Chapitre 3. Intégrer les migrations et le développement dans les politiques du marché de l’emploi
Le bon fonctionnement des marchés de l’emploi est fondamental pour le développement économique et social des pays. Ce chapitre analyse empiriquement les interactions entre les migrations et les politiques du marché de l’emploi. Il examine la façon dont l’émigration affecte différents secteurs et groupes de compétences, dans quelle mesure l’émigration et les transferts de fonds influent sur l’offre de main d’œuvre des ménages, ainsi que la façon dont les transferts de fonds et les migrations de retour sont liés au travail indépendant. Il s’interroge également sur l’influence de l’immigration sur le marché de l’emploi dans les pays d’accueil. Le chapitre examine ensuite la façon dont les politiques du marché de l’emploi affectent la décision de migrer et la (ré)intégration des immigrés et des migrants de retour en améliorant l’efficacité du marché de l’emploi à travers les agences gouvernementales pour l’emploi et en renforçant l’offre de travail à travers les programmes de formation professionnelle.
Un marché de l’emploi efficace est essentiel pour le développement. Le bon fonctionnement du marché de l’emploi permet aux employeurs de trouver les travailleurs aux compétences adéquates dont ils ont besoin pour mener leurs activités et à tous les travailleurs de recevoir un salaire correspondant à leurs compétences. Au-delà de l’efficacité économique, l’accès de la population à des emplois formels et décents renforce la cohésion sociale. Tel est le contexte dans lequel le Programme de développement durable à l’horizon 2030 (ODD 8.5) a réitéré qu’il est important de « parvenir au plein emploi productif et [de] garantir à toutes les femmes et à tous les hommes [. . .] un travail décent et un salaire égal pour un travail de valeur égale » (NU, 2015).
Toutefois, la situation de l’emploi reste encore très éloignée de ce scénario idéal dans de nombreux pays. La concurrence entre les travailleurs – en particulier les moins qualifiés – dans les pays caractérisés par de fortes pressions démographiques et des marchés de l’emploi informels, l’inadéquation entre le système éducatif et les besoins du marché de l’emploi ainsi que le manque d’informations adéquate poussent souvent les gens à chercher de meilleures opportunités d’emploi à l’étranger. L’existence d’écarts de rémunération les encourage également à s’établir dans des pays offrant des rémunérations plus élevées et, dans certains cas, de meilleures conditions de travail.
Si des marchés de l’emploi dysfonctionnels peuvent encourager la mobilité internationale de la main-d’œuvre, les migrations ont, de leur côté, un impact sur les marchés de l’emploi, dans les pays d’origine comme dans les pays d’accueil, en particulier en ce qui concerne les rémunérations et l’emploi. Dans le même temps, des politiques actives du marché du travail1 (PAMT) peuvent influer de façon positive ou négative sur la décision d’émigrer ou de rentrer au pays et jouer un rôle significatif dans la (ré)intégration des immigrés et des migrants de retour.
C’est pour ces raisons que ce chapitre examine les interactions entre les migrations et les politiques du marché de l’emploi. Tout d’abord, il donne un aperçu des caractéristiques du marché de l’emploi dans les dix pays partenaires du projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD). Il analyse ensuite, dans une deuxième section, la façon dont les différentes dimensions des migrations influent sur les marchés de l’emploi des pays d’origine et d’accueil, puis, dans une troisième section, l’influence des politiques du marché de l’emploi sur les résultats en matière de migrations. Sur la base des conclusions émanant du projet et des politiques suivies dans ces dix pays, ce chapitre se conclut par une série de recommandations concernant les politiques.
Aperçu du marché de l’emploi dans les dix pays partenaires
Les caractéristiques du marché de l’emploi sont très différentes dans les dix pays (graphique 3.1). La taille de la population en âge de travailler varie considérablement selon les pays. En 2015, les Philippines comptaient la plus importante, avec 64 millions de personnes, et l’Arménie la plus faible, avec 2 millions de personnes. Le taux d’activité y varie aussi beaucoup. C’est au Burkina Faso et au Cambodge qu’il est le plus élevé, principalement en raison de la prévalence du travail indépendant, et au Maroc qu’il est le plus faible, en grande partie à cause du faible taux d’activité des femmes. On relève une proportion plus élevée de femmes dans la population active (45-48 %) au Burkina Faso, au Cambodge et en Haïti, les pays partenaires du projet IPPMD les plus pauvres, et en Arménie et en Géorgie, qui possèdent les caractéristiques communes aux pays de l’ex-URSS.
Le taux de chômage diffère également selon les pays (graphique 3.2). L’Arménie connaît le taux de chômage le plus élevé, devant la République dominicaine et la Géorgie. Le chômage est très faible au Cambodge et au Burkina Faso en raison de la proportion élevée de travailleurs indépendants. Les 15-24 ans sont le groupe le plus affecté par le chômage dans la plupart des pays. Le taux de chômage des jeunes dépasse 30 % dans les trois pays où il est le plus élevé. Toutefois, le chômage ne rend toujours pas pleinement compte de la situation. La fréquence du sous-emploi et de l’emploi informel est une autre caractéristique commune à des nombreux pays en développement, caractéristique qui peut être accentuée dans les pays où l’agriculture de subsistance est importante (OCDE, 2009).
L’agriculture représente la part la plus importante de l’emploi au Burkina Faso, au Cambodge, en Côte d’Ivoire et en Géorgie (graphique 3.3). C’est la plus grande source d’emplois au Burkina Faso (84%), mais il s’agit d’agriculture de subsistance pour de nombreuses personnes, ce qui traduit des opportunités limitées en termes d’emploi salarié. La part du secteur agricole dans l’emploi reste significative en Arménie, en Haïti, au Maroc et aux Philippines, bien que le secteur des services soit le premier employeur. C’est au Costa Rica et en République dominicaine, où les services représentent environ 70 % de l’emploi, que la part de l’agriculture est la plus faible. Le graphique 3.3 montre également que les dix pays se situent à des stades différents de la transition entre les économies dominées par l’agriculture et les économies reposant sur les services. De façon générale, la part de l’agriculture dans l’emploi a diminué au cours de la dernière décennie, tandis que celle des services a augmenté.
Comment les migrations influent sur les marchés de l’emploi ?
Les migrations peuvent influer sur le marché de l’emploi de quatre façons :
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L’émigration peut influer sur les niveaux des salaires et sur le chômage en réduisant l’offre de travail. Elle peut aussi signifier une diminution de la main-d’œuvre au niveau national comme au niveau des ménages, ce qui peut freiner la productivité et la croissance.
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Les transferts de fonds peuvent influer sur les décisions liées au travail des membres du ménage qui n’ont pas migré en augmentant le niveau du salaire minimal qu’ils sont prêts à accepter (le « salaire de réserve »), ce qui leur permet de quitter l’emploi salarié ou de créer une petite entreprise.
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Les migrants de retour rapportent avec eux le capital financier, humain et social qu’ils ont accumulé à l’étranger. Ils peuvent, eux aussi, créer des entreprises, d’où la création de nouveaux emplois dans leur pays d’origine.
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L’immigration peut influer sur les salaires et l’employabilité des populations autochtones tout en comblant des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs.
Les secteurs et les groupes de compétences affectés par l’émigration diffèrent selon les pays
L’émigration signifie une diminution de la population globale du pays. Cela signifie aussi une diminution de l’offre de main d’œuvre si les migrants étaient actifs sur le marché de l’emploi avant d’émigrer. En théorie, une baisse significative de cette offre peut entraîner un relâchement de la concurrence sur le marché de l’emploi, ce qui peut se traduire par une augmentation des niveaux des salaires et une baisse du chômage. Cependant, l’effet peut varier selon des caractéristiques des travailleurs qui viennent combler les emplois laissés vacants par les émigrés. Les salaires seront plus élevés pour ceux dont les compétences sont substituables aux compétences des travailleurs qui sont partis, mais plus faibles pour ceux qui ont des compétences complémentaires de celles des autres travailleurs. L’effet de la baisse de l’offre peut être accentué dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre tels que l’agriculture.
Il est possible que l’émigration affecte davantage certains secteurs. Les recherches du projet IPPMD ont examiné cette question pour quatre secteurs essentiels pour l’économie : l’agriculture, le bâtiment, l’éducation et la santé. Le nombre d’émigrés qui ont quitté chacun de ces secteurs a été comparé au nombre de travailleurs restants (tableau 3.2). Les émigrés originaires d’Arménie, du Burkina Faso, du Cambodge, du Costa Rica et d’Haïti semblent venir principalement du secteur agricole. L’émigration affecte particulièrement le secteur de la santé aux Philippines, ce qui illustre la tendance générale observée dans le pays (WHO et al., 2012). En effet, les parties prenantes du projet à Manille ont noté que le secteur de la santé connaît des pénuries de main-d’œuvre considérables, en particulier dans les zones rurales. La plupart des personnes ayant des compétences pertinentes décident de partir pour trouver de meilleures opportunités d’emploi, plutôt de rester sur le marché de l’emploi domestique.
L’émigration de travailleurs très qualifiés a un impact direct sur le marché de l’emploi. Lorsqu’ils sont nombreux à émigrer, cela peut affecter l’économie en entraînant un recul de la productivité. Le projet IPPMD a examiné les modèles d’émigration par catégories professionnelles et niveaux de compétences. Le graphique 3.4 compare le ratio entre le nombre d’émigrés qui ont quitté chaque groupe et le nombre de travailleurs restants dans ce groupe. Il montre que les émigrés originaires de Géorgie, d’Haïti et des Philippines viennent principalement des catégories professionnelles les plus qualifiées. Ce n’est pas le cas pour les autres pays : en Arménie, au Burkina Faso et au Cambodge, l’émigration concerne principalement des travailleurs peu qualifiés.
L’émigration et les transferts de fonds réduisent l’offre de travail des ménages
L’émigration d’un membre d’un ménage affecte les choix en matière d’emploi des membres qu’il laisse derrière lui. Cela peut se traduire de deux façons. Tout d’abord, lorsque le principal soutien d’un ménage émigre, les membres restants peuvent avoir besoin de travailler pour compenser son départ. Cet « effet de perte de main-d’œuvre » peut être accentué dans les zones rurales, qui comptent plus de ménages travaillant dans le secteur agricole que les zones urbaines. La consommation des ménages agricoles, en particulier en cas d’activité de subsistance, est souvent directement liée à la production, ce qui rend d’autant plus nécessaire de remplacer la main-d’œuvre perdue. D’autre part, les migrants transfèrent souvent des fonds à leur famille ; ce revenu peut accroître le revenu global du ménage et, par conséquent, réduire pour ses membres la nécessité de travailler. De façon générale, les études suggèrent que les transferts de fonds ont un effet de revenu significatif sur la diminution de l’offre de travail. Autrement dit, les membres des ménages qui reçoivent des transferts de fonds sont moins susceptibles d’être actifs sur le marché de l’emploi (Kim, 2007 ; Acosta, 2006 ; Hanson, 2005).
L’effet de perte de main-d’œuvre provient du fait que les émigrés sont souvent jeunes et productifs lorsqu’ils quittent leur pays. Dans la plupart des pays pour lesquels on dispose de données, les données du projet IPPMD montrent que plus de la moitié des émigrés qui avaient quitté leur pays dans l’année précédant l’enquête faisaient partie du groupe d’âge des 15-34 ans. La plupart des émigrés étaient également actifs avant leur départ. Le graphique 3.5 compare le pourcentage d’actifs parmi les non-migrants et parmi les personnes venant d’émigrer. Le taux d’emploi était plus élevé chez les personnes venant d’émigrer que chez les non-migrants, et ce, dans tous les pays, sauf en Côte d’Ivoire et en Géorgie. En Géorgie, 67 % des émigrés étaient au chômage avant leur départ, et la plupart d’entre eux faisaient partie de la population en âge de travailler.
Dans quelle mesure les transferts de fonds compensent-ils les pertes de main-d’œuvre dans l’échantillon IPPMD ? S’il est difficile de distinguer les effets purs de la perte de main-d’œuvre de ceux des transferts de fonds reçus, les données IPPMD donnent quelques indications. Le graphique 3.6 compare la proportion moyenne d’actifs dans les ménages non migrants, les ménages migrants qui ne reçoivent pas de transferts de fonds et les ménages migrants qui reçoivent des transferts de fonds. Dans la plupart des pays, c’est dans les ménages qui reçoivent des transferts de fonds d’anciens membres que la proportion d’adultes actifs est la plus faible. Au Burkina Faso et en Haïti, cette proportion est la plus faible dans les ménages migrants qui ne reçoivent pas de transferts de fonds. Au Cambodge et en Côte d’Ivoire, la différence entre les deux groupes de ménages migrants est marginale. Ces quatre pays (sauf Haïti) ont la proportion de ménages agricoles la plus élevée de l’échantillon (voir chapitre 4) ; il se peut qu’ils aient plus de difficultés à remplacer un membre absent.
De nombreux facteurs interviennent dans les décisions des ménages en matière d’offre de main d’œuvre, notamment la taille du ménage, le niveau de scolarité de ses membres et sa richesse. Un modèle de régression a été utilisé pour distinguer les effets de ces facteurs sur les décisions des ménages en la matière2. Les résultats du tableau 3.3 suggèrent que les ménages sont plus susceptibles de réduire leur offre de travail quand ils comptent des membres absents et/ou reçoivent des transferts de fonds. Recevoir des transferts de fonds semble jouer un rôle plus important dans les décisions des ménages en matière d’offre de travail que le fait de compter un membre ayant émigré. Cela n’apparaît pas dans le tableau, mais le montant des transferts de fonds reçus influe aussi sur cette offre lorsqu’on restreint l’échantillon aux ménages recevant des transferts de fonds envoyés par les migrants actuels.
Cependant, l’effet qu’entraîne l’absence d’un membre du ménage peut différer selon l’activité économique du ménage. On observe dans les études que les ménages ruraux dont le revenu principal provient de l’agriculture sont davantage affectés par la perte de main-d’œuvre due à l’émigration (Damon, 2009 ; Démurger et Li, 2012). Afin d’examiner ce point dans l’échantillon, plusieurs régressions ont été effectuées pour les ménages agricoles3 et les ménages non agricoles (tableau 3.4). Elles suggèrent que le fait de compter un émigré en son sein est plus susceptible d’affecter les ménages agricoles que les ménages non agricoles. Au Burkina Faso, par exemple, les ménages agricoles comptant un émigré réduisent leur offre de main-d’œuvre, contrairement aux ménages non agricoles. La réponse diffère également en fonction du sexe : la part des hommes qui travaillent dans les ménages agricoles diminue, tandis que celle des femmes augmente. Plus de 80 % des migrants actuels originaires du Burkina Faso étant des hommes dans l’échantillon IPPMD, il est probablement plus difficile de trouver une main-d’œuvre masculine de substitution dans le ménage. Cela signifie que les femmes restées au pays doivent compenser par leur propre travail. S’ils n’ont pas les ressources financières nécessaires pour embaucher, les ménages agricoles peuvent avoir des difficultés à maintenir leurs niveaux de production. Les transferts de fonds peuvent permettre aux ménages d’embaucher un supplément de main-d’œuvre, mais cela peut être impossible si, dans le même temps, le marché de l’emploi est inefficace.
Les transferts de fonds peuvent stimuler le travail indépendant
Le travail indépendant est chose courante dans les pays en développement, en particulier là où l’agriculture joue un grand rôle sur le marché de l’emploi. Le travail indépendant peut paraître précaire en raison des revenus habituellement inférieurs à ceux du travail salarié qu’il procure et de l’accès limité à la protection sociale qu’il permet. Cependant, il peut offrir le moyen de surmonter la pauvreté et s’avère dans de nombreux cas comme l’unique option pour gagner un revenu (Fields, 2014). De tous les pays partenaires du projet IPPMD, c’est le Burkina Faso qui compte le plus de travailleurs indépendants, devant la Côte d’Ivoire, le Cambodge et Haïti (graphique 3.7). Un examen plus poussé des secteurs d’activité économique pour lesquelles des données sont disponibles révèle que le travail indépendant agricole représente 76 % de tous les travailleurs indépendants au Cambodge et 61 % au Burkina Faso. En Haïti, en revanche, les professions agricoles représentent seulement 10 % des travailleurs indépendants. Il semble que les microentreprises telles que les vendeurs à l’étal et sur les marchés représentent plus de 50 % du travail indépendant en Haïti.
Les transferts de fonds accroissent le revenu des ménages. Non seulement ils peuvent contribuer à satisfaire les besoins de consommation de base et à réduire la pauvreté (Acosta et al., 2008 ; Adams et Page, 2005), mais ils peuvent aussi stimuler le travail indépendant et fournir aux membres du ménage restés au pays les fonds nécessaires pour créer une entreprise (Mesnard, 2004 ; Dustmann et Kirchkamp 2002 ; Woodruff et Zenteno, 2007 ; Yang, 2008). Cette section se concentre sur le lien entre les transferts de fonds et le travail indépendant ; l’influence des transferts de fonds sur les entreprises commerciales sera examinée plus en détail au chapitre 6. Dans la plupart des pays, les ménages qui reçoivent des transferts de fonds comptent une proportion de travailleurs indépendants plus élevée que les ménages qui n’en reçoivent pas (graphique 3.8). La différence est statistiquement significative en Arménie, au Burkina Faso, au Cambodge, au Maroc et aux Philippines.
Un cadre de régression a été utilisé pour analyser plus en détail le lien entre les transferts de fonds et le fait d’être travailleur indépendant. Les estimations probit ont été effectuées en tenant compte des caractéristiques individuelles et des ménages4. Les résultats montrent qu’en Arménie, au Costa Rica, en Côte d’Ivoire, en Géorgie et en Haïti, les individus sont plus susceptibles d’être travailleurs indépendants lorsqu’ils font partie d’un ménage qui reçoit des transferts de fonds (tableau 3.5). Cependant, les résultats des pays du Caucase diffèrent lorsque les données de l’échantillon sont ventilées par sexe et lieu de résidence des ménages. En Arménie, les femmes vivant dans les zones rurales sont plus susceptibles d’être travailleurs indépendants. En fait, dans les ménages ruraux arméniens, quatre émigrés sur cinq sont des hommes, ce qui amène les femmes à devenir le principal soutien de famille dans les zones rurales. Dans les zones rurales de Géorgie, en revanche, les hommes sont plus susceptibles que les femmes d’être travailleurs indépendants dans les ménages qui reçoivent des transferts de fonds.
Les autres pays ne présentent pas de résultats similaires, mais aucune observation n’indique que les transferts de fonds sont liés à des taux de travail indépendant plus faibles. La seule exception concerne les femmes dans les zones rurales en République dominicaine, qui semblent moins susceptibles d’être travailleurs indépendants dans les ménages recevant des transferts de fonds. La part de femmes excerçant un travail indépendant dans les zones rurales de République dominicaine est de manière générale considérablement inférieure à celle des hommes vivant dans les mêmes zones. Ceci semble indiquer qu’il existe pour les femmes une tendance générale consistant à se tenir à l’écart du travail indépendant et avec les transferts de fonds, la nécessité de participer à une activité génératrice de revenus supplémentaires peut être encore moindre. D’autres études ont mis en évidence une forte baisse des revenus réels chez les femmes qui sont travailleurs indépendants en République dominicaine (Abdullaev et Estevão, 2013), ce qui a pu les inciter à abandonner le travail indépendant dès que le ménage reçoit des transferts de fonds.
En général, la probabilité d’être travailleur indépendant est plus élevée dans les ménages qui reçoivent des transferts de fonds. Il convient toutefois de préciser que le travail indépendant n’est pas automatiquement synonyme de création d’entreprise et d’emplois supplémentaires. Dans de nombreux cas, le travail indépendant peut impliquer seulement un individu ou des membres de sa famille proche, et n’a par conséquent qu’un impact limité sur le marché de l’emploi.
Les migrations de retour peuvent stimuler le travail indépendant
Lorsqu’ils rentrent au pays, les migrants de retour ont souvent amassé du capital financier et humain. Les économies accumulées à l’étranger peuvent les aider à financer activités entrepreneuriales et travail indépendant. La tendance des migrants de retour à être travailleurs indépendants et à créer des entreprises est de plus en plus attestée (De Vreyer et al., 2010 ; Ammassari, 2004). Les données IPPMD indiquent que, dans tous les pays étudiés, sauf le Cambodge et Haïti, les migrants de retour sont plus susceptibles d’être travailleurs indépendants que les non-migrants (graphique 3.9). En Arménie, au Costa Rica et aux Philippines, la probabilité d’être travailleur indépendant est de 7 % à 10 % plus élevée pour les migrants de retour. Au Cambodge, cependant, les migrants de retour sont moins susceptibles de l’être.
Il arrive que les migrants de retour aient déjà été travailleurs indépendants avant leur migration ou qu’ils aient envisagé l’émigration comme une stratégie pour créer une entreprise ou devenir travailleurs indépendants. En fait, leur situation et leurs caractéristiques individuelles préalables à la migration, notamment leurs compétences et leur situation d’emploi avant leur départ, accroissent la probabilité que les migrants de retour deviennent entrepreneurs (Hamdouch et Wahba, 2012). En comparant la situation d’emploi actuelle des migrants de retour avec leur situation d’emploi avant leur migration, on constate que la proportion de travailleurs indépendants a augmenté dans la plupart des pays, sauf au Cambodge, en Haïti et au Maroc (graphique 3.10).
Les études montrent que les non-migrants vivant dans des ménages comptant des migrants de retour peuvent également être plus susceptibles d’être travailleurs indépendants, ce qui contribue à la création d’opportunités d’emploi sur le marché de l’emploi (Giulietti et al., 2013 ; Démurger and Xu, 2011 ; Piracha et Vadean, 2009). Le graphique 3.11 illustre le rapport entre les ménages comptant un travailleur indépendant selon qu’il s’agisse d’un ménage avec ou sans migrant de retour. Dans tous les pays, sauf le Cambodge, la Côte d’Ivoire et Haïti, la proportion de travailleurs indépendants est plus élevée dans les ménages comptant des migrants de retour. Les régressions probit prenant en compte les autres caractéristiques individuelles et des ménages montrent, pour l’Arménie et le Costa Rica, une corrélation entre le fait qu’un ménage compte un migrant de retour et la présence en son sein de travailleurs indépendants. Le lien était cependant négatif pour le Cambodge5.
Les migrants de retour ont un éventail de compétences différent
Les compétences acquises par les migrants de retour pendant leur migration peuvent enrichir l’éventail des compétences dans leur pays d’origine. Le graphique 3.12 compare la composition des compétences professionnelles des migrants de retour et des non-migrants en se fondant sur la classification de l’OIT décrite plus haut au graphique 3.4 (OIT, 2012). Le graphique 3.12 montre que cette composition varie entre les deux groupes dans chaque pays, mais ne révèle pas de tendances générales communes à tous les pays.
En Arménie, au Burkina Faso, au Cambodge et en Géorgie, les migrants de retour sont proportionnellement plus nombreux que les non-migrants à exercer des professions peu qualifiées. Ce phénomène s’explique en partie par le fait que la plupart des migrants originaires de ces pays étaient peu qualifiés avant leur départ (sauf pour la Géorgie, comme l’illustre le graphique 3.4). Les emplois qu’ils occupaient dans le pays d’accueil avaient souvent le même niveau de compétences que ceux qu’ils occupaient dans leur pays d’origine, voire un niveau inférieur. Il leur était difficile d’accéder à des emplois hautement qualifiés dans le pays d’accueil en raison de leur manque de qualifications avant d’émigrer. De plus, pendant qu’ils étaient à l’étranger, seul un très petit nombre de migrants de l’échantillon ont suivi un enseignement quelconque ou participé à des programmes de formation professionnelle. Moins de 10 % des migrants de retour de l’enquête sur ces pays ont dit avoir suivi un enseignement dans leur pays d’accueil (1 % pour le Cambodge) (chapitre 5).
En revanche, au Costa Rica, en Haïti et aux Philippines, les migrants de retour sont proportionnellement plus nombreux que les non-migrants à exercer des professions hautement qualifiées. Il est possible que ces personnes aient quitté des emplois hautement qualifiés lorsqu’elles ont émigré, en particulier dans le cas d’Haïti et des Philippines (graphique 3.4). Comme le confirment aussi les données IPPMD, la proportion des migrants de retour à avoir suivi un enseignement dans leur pays d’accueil était plus élevée pour ceux originaires du Costa Rica (24 %), de la République dominicaine (28 %) et d’Haïti (19 %). Quant à savoir si les compétences acquises par les migrants de retour pourront être utilisées de façon productive, cela dépend de plusieurs facteurs, notamment leur expérience migratoire et la transférabilité de ces compétences sur le marché de l’emploi de leur pays d’origine.
L’immigration constitue une source importante de main-d’œuvre et peut combler des pénuries dans certains secteurs
Les immigrés sont une source importante de main-d’œuvre dans un nombre croissant de pays en développement. L’immigration est souvent vue comme un facteur négatif par les populations autochtones, qui craignent qu’elle tire les salaires vers le bas ou réduise les opportunités d’emploi. Mais, de façon générale, les études confirment que l’immigration n’a qu’un faible impact sur les salaires et les taux d’emploi des travailleurs autochtones (Altonji et Card, 1991 ; Dustmann et al., 2013 ; Longhi et al., 2005). Certaines études empiriques ont révélé un impact légèrement négatif sur le niveau de salaire de travailleurs autochtones peu qualifiés (Camarota, 1998 ; Orrenius et Zavodny, 2003). L’essentiel de la littérature dans ce domaine repose toutefois sur les recherches portant sur les pays de l’OCDE (Facchini et al., 2013; Gindling, 2008). L’impact de l’immigration peut être différent dans les pays en développement en raison de différences structurelles et de différences dans la composition des populations immigrantes.
Les données IPPMD au Burkina Faso, au Costa Rica, en Côte d’Ivoire et en République dominicaine sont suffisantes pour permettent d’analyser la façon dont l’immigration affecte le marché de l’emploi de ces pays (chapitre 2). Les immigrés représentent 4% du total de la population active au Burkina Faso, 28% au Costa Rica, 20% en Côte d’Ivoire et 21% en République dominicaine selon les enquêtes IPPMD. La plupart des immigrés sont en âge de travailler et sont actifs dans l’économie de leur pays d’adoption. La plupart d’entre eux ont émigré pour trouver de meilleures opportunités d’emploi. Les immigrés du groupe d’âge des 15-44 ans représentent environ 74 % de l’ensemble des immigrés adultes au Burkina Faso, 47 % au Costa Rica, 40 % en Côte d’Ivoire et 64 % en République dominicaine. Dans ces pays, à l’exception du Burkina Faso, la proportion d’actifs est plus élevée dans l’ensemble de la population immigrée que dans la population autochtone (graphique 3.13). Au Burkina Faso, les immigrés ont des caractéristiques qui sont similaires à celles des migrants de retour, plutôt qu’à celles des immigrés d’autres pays, parce que la plupart d’entre eux ont des parents burkinabés (chapitre 11).
Les immigrés sont plus susceptibles de se concentrer dans certains secteurs et industries (Patel et Vella, 2007 ; Kerr et Mandorff, 2015). Le tableau 3.6 indique, selon les données IPPMD, le pourcentage d’immigrés dans l’ensemble des travailleurs de quatre secteurs – agriculture, bâtiment, éducation et santé – au Burkina Faso, au Costa Rica et en République dominicaine. Au Burkina Faso, la proportion d’immigrés est plus importante dans l’éducation et la santé que dans l’agriculture et le bâtiment : cela s’explique principalement par les différents profils de scolarité et de compétences des immigrés dans ce pays. Au Costa Rica et en République dominicaine, en revanche, l’agriculture et le bâtiment sont très dépendants des travailleurs immigrés : en leur absence, ces secteurs connaîtraient des pénuries de main-d’œuvre. Les entrevues avec les parties prenantes ont révélé des préoccupations liées à la construction du canal du Nicaragua : si ces emplois sont bien rémunérés et offrent de bonnes conditions de travail, de nombreux travailleurs du bâtiment nicaraguayens employés au Costa Rica pourraient quitter leur emploi pour aller y travailler, entraînant ainsi une pénurie de main-d’œuvre.
Un examen plus précis des compétences professionnelles des immigrés au Costa Rica et en République dominicaine montre que la plupart d’entre eux occupent des emplois exigeant de faibles niveaux de compétences (graphique 3.14). Les immigrés peuvent être contraints d’accepter des emplois peu qualifiés et des salaires plus faibles que les travailleurs autochtones en raison de leur accès limité au marché de l’emploi. Ceux qui sont en situation irrégulière au regard des lois sur l’immigration sont en particulier plus susceptibles d’accepter de mauvaises conditions d’emploi et ceci peut négativement affecter les opportunités d’emploi et les niveaux de salaire des travailleurs autochtones.
Comment les politiques du marché de l’emploi influent sur les migrations ?
La section précédente montre que les migrations affectent le marché de l’emploi de différentes façons. Dans le même temps, les migrations peuvent également être affectées par les politiques du marché de l’emploi mises en œuvre au niveau national. Les politiques du marché de l’emploi tentent de créer un équilibre entre un degré de flexibilité convenable et la mise à disposition des protections nécessaires aux travailleurs. Plusieurs instruments politiques, tels que la politique salariale, la législation protégeant les travailleurs, l’assurance chômage et d’autres avantages ainsi que diverses politiques actives du marché du travail (PAMT) destinées à aider les chômeurs sont habituellement utilisés afin d’améliorer les résultats sur le marché de l’emploi. Ces politiques visent essentiellement le secteur formel, ce qui signifie que leur interaction avec le secteur informel est moins évidente à établir.
En améliorant la situation des ménages vis-à-vis de l’emploi, des politiques du marché de l’emploi efficaces peuvent avoir une influence indirecte sur leurs décisions au sujet de l’émigration. Les données IPPMD confirment que c’est pour des raisons liées à l’emploi que la plupart des émigrés actuels ont décidé de partir. Des instruments de politique qui améliorent le marché de l’emploi domestique peuvent donc également réduire l’incitation à émigrer. Les politiques du marché de l’emploi étudiées par le projet IPPMD peuvent être mises en place par le biais de plusieurs instruments et avec des objectifs différents :
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Les agences gouvernementales pour l’emploi peuvent contribuer à améliorer l’efficacité du marché de l’emploi.
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De nombreux pays étendent la portée de la formation professionnelle afin de renforcer leur offre de travail.
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Enfin, des programmes d’emplois publics sont souvent adoptés afin d’accroître la demande de travail.
À ce jour, il n’existe pas de recherches sur l’impact de ces politiques du marché de l’emploi sur les migrations. Cette section vise à débrouiller la relation entre ces politiques et la décision d’émigrer, la réintégration des migrants de retour et l’intégration des immigrés sur le marché de l’emploi.
L’enquête sur les ménages du projet IPPMD a permis de demander aux membres adultes des ménages s’ils bénéficiaient de certains programmes et politiques du marché de l’emploi (énumérés dans le graphique 3.15).
L’enquête sur les communautés a permis de collecter des informations sur l’accès des communautés à des centres de formation professionnelle et à des agences pour l’emploi. Elle s’est également penchée sur la question de savoir si certains types de programmes de formation étaient mis en œuvre dans les communautés et si des programmes d’emplois publics leur avaient été offerts.
← 1. L’Arménie a supprimé ces indemnités en 2013 dans le but de renforcer les programmes de formation professionnelle.
Les agences gouvernementales pour l’emploi tendent à réduire les flux d’émigration
Des services d’emploi efficaces devraient aider les demandeurs d’emploi à trouver des emplois adéquats et permettre aux employeurs de combler leurs besoins. Le but des agences gouvernementales pour l’emploi est d’améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi en fournissant des informations sur l’économie et le marché de l’emploi intérieur, notamment les opportunités d’emploi. Il existe des agences gouvernementales pour l’emploi dans tous les pays partenaires du projet IPPMD, sauf Haïti. Ces agences diffèrent en termes de taille des institutions responsables, de zone géographique couverte, de plateformes d’échange d’informations, d’efficacité et de notoriété auprès du public. Leur taux d’utilisation par les répondants de l’enquête IPPMD est généralement faible, entre 1 % en Maroc et 5 % en Géorgie.
Si ces agences leur offrent la possibilité de trouver un emploi sur le marché de l’emploi domestique, les individus peuvent décider de rester dans leur pays plutôt que de s’expatrier pour chercher du travail à l’étranger. L’enquête montre que dans la plupart des pays, à l’exception de la Géorgie et du Maroc, la proportion de personnes ne prévoyant pas d’émigrer est plus élevée chez les personnes ayant trouvé du travail grâce aux agences gouvernementales pour l’emploi que chez celles pour qui ce n’a pas été le cas. (graphique 3.16). Les caractéristiques individuelles des répondants jouent évidemment un rôle. Bon nombre d’entre eux ont un niveau d’instruction élevé (sauf au Cambodge) et occupent un emploi public, ce qui est vu comme une profession sûre. En moyenne, 77 % d’entre eux travaillent dans le secteur public ; au Burkina Faso, 90 % de ceux qui ont trouvé un emploi grâce à des agences de ce type travaillent dans le secteur public. Ils sont également plus susceptibles de faire partie d’un ménage sans émigrés actuels. Dans tous les pays, une proportion nettement plus élevée d’entre eux vivent dans des ménages ne comptant absolument aucun émigré (quoique la différence soit marginale aux Philippines).
Il convient toutefois de noter qu’il faut des informations plus poussées, par exemple savoir quand ils ont bénéficié des services de ces agences, pour être en mesure d’établir un lien de causalité entre les agences gouvernementales pour l’emploi et les décisions des ménages en matière d’émigration.
Dans tous les pays, le taux d’utilisation des agences gouvernementales pour l’emploi par les migrants de retour avoisine zéro. La plupart des migrants de retour (hormis au Costa Rica) soit ne sont pas actifs sur le marché de l’emploi, soit sont travailleurs indépendants. Le fait qu’ils ne passent pas par ces agences peut en partie expliquer la propension des migrants de retour à être travailleurs indépendants. Dans ce cas, choisir d’être travailleur indépendant peut être une solution de dernier recours.
L’utilisation par les immigrés des agences gouvernementales pour l’emploi des pays d’accueil est nulle ou presque (hormis au Burkina Faso), même si les immigrés ont accès à ces services dans la plupart des pays. Lorsqu’ils cherchent un emploi, la plupart des immigrés comptent généralement davantage sur leurs propres réseaux que ne le font les populations autochtones. Les agences gouvernementales pour l’emploi peuvent jouer un rôle pour améliorer l’intégration des immigrés sur le marché de l’emploi et renforcer leur contribution potentielle à l’économie.
La formation professionnelle peut favoriser l’émigration
La formation professionnelle est devenue une composante clé de la stratégie du marché de l’emploi dans de nombreux pays en développement. Étant donné l’intégration croissante de l’économie mondiale et la rapidité des changements technologiques, il est important d’acquérir de nouvelles compétences dans tous les secteurs pour s’adapter aux demandes du marché. Le taux de participation aux programmes de formation professionnelle au cours des cinq dernières années varie selon les pays du projet IPPMD (graphique 3.17). C’est au Costa Rica que cette participation est la plus élevée (12 % de la main-d’œuvre couverte par l’enquête) et au Maroc qu’elle est la plus faible (1 %). En Arménie, au Costa Rica, en République dominicaine et en Haïti, les femmes sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les hommes à avoir participé à des programmes de formation professionnelle.
Les programmes de formation professionnelle peuvent avoir différents effets en termes de migration. Comme ils améliorent les qualifications des travailleurs, ceux-ci peuvent trouver de meilleurs emplois sur le marché de l’emploi domestique, d’où une incitation plus faible à émigrer. D’autre part, la formation professionnelle peut aussi améliorer l’employabilité à l’étranger des migrants potentiels. Le graphique 3.18 compare l’intention d’émigrer des personnes actives et au chômage selon qu’elles ont ou non pris part à une formation professionnelle. Dans la plupart des pays, la proportion de personnes qui prévoient d’émigrer est plus élevée parmi celles qui ont participé à un programme de formation professionnelle. L’Arménie et le Cambodge font figure d’exception concernant cette question. Comme illustré précédemment par le graphique 3.4, la propension à émigrer est plus forte dans les catégories professionnelles faiblement qualifiées que dans celles hautement qualifiées dans ces pays. Dans ce contexte la formation professionnelle peut avoir un effet bénéfique sur la mobilité professionnelle et réduire les incitations à chercher un autre emploi à l’étranger.
La régression suggère également que des personnes peuvent participer à des programmes de formation professionnelle dans le but de trouver un emploi à l’étranger. Les estimations probit ont permis d’analyser ce lien en tenant compte d’autres caractéristiques individuelles et des ménages6. Elles mettent en évidence une relation positive statistiquement significative en République dominicaine, en Haïti et aux Philippines (tableau 3.7). L’effet de la formation professionnelle sur les décisions en matière de migration peut dépendre de ses résultats sur le marché de l’emploi. Si la formation ne débouche pas sur le bon emploi ou un revenu plus élevé, cela peut renforcer l’incitation à se retirer du marché de l’emploi domestique et à chercher d’autres emplois à l’étranger.
Si la formation professionnelle a un impact positif sur le revenu des participants, la différence de revenu pourrait être utilisée pour aider un autre membre du ménage à émigrer. Le tableau 3.7 montre également qu’au Burkina Faso, au Costa Rica, en République dominicaine, en Haïti, au Maroc et aux Philippines, les ménages dont un membre a participé à une formation professionnelle sont plus susceptibles de compter en leur sein un membre qui prévoit d’émigrer dans l’avenir.
Les programmes de formation professionnelle peuvent servir de vecteur de (ré)intégration pour les migrants de retour et les travailleurs immigrés. Retourner sur le marché de l’emploi de leur pays d’origine exige pour certains migrants de retour d’acquérir de nouvelles compétences : les programmes de formation peuvent les aider à développer ces compétences ainsi qu’à trouver un emploi. La plupart des immigrés occupent des emplois peu qualifiés dans les pays d’accueil, comme le montre le graphique 3.14 (voir ci-dessus). À cet égard, donner aux migrants de retour comme aux immigrés l’opportunité de renforcer leurs compétences en participant à des programmes de formation professionnelle peut les aider à trouver un emploi correspondant mieux à leur niveau de scolarité et de compétences, et accroître ainsi leur contribution potentielle à l’économie, dans les pays d’origine comme dans les pays d’accueil.
Les programmes d’emplois publics ont un impact limité sur les migrations
Il existe des programmes d’emplois publics (PEP) dans tous les pays, avec des objectifs multiples et des priorités différentes. Certains pays ont adopté des PEP pour accroître la demande globale de travail et compléter la création d’emploi dans le secteur privé. Dans d’autres contextes, les PEP font office de filet de sécurité sociale, en particulier pour les pauvres et les personnes vulnérables. Par exemple, les programmes « paiement contre travail » et « nourriture contre travail » ciblent souvent les ménages proches du seuil de pauvreté afin de leur fournir un revenu minimum en contrepartie d’un travail temporaire. Dans certains cas, les gouvernements recourent aux PEP à la suite d’une catastrophe naturelle ou à titre de mécanismes d’urgence.
L’enquête IPPMD révèle un ratio de participation aux PEP très limité. Le taux de participation était d’environ 1 %, et même moins, dans la plupart des pays, à l’exception d’Haïti et du Cambodge. C’est en Haïti que le taux de participation était le plus élevé (4 % de la population active), devant le Cambodge (3 %). Haïti a mis en place des PEP dans le contexte post-catastrophe qui a suivi le tremblement de terre de 2010 : il s’agissait principalement de projets « paiement contre travail » et de projets d’« enlèvement de décombres », qui étaient dans leur phase finale au moment de l’enquête. Au Cambodge, des PEP ont été mis en œuvre dans le but de mieux intégrer les pauvres et les personnes vulnérables dans les marchés de l’emploi locaux, pour la plupart dans des zones rurales.
Comment les PEP influencent-ils les décisions des ménages en termes de migration ? Les PEP peuvent soit renforcer les incitations à émigrer, soit les réduire, selon l’effet du revenu supplémentaire sur les ménages. Lorsque les PEP améliorent les opportunités d’emploi local, cela peut réduire les incitations à émigrer, car le coût d’opportunité de l’émigration augmente. Dans les zones rurales, en particulier, les PEP visant à soutenir les travailleurs agricoles durant la morte saison peuvent offrir une alternative aux migrations saisonnières. D’autre part, le revenu supplémentaire reçu peut encourager l’émigration. Globalement, l’impact des PEP sur les migrations dépend de trois facteurs fondamentaux :
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Durée : En règle générale, les PEP n’offrent que des emplois à court terme. Dans la plupart des pays, la durée de ces emplois atteint habituellement quelques semaines, plutôt que quelques mois. La décision des bénéficiaires d’émigrer ne devrait pas en être grandement affectée. Dans le même temps, la brièveté des PEP limite l’effet qu’ils pourraient avoir en procurant aux migrants potentiels les ressources dont ils ont besoin pour partir.
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Ampleur : Très peu de PEP offrent une garantie d’emploi aux personnes admissibles, et, en toute hypothèse, ces programmes sont chaque année limités à la saison creuse7. Ce type de programmes s’adressant à un nombre de personnes potentiellement très élevé, et la plupart des gouvernements n’ayant pas les moyens de les mettre en œuvre partout où ils sont nécessaires, leur capacité à réduire les incitations à émigrer reste faible.
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Niveau de revenu : Comme c’est souvent le niveau de revenu, plutôt que la disponibilité de l’emploi, qui motive la décision d’émigrer des individus, les PEP ont peu de chance d’avoir un impact majeur en la matière. Dans le meilleur des cas, ces programmes procurent un salaire équivalent au salaire qui prévaut pour le travail non qualifié (habituellement agricole) dans la région qu’ils couvrent. Mais il est plus fréquent que ce salaire soit fixé à un niveau inférieur afin d’étendre la couverture du programme, de limiter les distorsions sur le marché de l’emploi domestique ou encore de s’assurer que seules postulent les personnes qui en ont le plus besoin (mécanisme d’auto-sélection).
Une analyse plus poussée a été menée pour Haïti et le Cambodge afin d’étudier le lien entre la participation aux PEP et les décisions des ménages en matière de migration. Dans le cas d’Haïti, les résultats de la régression montraient que les ménages bénéficiant de tels programmes sont plus susceptibles de compter un membre qui a l’intention d’émigrer. Cependant, aucun élément probant ne suggérait que cette intention allait se traduire concrètement. Les données descriptives de l’enquête sur les communautés menée au Cambodge suggèrent que les PEP peuvent être positivement corrélés avec l’émigration : la proportion de ménages comptant des émigrés est en effet plus importante dans les communautés bénéficiant de tels programmes que dans celles n’en bénéficiant pas.
Recommandations de politiques
Le bon fonctionnement des marchés de l’emploi est essentiel pour le développement économique et social d’un pays. Si les caractéristiques des marchés de l’emploi diffèrent selon les pays du projet IPPMD, elles semblent dans tous les cas être étroitement liées aux migrations. Dans l’optique du développement du pays, ce chapitre invite les gouvernements à prendre en compte les migrations quand ils élaborent des politiques du marché de l’emploi.
Selon l’ampleur des pertes de main-d’œuvre qu’entraîne pour eux l’émigration, certains secteurs et groupes de compétences peuvent connaître des pénuries de main-d’œuvre tandis que d’autres peuvent bénéficier d’une concurrence moins marquée. De façon générale, l’émigration et les transferts de fonds se traduisent également par une baisse de l’offre de main d’oeuvre de la part des ménages. Néanmoins, il s’avère que les migrations contribuent au marché de l’emploi en stimulant le travail indépendant, phénomène que soutiennent les transferts de fonds et les capitaux que rapportent avec eux les migrants de retour. Les compétences professionnelles acquises par les migrants de retour dans les pays où ils ont résidé peuvent également contribuer à enrichir l’éventail de compétences du marché de l’emploi domestique. De même, les immigrés constituent une importante source de main-d’œuvre pour certains secteurs de l’économie.
Les migrations sont également affectées par les politiques du marché de l’emploi. Ce chapitre a examiné la façon dont différentes politiques actives du marché de l’emploi peuvent influencer la décision d’émigrer et la (ré)intégration des migrants de retour comme des immigrés. Les données et l’analyse ont montré qu’il existe plus d’un lien entre les politiques du marché de l’emploi et la décision d’émigrer. Les agences gouvernementales pour l’emploi peuvent aider les individus à rester au pays, plutôt que de s’expatrier pour chercher du travail à l’étranger, en améliorant l’efficacité du marché de l’emploi et en facilitant leur accès au marché de l’emploi domestique. D’autre part, en les dotant de compétences qui sont davantage utilisables à l’étranger, les programmes de formation professionnelle peuvent encourager les individus à émigrer. C’est le cas lorsque ces programmes ne répondent pas aux besoins du marché de l’emploi. Quant à l’impact que peuvent avoir les programmes d’emplois publics (PEP) sur les migrations, il dépend de facteurs tels que la durée de ces programmes, leur ampleur et le niveau de revenu qu’ils offrent.
Des politiques doivent être adoptées pour s’attaquer aux effets négatifs potentiels des migrations sur le marché de l’emploi, tout en tirant parti au mieux de leurs effets positifs. Dans le même temps, les politiques du marché de l’emploi devraient, dans leur conception même, tenir compte des migrations.
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Notes
← 1. Les politiques actives du marché du travail (PAMT) définies par l’OCDE recouvrent toutes les dépenses sociales (hors éducation) destinées à augmenter les chances de leurs bénéficiaires de trouver un emploi rémunérateur ou tout du moins d’augmenter leur capacité de revenus. Ces politiques incluent les dépenses consacrées à l’administration et aux services publics de l’emploi, la formation liée au marché de l’emploi, les programmes spéciaux destinés aux jeunes effectuant la transition de l’école à l’emploi, les programmes du marché de l’emploi destinés à fournir du travail aux personnes sans emploi et autres ou à favoriser l’emploi de ces personnes (à l’exclusion des jeunes et des personnes handicapées) et les programmes spéciaux dédiés aux personnes handicapées. https://stats.oecd.org/glossary/detail.asp?ID=28
← 2. L’analyse prend en compte les aspects suivants : taille du ménage, proportion de personnes à charge, ratio hommes-femmes, niveau moyen de scolarité, richesse du ménage et situation géographique (zone rurale/urbaine). Des effets fixes ont été appliqués aux différentes régions.
← 3. Dans le cadre de l’enquête IMPP, les ménages sont dits agricoles lorsqu’ils cultivent des terres et/ou élèvent du bétail (voir chapitre 4).
← 4. L’analyse prend en compte l’âge, le sexe et le niveau de scolarité des individus. Au niveau des ménages, les variables de contrôle comprennent la taille du ménage, la proportion de personnes à charge, la richesse du ménage et la situation géographique (zone rurale/urbaine). Des effets fixes ont été appliqués aux différentes régions.
← 5. Pour plus de détails, voir les rapports par pays.
← 6. L’analyse prend en compte l’âge, le sexe, le niveau de scolarité et la situation d’emploi des individus. Au niveau des ménages, les variables de contrôle comprennent la taille du ménage, la proportion de personnes à charge, la richesse du ménage, la situation géographique (zone rurale/urbaine) et le fait que le ménage compte ou non un émigré au sein. Des effets fixes ont été appliqués aux différentes régions.
← 7. C’est le cas de la Mahatma Gandhi National Rural Employment Guarantee (Programme national de garantie de l’emploi rural) en Inde ainsi que du Productive Safety Net Programme (Programme de protection des moyens de production) en Éthiopie.