Résumé

Les migrations ont toujours tenu une place importante dans l’histoire du Burkina Faso. Soulignons toutefois la forte progression du phénomène d’émigration vers la Côte d’Ivoire à compter des années 60, dans le sillage de la politique migratoire relativement ouverte adoptée par ce pays. En 1970, la population émigrée burkinabè représentait plus de 14 % de la population totale du Burkina Faso. Mais le conflit en Côte d’Ivoire a contribué à un ralentissement des flux migratoires ; nombre d’émigrés sont rentrés au pays dans les années 2000 et de nombreux immigrés, pour l’essentiel des personnes nées en Côte d’Ivoire de parents nés au Burkina Faso, ont rejoint le Burkina Faso. En 2015, la population émigrée était estimée à quelque 8 à 9 % de la population totale, contre 4 % pour les immigrés. Si la création du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger (CSBE) en 1993 a représenté un premier pas important vers la reconnaissance de la valeur de la diaspora, l’adoption début 2017 d’une stratégie migratoire a marqué pour le pays un tournant décisif en matière de migrations.

Cependant, faute de données suffisantes, il demeure impossible d’apporter des réponses politiques éclairées et cohérentes. Le projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement au Burkina Faso (IPPMD) – géré par le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et cofinancé par l’Union européenne – a vocation à appuyer la prise de décisions au Burkina Faso. Il s’efforce plus particulièrement de déterminer :

  1. Comment les migrations, dans leurs multiples dimensions, influent sur divers secteurs clés pour le développement, notamment le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, ainsi que l’investissement et les services financiers.

  2. Comment les politiques publiques menées dans ces secteurs renforcent, ou affaiblissent, l’impact des migrations en termes de développement.

Le présent rapport synthétise les conclusions et les principales recommandations de politiques découlant des recherches empiriques menées entre 2013 et 2017, en collaboration avec l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) et le CSBE. Les données sont tirées d’une étude conduite auprès de 2 200 ménages, d’entretiens menés avec 99 autorités locales et chefs de villages, ainsi que de 48 entretiens approfondis avec les parties prenantes au Burkina Faso. Une solide analyse, reflétant le contexte politique, économique et social au Burkina Faso, éclaire d’un jour nouveau la relation complexe entre les migrations et les politiques sectorielles.

Le contexte politique au Burkina Faso, déterminant essentiel de l’influence des migrations sur le développement

Le cadre offert par le Burkina Faso est unique : il bénéficie en effet d’importants flux migratoires, tant en termes d’émigration que d’immigration, dont la plupart s’opèrent avec d’autres pays en développement. Les recherches attestent de liens solides entre les migrations et tout un éventail d’indicateurs clés du développement dans ce pays. Elles établissent en outre que les politiques publiques permettant d’améliorer l’efficacité du marché, d’atténuer les contraintes financières, de développer les compétences et de réduire les risques exercent une influence sur les décisions d’émigrer, de rentrer au pays ou de transférer des fonds, qui sont prises aux niveaux individuel et des ménages.

Les immigrés contribuent au marché de l’emploi

Alors que le marché de l’emploi et les ménages, en particulier, semblent affectés par l’émigration et la perte de main-d’œuvre, les immigrés contribuent à combler ce fossé. En effet, les travailleurs immigrés au Burkina Faso sont plus susceptibles de tenir un emploi rémunéré que les individus sans expérience migratoire et les migrants de retour, suggérant ainsi qu’ils contribuent à l’économie burkinabè. Les agences nationales pour l’emploi peuvent aider à réduire les frictions qui apparaissent sur le marché de l’emploi lorsque les chemins des demandeurs d’emploi ne croisent pas ceux des employeurs potentiels. La recherche IPPMD constate que les agences nationales pour l’emploi peuvent s’avérer efficaces en termes de réduction de l’émigration, car la part de ceux qui prévoient d’émigrer était plus faible chez les individus ayant trouvé un emploi en passant par ces agences. Les immigrés constituaient le groupe de migrants le plus enclin à faire appel à ces services pour trouver un emploi. L’enquête IPPMD révèle par ailleurs qu’une forte proportion de personnes ayant participé à des programmes de formation professionnelle prévoyait également d’émigrer. Cela peut laisser penser que certaines personnes prennent part à de tels programmes dans l’objectif de trouver un emploi à l’étranger.

La migration de retour contribue à la diversification du secteur rural

Les ménages avec des migrants de retour sont plus susceptibles d’investir dans des actifs agricoles que les ménages sans migrants de retour ; ils étaient également plus enclins que ces derniers à exercer des activités diversifiées de culture et d’élevage, et exploitaient plus souvent des entreprises non agricoles. Cette situation laisse à penser que la migration de retour peut permettre de renforcer le secteur agricole, qui risque de connaître un recul en raison de l’émigration. La migration de retour peut également provoquer une diversification accrue dans ce secteur, et au-delà. Les subventions agricoles jouent un rôle dans le renforcement de ce lien, étant donné que les ménages bénéficiant de subventions agricoles étaient plus nombreux que les non-bénéficiaires à compter des migrants de retour. Par conséquent, les subventions peuvent inciter à revenir dans le pays et à travailler dans les activités agricoles du ménage, ou réduire la nécessité de compter un migrant qui transfère des fonds depuis l’étranger, conduisant ainsi au retour du migrant. Cependant, il est important de noter que de telles subventions contribuent également à stimuler davantage l’émigration.

Les transferts de fonds sont utilisés à des fins éducatives

Au cours des dernières années, le gouvernement a pris diverses mesures dans le but de stimuler le niveau d’éducation dans le pays, et les transferts de fonds peuvent l’aider à atteindre certains des objectifs formulés. Les données IPPMD montrent que les enfants âgés de 7 à 14 ans vivant dans des ménages recevant des transferts de fonds sont légèrement plus enclins à fréquenter l’école. Ce constat s’applique également aux jeunes âgés de 18 à 22 ans. Ces données suggèrent que les transferts de fonds sont utilisés à des fins éducatives. Cependant, certains programmes éducatifs semblent contribuer à stimuler l’émigration, possiblement parce qu’ils réduisent les contraintes financières. Ainsi, les ménages bénéficiaires des programmes de distribution de manuels scolaires et de cantine scolaire étaient plus susceptibles de compter un émigré que les ménages qui n’avaient pas bénéficié de tels programmes.

Les transferts de fonds stimulent aussi l’investissement, mais uniquement en milieu urbain

Les ménages urbains recevant des transferts de fonds sont plus susceptibles d’investir dans l’entreprise et dans l’immobilier que ceux n’en recevant pas, mais ce n’est pas le cas en milieu rural. En conséquence, la progression des transferts de fonds au Burkina Faso pourrait susciter un essor des investissements dans les régions urbaines du pays. Une couverture bancaire plus étendue peut se traduire par davantage de transferts de fonds, dont une plus grande part transite par des circuits officiels. Les données IPPMD montrent que les ménages recevant des transferts de fonds qui n’ont pas accès à un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir ces fonds par le biais d’un canal informel que les ménages ayant accès à un compte bancaire. En outre, les données IPPMD montrent que les ménages qui possèdent un compte bancaire reçoivent des montants plus importants. Non seulement les fonds envoyés via les canaux formels sont plus sûrs pour l’expéditeur et le destinataire, mais ils peuvent, en outre, contribuer au développement du secteur financier et créer des effets multiplicateurs en mettant des ressources à disposition pour financer les activités économiques ce qui, en retour, encourage des investissements plus productifs dans le pays.

La voie à suivre : intégrer les migrations dans les stratégies de développement nationales et sectorielles

Les migrations peuvent être bénéfiques pour le développement économique et social du Burkina Faso, mais leur potentiel n’est pas pleinement exploité. La nouvelle stratégie migratoire adoptée au Burkina Faso représente un formidable pas en avant, mais sa portée peut encore être étendue et approfondie en prenant en considération les interactions entre politiques publiques et migrations dans divers domaines politiques. De plus, un cadre politique plus cohérent entre les ministères et les différents niveaux du gouvernement pourrait permettre de tirer le meilleur parti des migrations et d’éviter les signaux contradictoires. La conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques sectorielles pertinentes en matière de développement doivent tenir compte des migrations. À titre d’exemple :

  • Les agences nationales pour l’emploi pourraient entrer en contact avec les émigrés actuellement à l’étranger, comme avec les migrants rentrés au pays.

  • Les programmes de formation professionnelle pourraient mieux cibler la demande et améliorer son adéquation avec l’offre.

  • Les subventions agricoles pourraient être subordonnées aux récoltes à venir, au lieu d’être versées à l’avance.

  • Les programmes éducatifs pourraient être élaborés dans le but de contribuer au maintien de la scolarisation des enfants et des jeunes dans des régions caractérisées par des taux d’émigration élevés.

  • L’offre de services financiers pourrait être étendue dans les zones rurales.

Toutes ces initiatives pourraient intervenir dans le contexte de la stratégie migratoire nationale, en instituant une révision des stratégies sectorielles auprès de chaque ministère compétent. Plus concrètement, la Direction générale de l’économie et de la planification (Ministère de l’économie et des finances) elle-même, chargée de la coordination de la stratégie migratoire, devrait prendre part aux discussions en cours sur la conception des stratégies nationales touchant, par exemple, aux domaines de l’emploi, du développement agricole, de l’enseignement et la formation professionnelle, ainsi que des services financiers, sur lesquelles s’appuient l’actuelle stratégie nationale de développement – le Plan national de développement économique et social (PNDES) 2016-20 – et ses futures versions.