circonstances données dans les pays d’accueil. Qu’elles soient temporaires ou permanentes, les migrations de retour peuvent être bénéfiques pour les pays d’origine, en particulier lorsqu’elles concernent des personnes hautement qualifiées.

La durabilité du retour est un indicateur du succès des migrations de retour, qu’elles soient volontaires ou subies, non seulement pour les migrants et leurs familles, mais aussi pour le pays d’origine.

Immigration

On parle d’immigration lorsque des personnes, quelle que soit leur citoyenneté, vivent dans un pays pendant au moins trois mois alors qu’elles sont nées dans un autre pays.

L’intégration des immigrés implique qu’ils jouissent de meilleures conditions de vie et contribuent davantage au développement de leur pays d’accueil et, par extension, de leur pays d’origine.

a. En raison de l’absence de données, le rôle de la diaspora – qui contribue souvent activement au travail des associations de villes d’origine (hometown associations) et des réseaux professionnels ou d’intérêt – n’est pas analysé dans le présent rapport.

b. Outre les transferts financiers, ces envois comprennent également les transferts sociaux (les idées, les valeurs et le capital social transférés par les migrants). Bien que ces transferts sociaux forment un aspect important du lien entre migrations et développement, ils excèdent la portée de ce projet et ne sont donc pas analysés dans le présent rapport.

Le cadre méthodologique conçu par le Centre de développement de l’OCDE et les données recueillies par ses partenaires de recherche locaux permettent de combler des lacunes significatives en termes de connaissance du lien entre migrations et développement. En raison de certaines de ses caractéristiques, l’approche IPPMD est sans équivalent ; elle met en lumière l’influence de l’interaction entre migrations et politiques publiques en matière de développement :

  • L’étude a été menée dans tous les pays avec les mêmes instruments et pendant la même période (2014-15), permettant ainsi les comparaisons entre pays.

  • Plusieurs dimensions et résultats migratoires étaient couverts (Table 1.1), donnant ainsi une vue d’ensemble complète du cycle migratoire.

  • Un vaste éventail de programmes liés aux politiques menées dans les cinq secteurs clés ont été analysés dans les pays étudiés.

  • Grâce à la combinaison d’instruments quantitatifs et qualitatifs, un nouvel ensemble important de données primaires a été recueilli dans les dix pays partenaires :

    1. Une enquête sur les ménages couvrant en moyenne 2 000 ménages – avec ou sans migrant – a été menée dans chaque pays. Au total, plus de 20 500 ménages ont été interrogés, soit près de 100 000 individus.

    2. Une enquête sur les communautés a porté sur un total de 590 autorités locales et chefs communautaires dans les communautés où le questionnaire sur les ménages a été administré.

    3. Des entretiens qualitatifs approfondis avec des parties prenantes ont été menés auprès d’acteurs essentiels représentant les autorités nationales et locales, le monde universitaire, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé. Au total, 376 entretiens ont été réalisés dans les dix pays.

  • Les données ont été analysées en s’appuyant sur des techniques descriptives et de régression – les techniques descriptives afin de déterminer les tendances et corrélations générales entre les variables clés concernant les migrations et le développement ; et les techniques de régression afin d’approfondir la compréhension de ces interactions en prenant en compte d’autres facteurs.

En octobre 2016, le Centre de développement de l’OCDE et la Commission européenne ont organisé à Paris un dialogue consacré aux moyens de tirer avantage de la migration au profit du développement grâce à des politiques plus cohérentes. Cette manifestation a servi de plateforme pour une discussion politique entre des décideurs de pays partenaires, des experts universitaires, la société civile et des organisations multilatérales. Elle a permis de se pencher sur les conclusions et les mesures concrètes qui peuvent accroître la contribution de la migration au développement des pays d’origine comme de destination. Le rapport comparatif entre les pays et les rapports portant sur les dix pays concernés a été publié en 2017 (OCDE, 2017).

Pourquoi la Côte d’Ivoire était-elle incluse dans le projet IPPMD ?

Le poids de l’immigration est important en Côte d’Ivoire. Les données des Nations Unies indiquent qu’il y avait environ 2.2 millions d’immigrés en 2015, soit 9.6 % de la population totale de la Côte d’Ivoire (Figure 1.2). Les derniers chiffres de la Banque mondiale estiment, quant à eux, à environ 2.4 millions le nombre d’immigrés en 2013 (Banque mondiale, 2017a). Mais cette proportion est à la baisse, puisqu’elle était de 15 % en 1990 (DAES des Nations Unies, 2015). Elle représente néanmoins le taux le plus élevé parmi les pays partenaires de l’IPPMD, et le plus frappant est que la majorité de ces immigrés proviennent d’un autre pays en développement : le Burkina Faso. En effet, le nombre d’immigrés venant du Burkina Faso en 2015 s’élevait à 60 % du total (DAES des Nations Unies, 2015). Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est de plus en plus un pays d’émigration : les dernières estimations pour 2015 sont de 850 105 émigrés, soit 3.7 % de la population (Figure 1.2). La Banque mondiale estime un total légèrement supérieur à 1 020 416 émigrés en 2013, soit 5 % de la population (Banque mondiale, 2017a). Selon les Nations Unies, la part totale d’émigrés, qui était de 3 % en 1990 (DAES des Nations Unies, 2015), augmente.

Graphique 1.2. La Côte d’Ivoire est un pays d’immigration nette, mais qui affiche également un niveau élevé d’émigration
Nombre d’émigrés et d’immigrés en pourcentage de la population (2015)
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Note : Données tirées de recensements nationaux, d’enquêtes sur la population active et de registres de la population.

Source : DAES des Nations Unies (2015), www.un.org/en/development/desa/population/migration/data/estimates2/estimates15.shtml.

Les fonds transférés au pays par les émigrés constituent une importante source de revenus pour de nombreux ménages en Côte d’Ivoire. Ces transferts peuvent améliorer le bien-être des ménages migrants et stimuler le développement économique et social, mais le poids total en termes de produit intérieur brut (PIB) reste, malgré tout, faible comparativement à d’autres pays IPPMD. En 2015, l’afflux de transferts de fonds vers la Côte d’Ivoire a atteint 331 millions de dollars américains (USD), soit 1 % du PIB (Banque mondiale, 2017b), tandis que le taux moyen était de 8.1 % pour l’ensemble des pays IPPMD (Figure 1.3). Ce taux faible peut en partie s’expliquer par le fait que de nombreux transferts de fonds sont acheminés manuellement du Burkina Faso et du Libéria, ou transférés par des circuits informels. Cependant, la hausse de l’émigration à partir de la Côte d’Ivoire devrait générer des taux de transferts de fonds supérieurs.

Graphique 1.3. En Côte d’Ivoire, la contribution des transferts de fonds par rapport au PIB est relativement faible
Part des transferts de fonds en pourcentage du PIB, 2015
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Source : Banque mondiale (2017b), www.worldbank.org/en/topic/migrationremittancesdiasporaissues/brief/migration-remittances-data.

Comment le projet IPPMD a-t-il été mis en œuvre en Côte d’Ivoire ?

En Côte d’Ivoire, l’équipe du projet IPPMD a collaboré avec l’Office national de la population (ONP), interlocuteur gouvernemental sous la tutelle du ministère d’État, ministère du Plan et du Développement. L’ONP a donné des informations sur les priorités nationales, les données et les mesures politiques, et aidé à l’organisation d’ateliers nationaux et de rencontres bilatérales. L’équipe IPPMD a également collaboré avec le Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (CIRES) afin de veiller au bon déroulement du projet. Le CIRES a aidé à l’organisation d’événements au niveau national, contribué à la conception de la stratégie de recherche en Côte d’Ivoire, mené les enquêtes de terrain et co-rédigé le rapport national.

L’équipe du projet IPPMD a organisé des ateliers locaux avec l’appui de la Délégation de l’Union européenne en Côte d’Ivoire. Les participants aux ateliers et aux réunions ont été interrogées lors des missions en Côte d’Ivoire, ils ont également joué un rôle dans la consolidation du réseau des partenaires du projet et dans la définition des priorités de recherche au sein du pays.

Un atelier de lancement, qui s’est déroulé à Abidjan en septembre 2013, a inauguré le projet en Côte d’Ivoire (Figure 1.4). L’atelier a servi de plateforme pour discuter de l’objectif du projet dans le pays aux côtés des décideurs nationaux et locaux, des représentants des organisations internationales, des organisations patronales et syndicales, de la société civile et du monde universitaire. Les participants sont convenus que le projet doit porter à la fois sur l’émigration et l’immigration en Côte d’Ivoire. À l’issue d’un vaste débat plutôt animé, l’équipe du projet IPPMD a décidé de concentrer l’analyse sur cinq secteurs : 1) le marché de l’emploi ; 2) l’agriculture ; 3) l’éducation ; 4) l’investissement et les services financiers ; et 5) la protection sociale et la santé.

Graphique 1.4. Calendrier du projet IPPMD en Côte d’Ivoire
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À la suite d’un atelier de formation et d’essais pilotes conduits par les équipes du projet IPPMD et du CIRES, ce dernier a collecté des données quantitatives auprès de 2 345 ménages (13 337 individus en Côte d’Ivoire et 630 émigrés) et 110 communautés, et mené 44 entretiens qualitatifs auprès des parties prenantes en 2014 (Chapter 3). Le projet s’est achevé en juillet 2017 par un dialogue politique, où des recommandations de politiques ont été proposées et discutées, suivi d’un débat avec les parties prenantes portant sur les actions concrètes à mettre en œuvre afin de tirer le meilleur parti des migrations en Côte d’Ivoire.

Que nous apprend le rapport au sujet des liens entre migrations et développement ?

Les conclusions de ce rapport suggèrent que le potentiel de développement offert par les migrations n’est pas pleinement exploité en Côte d’Ivoire. La prise en compte des migrations dans de nombreux domaines politiques peut permettre de tirer avantage de ce potentiel. Le rapport illustre la relation bilatérale entre les migrations et les politiques publiques en analysant comment les migrations influencent les secteurs clés – le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, l’investissement et les services financiers, et la protection sociale et la santé (Chapter 4) – et comment elles sont dépendantes des politiques mises en œuvre dans ces secteurs (Chapter 5).

Les programmes de formation professionnelle tendent à intensifier l’émigration en Côte d’Ivoire

La création d’emplois, en particulier pour les jeunes, est au premier plan de l’action gouvernementale, comme en témoigne la Politique nationale de l’emploi (PNE) depuis juin 2012. Les transferts de fonds peuvent jouer un rôle grâce à leur impact sur le marché du travail. Les données montrent que les ménages avec des émigrés qui reçoivent des transferts de fonds ont la plus faible proportion d’adultes actifs. Il n’y a pas de différence visible entre les ménages sans migrants et ceux avec migrants mais qui ne reçoivent pas de transferts de fonds. Telle est la tendance générale dans les zones urbaines. La situation est différente dans les zones rurales. Dans les ménages sans aucun migrant, le nombre de membres qui travaillent est inférieur à celui des ménages avec un émigré, mais qui ne reçoivent pas de transferts de fonds.

En outre, les transferts de fonds et la migration de retour favorisent aussi le travail indépendant. Les données montrent que la réception de transferts de fonds est positivement associée au travail indépendant. Cela vaut à la fois pour les hommes et les femmes, et aussi bien dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Cependant, le lien entre le fait de compter un migrant de retour au sein du ménage et le travail indépendant semble moins évident. Seuls les hommes semblent exercer davantage une activité indépendante lorsque leur ménage compte un migrant de retour.

Les politiques peuvent également influer sur les résultats des migrations, tels que la probabilité d’émigration. En effet, les instruments politiques permettant d’améliorer le marché de l’emploi domestique pourraient réduire les raisons incitant à émigrer. Si les programmes de formation professionnelle peuvent permettre, par exemple, d’obtenir de meilleurs postes sur le marché de l’emploi domestique, et ainsi de diminuer la nécessité d’émigrer, ils peuvent aussi offrir aux émigrés potentiels de meilleures possibilités d’emploi à l’étranger, ce qui laisse supposer que des personnes peuvent prendre part à des programmes de formation professionnelle dans le but de trouver un emploi à l’étranger. En effet, si 15 % des personnes qui n’ont pas suivi de programmes de formation professionnelle en Côte d’Ivoire ont l’intention d’émigrer, une part bien plus grande des participants envisage de partir (29 %) ; cette tendance semble plus marquée chez les femmes (Figure 1.5).

De plus, si les agences pour l’emploi peuvent aider à trouver un emploi sur le marché de l’emploi domestique et ainsi à limiter l’émigration, l’étude indique que ces agences jouent un rôle mineur dans la recherche d’emploi en Côte d’Ivoire.

Graphique 1.5. Les participants à des programmes de formation professionnelle en Côte d’Ivoire sont plus susceptibles d’envisager l’émigration que les non-participants
Part d’individus envisageant d’émigrer (%), selon qu’ils ont ou non participé à des programmes de formation professionnelle
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Note : La signification statistique calculée à l’aide du test du khi carré est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Les migrations revitalisent et diversifient le secteur agricole, et les politiques agricoles pourraient bien stimuler davantage l’émigration

L’agriculture joue un rôle central en Côte d’Ivoire et son poids dans le PIB du pays est relativement élevé, en comparaison avec les autres pays partenaires du projet (OCDE, 2017). Les migrations peuvent dynamiser le secteur agricole, ce qui est important étant donné que ce domaine est naturellement délaissé au profit de postes plus urbains ou non-agricoles. Cependant, les politiques agricoles pourraient stimuler encore davantage l’émigration.

L’émigration et l’immigration ont toutes deux une incidence profonde sur le secteur. Premièrement, l’émigration soulage et revitalise le secteur agricole. L’émigration réduit la disponibilité de la main-d’œuvre au sein du ménage et potentiellement dans l’ensemble de la communauté, mais elle contribue également à soulager les marchés du travail saturés à travers le transfert d’anciens chômeurs à des emplois productifs. Les données IPPMD indiquent que les émigrés sont peut-être remplacés quand ils partent, étant donné que les ménages avec un émigré utilisent un peu plus la main-d’œuvre du ménage (3.1 contre 2.6 membres du ménage), bien que la différence ne soit pas importante sur le plan statistique, et surtout qu’ils sont plus susceptibles de recruter des travailleurs externes (68 % contre 52 %). L’émigration déplacerait donc le marché de l’emploi à l’extérieur du ménage, décongestionnant ainsi le marché de l’emploi agricole et améliorant sans doute sa productivité. Dans le même temps, l’immigration semble contribuer à la diversification et à l’expansion du secteur. Selon qu’ils comptaient ou non un immigré, les ménages n’exerçaient pas le même type d’activités. En effet, les ménages avec un immigré avaient plus tendance que les ménages sans immigré à exercer des activités à la fois de culture et d’élevage (54 % contre 41 %), ou à uniquement élever des animaux (14 % contre 7 %), tandis que - contrairement aux ménages sans immigré - ils avaient moins tendance à exercer uniquement des activités de culture (32 % contre 52 % ; Figure 1.6).

Graphique 1.6. Les immigrés en Côte d’Ivoire ont plutôt tendance à élever des animaux et à exercer plusieurs activités agricoles
Types d’activité du ménage, pour les ménages avec un immigré et les ménages sans immigré
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Note : La signification statistique calculée à l’aide du test du khi carré est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

En Côte d’Ivoire, les politiques agricoles peuvent souvent permettre d’augmenter l’émigration. En 1998, la Côte d’Ivoire a fait un pas vers la codification des opérations foncières via une réforme des zones rurales, laquelle a rendu les titres fonciers d’autant plus importants. Statistiquement, il était beaucoup plus fréquent que les ménages détenant des titres fonciers en Côte d’Ivoire comptent un membre ayant l’intention d’émigrer (34 % contre 22 %) et un émigré actuel (24 % contre 17 %) par rapport aux ménages sans titres de propriété. Par ailleurs, en augmentant le flux de revenus du ménage, les subventions agricoles peuvent réduire les contraintes financières et augmenter la probabilité d’émigration. En réalité, bien que peu de ménages aient bénéficié de ces subventions, les ménages recevant des subventions agricoles sont aussi plus nombreux à compter un membre ayant l’intention d’émigrer (42 % contre 26 %). Les résultats de l’analyse de régression indiquent que les deux domaines politiques sont liés aux projets d’émigration, mais pas à l’émigration réelle. Par conséquent, il se peut que les ménages restent trop pauvres pour mettre en œuvre leurs projets d’émigration.

Les transferts de fonds sont généralement affectés à l’éducation et les immigrés ont moins de chance d’aller à l’école

Le Plan d’action à moyen terme du secteur de l’éducation/la formation (PAMT) 2012-14 a eu comme objectif de reconstruire le système éducatif et de relever les défis structurels antérieurs aux crises dans le système éducatif. Les migrations peuvent influer sur le secteur de l’éducation de plusieurs façons. Les transferts de fonds peuvent, par exemple, assouplir les contraintes des ménages et les encourager à investir dans l’éducation. En fait, les transferts de fonds favorisent les dépenses consacrées à l’éducation en Côte d’Ivoire. Les résultats indiquent un lien positif entre les ménages qui reçoivent des transferts de fonds et la fréquentation scolaire des jeunes dans les deux groupes d’âge 15-17 ans et 18-22 ans. Néanmoins, ils ne montrent aucun lien statistiquement significatif pour les jeunes enfants du groupe d’âge 6-14 ans. Ce que confirment les statistiques descriptives qui affichent un niveau de fréquentation scolaire relativement élevé pour ce groupe d’âge, et de légères différences entre les enfants des ménages recevant des transferts de fonds (84 % de scolarisation) et les enfants des ménages qui n’en reçoivent pas (77 % ; Figure 1.7).

Graphique 1.7. Les enfants immigrés en Côte d’Ivoire sont généralement moins scolarisés que les enfants nés dans le pays
Scolarisation (%), selon le statut migratoire du ménage au sein duquel l’enfant vit
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Note : Les ménages avec un immigré désignent les ménages dont au moins l’un des membres est né en dehors de la Côte d’Ivoire (indépendamment du fait que l’enfant/le jeune soit né en Côte d’Ivoire ou à l’étranger). Ici, le terme « immigré » désigne les enfants/jeunes nés à l’étranger, qui sont donc eux-mêmes des immigrés.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Les élèves immigrés ont aussi moins de chance d’aller à l’école. Les enfants des ménages avec un immigré et les enfants eux-mêmes immigrés (Figure 1.7, barres de droite) sont généralement moins scolarisés que les enfants des ménages sans immigrés. L’écart le plus important concerne les jeunes âgés de 15 à 17 ans : 7 % des enfants immigrés de ce groupe d’âge sont scolarisés, contre 36% de leurs homologues nés en Côte d’Ivoire. Les enfants et les jeunes des ménages qui reçoivent des transferts de fonds ont, au contraire, plus tendance à être scolarisés que les enfants et les jeunes des ménages qui n’en reçoivent pas. Cette différence est plus marquée chez les jeunes des groupes d’âge 15-17 ans et 18-22 ans que chez les enfants du primaire (âgés de 6 à 14 ans).

Grâce aux politiques éducatives, les familles ressentent moins la pression de gagner des revenus supplémentaires pour payer la scolarité de leurs enfants, et les incitations à émigrer sont réduites. Les données IPPMD montrent que le lien entre les ménages ayant bénéficié d’un programme éducatif en nature, tel que les programmes de cantine scolaire ou la gratuité des manuels scolaires, et comptant un membre ayant l’intention d’émigrer dans l’avenir est en réalité négatif et statistiquement important, ce qui peut laisser entendre que ces programmes peuvent diminuer la nécessité d’émigrer et les incitations en ce sens.

Les ménages titulaires d’un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds

L’entrepreneuriat et les investissements contribuent à la croissance et aux possibilités d’emploi dans les pays développés comme dans les pays en développement. La migration de retour et les transferts de fonds des émigrés à l’étranger peuvent alléger les contraintes en termes de crédit et contribuer de façon positive à des investissements en capital et à l’activité entrepreneuriale, à l’instar du financement de la création ou de l’expansion des petites entreprises.

En effet, la propriété d’entreprise est plus élevée chez les ménages recevant des transferts de fonds et les ménages avec des migrants de retour, particulièrement dans les zones rurales en Côte d’Ivoire. En comparant les ménages confrontés à des expériences migratoires diverses, on constate que les ménages recevant des transferts de fonds sont plus susceptibles de posséder une entreprise que ceux qui n’en reçoivent pas, en zone urbaine comme en zone rurale. Globalement, les ménages avec des migrants de retour sont moins souvent propriétaires d’une entreprise que les autres dans les zones urbaines, mais plus susceptibles de posséder une entreprise en milieu rural (Figure 1.8). Toutefois, une analyse fondée sur un modèle de régression montre que la migration de retour présente un lien positif et statistiquement significatif avec la propriété d’entreprise, mais uniquement dans les zones rurales.

Graphique 1.8. La propriété d’entreprise est plus élevée chez les ménages recevant des transferts de fonds et les ménages avec des migrants de retour dans les zones rurales en Côte d’Ivoire
Part des ménages qui possèdent une entreprise (%), par statut migratoire et situation géographique
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Note : Les résultats présentant une signification statistique (calculés à l’aide du test du khi carré) sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Un problème a été identifié concernant les petites et moyennes entreprises en Afrique, il s’agit de l’accès à des sources de financement adéquates et d’un manque de compétences entrepreneuriales. L’accès au secteur financier formel peut faciliter le transfert de montants supérieurs de fonds, en particulier à travers les circuits formels. Les données IPPMD montrent que les ménages titulaires d’un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds (13 %) que ceux qui n’en ont pas (8 %). Par ailleurs, le fait de posséder un compte en banque est également associé à la réception de montants supérieurs lors des transferts de fonds : ainsi, le montant annuel des transferts de fonds reçus par les ménages possédant un compte bancaire est d’environ 786 USD en moyenne, contre 477 USD en moyenne pour les ménages non titulaires d’un compte bancaire. En outre, très peu de ménages ont suivi une formation financière : 3 % des ménages recevant des transferts de fonds et 2 % des ménages n’en recevant pas, d’où la possibilité pour les politiques sectorielles de contribuer à la création d’un environnement plus propice sur le plan financier.

Les immigrés sont moins susceptibles de jouir d’une protection sociale que les personnes nées en Côte d’Ivoire

L’existence d’un système adéquat de protection sociale et de couverture maladie est essentielle pour assurer la cohésion sociale, contribuer au bien-être et améliorer la productivité dans un pays. Par rapport à d’autres pays du projet IPPMD, la Côte d’Ivoire dépense assez peu dans le domaine social. Les ménages avec un immigré tendent à moins bénéficier des transferts sociaux du gouvernement que les ménages sans immigré, en milieu rural comme urbain : en moyenne, 6 % des ménages sans immigré ont reçu des transferts gouvernementaux dans les 12 mois précédant l’enquête, contre seulement 1 % des ménages avec un émigré.

En termes de recours aux services de santé, en moyenne, les immigrés qui se sont rendus dans un établissement de santé au moins une fois au cours des 12 mois précédant l’enquête étaient plus nombreux que les personnes nées dans le pays. Au total, 44 % des autochtones ont accédé à un établissement de santé au moins une fois contre 55 % pour l’échantillon d’immigrés. Outre la probabilité d’utiliser les services de santé au moins une fois, parmi les individus qui ont fréquenté un établissement au moins une fois, les immigrés ont toutefois moins souvent fréquenté un établissement de santé que les personnes nées dans le pays. En moyenne, les immigrés ont fréquenté ce type d’établissement 3 fois au cours des 12 mois précédents, contre 3.4 fois pour les autochtones, soit un résultat statistiquement significatif.

L’accès équitable à la santé et à la protection sociale peut améliorer l’intégration des immigrés et déterminer le niveau de contribution d’un immigré à l’égard du pays d’accueil. Ces prestations peuvent être accordées dans le cadre d’un emploi dans le secteur formel. Cependant, rares sont les personnes en Côte d’Ivoire qui bénéficient de contrats de travail formels. Bien que tous les employeurs en Côte d’Ivoire doivent être immatriculés auprès de la Caisse nationale de prévoyance sociale et enregistrer leurs employés, les données IPPMD indiquent que 83 % des travailleurs non-agricoles dans le pays n’ont pas de contrat de travail formel. Les immigrés ont encore moins de chances d’être couverts par des contrats de travail formels et de bénéficier de prestations que les travailleurs nés dans le pays (Figure 1.9). Les immigrés qui ne travaillent pas dans l’agriculture ont souvent moins de chance d’avoir un contrat de travail formel (9 % contre 19 %), un contrat à durée indéterminée (6 % contre 14 %), des prestations de santé (5 % contre 13 %) et des prestations de retraite (2 % contre 6 %) que les travailleurs nés dans le pays, ce qui rend encore plus difficile leur intégration sociale dans le pays.

Graphique 1.9. Les immigrés, hommes et femmes, ont moins accès à la protection sociale que les travailleurs nés en Côte d’Ivoire
Part d’individus ayant accès à la protection sociale, selon que l’individu en question est un immigré ou non
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Note : Un test du khi carré a servi à mesurer le niveau de signification statistique entre chaque ensemble de groupes, pour tous les individus. Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. L’échantillon n’inclut pas les travailleurs agricoles.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Un programme d’action plus cohérent peut permettre de libérer le potentiel de développement des migrations

Le rapport affirme que les migrations, à travers les dimensions analysées dans l’étude IPPMD – l’émigration, les transferts de fonds, la migration de retour et l’immigration – peuvent contribuer au développement économique et social de la Côte d’Ivoire. Toutefois, ce potentiel de développement ne semble pas être pleinement réalisé. Le pays a besoin d’un cadre politique plus cohérent afin de tirer avantage des migrations au profit du développement. La Côte d’Ivoire a récemment commencé à œuvrer en ce sens. Depuis 2014, le pays a mis au point sa Stratégie nationale de politique migratoire, mais le document n’a pas encore été adopté par le gouvernement. Par ailleurs, il a organisé deux Forums de la diaspora, en mai 2015 et en mai 2017, dont l’objectif était de passer en revue les préoccupations exprimées par la diaspora ivoirienne en vue de l’élaboration d’une Politique nationale de gestion des Ivoiriens de l’extérieur. Cependant, la gestion des migrations en Côte d’Ivoire est assumée par différents ministères et institutions publiques, qui ne sont guère coordonnés entre eux (ICMPD et OIM, 2015).

Et pourtant, de nombreux ministères négligent encore les effets des migrations dans leur domaine de responsabilité – qu’il s’agisse du marché de l’emploi, de l’agriculture, de l’éducation, de l’investissement et des services financiers, ou de la protection sociale et la santé – et les effets de leurs mesures en termes de migrations. Le présent rapport demande qu’il soit tenu compte des migrations lors de l’élaboration des politiques des différents secteurs et des plans nationaux de développement pour la Côte d’Ivoire.

Les sections suivantes proposent des recommandations politiques pour chaque secteur étudié dans le cadre du projet IPPMD en Côte d’Ivoire. Les recommandations politiques concernant différents secteurs et dimensions migratoires, qui résultent de l’étude menée sur les dix pays, sont détaillées dans le rapport comparatif IPPMD (OCDE, 2017).

Intégrer la migration et le développement dans les politiques de marché de l’emploi

Les données IPPMD montrent que les transferts de fonds et la migration de retour sont associés à des taux de travail indépendant plus élevés, et que l’immigration continue de jouer un rôle notable dans le pays et constitue une source de main-d’œuvre importante. Les immigrés ont plus tendance à travailler et à exercer une activité indépendante que les personnes nées dans le pays. Si les transferts de fonds ont tendance à réduire l’offre de main-d’œuvre dans les ménages urbains, le bien-être des travailleurs n’en est pas pour autant diminué s’ils peuvent éviter de travailler dans de mauvaises conditions ou loin de leurs enfants. Bien que l’on s’attende plutôt à ce qu’elles freinent l’émigration, les agences pour l’emploi jouent un rôle mineur dans la recherche d’emploi en Côte d’Ivoire. Les programmes de formation professionnelle, en revanche, peuvent encourager l’émigration à partir de la Côte d’Ivoire en offrant de meilleures possibilités d’emploi à l’étranger. Les recommandations de politiques publiques sont les suivantes :

  • Ajuster et cibler les programmes de formation professionnelle pour mieux faire correspondre la demande à l’offre. Cartographier les pénuries de main-d’œuvre et renforcer les mécanismes de coordination avec le secteur privé, entre autres mesures importantes.

  • Élargir le champ d’action des agences pour l’emploi afin d’atteindre les immigrés, les migrants de retour et les émigrés actuels, et s’assurer qu’ils sont bien informés des emplois salariés formels. Pour atteindre cet objectif, il sera essentiel de nouer des liens plus étroits entre les agences de placement et le secteur privé.

Tirer profit de la migration en faveur du développement agricole

La Côte d’Ivoire considère le secteur agricole comme un rouage essentiel au cœur des premières mesures tournées vers une croissance forte et partagée dans le pays, mais souligne par ailleurs les nombreux écueils qui continuent d’entraver une telle croissance. Étant donné le rôle considérable que l’agriculture continue de jouer en Côte d’Ivoire, il est primordial pour le pays d’assurer que les migrations aident le secteur, plutôt qu’elle ne lui nuise. Les données IPPMD indiquent que l’émigration peut contribuer à redynamiser le secteur agricole en déplaçant la demande de main-d’œuvre vers le marché libre de l’emploi. Les ménages avec un émigré remplacent souvent la main-d’œuvre perdue en recrutant des travailleurs à l’extérieur du ménage. Néanmoins, les ménages avec un émigré ont également un peu plus recours à la main-d’œuvre interne et utilisent la même quantité de main-d’œuvre externe que les ménages sans émigré, bien qu’ils comptent un membre en moins. L’afflux d’immigrés en Côte d’Ivoire permet également au secteur de se diversifier, les immigrés ayant davantage tendance à exercer différentes activités agricoles (élevage et culture), mais surtout l’élevage animalier, un secteur qui en est encore à ses balbutiements dans le pays.

Les décideurs doivent se montrer prudents quant aux moyens utilisés pour mettre en œuvre les programmes destinés à stimuler le secteur, dans la mesure où les titres fonciers et les subventions agricoles semblent favoriser la migration. Cependant, ces données ne suggèrent aucun lien avec l’émigration réelle, ce qui signifie que les ménages sont sans doute encore trop limités sur le plan financier pour mettre en œuvre leurs projets. Parmi les recommandations de politiques :

  • Veiller à ce que les ménages agricoles puissent remplacer la main-d’œuvre perdue en raison de l’émigration en assurant une meilleure couverture des zones rurales par les institutions du marché de l’emploi.

  • Associer les programmes de délivrance des titres fonciers aux programmes liant migrations et développement, tels que l’extension de la couverture des sociétés de transfert de fonds en milieu rural, la création de programmes visant à orienter les transferts de fonds vers l’investissement agricole et à faciliter l’investissement et l’intégration des migrants de retour dans les zones rurales.

  • Subordonner les subventions agricoles aux récoltes à venir, au lieu de les verser à l’avance, de façon à éviter qu’elles ne servent à financer davantage l’émigration. Dans le même temps, veiller à ce que ces subventions soient offertes aux immigrés et aux migrants de retour, car elles permettraient ainsi d’orienter plus d’investissements vers le secteur.

Renforcer les liens entre les migrations et l’investissement dans l’éducation

L’étude IPPMD constate que les transferts de fonds apportent des avantages sociaux à la Côte d’Ivoire car ils sont liés à un taux de scolarité plus élevé, en particulier chez les jeunes, ce qui est essentiel étant donné que le financement de la scolarité est l’un des enjeux majeurs pour les ménages du pays. Parallèlement, si l’accès à l’éducation est un outil fondamental pour l’intégration sociale, il a été observé que les enfants immigrés ont moins de chances d’aller à l’école que les autres, et que les étudiants immigrés n’ont pas accès aux programmes éducatifs dans la même mesure que les étudiants nés dans le pays. Les programmes éducatifs ont également tendance à limiter les projets d’émigration individuels. Ces conclusions indiquent la nécessité :

  • d’investir davantage pour améliorer la qualité de l’enseignement et l’accès à l’éducation afin de répondre à la demande d’éducation croissante portée par les transferts de fonds et l’immigration ;

  • d’étendre les programmes de distribution en numéraire et en nature dans les zones où les taux d’immigration sont élevés, et de veiller à ce que les immigrés bénéficient d’un accès équitable à ces programmes afin de soutenir l’éducation universelle et l’intégration des immigrés.

Renforcer les liens entre la migration, l’investissement, les services financiers et le développement

Les migrations peuvent permettre d’augmenter les investissements dans des activités productives telles que les entreprises et l’entrepreneuriat. Simultanément, un climat d’investissement favorable et un secteur financier inclusif peuvent renforcer l’impact des transferts de fonds sur le développement en encourageant davantage l’épargne et les investissements. Les données IPPMD montrent que les transferts de fonds et la migration de retour sont liés à des investissements productifs, et notamment à la création d’un plus grand nombre d’entreprises dans les zones rurales. Il est possible d’aller plus loin pour continuer de consolider les liens positifs entre migrations et investissement. Les données indiquent que la détention d’un compte bancaire est associée à des transferts de fonds d’un montant supérieur, mais que la couverture de la formation financière est faible dans le pays. Les mesures suivantes pourraient permettre d’améliorer la situation :

  • Développer l’offre de services financiers en augmentant la concurrence entre les prestataires de services.

  • Améliorer les connaissances financières et les compétences entrepreneuriales des ménages dans les communautés où les taux d’émigration sont élevés afin de stimuler l’investissement des transferts de fonds.

  • Accroître la productivité des nouvelles entreprises, par exemple en dispensant des formations en gestion d’entreprise et en permettant l’accès au crédit afin d’encourager l’investissement de transferts de fonds dans la création d’entreprises.

Étendre la couverture des services de santé et de protection sociale pour obtenir de meilleurs résultats en termes de développement et de migrations

En Côte d’Ivoire, l’immigration joue un rôle déterminant et est au cœur des préoccupations politiques, en particulier la façon dont les immigrés utilisent ou non les services de santé et de protection sociale. Par ailleurs, la protection sociale et la couverture médicale sont des vecteurs essentiels de l’intégration sociale des immigrés. L’analyse du rapport relève peu d’éléments indiquant que les immigrés en Côte d’Ivoire sont des bénéficiaires nets des transferts publics. Bien que les femmes immigrées, en particulier, aient davantage tendance à se rendre dans un établissement de santé que leurs homologues nées dans le pays, les immigrés (hommes et femmes) consultent moins souvent dans un établissement de santé dans les zones rurales. On pourrait penser que la protection sociale et la couverture médicale sont garanties par les contrats de travail, mais le travail informel en Côte d’Ivoire reste élevé et les immigrés sont généralement moins nombreux à être couverts par un contrat de travail formel. Ce constat était valable pour les contrats à durée indéterminée, les prestations de santé liées à l’emploi et les régimes de retraite, et concernait aussi bien les hommes que les femmes, mais uniquement les zones urbaines. Pour résoudre ces problèmes et obtenir de meilleurs résultats en matière d’intégration des immigrés, les décideurs politiques peuvent :

  • augmenter de jure, mais aussi de facto, l’accès universel à la protection sociale, telle que les prestations sociales versées par le gouvernement, les programmes de retraite, les prestations médicales, l’adhésion à un syndicat et les conditions d’un contrat de travail formel, en particulier dans les zones urbaines ;

  • étudier la raison pour laquelle les immigrés fréquentent moins souvent les établissements de santé et, si nécessaire, ajuster les investissements en faveur de ces établissements dans les quartiers où les niveaux d’immigration sont élevés, en particulier dans les zones rurales.

Structure du rapport

Le Chapter 2 traite de l’évolution des migrations en Côte d’Ivoire et examine les travaux de recherche actuels sur les liens entre migrations et développement. Il analyse également brièvement le contexte politique et les cadres institutionnels existants liés à la migration. Le Chapter 3 explique la manière dont les enquêtes de terrain ont été menées et les approches analytiques utilisées aux fins de la recherche empirique. Y sont également présentées les conclusions générales de l’enquête IPPMD sur les modèles d’émigration, de transferts de fonds et de migration de retour. Le Chapter 4 examine quant à lui les conséquences des migrations dans quatre secteurs clés en Côte d’Ivoire : le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, ainsi que l’investissement et les services financiers. Enfin, le Chapter 5 aborde la façon dont les politiques adoptées dans ces secteurs peuvent influer sur les résultats en matière de migrations.

Références

Banque mondiale (2017a), Bilateral Migration Matrix 2013 (base de données), Washington DC., www.worldbank.org/en/topic/migrationremittancesdiasporaissues/brief/migration-remittances-data (consulté le 1er avril 2017).

Banque mondiale (2017b), « Annual Remittances Data (inflows) » (données annuelles sur les envois de fonds – transferts de fonds entrants), Données de la Banque mondiale sur les migrations et les envois de fonds (base de données), Banque mondiale, Washington, DC, www.worldbank.org/en/topic/migrationremittancesdiasporaissues/brief/migrationremittances-data (consulté le 1er mai 2017).

DAES des Nations Unies (2015), International Migration Stock : The 2015 Revision (base de données), Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, New York, www.un.org/en/development/desa/population/migration/data/estimates2/estimates15.shtml.

ICMPD et OIM (2015), « A Survey on Migration Policies in West Africa », préparé par le Centre international pour le développement des politiques migratoires, Vienne – Autriche et l’Organisation internationale pour les migrations (Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre), Dakar – Sénégal, https://www.icmpd.org/fileadmin/ICMPD-Website/ICMPD_General/Publications/2015/A_Survey_on_Migration_Policies_in_West_Africa_EN_SOFT.pdf.

OCDE (2017), Interactions entre politiques publiques, migrations et développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264274136-fr.

République de Côte d’Ivoire (2015), « Plan national de développement (PND) 2016-2020 », Yamoussoukro.