Résumé

Depuis la fin des années 80, le concept de « responsabilité élargie des producteurs » (REP) s’est imposé comme principe de politique environnementale dans un nombre croissant de pays. En vertu de ce principe, les producteurs assument la responsabilité des incidences environnementales de leurs produits tout au long de la chaîne de produit, de la conception jusqu’aux phases situées en aval de la consommation. L’idée était, en appliquant ce principe, d’alléger la charge que représente pour les communes et les contribuables la gestion des produits en fin de vie, de réduire la quantité de déchets destinée à une élimination finale et d’accroître les taux de recyclage.

L’OCDE a offert aux pays une plateforme d’échange et publié en 2001 un Manuel destiné à promouvoir le développement des filières à REP (OCDE, 2001). Depuis 2001, les systèmes de REP se sont considérablement multipliés et diversifiés. Il est donc temps de passer en revue les expériences récentes, sachant par ailleurs que la REP pourrait jouer un rôle positif en faveur de l’amélioration de la productivité des ressources et dans l’économie circulaire, deux dossiers qui occupent actuellement une place de premier plan dans les programmes d’action environnementale de nombreux pays. Dans une première partie, ce rapport fournit une mise à jour de l’orientation sur la responsabilité élargie des producteurs, en se basant sur le Manuel de 2001 et dans la perspective des développements et des leçons tirées depuis. Dans une deuxième partie, ce rapport rassemble quatre défis (sélectionnés) pour la REP et les examine en détail.

Évolution et impacts des systèmes de REP

Selon une étude récente, quelque 400 systèmes de REP fonctionnent actuellement, dont près des trois-quarts ont été mis en place depuis 2001. Ces dispositifs ont souvent été imposés par la législation et la plupart semblent être obligatoires et non librement choisis. Les petits appareils électroniques de consommation comptent pour plus d’un tiers de ces systèmes, suivis par les emballages et les pneus usagés (17 % chacun), les véhicules hors d’usage, les batteries au plomb et divers autres produits. Les programmes d’obligation de reprise, appliqués sous diverses formes, sont les instruments les plus fréquemment utilisés et représentent près des trois quarts des dispositifs étudiés. Les redevances d’élimination préalables et les systèmes de consigne comptent grosso modo pour le reste. Bien que, des entreprises se soient dotées dans certains cas de leur propre dispositif, la plupart du temps, les producteurs ont mis en place des systèmes de REP collectifs gérés par des organisations de producteurs responsables (OPR ou éco-organismes).

L’impact des systèmes de REP est difficile à évaluer, pour plusieurs raisons : les données sont très insuffisantes, les analyses ont du mal à distinguer l’impact de ces systèmes de celui d’autres facteurs et la très grande diversité des systèmes de REP limite les possibilités de comparaison. Malgré ces réserves, on a des raisons de penser que dans certains pays ces systèmes ont permis de transférer vers les producteurs une partie des coûts de gestion des déchets précédemment assumés par les communes et les contribuables et de réduire les coûts publics de gestion des déchets. De plus, il semble probable que les systèmes de REP aient permis de réduire la part des déchets destinés à une élimination finale et d’accroître les taux de recyclage enregistrés dans de nombreux pays de l’OCDE. Cependant, les progrès dans ces domaines varient sensiblement selon les pays, ce qui donne à penser que beaucoup pourraient améliorer leurs résultats en prenant modèle sur les plus performants. En revanche, il est généralement admis que bien qu’ils aient contribué à prévenir la production de déchets (grâce à l’éco-conception, notamment) dans certains pays et certains secteurs, les systèmes de REP sont rarement suffisants pour jouer le rôle de déclencheur.

Orientations et recommandations

Bon nombre de recommandations du Manuel de l’OCDE de 2001 relatives à la bonne gouvernance des systèmes de REP restent pertinentes et devraient être appliquées plus systématiquement. Par exemple, les principes directeurs de 2001 concernant la REP indiquent que ces systèmes devraient inciter les producteurs à modifier la conception des produits ; stimuler l’innovation ; se fonder sur le cycle de vie ; définir clairement les responsabilités ; choisir des moyens d’action adaptables en fonction des produits et flux de déchets ;

De même, toute une série de facteurs déterminants pour la REP mentionnés dans le Manuel de 2001 sont tout aussi pertinents aujourd’hui qu’il y a 15 ans. Ces recommandations indiquent que les objectifs et le champ d’application de la REP doivent être clairement définis et que les producteurs de produits soumis à la REP, clairement identifiés ; des mécanismes de notification et de suivi doivent être établis et des mécanismes de contrôle de l’application assortis de sanctions adéquates devraient être définis ; la cohérence et l’harmonisation avec les politiques concernées, notamment les politiques de produits et de gestion des déchets doivent être assurées. L’efficacité des systèmes de REP pourrait aussi être améliorée en visant des objectifs plus ambitieux, en élargissant la gamme des produits couverts, en internalisant davantage les coûts environnementaux. Le plus difficile pourrait être, semble-t-il, de rendre les systèmes de REP plus transparents. Ces systèmes devraient être tenus de communiquer les informations nécessaires pour évaluer leurs performances et déterminer comment les rendre plus efficients et efficaces. Le manuel d’orientation de 2001 a également fourni des recommandations plus spécifiques sur une série de questions, dont les éléments clés ont été intégrés à l’expérience la plus récente.

Conception et gouvernance de la REP

La conception et la gouvernance de la REP sont indispensables à leur performance. Les enjeux vont de la fixation des objectifs et la surveillance et l’application, jusqu’au passagers clandestins et le financement.

  • Compte tenu des évolutions rapides qui peuvent survenir sur le marché et modifier la technologie, les objectifs des politiques de REP devraient être régulièrement révisés et ajustés.

  • Dans les systèmes obligatoires, les autorités responsables devraient mettre en place un dispositif homogène et crédible de contrôle de l’application des obligations en matière de REP, notamment des registres de producteurs, des dispositifs d’accréditation officielle des éco-organismes et des sanctions appropriées.

  • Des systèmes de suivi doivent être établis et dotés de ressources suffisantes ; un audit des performances, de préférence indépendant, sera effectué régulièrement. Au sein d’une même juridiction, on veillera dans la mesure du possible à harmoniser les systèmes de REP et à mettre en place un moyen de contrôle de la qualité et de la comparabilité des données.

  • Le problème des passagers clandestins, qui est encore un grand défi pour les systèmes de REP, devrait être traité en recourant à la pression des pairs ainsi qu’à des contrôles stricts.

  • Les gouvernements devraient mettre en commun leurs expériences sur la façon de financer durablement les systèmes de REP. Il pourrait s’agir notamment d’analyser comment des risques comme la volatilité des prix et les fuites peuvent être pris en charge.

Promouvoir l’intégration de la politique de la concurrence et de la REP

À mesure de l’essor et de la concentration des industries du recyclage et de la gestion de déchets, les gains financiers potentiels pour les producteurs, de même que les coûts additionnels pour la société résultant d’une collusion entre producteurs et d’autres formes de comportements anticoncurrentiels, ont augmenté. Depuis 2001, les comportements présumés « anticoncurrentiels » de certains systèmes de REP ont été dénoncés auprès des autorités de la concurrence et des tribunaux.

  • On s’attachera en priorité aux questions de concurrence sur les marchés des produits, où les effets sur le bien-être risquent d’être plus importants, suivis des marchés de la collecte et du tri, des marchés de la valorisation et de l’élimination, et du marché des services des filières à REP.

  • D’aucuns continuent aussi de s’inquiéter du possible recours abusif à des accords verticaux entre les éco-organismes et les entreprises intervenant dans des opérations en aval. Une bonne façon de limiter les comportements anticoncurrentiels consiste à consulter les autorités de la concurrence au moment de l’établissement de systèmes de REP.

  • Des services comme la collecte des déchets, le tri, et la valorisation et l’élimination des matières devraient faire l’objet d’appels d’offres transparents, non discriminatoires et concurrentiels.

  • Les dispositifs de REP ne devraient autoriser les éco-organismes uniques que s’il peut être démontré que les avantages (par exemple, que la capacité de gérer les déchets n’aurait pas été suffisante dans d’autres circonstances) dépassent les coûts d’une baisse de concurrence.

Incitations en faveur de l’éco-conception

L’internalisation des coûts des produits en fin de vie, si elle est plus poussée, et le contrôle de l’application, s’il est plus strict, pourraient aussi renforcer les incitations en faveur de l’éco-conception des produits et des emballages. Le fait de fixer des redevances suffisamment élevées pour couvrir la totalité des coûts de gestion en fin de vie permettrait de mieux internaliser les coûts environnementaux associés à ces produits, et donc de stimuler l’éco-conception.

  • Dans l’idéal, la responsabilité des producteurs devrait s’appliquer au niveau de chaque producteur. Toutefois, compte tenu de l’importance des économies de gamme et d’échelle souvent réalisables, la plupart des systèmes de REP reposent sur la responsabilité collective des producteurs, ce qui dilue les incitations en faveur de l’éco-conception.

  • En conséquence, les redevances versées par les producteurs devraient si possible mieux correspondre au traitement effectivement réservé à leurs produits en fin de vie, en préférant par exemple les redevances variables (au poids) aux redevances fixes (à l’unité), et/ou les redevances modulées selon les caractéristiques de conception qui rendent les produits plus facilement recyclables.

  • L’éco-conception pourrait aussi progresser grâce à un engagement plus actif des producteurs et des éco-organismes en faveur de la R-D et, dans le cas des produits entrant dans les échanges internationaux, à l’harmonisation des caractéristiques de conception ayant un impact sur l’environnement.

Intégrer les travailleurs informels dans les filières à REP dans les pays émergents et en développement

Depuis 2001, des dispositifs de REP ont été mis en place dans de nombreuses économies émergentes. Contrairement aux systèmes existant dans les pays de l’OCDE les plus développés, le nombre de travailleurs informels participant au recyclage y est important ; il s’élèverait selon les estimations à quelque 20 millions à l’échelle mondiale. Le ramassage des déchets est une activité souvent dure, dangereuse et socialement précaire. En dépit des graves préoccupations suscitées par les activités en aval de démantèlement et de recyclage informels qui peuvent avoir des retombées négatives sur l’économie et l’environnement, on reconnaît de plus en plus que les activités informelles de ramassage et de tri des déchets peuvent avoir des effets positifs.

  • Par conséquent, l’objectif de l’action publique s’est déplacé : il s’agit désormais moins de « secourir » les travailleurs informels que de les intégrer dans les filières de gestion officielles des déchets. Il faut pour cela trouver comment faire en sorte que les opérateurs informels travaillent avec, et non pas contre, les systèmes officiels de gestion des déchets.

  • Cela n’est cependant pas toujours facile ni possible, et il sera important de tirer des enseignements des initiatives en cours pour guider l’action publique dans ce domaine.