Résumé

Le Maroc est engagé depuis la fin des années 90 sur une trajectoire de développement stable, cherchant à rejoindre les rangs des pays émergents. La croissance est soutenue – proche de 5 % par an – et moins volatile que par le passé, le déficit public se réduit et l’inflation est maîtrisée, ce qui a permis d’importantes améliorations des conditions de vie des Marocains et le recul de la pauvreté. Le pays a aussi réussi son entrée sur certains marchés internationaux clés, comme l’automobile, aujourd’hui l’un de ses principaux secteurs exportateurs. Sur le plan politique, les retombées du Printemps arabe ont été moins marquées que dans des pays voisins, le fort attachement citoyen au système monarchique et à la personne du Roi ainsi que la refonte de la Constitution en 2011 ayant joué des rôles importants.

Ces solides performances reflètent les orientations du modèle de développement marocain, caractérisé aujourd’hui par quatre aspects fondamentaux. Premièrement, l’État joue un rôle affirmé, avec de forts investissements publics dans les infrastructures économiques et sociales. En deuxième lieu, la recherche de la stabilité est une priorité, qui se traduit par un fort soutien à la demande intérieure, avec des subventions aux prix pour des produits de base et produits pétroliers et des dépenses fiscales orientées sur certains secteurs permettant de créer de l’emploi. Cette stabilité passe aussi par des mécanismes visant à limiter l’influence des sources externes de volatilité (taux de change fixe par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux, développement de système de financement intérieur). Troisièmement, le Maroc a maintenu le choix de l’ouverture économique. Finalement, la politique sociale s’articule entre une politique de logements sociaux urbains et de multiples programmes sociaux pour des populations ciblées, comme l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), outre des subventions énergétiques encore importantes.

Toutefois, le dynamisme du développement marocain est insuffisant pour atteindre l’ambition affichée de rejoindre les pays émergents et, à terme, de converger avec les pays avancés. La croissance est essentiellement portée par un taux d’investissement élevé, au-delà de 30 % du PIB depuis 2005. Une accélération du processus de convergence nécessite une dynamique d’accroissement de la productivité et de transformation structurelle. Celle-ci demeure trop timidement enclenchée malgré d’importantes mutations à l’intérieur des secteurs. Crucial pour porter l’accroissement de la productivité, le secteur de l’éducation présente des faiblesses. Le niveau de scolarité moyen des travailleurs reste en deçà de la norme pour le niveau de développement du pays, et 32 % des Marocains sont considérés comme analphabètes. L’école et la politique sociale, si elles ont contribué à réduire la pauvreté, n’arrivent pas à réduire véritablement les inégalités, en particulier entre zones urbaines et rurales. La situation en matière d’emploi paraît préoccupante, avec un taux de chômage élevé notamment pour les jeunes diplômés du supérieur, une faible participation de la main-d’œuvre (notamment des femmes), et une perte d’emplois dans les secteurs manufacturiers traditionnels que les « métiers mondiaux » du Maroc ne contrecarrent pas. Le déficit commercial peine à se résorber malgré les nombreux accords de libre-échange. Enfin, le poids de la dette publique s’alourdit et le taux d’épargne intérieure baisse malgré le maintien du contrôle des capitaux.

Ces constats reflètent certains déséquilibres du modèle de développement marocain. La dépendance de la croissance à l’accumulation de capital se heurte à des limites de financement malgré un système bancaire solide. Le système de compensation est devenu, en plus d’un instrument de redistribution très imparfait, une charge trop importante pour l’État. Enfin, l’action publique paraît parfois en cohérence insuffisante avec les objectifs de transformation structurelle. Par exemple, les exonérations fiscales favorisent majoritairement des secteurs non productifs tels que l’immobilier.

Des mutations majeures s’opèrent au sein du modèle de développement. La réforme de la compensation, outil de soutien à la demande intérieure, est à un stade avancé. Son achèvement nécessitera la mise en place d’instruments de gestion de la volatilité qui était jadis absorbée par les caisses de l’État. Le Maroc s’oriente par ailleurs vers une flexibilisation de son taux de change et le développement progressif de l’économie verte, notamment à travers l’importance croissante donnée aux énergies renouvelables, qui contribueront à terme aussi à réduire la dépendance énergétique et donc la vulnérabilité macroéconomique du pays.

Le premier volume de l’Examen multidimensionnel du Maroc identifie trois contraintes principales au développement du pays, dont la résolution pourrait également constituer le fondement de cette refonte partielle du modèle de développement : i) les blocages à l’émergence de secteurs compétitifs capables de tirer l’économie marocaine à long terme, ii) les failles du système de formation des compétences, et iii) un besoin de mise en cohérence des politiques publiques.

Malgré des conditions économiques favorables et une forte ouverture commerciale, le Maroc peine à développer des secteurs dynamiques, compétitifs à l’international et à même de générer de l’emploi. Le climat des affaires s’est amélioré mais de nombreux freins entravent encore la compétitivité du secteur privé, tels que la corruption, les difficultés d’obtention des financements ou la concurrence du secteur informel. Ces obstacles ne permettent pas au pays de saisir toutes les opportunités menant à une plus grande diversification de son tissu productif et menacent, à terme, le bon positionnement du Maroc à l’international.

La formation des compétences se trouve également au cœur des défis du Maroc. À l’exception du cycle primaire, l’accès à l’éducation obligatoire peine à se généraliser et les taux de participation au niveau du secondaire sont bas. La faible qualité de l’éducation constitue une préoccupation majeure pour l’acquisition des compétences de base et la lutte contre l’analphabétisme. En outre, les taux de redoublements et de décrochage sont élevés, relativement aux pays similaires. La formation professionnelle publique compte moins d’étudiants que dans des pays comparables et ne répond pas suffisamment aux attentes des employeurs, tandis que les passerelles vers le marché de l’emploi dysfonctionnent. Il semble également que le capital humain ne soit pas assez valorisé, plus de 60 % de la population active occupée n’ayant aucun diplôme.

Enfin, l’efficacité de l’action publique est entravée par un besoin important de mise en cohérence des politiques publiques sectorielles, dans un contexte où il n’existe pas de document de politique générale du développement à long terme pouvant fédérer les différentes actions menées et servir de repère à leur séquençage. D’autre part, les stades d’élaboration et de mise en œuvre des politiques témoignent de peu de coopération et de coordination entre les services du gouvernement et comportent parfois certaines incohérences. Enfin, certains mécanismes de mise en cohérence des stratégies sectorielles sont défaillants : les horizons temporels ne sont pas alignés, les mécanismes d’harmonisation des objectifs n’existent pas, et le système d’évaluation n’est pas développé.