Chapitre 3. Comprendre le cadre méthodologique utilisé au Burkina Faso
Afin de fonder empiriquement l’analyse des liens entre politique et migration, le projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) s’attache à recueillir des données au moyen de trois outils : des enquêtes auprès des ménages ; des enquêtes auprès des communautés ; et des entretiens avec des représentants d’organisations publiques, internationales et locales, permettant d’obtenir des informations qualitatives supplémentaires à propos des migrations au Burkina Faso.
Ce chapitre explique la méthode d’échantillonnage de l’enquête et décrit les approches statistiques utilisées dans les chapitres suivants pour analyser les effets des migrations, de l’émigration, la migration de retour, les transferts de fonds et l’immigration sur les principaux secteurs ciblés par les politiques. Il comprend une synthèse des résultats d’enquête, y compris des différences entre les régions rurales et urbaines et entre les ménages migrants et non-migrants. Il met en évidence des disparités hommes/femmes, en particulier en ce qui concerne le pays de migration ou d’origine et les raisons du départ, du retour ou de l’arrivée.
Le cadre du projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement s’appuie sur une démarche empirique. Entre avril et mai 2014, des données ont été collectées au Burkina Faso afin d’étudier empiriquement les interactions entre les migrations et les différents secteurs étudiés. En collaboration avec l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP), le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a élaboré trois outils d’analyse pour le travail de terrain, tous adaptés au contexte burkinabè. Ces outils étaient les suivants :
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Enquêtes auprès de 2 200 ménages. Les questionnaires portaient sur des caractéristiques individuelles et du ménage liées aux quatre secteurs de développement principaux, à savoir : 1) le marché de l’emploi ; 2) l’agriculture ; 3) l’éducation et les compétences ; et 4) l’investissement et les services financiers ; ainsi que sur l’expérience que les membres du ménage ont de l’émigration, des transferts de fonds, de la migration de retour et de l’immigration. Les questionnaires se sont aussi intéressés à leur expérience des politiques publiques spécifiques, qui peuvent avoir des effets sur leurs habitudes en matière de migration et de transferts de fonds.
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Enquêtes auprès de 99 communautés (celles dont sont issus les ménages interrogés, en complément des enquêtes auprès de ceux-ci)1. Des responsables de district et des responsables locaux figuraient parmi les personnes interrogées. Le questionnaire portait sur le contexte démographique, social et économique de la communauté, ainsi que sur l’existence de politiques et de programmes de développement.
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Entretiens avec les parties prenantes : 48 entretiens menés avec des représentants de ministères, d’institutions publiques, d’organisations non gouvernementales, d’organisations religieuses, de syndicats, d’organismes du secteur privé et d’organisations internationales dont le siège se trouve au Burkina Faso. Ces entretiens ont servi à recueillir des informations sur les tendances, les politiques, les opinions et les anticipations relatives à différents aspects ayant trait à la migration au Burkina Faso. Ces informations ont permis de compléter et de mieux interpréter les enquêtes quantitatives en incluant des détails supplémentaires sur le contexte spécifique au pays.
Ce chapitre décrit l’utilisation de ces outils et l’ensemble du processus de collecte de données. Il présente le plan d’échantillonnage des enquêtes auprès des ménages et des communautés, ainsi que des entretiens avec les parties prenantes, et expose la démarche adoptée. Il utilise les résultats de l’enquête pour brosser un portrait initial de l’expérience migratoire au Burkina Faso au travers des aspects géographiques, des différences homme/femme et des perceptions.
Comment s’est déroulé l’échantillonnage des ménages et des communautés ?
Les enquêtes auprès des ménages et des communautés du Burkina Faso se sont appuyées sur un plan d’échantillonnage composé de deux groupes stratifiés à deux niveaux et représentatifs à l’échelle nationale. Les 405 communes et districts urbains que compte le pays (désormais désignés sous le terme de « communes » uniquement) ont en effet d’abord été répartis en deux strates. Le critère de la première strate était le caractère rural ou urbain de la commune, et celui de la seconde strate le niveau – faible ou élevé – de son taux de migration, d’après les données du Recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) réalisé en 2006.
Une commune est déclarée rurale ou urbaine par décret gouvernemental, en fonction de la taille de sa population2 et du nombre d’infrastructures socio-économiques et administratives (écoles, services administratifs, eau potable, électricité) dont elle dispose (INSD, 2009).
Le taux de migration dans chaque commune a été calculé à partir des données du RGPH 2006. Il est défini par le nombre d’émigrés individuels3 et de migrants de retour4 par rapport au total des habitants de la commune. Un taux de migration est considéré comme élevé ou faible en fonction du nombre moyen de migrants par ménage et par commune. Le taux de migration moyen a été déterminé séparément pour les strates urbaine et rurale, d’après la définition ci-dessus. Il s’élève à 0.2 personne par ménage dans les zones urbaines, contre 0.5 personne dans les zones rurales. Les taux supérieurs à ces valeurs moyennes ont été considérés comme élevés, les taux inférieurs comme faibles.
Le quadruple processus de stratification décrit ci-dessus comporte quatre strates, au sein desquelles les communes ont été réparties. Une cinquième strate a, de plus, été créée pour les villes de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, en raison de leur importance économique et sociale pour le pays, mais n’a pas été stratifiée selon le taux de migration.
Chaque commune a ensuite été divisée en unités primaires d’échantillonnage (UPE) basées sur les zones de dénombrement (ZD) établies par l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) à partir du RGPH 2006. Les ZD du pays sont relativement homogènes du point de vue démographique, elles se différencient par leur caractère rural ou urbain : les ZD rurales comptent environ 800 habitants en moyenne, contre 1 200 pour les ZD urbaines. Le tableau 3.1 donne un aperçu du nombre de communes et d’UPE pour chaque strate.
L’objectif initial prévoyait un échantillon de 2 000 ménages, chaque strate devait donc comprendre 400 ménages. Cet objectif a ensuite été porté à 2 200 ménages (440 ménages par strate). De plus, il était prévu d’extraire 22 ménages de chaque UPE, et donc de sélectionner dans chaque strate 20 UPE (440:22 = 20 UPE). Avec cinq strates, le nombre total d’UPE à extraire a été fixé à 100. Le nombre d’UPE sélectionnées pour chaque strate est présenté dans le tableau 3.2.
Ce découpage correspond à un échantillon d’UPE urbain à 60 %. La population urbaine est ici surreprésentée, en effet, les estimations des Nations Unies sur l’urbanisation du Burkina Faso indiquent que la part de la population vivant en zone urbaine était de seulement 29 % en 2014 (Nations Unies, 2014). Les UPE ont été sélectionnées aléatoirement, selon une méthode d’échantillonnage reposant sur la probabilité proportionnelle à la taille (des ménages). Les 13 régions du pays sont représentées dans l’échantillon final avec au moins 3 UPE. Le graphique 3.1 montre la répartition géographique de chaque UPE, et le nombre d’UPE et de ménages sélectionnés est indiqué dans le tableau 3.A1.1 de l’annexe 3.A1. En outre, un résumé du plan d’échantillonnage se trouve dans le tableau 3.A1.2 du même annexe.
Enquêtes auprès des ménages
La dernière étape du plan d’échantillonnage a consisté à sélectionner aléatoirement 22 ménages au sein de chaque UPE, afin de les interroger. Un ménage avec un migrant est un ménage dont l’un des membres au moins est actuellement un migrant, ou un migrant de retour ayant vécu pendant un minimum de trois mois consécutifs dans un autre pays, ou un immigré né dans un autre pays et vivant depuis trois mois ou plus au sein du ménage (encadré 3.1).
Un ménage est composé d’une ou de plusieurs personnes, apparentées ou non, qui vivent normalement dans une même unité d’habitation ou dans un groupe d’unités d’habitation, et qui partagent les espaces de cuisine et de repas.
Le chef de ménage est la personne la plus respectée du ménage, celle qui est responsable des autres membres du ménage et subvient à la plupart de leurs besoins, qui prend les décisions essentielles et dont l’autorité est admise par tous les membres du ménage.
Le principal répondant est la personne qui connaît le mieux le ménage et les membres qui le composent. Il peut s’agir du chef de famille (homme ou femme), ou de toute autre personne âgée de 18 ans ou plus. Le principal répondant répond à la majorité des modules que comprend le questionnaire, à l’exception de celui ayant trait à la migration de retour, qui est traité directement par les personnes concernées. Lorsqu’il n’était pas possible de mener l’entretien avec les migrants qui se trouvaient à l’étranger au moment de l’enquête, le principal répondant a également répondu aux questions du module sur l’émigration.
Un ménage migrant est un ménage dont au moins l’un des membres est actuellement un émigré international, un migrant de retour ou un immigré.
Un ménage non-migrant est un ménage dont aucun membre actuel n’est un émigré international actuel, un migrant de retour ou un immigré.
Un émigré international est un ancien membre du ménage qui est parti vivre dans un autre pays, et qui n’est pas revenu dans le ménage depuis au moins trois moisa.
Un migrant international de retour est un membre actuel du ménage qui a auparavant vécu dans un autre pays pendant au moins trois mois consécutifs et qui est revenu vivre dans le pays concerné.
Un immigré est un membre actuel du ménage qui est né dans un autre pays et qui vit depuis au moins trois mois dans le ménage.
Les transferts de fonds internationaux sont des transferts en espèces ou en nature réalisés par des émigrés internationaux. Dans le cas de transferts de fonds en nature, le répondant doit estimer la valeur des biens reçus par le ménage.
Un ménage recevant des transferts de fonds est un ménage ayant reçu des fonds par transfert international dans les 12 mois précédant l’enquête. Ces fonds peuvent être envoyés par d’anciens membres du ménage, ou par des migrants qui n’ont jamais fait partie du ménage.
← a. En général, les enquêtes sur la migration considèrent qu’un individu est un migrant si celui-ci est parti depuis 6 ou 12 mois. La prise en compte de périodes de migration plus courtes permet toutefois de représenter les migrants saisonniers dans l’échantillon (les déplacements temporaires tels que des vacances n’entrent pas dans cette définition). Le cadre de l’enquête ne prévoit aucune limite s’agissant du temps écoulé depuis l’émigration, l’immigration ou la migration de retour. Par conséquent, toutes les expériences migratoires peuvent être prises en compte. Toutefois, il est probable que les expériences de migration plus récentes soient davantage représentées dans cette enquête, car les émigrés partis depuis longtemps sont moins susceptibles d’être mentionnés par le ménage.
Pour sélectionner les ménages, les équipes chargées de la collecte des données ont commencé par compter le nombre de ménages dans chaque UPE. Un numéro a été assigné à chaque ménage. Puis, l’équipe d’encadrement du projet a attribué aléatoirement à une équipe chargée de la collecte des données un numéro correspondant à un ménage de la commune dans laquelle devait commencer l’enquête. Un second numéro a été attribué à l’équipe au hasard pour déterminer le deuxième ménage. Ce processus s’est poursuivi jusqu’à ce que 22 ménages aient été sélectionnés au hasard.
L’enquête auprès des ménages a été menée par 20 enquêteurs et 5 superviseurs, en utilisant des questionnaires sur papier. Elle a eu lieu entre le 24 avril et le 31 mai 2014, après un séminaire de formation d’une semaine et des tests pilotes sur le terrain réalisés par l’OCDE et l’ISSP. Les enquêteurs ont travaillé 6 jours par semaine. Les entretiens se sont déroulés dans la langue préférée du ménage, principalement en dioula, en français, en fulfulde ou en mooré. Le tableau 3.A1.3 figurant à l’annexe 3.A1 présente brièvement les modules de l’enquête.
Les données obtenues ont été saisies dans des bases de données et testées pour vérifier qu’elles ne contenaient ni erreurs ni incohérences. Les 2 200 ménages comptaient bien plus de ménages non-migrants (1 375, soit 63 %) que de ménages migrants (825, 38 %). Toutefois, on observe des différences selon les régions. Les zones rurales affichent un pourcentage de migrants plus important (49 %) que Ouagadougou, la capitale (18 %). Le tableau 3.4 synthétise l’échantillon final.
Enquêtes auprès des communautés
Pour chacune des 100 UPE sélectionnées, un questionnaire communautaire a été prévu pour être adressé à un représentant des autorités locales susceptible de bien connaître la communauté et la question des migrations. Dans les faits, 99 entretiens ont été menés. En effet, deux UPE de Ouagadougou faisaient partie de la même communauté et relevaient du même responsable communautaire, un seul questionnaire a donc été traité dans ce cas. Le volet communautaire de l’enquête a eu lieu au même moment que celui concernant les ménages. Tous les entretiens ont été réalisés à partir d’un questionnaire papier.
Le volet communautaire de l’enquête comprenait des questions sur la part des ménages dont l’un des membres vit actuellement dans un autre pays et sur le pays de résidence le plus courant, ainsi que sur les emplois les plus répandus dans la communauté.
Il s’est révélé difficile d’obtenir des données communautaires précises. Les données étaient le plus souvent fondées sur les opinions et les estimations des répondants, les données officielles étant rares. D’une part, une UPE correspond en effet à des zones relativement petites, pour lesquelles des statistiques spécifiques ne sont normalement pas collectées ni analysées. D’autre part, les municipalités urbaines couvrent, quant à elles, des secteurs beaucoup plus étendus que les UPE définies. Bien que les enquêteurs aient demandé aux répondants de s’en tenir aux limites géographiques de l’UPE, il n’a pas toujours été possible d’obtenir des données à cette échelle.
Entretiens avec les parties prenantes
Afin d’obtenir une vaste palette d’informations et d’opinions à propos des politiques sectorielles et migratoires, des entretiens semi-directifs ont été menés entre le 4 septembre et le 6 novembre 2014 en s’appuyant sur un guide conçu par l’OCDE.
Ce guide comportait cinq axes :
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sensibilisation générale aux questions de migration
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actions, programmes et politiques directement liés à la migration
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actions, politiques et programmes principaux susceptibles d’être liés à la migration
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perception des problèmes liés à la migration
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coordination avec d’autres parties prenantes en matière de migration.
Trois versions du guide des entretiens ont été élaborées pour cibler les trois types de répondants suivants : 1) institutions publiques ; 2) organisations internationales ; 3) organisations non gouvernementales (ONG) et autres organisations locales (secteur privé, syndicats, organisations religieuses). Les questions de chaque partie ont été modifiées selon que l’entité travaillait directement ou indirectement sur les migrations, et en fonction de son rôle à l’égard des politiques ayant trait à la migration. Le guide de discussion était disponible en anglais et en français, et a été adressé aux répondants, à leur demande, avant les entretiens.
L’OCDE et l’ISSP ont établi une première liste de répondants potentiels d’après les connaissances de spécialistes travaillant sur le terrain. Parmi les 48 personnes interrogées figuraient 20 représentants d’institutions publiques, 2 représentants d’organisations internationales et 26 représentants d’ONG locales ou d’autres types d’organisations (tableau 3.5).
À partir de l’analyse préliminaire des données obtenues à l’issue de ces entretiens, l’OCDE et l’ISSP ont conçu un livre de codes, qui a ensuite été utilisé comme cadre conceptuel. Ce livre de codes comprend des thématiques générales (thèmes principaux et sous-thèmes) communes à l’ensemble des pays participant au projet, mais prévoyait la possibilité d’ajouter d’autres aspects spécifiques à un pays. Toutes les transcriptions ont été encodées et analysées conformément au livre de codes, puis les chapitres analytiques ont utilisé ces résultats comme base pour produire du sens et compléter les données.
Comment les données ont-elles été analysées ?
Après une description des outils qui ont servi à recueillir des données pour le projet, cette section montre comment ces données ont été analysées. Suit un état des lieux général des migrations. Les autres chapitres du rapport présentent les résultats de l’analyse portant sur les liens entre migrations et politiques publiques.
La signification statistique d’une relation estimée est évaluée, c’est-à-dire la probabilité qu’une relation entre deux variables ne soit pas aléatoire. Dans ce rapport, les analyses comportent à la fois des tests statistiques et une analyse de régression. Les tests statistiques, tels que les tests t et les tests du khi carré, vérifient la corrélation entre deux variables, sans neutraliser d’autres facteurs. Un test t compare la moyenne d’une variable dépendante pour deux groupes indépendants. Par exemple, il sert à vérifier s’il existe une différence entre le nombre moyen de travailleurs embauchés par un ménage agricole avec émigrés et celui recruté par un ménage agricole sans émigrés. Un test du khi carré examine la relation entre deux variables catégoriques (nominales), comme la fréquentation d’une école privée (seules deux catégories sont possibles, oui ou non) par les enfants vivant dans deux types de ménages : ceux recevant des transferts de fonds et ceux n’en recevant pas. Quant aux tests statistiques, ils déterminent la probabilité que la relation entre deux variables ne résulte pas du hasard ou d’une erreur d’échantillonnage.
L’analyse de régression permet de vérifier l’effet quantitatif d’une variable sur une autre, en neutralisant d’autres facteurs susceptibles d’influencer, eux aussi, le résultat. Les enquêtes auprès des ménages et des communautés ont intégré des informations détaillées sur les ménages, leurs membres et les communautés dans lesquelles ils vivent. Ces informations servent à élaborer des variables de contrôle. Celles-ci sont incluses dans les modèles de régression afin de distinguer l’effet d’une variable étudiée d’autres caractéristiques des individus, des ménages et des communautés qui sont susceptibles d’affecter le résultat, comme, par exemple, les investissements du ménage dans une activité commerciale ou les projets d’émigration d’un individu.
Le rapport comporte deux modèles de régression de base : la méthode moindres carrés ordinaire (MCO) et probit. Le choix du modèle à utiliser est fonction de la nature de la variable de résultat. On fait appel à une régression MCO lorsque la variable de résultat est continue (un nombre infini de valeurs), à un modèle Probit quand la variable de résultat ne peut avoir que deux valeurs (par exemple, la possession d’une entreprise ou non), et à un modèle Tobit (ou modèle de régression censuré) lorsque la variable de résultat est contrainte et que les observations sont groupées au niveau de cette contrainte. Ainsi, dans le cas du montant des transferts de fonds reçus par les ménages, par exemple, au moins la moitié des ménages de l’échantillon ne reçoit pas de transferts de fonds, d’où une forte concentration des observations affichant une valeur de zéro.
Les interactions entre politiques publiques et migrations sont explorées à la fois au niveau des ménages et au niveau individuel, même si cela dépend du sujet et de l’hypothèse étudiés. Pour chaque chapitre consacré à un secteur, l’analyse comporte deux sections :
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l’impact d’une dimension migratoire sur un résultat propre au secteur
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l’impact d’une politique de développement sectorielle sur un résultat migratoire
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L’analyse de régression repose sur quatre ensembles de variables :
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Migrations : 1) dimensions migratoires, dont émigration (parfois, utilisation de la variable de substitution d’une intention d’émigrer à l’avenir), transferts de fonds, migration de retour et immigration ; 2) résultats en matière de migrations, incluant la décision d’émigrer, le transfert et l’utilisation de fonds, la décision et la pérennité de la migration de retour, et l’intégration des immigrés.
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Politiques de développement sectorielles : un ensemble de variables indiquant si un individu ou un ménage a pris part à une politique ou à un programme spécifique, ou en a bénéficié, dans quatre principaux secteurs : marché de l’emploi, agriculture, éducation et compétences, services d’investissement et financiers.
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Résultats propres au secteur : un ensemble de variables mesurant les résultats obtenus dans les secteurs du projet étudiés, tels que la participation à la main-d’œuvre, l’investissement dans l’élevage, la scolarisation ou la propriété d’une entreprise.
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Caractéristiques au niveau du ménage et de l’individu : un ensemble de variables socio-économiques et géographiques explicatives qui tendent à influer sur les résultats en matière de migrations et sectoriels.
Que révèlent les enquêtes sur les migrations au Burkina Faso ?
Les dimensions migratoires de l’émigration, l’immigration et du retour ont été laissées au hasard lors de l’échantillonnage du groupe migrant, d’où un dénombrement qui reflète l’importance relative de ce dernier dans chaque région. Le graphique 3.2 illustre la prévalence des émigrés, des migrants de retour et des immigrés dans les zones rurales et urbaines, à partir des données recueillies au niveau des ménages. Il fait apparaître des différences entre régions, même si, pour les zones rurales comme pour les zones urbaines, les régions à forte densité migratoire sont sur-représentées.
Les 2 200 enquêtes auprès des ménages ont permis de recueillir des données sur 13 585 individus, ainsi que sur 566 membres qui ont émigré. Au total, 320 ménages comptent des membres qui ont émigré – 15 % de l’ensemble des ménages de l’échantillon (graphique 3.3, à gauche). Parmi les individus vivant actuellement dans le pays, 521 sont des migrants de retour et 441 des immigrés, et des données spécifiques sur leur expérience migratoire ont aussi été collectées. Les 415 ménages avec des migrants de retour constituent 19 % de l’ensemble des ménages de l’échantillon (graphique 3.3, au centre), et on dénombre 264 ménages avec des immigrés, qui forment 12 % de l’échantillon (graphique 3.3, à droite). Environ 7 % de l’échantillon (155 ménages) se composent de ménages dont plus d’un membre a une expérience migratoire : un émigré et un migrant de retour ; un émigré et un immigré ; ou un migrant de retour et un immigré.
Le tableau 3.6 montre comment les caractéristiques du ménage diffèrent suivant leur expérience migratoire. En effet, les ménages avec des membres émigrés ou des migrants de retour sont plus susceptibles de vivre en zone rurale, tandis que les ménages avec des immigrés ou sans expérience migratoire se trouvent majoritairement en zone urbaine. Les ménages avec des émigrés ont une taille significativement plus grande que les ménages sans migrants (près de deux membres de plus), ce qui est d’autant plus remarquable qu’au moins un de leurs membres est parti. En outre, les ménages avec des immigrés affichent un ratio de dépendance plus faible que celui de tous les autres groupes qui ont une expérience migratoire. Il en va de même pour la part des ménages avec des immigrés et des enfants. Les ménages avec un migrant de retour sont les moins susceptibles d’être dirigés par une femme, ce qui pourrait tenir au fait que la majorité des migrants de retour sont des hommes, qui redeviennent le chef de famille. Les ménages avec immigrés comptent la plus forte proportion de membres qui ont eu accès à une éducation formelle. Viennent ensuite les membres des ménages sans expérience migratoire.
Un indicateur du patrimoine des ménages a été élaboré pour les besoins de ce projet. Il repose sur les questions de l’enquête auprès des ménages qui ont trait au nombre d’actifs détenus par le ménage, allant d’un téléphone portable à un bien immobilier. Cet indicateur est créé sur la base d’une analyse en composantes principales. On considère que la première composante exprime le patrimoine, celui-ci étant supposé représenter la plus forte variance dans les actifs détenus par un ménage. D’après l’indicateur du patrimoine, les ménages avec des immigrés et ceux recevant des transferts de fonds ont tendance à être plus riches, et les ménages avec des migrants de retour sont les moins riches. L’enquête IPPMD comporte aussi une question directe visant à déterminer si les membres d’un ménage âgés de 15 ans ou plus ont prévu d’émigrer. Il ressort des données que les projets d’émigration sont plus fréquents dans les ménages qui ont une expérience migratoire, surtout dans ceux recevant des transferts de fonds et dans ceux avec des migrants de retour. Cet écart tient largement aux migrants de retour eux-mêmes : 14 % d’entre eux envisagent d’émigrer à nouveau dans les 12 prochains mois.
Le tableau 3.7 synthétise les caractéristiques des individus qui sont issus des ménages échantillonnés et qui sont ventilés en quatre groupes : non-migrants, migrants de retour, émigrés actuels ou immigrés. Les migrants de retour forment le groupe le plus ancien (âge moyen de 44 ans) par rapport aux non-migrants (33 ans), aux émigrés actuels (30 ans) et aux immigrés (30 ans également). Les femmes constituent 49 % de l’échantillon. Alors que l’immigration semble concerner une proportion égale d’hommes et de femmes, les émigrés et les migrants de retour sont le plus souvent des hommes ; 16 % seulement des émigrés, et 22.5 % des migrants de retour, sont des femmes. Davantage d’hommes que de femmes projettent d’émigrer, les femmes ne représentant que 30 % de cette catégorie.
Quelque 36 % des individus sans expérience migratoire ont eu accès à une éducation formelle, contre 57 % des immigrés. Seulement 22.5 % des émigrés et 7.5 % des migrants de retour ont suivi une éducation formelle. Cet écart ne s’explique pas uniquement par les différences d’âge entre groupes : la part des migrants de retour qui ont accédé à une éducation formelle est inférieure à 10 % pour toutes les classes d’âge, à l’exception des 15-25 ans (19 %), alors qu’elle représente 54 % des non-migrants de la même classe d’âge. Ceux qui n’envisagent pas d’émigrer affichent un niveau d’études supérieur à celui de ceux qui envisagent émigrer (39% contre 34%, non représenté).
En général, les émigrés s’installent dans un pays voisin pour des raisons économiques
Les données collectées sur les émigrés concernent leur pays de résidence actuel, le temps qui s’est écoulé depuis qu’ils sont partis et la raison pour laquelle ils ont quitté leur pays natal. Les pays de destination sont légèrement différents selon que les émigrés sont des hommes ou des femmes (graphique 3.4). Si les hommes comme les femmes migrent essentiellement vers un pays voisin, surtout vers la Côte d’Ivoire, les femmes sont davantage susceptibles que les hommes de s’installer dans un pays de l’OCDE. La plupart des pays formant la catégorie « Autre » sont membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
La principale raison d’émigrer, citée par plus de 70 % des répondants, est la recherche ou l’obtention d’un emploi (graphique 3.5). C’est surtout le cas pour les hommes, qui constituent la majorité des émigrés. Plus de la moitié (53 %) des femmes qui ont émigré l’ont fait pour se marier ou pour un regroupement familial, et 18 % seulement mentionnent le travail comme motif de leur départ.
Quelque 32 % des émigrés avaient quitté le Burkina Faso moins de deux avant l’enquête, 28 % deux à cinq ans avant, et 41 % plus de cinq ans avant. Le temps moyen écoulé depuis l’émigration est très similaire pour les hommes et les femmes, avec une part légèrement supérieure de migrants saisonniers parmi les femmes, 25 %, contre 20 % pour les hommes.
Le sexe et la localisation géographique jouent un rôle dans les transferts et l’utilisation des fonds
Bien que l’émigration et les transferts des fonds soient étroitement liés, l’un n’implique pas nécessairement l’autre. Environ un ménage de l’échantillon sur huit a reçu des transferts de fonds de l’étranger ; pour la moitié d’entre eux, ces fonds provenaient d’un ancien membre du ménage ayant émigré, et pour l’autre moitié d’une autre source. Quelque 47 % des ménages avec un émigré ont reçu des transferts de fonds, contre 6 % des ménages sans émigré. Les ménages ruraux étaient plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds que les ménages urbains, mais la différence est faible (13% contre 11%, graphique 3.6).
Des informations sur les décisions financières prises par les ménages recevant des transferts de fonds d’un ancien membre ont également été recueillies. Les ménages urbains utilisaient le plus souvent cet argent pour payer les frais de scolarisation (35 %) ou les frais de santé (23 %) d’un membre du ménage (graphique 3.7). Dans les zones rurales, les ménages avaient plutôt tendance à investir dans des activités agricoles (28 %) ou à acheter ou construire un logement (23 %).
L’enquête a, en outre, collecté des informations détaillées sur les fonds reçus d’anciens membres du ménage. Le montant moyen des transferts s’élève à 141 870 de francs CFA BCEAO ([XOF] soit 296 dollars américains [USD]) par an5. Ce chiffre comprend à la fois les transferts en numéraire et la valeur monétaire des transferts en nature. Environ 16 % des émigrés ont opéré des transferts en nature au cours de l’année passée, pour une valeur moyenne estimée à 218 120 XOF (455 USD), pour la grande majorité en complément des transferts en numéraire. Environ 42 % des ménages ont reçu des transferts de fonds par le biais de circuits informels, soit par l’émigré lui-même, par des amis ou des membres de la famille, ou par un agent informel.
Les transferts de fonds diffèrent selon qu’un homme ou une femme en est à l’origine : les femmes sont moins susceptibles de transférer des fonds que les hommes. En effet, elles ne sont que 14 % à le faire, contre 40 % pour les hommes. Cependant, les montants des transferts de fonds réalisés par les femmes sont, en moyenne, supérieurs à ceux des hommes : 599 090 XOF (1 250 USD), contre 112 460 XOF (234 USD).
La migration de retour au Burkina Faso est généralement volontaire et réussie
Tout comme pour les émigrés, les anciens pays de résidence des migrants de retour étaient essentiellement les pays voisins (graphique 3.8). Les migrants revenant de Côte d’Ivoire sont proportionnellement nettement plus nombreux que les émigrés qui vivent actuellement dans ce pays. Les migrants de retour au Burkina Faso sont proportionnellement moins nombreux à revenir d’un pays de l’OCDE que les émigrés qui vivent actuellement dans ces pays. Cependant, seule une petite minorité d’émigrés (2 %) se sont rendus dans un pays de l’OCDE, et moins de 1 % des migrants de retour en revenaient.
La majorité des migrants de retour sont rentrés parce qu’ils préfèrent vivre au Burkina Faso, essentiellement pour des raisons familiales ou pour se marier (65 %). Les hommes et les femmes invoquent des raisons très similaires. Outre les préférences personnelles, les raisons les plus couramment invoquées sont l’absence de titre de séjour et les conflits ou la guerre, dans environ 6 % des cas respectivement. Quelque 8 % sont rentrés car ils se sont aperçus qu’ils pourraient bénéficier de meilleures opportunités dans leur pays d’origine, avaient atteint leur objectif ou s’étaient inscrits dans un programme de retour.
Les migrants de retour ont passé en moyenne cinq ans et demi dans le pays de destination, mais environ un tiers d’entre eux ont quitté le Burkina Faso pendant moins de deux ans. À la question de savoir s’ils étaient contents de rentrer dans leur pays, plus de 93 % ont déclarés être contents, voire très contents. La proportion est légèrement plus élevée pour les migrants qui reviennent dans une zone rurale (95 %) que pour ceux qui retournent en zone urbaine (91 %). Moins d’un quart se sont heurtés à des difficultés après leur retour : environ 15 % ont déclaré avoir eu du mal à trouver un emploi dans les cinq premières années. Quelque 16 % des migrants de retour envisagent d’émigrer à nouveau dans les 12 prochains mois.
Les immigrés viennent principalement des pays voisins et ont des parents nés au Burkina Faso
En plus des questions qui ont été posées à tous les membres du ménage, les immigrés ont dû répondre à des questions supplémentaires sur les raisons qui les ont poussés à migrer, sur leur vie avant la migration et sur leur expérience de l’intégration. La quasi-totalité des immigrés (97 %) sont nés dans un pays voisin, généralement la Côte d’Ivoire, le reste étant originaires d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, et pour 1 % d’entre eux de France ou d’Afrique de l’Est. S’il semble que les femmes soient davantage originaires de Côte d’Ivoire, les données font état d’une grande similitude en termes de pays d’origine des immigrés hommes et femmes.
Les immigrés au Burkina Faso sont souvent les enfants de parents nés au Burkina Faso, bien qu’ils soient en fait des immigrés puisque n’étant pas eux-mêmes nés dans ce pays. Cette caractéristique concerne 90 % des immigrés au Burkina Faso ; en effet, suite aux conflits amorcés en 2002 en Côte d’Ivoire, leurs parents ont regagné leur pays d’origine. À bien des égards, ils sont plus semblables à des migrants de retour que les autres immigrés dans le pays. Le fait d’avoir un parent né dans le pays hôte signifie généralement que l’on peut s’adresser à un réseau social pour solliciter une assistance. Ces liens contribuent à une installation plus rapide des immigrés, y compris l’obtention d’un emploi et d’un logement, la gestion des questions administratives et la scolarisation des enfants. De même, l’intégration s’opère dans de meilleures conditions.
Environ 46 % des immigrés sont venus au Burkina Faso pour des raisons familiales, essentiellement le regroupement familial (21 %), ou le mariage (7 %). Ces raisons sont invoquées par 58 % des femmes, contre seulement 35 % des hommes. Ces derniers ont en grande partie migré pour poursuivre leurs études au Burkina Faso (34 %, contre 14 % pour les femmes). La majorité des immigrés étudiant au Burkina Faso (97 %) venaient de Côte d’Ivoire. En outre, 6 % des immigrés environ ont quitté la Côte d’Ivoire à cause de la crise socio-politique dans leur pays d’origine.
Les immigrés résident au Burkina Faso depuis plus de 13 ans, en moyenne. Seuls 13 % d’entre eux environ déclarent être des migrants saisonniers. L’année dernière, quelque 14 % des immigrés ont souffert de discrimination là où ils habitent, essentiellement s’agissant de l’accès à la terre (7 %) ou à l’emploi (4 %). Moins de 4 % des immigrés ont l’intention de rentrer définitivement dans leur pays de naissance.
Parmi les ménages comptant au moins un immigré, 16 % ont transféré des fonds vers le pays d’origine de l’immigré et un tiers ont effectué des transferts en nature. Les transferts étaient essentiellement destinés aux parents (70 %), mais aussi aux enfants (5 %), aux épouses (5 %) et aux frères et sœurs (5 %) restés au pays. Environ 9 % des immigrés ont aidé des personnes de leur pays d’origine à immigrer au Burkina Faso, principalement en leur donnant des informations, mais aussi en leur apportant une aide financière et en les aidant à trouver un emploi.
Ce chapitre a présenté les trois outils (enquêtes auprès des ménages ; enquêtes auprès des communautés ; entretiens qualitatifs avec les parties prenantes) qui servent à recueillir des données permettant d’analyser les interactions entre migrations, politiques publiques et développement. Les chapitres suivants adoptent une approche sectorielle pour présenter les résultats de l’analyse des données : marché de l’emploi ; agriculture ; éducation ; et finance et investissement.
Références
INSD (2009), Recueil des concepts, définitions, indicateurs et méthodologies utilisés dans le système statistique national, Institut national de la statistique et de la démographie, Ouagadougou, Burkina Faso, www.insd.bf/n/contenu/autres_publications/sources_definitions_nationales/Recueil_des_conceptsdefinitions_VF.pdf.
Nations Unies (2014), World Urbanization Prospects: The 2014 Revision, Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, New York.
Notes
← 1. En tout, 100 communautés ont été choisies comme unités d’échantillonnage primaire, mais deux d’entre elles avaient le même responsable. Pour ces deux communautés, un seul questionnaire a été traité.
← 2. En règle générale, les communes de moins de 5 000 habitants sont déclarées rurales. Quatre communes (Garango, Niangoloko, Bitou et Pouytenga) sont toutefois considérées comme urbaines par les pouvoirs publics bien qu’elles ne remplissent pas tous les critères, en raison de leur activité économique.
← 3. On a identifié les émigrés en demandant au chef de famille si l’un des membres du ménage était parti dans les cinq dernières années et vivait désormais dans un autre pays.
← 4. On a identifié les migrants de retour en demandant aux membres d’un ménage s’ils avaient vécu dans un autre pays au cours des dix dernières années.
← 5. Les répondants ont indiqué les montants des transferts de fonds en monnaie locale. Cours de change franc CFA BCEAO (XOF) / dollar américain (USD) au 1er juillet 2014.