5. Maintenir le cap sur les demandes de compétences en période mouvementée

L’apprentissage, le développement des compétences et les changements sociétaux sont inextricablement liés. Nous passons une grande partie de nos vies dans des structures éducatives, à apprendre à vivre en société et à préparer notre avenir professionnel. Une fois employés et membres à part entière de la société, les travailleurs qualifiés s’imposent en moteurs du changement en découvrant de nouvelles façons de produire, d’organiser le travail et d’avoir un impact positif sur la société. Le changement, à son tour, transparaît dans les demandes de nouvelles compétences à mesure que les sociétés et les marchés du travail évoluent.

Le changement peut être brusque et imprévu ou mettre du temps à se concrétiser. Dans ce dernier cas, nous pouvons l’anticiper et nous y adapter. La crise du COVID-19, à la fois soudaine et inédite, a bouleversé la vie de la quasi-totalité de l’humanité. Peur de l’infection, directives de santé publique strictes et incertitude pesante ont entraîné le repli brutal et soudain de l’activité économique. Un choc profond et généralisé infligé au marché du travail, qui ébranle la demande de compétences. Beaucoup de secteurs ont été forcés de cesser leurs activités pour protéger la santé des travailleurs et se plier aux consignes sanitaires. Dans la mesure du possible, les employeurs ont réorganisé leurs opérations pour faciliter le télétravail, mais de nombreuses pertes d’emploi et de moyens d’existence sont à déplorer. D’un autre côté, la crise sanitaire a donné lieu à des pénuries de main-d’œuvre qualifiée dans certains métiers (la santé et la sécurité publique surtout), que les marchés du travail et pouvoirs publics ont peiné à contrer.

Avant la pandémie de COVID-19, la mondialisation, l’évolution technologique, l’automatisation, la transformation numérique, l’intelligence artificielle et les données massives, en plus du vieillissement démographique, reconfiguraient déjà les sociétés et le monde du travail à une vitesse vertigineuse. Selon des estimations de l’OCDE publiées avant la crise, environ 15 % des emplois actuels seront engloutis par l’automatisation et 32 % encore demanderont des tâches et des compétences très différentes dans les 15 à 20 années à venir (Nedelkoska et Quintini, 2018[1]). La pandémie n’a toutefois pas mis un coup de frein soudain à ces mégatendances. Au contraire, elles aggraveront probablement les effets de la crise du COVID-19 et l’on verra s’accélérer la transformation des modes d’organisation du travail, mais aussi de la façon dont les compétences sont utilisées et recherchées sur les marchés du travail.

Nous n’aurons forcément plus besoin des mêmes compétences qu’aujourd’hui dans les décennies à venir. Les systèmes d’apprentissage tout au long de la vie jouent un rôle fondamental de trait d’union entre les besoins de compétences actuels et les demandes futures en nous aidant à anticiper les changements, à acquérir de nouvelles compétences, à en perfectionner d’autres. Certaines compétences nous donnent la capacité de répondre aux demandes de compétences aussi bien actuelles que futures. Dites « transversales », comme la résolution de problèmes complexes, les compétences analytiques ou encore la créativité, elles nous permettent de nous adapter à différentes situations et aux changements inattendus. Elles favorisent la résilience et nous aident à trouver notre place dans les marchés du travail et les sociétés d’aujourd’hui et de demain. Par le prisme de l’apprentissage tout au long de la vie, ce chapitre étudie les trois stades du développement des compétences.

Il se penche en premier lieu sur « l’urgence du présent » et propose une analyse de l’impact de la crise du COVID-19 sur les demandes de compétences actuelles et les réactions des économies dans le monde entier. Il se tourne ensuite vers l’avenir et s’interroge sur l’évolution prévue des demandes de compétences sous l’effet des mégatendances (vieillissement démographique, transformation numérique, évolution technologique, etc.). Il passe en revue les emplois qui devraient être porteurs dans les dix prochaines années et les compétences qu’ils demanderont. En un troisième temps, ce chapitre examine les liens entre les demandes de compétences actuelles et futures, puis le rôle d’articulations entre les différents stades de la vie que peuvent jouer les compétences transversales. Il propose une stratégie innovante d’identification des compétences transversales par l’analyse du texte des annonces d’offres d’emploi en ligne. Les résultats ici présentés font ressortir l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie pour amortir les chocs imprévisibles (comme la crise du COVID-19) et anticiper les bouleversements que les mégatendances structurelles ne manqueront pas de provoquer. Ce chapitre met aussi en exergue les possibilités offertes de conjuguer les statistiques traditionnelles et des méthodes plus innovantes fondées sur l’analyse des données massives et des offres d’emploi en ligne. Ces approches hybrides deviendront de plus en plus importantes pour comprendre, avec un degré d’actualité et de granularité inédit, les effets à la fois des chocs soudains et des tendances futures.

La crise du COVID-19 est en train de transformer nos vies, partout dans le monde. Ses lourdes conséquences sur la santé publique se sont accompagnées d’une baisse brutale de l’activité économique et de bouleversements des marchés du travail. Il ressort des données préliminaires dont on dispose que le COVID-19 a eu un impact bien plus énorme que la crise financière mondiale de 2008 (OCDE (2020[2])). L’analyse présentée dans ce chapitre confirme ces résultats en étudiant l’évolution des offres d’emploi en ligne dans divers pays (voir l’Annexe 5.A pour en savoir plus sur les sources de données et la méthodologie d’analyse suivie).

Graphique 5.1 illustre l’évolution observée du nombre d’annonces d’offres d’emploi publiées en ligne entre mars 2020 et mars 2021. Il compare la quantité d’offres d’emploi publiées en ligne pendant la pandémie et en janvier-février 2020, immédiatement avant que les premiers effets se manifestent. On observe, en avril 2020 et en moyenne dans la zone OCDE, une diminution d’environ 60 % des offres d’emploi publiées en ligne. La Croatie, le Danemark et la République slovaque sont les pays où le nombre d’offres d’emploi en ligne a baissé le plus brutalement au début de la pandémie (mars-mai 2020). Bien que forte, cette baisse est moins marquée aux États-Unis, en France et aux Pays-Bas. En juillet 2020, plusieurs pays affichent une relative amélioration de la situation, avec une moindre contraction des nouvelles offres d’emploi en ligne. Le nombre total d’annonces d’offres d’emploi en ligne fin mars 2021 n’en est pas moins encore très inférieur aux chiffres d’avant-crise dans divers pays.

À mesure que le virus SARS-CoV-2 s’est répandu, plus ou moins tous les pays du monde ont introduit des mesures d’endiguement et des stratégies de lutte ; ils ont notamment limité la circulation des personnes, fermé les écoles et autres établissements éducatifs, imposé l’arrêt des activités non essentielles et reporté les actes médicaux non essentiels1 (Bai et al., 2020[3]). Bien que la nature exacte des mesures prises, le moment choisi, leur ampleur et leur intensité aient été très variables d’un pays à l’autre, et parfois même à l’intérieur des frontières (Hale et al., 2020[4]), leur impact sur les marchés du travail n’a pu être que profond.

Le Graphique 5.2 illustre à la fois la rigueur des mesures nationales adoptées pendant la crise et l’évolution des annonces d’offres d’emploi en ligne dans les pays correspondants2. La partie supérieure du Graphique 5.2 présente l’« indice de rigueur », un indicateur composite du nombre et de la sévérité des mesures nationales (fermeture des écoles, limitation des rassemblements publics, limitation de la circulation à l’intérieur d’un pays à certaines heures et à une distance maximum, fermeture des lieux de travail, interdictions de voyager). Il est exprimé par une échelle de 0 à 100, 100 correspondant au plus haut degré de sévérité3. La partie inférieure du Graphique 5.2 présente l’évolution des annonces d’offres d’emploi en ligne par rapport à la période d’avant-crise, c’est-à-dire janvier et février 2020. Les résultats montrent une corrélation manifeste entre l’augmentation de la rigueur des mesures (correspondant à l’introduction des confinements aux alentours de mars 2020) et la diminution des annonces d’offres d’emploi en ligne jusqu’à avril 2020. Certains pays (Italie et Allemagne) ayant par la suite (à partir de mai 2020) assoupli les restrictions, les annonces d’offres d’emploi en ligne ont commencé à se rétablir. Elles sont toutefois demeurées extrêmement instables dans le temps et la corrélation avec l’indice de rigueur s’est affaiblie entre mai 2020 et mars 2021.

Différents facteurs (contradictoires dans certains cas) pourraient expliquer la corrélation plus ténue entre la rigueur des mesures et l’évolution des annonces d’offres d’emploi en ligne au-delà de la phase initiale de la pandémie. Premièrement, certaines entreprises ont mis la clé sous la porte définitivement pendant la période de restrictions nationales. Deuxièmement, même après l’assouplissement de quelques réglementations, de nombreux employeurs ont choisi de reporter le recrutement au cas où de nouvelles mesures seraient imposées si la transmission du virus repartait. Troisièmement, la demande économique globale, l’un des principaux moteurs de la demande de main-d’œuvre, n’a pas augmenté dès l’assouplissement des restrictions ; certains consommateurs n’ont pas voulu reprendre leurs habitudes de dépenses d’avant-crise face à l’incertitude autour de l’emploi ou en raison d’une perte de revenus pendant les fermetures généralisées.

À la date de rédaction du présent rapport, les États vaccinent la population générale, en commençant par les groupes à risque et les travailleurs en première ligne. Les mesures d’endiguement resteront probablement en place tant que le virus continuera de se propager à une vitesse phénoménale. Ainsi, l’activité économique et les annonces de nouvelles offres d’emploi devraient demeurer bien en deçà de leurs niveaux d’avant-crise jusqu’à ce que les taux d’infection soient maîtrisés.

La pandémie de COVID-19 a touché la quasi-totalité des secteurs de l’économie en même temps, mais l’analyse des offres d’emploi en ligne laisse penser qu’un grand nombre de travailleurs à bas salaire et souvent peu qualifiés en ont subi le plus fort contrecoup pendant la phase initiale. Le Graphique 5.3 compare le nombre d’annonces d’offres d’emploi en 2020 et au premier trimestre 2021 avec le volume enregistré avant la crise (janvier-février 2020), en ventilant l’évolution des offres d’emploi en fonction du niveau d’études demandé dans l’annonce en ligne. Le constat est le suivant : en moyenne, les nouvelles annonces d’offres d’emploi demandant des études secondaires (ou un niveau inférieur) ont plus fortement diminué que les annonces demandant des études supérieures au début de la pandémie, mais la situation s’est progressivement inversée à mesure de l’évolution de la pandémie. Autrement dit, les offres d’emplois peu qualifiés ont diminué plus brutalement en mars et avril 2020, mais ce sont les offres d’emplois très qualifiés qui ont accusé le plus fort repli aux stades ultérieurs de la pandémie4.

Nombre d’études ont tenté d’estimer les professions pouvant être exercées de chez soi (Dingel et Neiman (2020[5]) ; Espinoza et Reznikova (2020[6]), etc.). Les résultats de ce volet des publications indiquent que, tous pays de l’OCDE confondus, 30 % des travailleurs peuvent exécuter leurs tâches professionnelles à distance (Espinoza et Reznikova, 2020[6]). Les études en question ont généralement analysé les tâches propres à diverses grandes catégories de professions et déduit indirectement dans quelle mesure elles pouvaient être exécutées à distance, en prenant pour référence les tâches exécutées avant la crise (Dingel et Neiman, 2020[5]). L’analyse des informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne rend possible d’établir si les postes vacants sont proposés en télétravail puisque ce critère est précisé par l’employeur dans l’annonce.

On observe alors (Graphique 5.4) que le télétravail a fait des adeptes pendant la crise sanitaire du COVID-19 par rapport à la période d’avant-crise, constat qui cadre avec les données de Galasso et Foucault (2020[7]) et de l’OCDE (2020[2]). Grâce au télétravail, une certaine activité économique a pu être maintenue dans les secteurs et les métiers en mesure de réorganiser leurs opérations conformément aux mesures de prévention ou aux principes de distanciation physique.

En Australie, le nombre d’annonces d’offres d’emploi en télétravail a progressé régulièrement depuis le début de la crise ; il a doublé entre mai et août 2020, puis encore augmenté jusqu’à la fin de 2020. D’autres pays, en particulier le Royaume-Uni et le Canada, ont eux aussi enregistré une très forte hausse du nombre d’offres d’emploi en télétravail par rapport à la période d’avant-crise (janvier-février 2020). Il est encore trop tôt pour établir si cette tendance s’installera une fois la propagation du virus maîtrisée et les mesures d’atténuation des risques assouplies. Sachant toutefois que la transformation numérique gagnait déjà du terrain dans l’économie avant la crise et qu’il ne fait aucun doute que cette dynamique se poursuivra. Une enquête menée auprès des employeurs par le Forum économique mondial (2020[8]) indique, par exemple, que les grandes entreprises prévoient de développer le télétravail, une mutation qui pourrait concerner 44 % de leurs effectifs.

Bien que le volume d’offres d’emploi en ligne ait diminué dans la quasi-totalité des secteurs d’activité, ce recul n’est pas homogène entre les secteurs. Quelques-uns ont maintenu la majorité de leurs opérations et parfois même connu une forte augmentation de la demande ; d’autres, en revanche, se sont trouvés forcés de réduire ou de cesser leur activité. Il se dégage du Graphique 5.5 que, en moyenne dans les pays européens pour lesquels on dispose de données, les secteurs de la santé et de l’aide sociale enregistrent une plus faible baisse que les autres. Alors que le nombre de postes vacants avait considérablement chuté dans ces secteurs au début de la pandémie, l’écart par rapport à la période d’avant-crise était déjà comblé en mai et juin 2020. En août de la même année, le nombre de nouvelles offres d’emploi dépassait la moyenne de janvier et février 2020, laissant entrevoir la forte demande de professionnels de santé. Dans le secteur du commerce de gros et de détail, cependant, les offres d’emploi ont fortement diminué au début de la pandémie et ne se rétablissent lentement que depuis quelques mois. Le constat est plus ou moins le même pour les métiers de l’hôtellerie et de la restauration, secteur dans lequel les offres d’emploi en ligne ont subi une chute vertigineuse de 70 % en avril 2020 et ne remontent que depuis quelques mois. Les emplois dans les secteurs des arts et spectacles et du divertissement n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant-crise.

La pandémie de COVID-19 a également eu un impact hétérogène sur des groupes de professions particuliers au sein des secteurs d’activité (OCDE, 2020[10]). Le nombre d’offres d’emploi en ligne, à destination en particulier de travailleurs essentiels, de personnel hospitalier, d’employés de vente en alimentation et de personnel d’entrepôt, est demeuré constant ou a augmenté malgré les restrictions sévères sur les activités économiques et sur la liberté de circulation imposées dans de nombreux pays.

Le Graphique 5.6 (partie supérieure) montre les cinq catégories de professions (code CITP à deux chiffres) qui ont le plus progressé dans les offres d’emploi en ligne entre mars 2020 et mars 2021. Après le premier pic pandémique (avril-mai 2020), la demande d’auxiliaires de santé a connu une croissance régulière dans tous les pays de l’UE considérés et dépassé le niveau pré-pandémie en mars 2021. Dans un grand nombre de pays européens (dont la l’Espagne, la France, l’Irlande et l’Italie), les offres d’emploi en ligne à destination du personnel infirmier, du personnel soignant, des médecins et techniciens médicaux se sont multipliées dans les mois qui ont suivi le début de la crise du COVID-19.

D’autres groupes de professions laissées indemnes (ou marginalement touchées) par les mesures d’endiguement et les fermetures forcées ont enregistré une hausse des offres d’emploi, en particulier dans la logistique et la distribution. Les manœuvres des mines, du bâtiment et des travaux publics, des industries manufacturières et, en particulier, des transports ont connu l’une des fortes progressions du nombre d’offres d’emploi en ligne au début de la pandémie, mais aussi tout au long de la période considérée. En Europe (plus particulièrement en Lituanie et en Roumanie), les offres d’emploi de manœuvres des transports et de l’entreposage ont augmenté ou ont maintenu un niveau constant après le début de la crise sanitaire.

De même, en Australie, au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, la demande de médecins, personnel infirmier, pharmaciens, épidémiologistes, aides-soignants et techniciens de soins a fortement augmenté. Entre mars et novembre 2020, les offres d’emploi en ligne à destination de techniciens médicaux des services d’urgence et d’auxiliaires médicaux au Royaume-Uni ont augmenté de 34 % ; celles recrutant des techniciens réparateurs d’appareils médicaux ont quant à elles progressé de 114 %. Aux États-Unis, les offres d’emploi de spécialistes des sciences physiques ont augmenté de 10 % et la demande d’épidémiologistes et d’agents de santé communautaire est restée stable, toujours par rapport au début de l’année.

Les offres d’emploi de préparateurs de commandes publiées en ligne ont augmenté de près de 50 % aux États-Unis par rapport au début de l’année, et les offres d’emplois d’emballeurs d’environ 47 % en Australie et au Royaume-Uni. Ces chiffres donnent à penser que les achats en ligne et la livraison de marchandises directement au consommateur ont aussi beaucoup progressé ; constat qui s’explique à la fois par les mesures de distanciation physique et par la peur de contracter le virus en sortant de chez soi.

En nous encourageant à rester chez nous, les diverses mesures d’endiguement et fermetures ont fait diminuer le volume d’offres d’emplois demandant un contact face à face publiées en ligne. Le Graphique 5.6 (partie inférieure) montre les cinq professions pour lesquelles les offres d’emploi en ligne ont le plus brutalement diminué dans l’ensemble des pays de l’UE27 par rapport à la période d’avant-crise. En moyenne dans l’Union européenne, les annonces en ligne pour le recrutement dans la transformation alimentaire, le travail du bois, l’habillement et autres métiers de l’artisanat ont beaucoup fluctué, diminuant de presque de 80 % en avril 2020 pour remonter ensuite, en mars 2021, à un niveau environ 30 % inférieur au volume moyen d’offres d’emploi en ligne enregistré avant la pandémie (janvier et février 2020). Dans de nombreux pays européens, dont l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne et l’Italie, les offres d’emploi de serveurs et barmen, cuisiniers et commis de cuisine publiées en ligne ont chuté de jusqu’à 80 % entre mars et juillet 2020. Au Royaume-Uni, le nombre d’offres d’emploi en ligne de baristas, commis de salle et barmen s’est contracté de 72 % entre mars et novembre 2020. Au Danemark, en Espagne et en Lettonie, le nombre d’offres d’emplois de personnel de vente en magasin a également beaucoup diminué. Le volume d’offres d’emplois d’employés de bureau et d’agents de service client a lui aussi considérablement diminué pendant la pandémie, de 20 à 30 % en mars 2020 par rapport aux niveaux pré-pandémie.

Comme indiqué plus haut, les professions des secteurs du tourisme et des loisirs ont été particulièrement malmenées. Dans de nombreux pays européens, les offres d’emploi en ligne recherchant des employés chargés d’informer la clientèle ont diminué de 70 % par rapport au début de l’année. Au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les offres d’emplois d’employés d’agence de voyage, de guides touristiques ou d’hôtesses de l’air/stewards ont reculé de 70 à 90 % entre mars et novembre 2020. Les offres d’emploi de grooms et porteurs de bagages publiées en ligne ont également beaucoup diminué au Royaume-Uni et aux États-Unis. De même, les annonces d’offres d’emploi en ligne destinées aux organisateurs de conférences et d’événements ont baissé de 68 % en Australie, 67 % au Canada, 79 % aux États-Unis et 83 % au Royaume-Uni.

Dans un monde du travail en constante évolution, l’acquisition de « compétences transversales », c’est-à-dire de « compétences sans rapport spécifique avec un poste, une tâche, une discipline ou un champ de savoir particuliers et qui peuvent être mobilisées dans un large éventail de situations et de contextes professionnels » (UNESCO, 2021[11]) est indispensable pour assurer la résilience des travailleurs aux chocs déclenchés par l’évolution technologique rapide et les mégatendances ou par une crise soudaine et inattendue à l’instar de la pandémie qui sévit à l’heure actuelle.

Même si des publications se sont longuement attardées sur l’étude des compétences transversales, aucun consensus ne s’en dégage sur leur vraie nature et les méthodes permettant de les mesurer. Certaines, récentes, ont employé indifféremment des termes ou concepts divers (compétences personnelles, cognitives et non cognitives, relationnelles et sociales) qui se chevauchent parfois. De même, des études empiriques ont peiné à trouver des indicateurs fiables pour évaluer l’impact de ces compétences sur le devenir professionnel, par exemple sur les salaires et les perspectives d’emploi.

Au nombre des (quelques) tentatives de catalogage des compétences transversales, l’Enquête européenne sur les compétences et l’emploi (CEDEFOP, s.d.[12]) du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop) classe dans la catégorie des « compétences transversales » essentielles les compétences de communication, de travail en équipe, de relation client, de résolution de problèmes, d’apprentissage, de planification et d’organisation. Elle n’informe cependant pas sur les critères précis de sélection ni sur le degré de « transversalité » de chaque compétence.

L’Union européenne a également parrainé différents projets Erasmus+ de catalogage et d’inventaire des compétences transversales. L’Évaluation des compétences transversales (ATS2020, 2021[13]) place la « culture numérique » au cœur de son cadre des compétences transversales, aux côtés des compétences informationnelles, de la collaboration et de la communication, de la créativité et de l’innovation, et de l’apprentissage autonome. Le projet Keystart2work (s.d.[14]) répertorie différents mots clés, comme « prise de décision », « gestion organisationnelle », « gestion du temps », et même « compétences de négociation ».

L’approche suivie dans ce chapitre pour identifier les compétences transversales s’appuie sur les évolutions récentes dans les domaines du traitement du langage naturel (TLN) et de l’apprentissage automatique (AA). Plus précisément, le TLN permet de transformer les éléments textuels et sémantiques des annonces d’offres d’emploi en valeurs mathématiques qui conservent le sens des mots d’origine (Encadré 5.1). Cette méthode, mise au point par Google dans son algorithme PageRank, rend possible de qualifier le nombre et l’importance des connexions entre les mots clés ; les compétences les plus et les mieux « interconnectées » sont dites « transversales » (voir aussi Djumalieva, Lima et Sleeman (2018[15])).

Le Graphique 5.7 donne un exemple simplifié des connexions dans un « graphe ». Ici, le mot clé « travail en équipe » est connecté à un assez grand nombre d’autres mots clés, dont certains, à leur tour, sont étroitement connectés à un grand nombre d’autres mots clés dans le graphe (par exemple, le cas des compétences de « planification »). La quantité de connexions et leur importance (le nombre d’autres connexions pour chacune) sont utilisées pour calculer « l’indice de centralité spectrale », une représentation empirique du degré de « transversalité » de chaque mot clé applicable aux compétences dans la base de données (Encadré 5.1).

Le Graphique 5.8 présente la liste des 30 compétences les plus transversales (celles qui ont la plus forte centralité spectrale, voir l’Encadré 5.1) pour l’ensemble des annonces d’offres d’emploi recueillies au Royaume-Uni entre 2017 et 20195.

La liste des 30 compétences les plus transversales est assez hétérogène ; elle contient des compétences personnelles et techniques, mais aussi plusieurs compétences liées au commerce qui apparaissent comme essentielles pour un grand nombre de fonctions dans diverses professions. Au nombre des mots clés les plus transversaux dans les annonces d’offres d’emploi en ligne figurent « compétences de communication, « collaboration en équipe » et « planification ». La résolution de problèmes, la créativité et les compétences relationnelles sont aussi des qualités très transversales et importantes, liées à un large éventail d’emplois, de fonctions et de tâches dans les annonces en ligne.

L’analyse présentée dans le Graphique 5.8 confirme que des emplois très divers demandent aujourd’hui un certain degré de compétence en relation client ou en gestion de projets. Plusieurs mots clés transversaux renvoient à des compétences liées au commerce, comme savoir fournir un service client de base, gérer un budget (« gestion budgétaire ») ou s’occuper de tâches administratives. Ces compétences sont cruciales non seulement dans les métiers de la vente, mais aussi dans un bien plus large éventail de descriptifs d’emplois (du plombier au personnel administratif) supposant un contact en face à face avec les clients. Par exemple, parmi les professions exigeant des compétences de base en service client, Careerbuilder.com (site bien connu de conseils aux demandeurs d’emploi) mentionne les auxiliaires de vie à domicile, les techniciens de service, les employés domestiques et même les travailleurs de la restauration (CareerBuilder, 2021[19]). Les exemples des professions demandant au moins un minimum de compétences en relation client sont, cependant, quasiment innombrables.

Les résultats illustrés par le Graphique 5.8 montrent par ailleurs que les compétences numériques ou la maîtrise de certaines technologies numériques sont recherchées pour un large éventail d’emplois, constat qui confirme les résultats précédents (OCDE, 2020[20]) et fait apparaître que les compétences numériques ont profondément imprégné les sociétés et les marchés du travail, non seulement dans les métiers de haute technologie, mais aussi dans la quasi-totalité des emplois et des secteurs. La maîtrise des outils Microsoft Office, de Productivity, de Microsoft Excel et la culture numérique font partie des compétences numériques transversales les plus demandées dans un large éventail de contextes et de tâches professionnels. Fait intéressant, les « compétences en réseaux sociaux » sont aussi très transversales, illustrant l’importance nouvelle et grandissante des plateformes numériques pour une variété d’emplois : commerce et vente, service client, gestion et administration, et services financiers (Encadré 5.2).

L’importance perçue des compétences transversales grandit dans le débat public. Les informations tirées d’enquêtes auprès d’employeurs dans le monde entier semblent confirmer l’idée que les compétences transversales sont très recherchées et que les entreprises peinent souvent à trouver des travailleurs possédant un niveau élevé de compétences assimilées (Cunningham et Villaseñor, 2016[22]).

Jusqu’à présent, cependant, les données empiriques sont contrastées. Le manque de données a gêné l’étude du rendement des compétences transversales sur le marché du travail, car les études empiriques précédentes se sont concentrées sur un ensemble réduit d’indicateurs peu comparables. Avec la venue de corpus importants de données d’annonces d’offres d’emploi en ligne, et des informations qu’elles contiennent, il est désormais non seulement possible de recenser un nombre important de compétences transversales, mais aussi d’évaluer et de comparer leur rendement salarial et professionnel sur le marché du travail.

Le Graphique 5.9 présente les estimations du rendement salarial et professionnel des 30 compétences les plus transversales mentionnées dans les annonces d’offres d’emploi en ligne publiées au Royaume-Uni entre 2015 et 2019 (la méthode d’analyse est expliquée à l’Annexe 5.C).

On observe une forte hétérogénéité des rendements sur le marché du travail (en termes à la fois de salaire et de possibilités d’emploi) associés à chaque compétence transversale. Les mots clés des compétences transversales associés à un rendement salarial et professionnel positif concernent la gestion de projets, les processus et l’analyse métier, mais aussi la stratégie d’entreprise et la gestion budgétaire. Les compétences de gestion de projets associées à un fort rendement salarial se déclinent généralement en planification, exécution et contrôle de projet, évaluation des risques et des opportunités du projet et gestion des ressources nécessaires à son exécution. S’agissant des compétences de gestion de projets, les « approches agiles » sont les plus mobilisées depuis quelques années. La gestion de projets agile suppose la décomposition d’un projet en différentes phases et la participation des parties prenantes et des clients à son amélioration continue à chaque étape. La capacité d’exécuter toutes ces tâches (groupées dans la notion de « compétences de gestion de projets ») est désormais très recherchée pour un éventail varié d’emplois et de fonctions ; l’analyse des offres d’emploi en ligne montre que ce type de compétences va de pair avec un avantage salarial moyen de 14 % et une adaptabilité aux offres d’emploi de 11 %. De même, savoir bien gérer une entreprise et créer une stratégie gagnante (« stratégie d’entreprise ») ou gérer un budget font partie des compétences les plus rentables, sur le plan tant salarial que professionnel. La résolution de problèmes, le relationnel, le leadership et la planification sont autant d’autres compétences transversales associées à un fort rendement salarial. Autrement dit, les emplois mobilisant des niveaux élevés de ces compétences sont généralement mieux rémunérés. Des compétences numériques solides et la maîtrise de logiciels comme Microsoft Excel ou des réseaux sociaux vont également de pair avec un fort rendement salarial, signe de l’importance des compétences numériques pour la réussite professionnelle des individus (voir l’Encadré 5.3).

Si l’on s’intéresse au lien entre chaque compétence transversale et le nombre d’offres d’emploi, le Graphique 5.9 montre que la vente générale, la communication écrite et les processus/l’analyse métier font partie des compétences recherchées qui donnent les meilleurs rendements professionnels, constat qui laisse penser que les personnes maîtrisant ces compétences à un niveau élevé auront probablement plus de débouchés professionnels que la moyenne.

Il importe, dans l’analyse du rendement des compétences, de savoir que les emplois demandent une combinaison de compétences ; à chaque profession son « bouquet » ou « ensemble » de compétences. Le rendement d’une compétence particulière dépend donc aussi de la manière dont cette compétence est conjuguée avec d’autres et du contexte professionnel. Il ressort de l’analyse des offres d’emploi en ligne que les compétences transversales les plus et les moins valorisées ont tendance à aller de pair avec d’autres compétences de nature différente, et que la manière dont les compétences sont conjuguées pourrait être déterminante dans la définition du rendement professionnel.

Une étude plus approfondie des données révèle que les compétences transversales très valorisées sont en fait plus souvent demandées en conjonction avec des compétences techniques que les compétences transversales peu valorisées. Par ailleurs, les compétences transversales peu valorisées sont plus souvent mobilisées dans des métiers génériques (qui ne demandent pas des niveaux élevés de compétences techniques et spécialisées), tandis que les compétences transversales très valorisées occupent une place plus importante dans les emplois demandant une maîtrise solide de compétences techniques et très pointues.

Le Graphique 5.11 présente la liste des compétences les plus fortement conjuguées avec les compétences de gestion de projets dans les offres d’emploi en ligne. On observe une forte corrélation entre les compétences de gestion de projets et quelques autres compétences transversales seulement (processus et analyse métier, par exemple), mais elles semblent être conjuguées avec une variété de compétences techniques et plus pointues, comme la conception et la maintenance d’infrastructure de services d’utilité publique, les procédures d’évaluation d’impact ou la gestion en ingénierie. Fait intéressant, le graphique indique que les compétences de gestion de projets se conjuguent avec plusieurs compétences dans le secteur de l’économie verte, dont le travail environnemental ou l’architecture verte, et avec les compétences techniques en informatique6.

Les compétences conjuguées avec les compétences organisationnelles sont, pour leur part, très différentes de celles présentes dans le bouquet « gestion de projets ». Le Graphique 5.12, montre que, contrairement aux compétences de gestion de projet, plus souvent conjuguées avec des compétences techniques, les compétences organisationnelles sont généralement mobilisées dans des professions fortement associées à un grand nombre d’autres compétences transversales, dont la gestion du temps, les connaissances administratives générales et le service client de base. Ce constat permet de penser que les emplois demandant des niveaux élevés de compétences organisationnelles ont tendance à conjuguer des compétences plus générales et plus transversales, à l’image de leur nature « non spécialisée ».

Il ressort par ailleurs des résultats que le rendement associé aux compétences transversales dépend, avant tout, du contexte professionnel et de l’emploi qui les mobilise de manière intensive. Par exemple,  5.13 les profils de postes généralement très recherchés, comme analyste en gestion des risques, spécialiste de la durabilité ou spécialistes de l’entreposage de données sont autant de professions qui s’appuient beaucoup sur les compétences de gestion de projets ou d’analyse de données (Graphique 5.13) Inversement, le Graphique 5.14 montre que les compétences organisationnelles et les compétences de communication sont pertinentes dans un groupe de professions bien plus divers, dont les thérapeutes familiaux, les infirmiers/infirmières et auxiliaires vétérinaires, peu rémunérées dans certains cas. Ces mêmes compétences organisationnelles et communicatives sont moins pertinentes dans les professions techniques et très bien rémunérées de développeur d’applications mobiles, ingénieur en systèmes informatique ou architectes Business Intelligence ; constat qui témoigne du rendement global inférieur de ces compétences.

Les résultats présentés dans les sections précédentes montrent que les compétences transversales englobent un large éventail de compétences multidimensionnelles, de la maîtrise des technologies numériques à des qualités plus individuelles qui se fondent dans la personnalité de chacun. Voir également Whittemore (2018[23]). Plusieurs compétences transversales ont un rendement positif important sur le marché du travail et devraient donc être au cœur des systèmes d’apprentissage tout au long de la vie. Or une question cruciale se pose : comment stimuler leur développement ? Étant donné que la majorité des compétences transversales ne sont pas liées à un sujet particulier et sont développées dans tous les domaines d’étude, les approches innovantes du développement de compétences transversales ont tendance à fuir les démarches orientées sujet et se concentrent de plus en plus sur des acquis spécifiques. L’acquisition de compétences transversales suppose un apprentissage interactif et actif. Selon les théories constructivistes, l’apprentissage par des activités authentiques, par opposition à l’instruction seule, contribue au développement de compétences fondamentales (Terzieva et Traina, 2015[24]).

Stimuler ce type de participation n’est pas sans poser de difficulté, mais les programmes éducatifs à tous les niveaux devraient considérer et, dans la mesure du possible, cadrer avec les applications concrètes. Par exemple, l’apprentissage collaboratif (les méthodes d’apprentissage fondées sur des projets ou des problèmes) permet aux apprenants de travailler en petits groupes pour atteindre un objectif commun et peut faciliter le développement simultané de plusieurs compétences transversales. Les environnements d’apprentissage interactifs encouragent les apprenants à être actifs et autonomes tout en collaborant avec d’autres apprenants et en développant leurs compétences sociales et communicatives (Terzieva et Traina, 2015[24]).

On sait par ailleurs que les contextes concrets et l’apprentissage en cours d’emploi motivent davantage les apprenants que les méthodes plus conventionnelles (Lepper et Henderlong, 2000[25] ; Garris, Ahlers et Driskell, 2002[26]), car ils retiennent plus facilement des concepts qu’ils découvrent eux-mêmes (De Jong et Van Joolingen, 1998[27]) et peuvent ainsi être amenés à développer les nombreuses qualités transversales répandues dans les annonces d’offres d’emploi. Par conséquent, l’apprentissage non formel et l’apprentissage informel sont d’autres modes cruciaux d’acquisition de compétences transversales puisqu’ils sont généralement entrepris dans un contexte professionnel en réponse à des problèmes concrets.

« Apprendre à apprendre » est un moyen, à tous les stades du cycle de vie, de se munir d’outils pour s’adapter à des paysages sociaux, économiques et technologiques sans cesse changeants. Un apprentissage plus autodirigé peut renforcer notre capacité à apprendre en autonomie. Les outils d’apprentissage numérique autodirigé et flexible, dont les microjustificatifs, les tutoriels et les cours en ligne, permettent à chacun d’apprendre à son rythme et de s’investir dans des sujets de son choix jugés utiles. Une telle démarche peut encourager un processus d’apprentissage plus individuel, qui équipe les apprenants de compétences qu’ils pourront mobiliser de manière transversale dans des contextes divers.

Une approche aussi variée du développement des compétences transversales n’est pas sans poser sa part de défis de taille. Premièrement, les modèles éducatifs demeurent en grande partie axés sur des structures dans lesquelles les apprenants ont tendance à adopter une position réceptive (Whittemore, 2018[23]), les enseignants sont formés sur des matières étroites, et les emplois du temps sont organisés en cours consacrés à une seule matière. Ce type de structure ne favorise pas la fertilisation croisée entre différents domaines et matières, un obstacle possible au développement des compétences transversales à l’école. Étant donné qu’un enseignement de grande qualité est essentiel pour nourrir les compétences transversales, les systèmes d’enseignement supérieur devraient aider les enseignants à toujours s’adapter à des programmes changeants.

En plus des structures conventionnelles, les pays devraient penser à promouvoir des environnements d’apprentissage autres que la salle de classe. Les méthodes interactives sont de plus en plus assistées par la technologie, d’où l’utilisation d’outils innovants comme la réalité virtuelle ou augmentée. De même, les compétences transversales peuvent être développées dans un contexte concret, par le biais de stages et de programmes d’études (Terzieva et Traina, 2015[24]).

Un autre aspect important est à prendre en compte : les compétences transversales ne devraient pas figurer uniquement dans le programme de formation initiale formelle, et cette formation ne devrait pas non plus s’adresser exclusivement aux enfants et aux jeunes. Les personnes de tous âges devraient continuer de développer leurs compétences transversales puisque le monde du travail les demande de plus en plus et que des méthodes d’apprentissage innovantes sont accessibles tout au long de la vie.

Avant que la pandémie de COVID-19 ne plonge les économies du monde entier dans une crise d’une ampleur sans précédent, l’évolution technologique, l’automatisation et la transformation numérique, mais aussi la venue de l’intelligence artificielle et des données massives, transformaient déjà les sociétés et le monde du travail à une vitesse vertigineuse. Selon les estimations actualisées de l’OCDE, jusqu’à 15 % des emplois actuels pourraient disparaître sous l’effet de l’automatisation dans les 15 à 20 prochaines années, et 32 % encore pourraient être profondément transformés par l’automatisation des tâches au moyen de nouveaux logiciels et robots (OCDE, 2019[28]). En revanche, les estimations ont révélé une augmentation des taux d’emploi dans la durée dans la majorité des pays de l’OCDE et la création de nouveaux emplois due à la technologie (PwC, 2018[29] ; OCDE, 2019[28] ; Forum économique mondial, 2020[8]). Or, du fait que des emplois sont créés et détruits pour différentes catégories de travailleurs, les conséquences redistributives de la technologie peuvent être profondes. Certains groupes, dont les travailleurs peu qualifiés ou plus âgés, sont particulièrement menacés par le bouleversement technologique et mal équipés pour tirer parti des avantages de l’évolution technologique. Dans ce contexte, les pouvoirs publics se mobilisent pour empêcher le creusement des disparités de comportement sur le marché du travail en fonction de l’âge, du genre et du milieu économique d’une personne.

Les estimations du risque d’automatisation indiquent que même si la transformation de l’emploi causée par le COVID-19 n’était que de courte durée, les marchés du travail sont sur le point de changer radicalement au moyen et long terme. Nombreux sont ceux qui soutiennent que certains des changements mis en place dans le contexte du COVID-19 seront conservés, voire s’accéléreront (Forum économique mondial, 2020[8]), que leur interaction avec les innovations technologiques causeront des bouleversements encore plus importants et plus rapides. Au lendemain de la pandémie, de nombreux travailleurs capables de reprendre leur emploi n’auront pas encore vu la fin des grands changements. D’autres ne pourront peut-être pas réintégrer le marché du travail au même poste qu’avant la crise et devront se reconvertir pour trouver un nouvel emploi. Ici aussi, un apprentissage tout au long de la vie ciblé et réactif est essentiel pour aider les individus à se frayer un chemin dans ce paysage incertain et inhospitalier.

Le reste de cette section s’intéresse aux perspectives à court et moyen terme des marchés du travail. Il analyse et compare les profils de compétences des emplois fragilisés avec ceux des emplois qui devraient progresser sous l’effet de changements structurels dans l’économie, de l’automatisation et de la transformation numérique. Il compare également les emplois qui ont été malmenés pendant la pandémie avec ceux dont la demande a rapidement augmenté. Cette partie exploite les informations granulaires contenues dans les offres d’emploi en ligne pour décrire des parcours de reconversion professionnelle précis qui aideraient les travailleurs des professions en recul à opérer la transition vers des emplois porteurs de grande qualité qui leur permettront de s’épanouir dans les marchés du travail de demain.

Prédire l’avenir n’est pas une tâche facile. À titre de comparaison, faire défiler des fils Instagram sur son téléphone mobile, regarder un film sur Netflix ou répondre à des e-mails sur une tablette était impossible il y a tout juste un peu plus de dix ans ; ces technologies et plateformes n’avaient pas encore été inventées. La 4G, aujourd’hui sur la quasi-totalité des téléphones mobiles, n’était pas encore disponible. Uber et Airbnb, pour ne citer que deux des plus grands acteurs de l’économie des plateformes, n’étaient guère plus que des prototypes dans certains pays. De même, les plateformes de streaming en ligne comme Netflix et Spotify n’ont fait leur apparition que dans les dix dernières années et pratiquement aucune des technologies de visioconférence tant utilisées pendant la pandémie de COVID-19 pour le télétravail n’avait encore vu le jour.

Bien qu’il soit impossible de déterminer les technologies qui seront développées dans les dix prochaines années et leur impact futur sur la vie de millions de citoyens et citoyennes, certaines tendances sont évidentes. Par exemple, une enquête menée auprès de cadres supérieurs de part et d’autre du globe pour avoir un aperçu de leurs projets d’entreprise à court et moyen terme, et l’influence qu’aurait le progrès technologique sur ces projets, a révélé que la grande majorité (84 %) ont l’intention d’accélérer la transformation numérique de leurs processus métier et de déployer de nouvelles technologies (Forum économique mondial, 2020[8]). L’expansion du télétravail fait aussi partie de leurs plans de développement. Environ la moitié des employeurs ont en outre indiqué prévoir d’accélérer l’automatisation dans leur entreprise. Pour environ 43 % des entreprises sondées, les nouvelles technologies réduiraient leurs effectifs, mais pour 34 % elles tireraient la demande de main-d’œuvre qualifiée vers le haut. Malgré l’angoisse suscitée par le risque de pertes d’emplois dû à l’automatisation et à la transformation numérique, la plupart des études dans ce domaine (PwC, 2018[29] ; OCDE, 2019[28] ; Forum économique mondial, 2020[8]) semblent s’accorder sur l’idée que la technologie aura un impact net positif sur la création d’emploi, mais que la distribution des gains et des pertes entre les professions, les secteurs et les éventails de compétences sera inégale. Le U.S. Bureau of Labor Statistics (BLS) a développé des prédictions granulaires de l’impact des mégatendances et des mutations structurelles sur le marché du travail, en s’intéressant à l’incidence attendue sur l’emploi par profession (voir l’Encadré 5.5).

Le Tableau 5.1 classe les professions qui, selon les projections, seront le plus fragilisées entre 2019 et 2029 aux États-Unis7. Les opérateurs de traitement de texte et dactylographes, ainsi que les agents de surveillance du stationnement, font partie des professions qui enregistreront le plus fort recul (plus de 35 %) par rapport au taux d’emploi en 2019. Les postes d’employés d’agence de voyages devraient diminuer de 26 % et ceux de receveurs des postes de 22 %. Il en est de même pour des professions dans des secteurs très distants, comme opérateurs de réacteurs nucléaires (-36 %) et installateurs-réparateurs d’équipement électronique pour véhicules à moteur (-23 %). Les résultats indiquent que l’évolution technologique retentit sur des emplois qui supposent des compétences et des tâches différentes dans la quasi-totalité des secteurs d’activité.

Certaines des professions particulièrement fragilisées emploient une relativement faible proportion de la main-d’œuvre totale (50 000 opérateurs de traitement de texte et dactylographes aux États-Unis en 2019), tandis que d’autres occupent un grand nombre de travailleurs dans différents secteurs de l’économie (environ 500 000 secrétaires de direction et assistants administratifs de direction en 2019).

Les informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi recueillies aux États-Unis livrent des informations importantes avec un niveau de granularité inédit sur les compétences et les connaissances les plus pertinentes mobilisées dans différentes professions, ainsi que sur les tâches et les technologies qui caractérisent l’emploi dans chaque profession, y compris les professions les plus fragilisées. Le Graphique 5.15 montre les bouquets de compétences des opérateurs de traitement de texte et dactylographes (la profession qui devrait régresser le plus brutalement entre 2019 et 2029) et des secrétaires de direction et assistants administratifs de direction (la profession qui occupe le plus grand nombre de personnes parmi celles qui devraient régresser le plus brutalement entre 2019 et 2029).

Les opérateurs de traitement de texte et dactylographes utilisent un large éventail de compétences à différents niveaux et exécutent des tâches dans différents domaines de connaissances techniques. Par exemple, le Graphique 5.15 indique que les opérateurs de traitement de texte et dactylographes sont généralement amenés à produire des documents techniques, à préparer des rapports statistiques, à créer et taper des tableaux statistiques, à combiner et réorganiser des documents de sources différentes. Ils ont besoin d’une connaissance élémentaire des transactions8, du traitement d’opérations, de la facturation et du traitement et de la révision de documents juridiques.

L’analyse des offres d’emploi en ligne fait également ressortir que les opérateurs de traitement de texte et dactylographes doivent manier différentes technologies. Parmi elles, Adobe PostScript est un outil important (en particulier pour la microédition) introduit en 1984, vite devenu la norme pour permettre aux logiciels exclusifs de surmonter les problèmes d’incompatibilité entre les ordinateurs et les systèmes d’impression. Sugar CRM en est un autre, pour l’automatisation des fonctions de vente, des campagnes marketing, du support client et de la collaboration.

Dans le cadre d’une journée de travail ordinaire, les opérateurs de traitement de texte et dactylographes exécutent également diverses tâches plus courantes, à savoir utiliser la bureautique, classer et enregistrer des documents sur disque dur ou encore maintenir un système de classement informatique pour conserver, extraire, actualiser ou supprimer des documents. Ils doivent par ailleurs recueillir, enregistrer et organiser les documents à dactylographier, maintenir un cahier des tâches exécutées et transmettre le travail par voie électronique (traitement lockbox).

Certaines de ces tâches sont fortement menacées d’automatisation. Par exemple, l’analyse des annonces d’offres d’emploi en ligne aux États-Unis révèle que les opérateurs de traitement de texte et dactylographes doivent encore prendre des notes sous dictée, utiliser des machines de bureau et avoir des compétences téléphoniques. Or, les nouvelles technologies rendront bientôt ces tâches et ces compétences obsolètes. Les récents progrès en reconnaissance vocale permettent déjà d’utiliser des logiciels plus performants que les humains formés à la prise de notes sous dictée. Le nouveau système d’exploitation Windows de Microsoft inclut un logiciel gratuit de reconnaissance vocale qui laisse les utilisateurs contrôler leur ordinateur à la voix et convertit la parole en texte. Le nombre d’applications du même type (pour téléphone mobile or ordinateur portable) augmente de manière exponentielle depuis quelques années. Ce qui ne veut pas dire que les compétences de « prise de notes » vont disparaître immédiatement. Dans le court terme les opérateurs de traitement de texte et dactylographes devront probablement apprendre comment interagir avec les machines et les logiciels pour leur « apprendre » de nouveaux termes et mettre en évidence les mots les plus difficiles. Ces nouvelles technologies rendront néanmoins obsolètes un grand nombre des tâches jusqu’ici exécutées par les opérateurs de traitement de texte et dactylographes, ce qui aboutira très probablement à une forte baisse de la demande.

Selon les projections, les postes de secrétaires de direction et assistants administratifs de direction devraient reculer de plus de 20 % dans les dix prochaines années. Aux seuls États-Unis, environ 120 000 de ces postes seront perdus sous l’effet de l’évolution technologique et des tendances structurelles ; les tâches et les compétences demandées par un grand nombre d’autres emplois risquent aussi de beaucoup changer. En l’état actuel des choses, les informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne indiquent que les secrétaires de direction et assistants administratifs de direction conjuguent différentes compétences et connaissances dans diverses tâches courantes, mais aussi dans des tâches complexes. Par exemple, certaines connaissances juridiques ou médicales (normes de sécurité, traitement des assignations à comparaître, réhabilitation physique) sont souvent demandées pour rédiger des comptes rendus techniques de réunions de haut niveau dans ces domaines. En règle générale, les secrétaires de direction et assistants administratifs de direction devraient savoir gérer un planning, effectuer le suivi des commandes, autoriser des dépenses et, souvent, déposer des plaidoiries.

Les secrétaires de direction et assistants administratifs de direction exécutent par ailleurs des tâches courantes qui devraient disparaître ou changer du tout au tout très prochainement, qu’il s’agisse d’utiliser un logiciel de calendrier ou d’organiser les fournitures de bureau, voire de superviser la réparation des télécopieurs. Par exemple, les nouvelles fonctionnalités intégrées dans certains des systèmes de messagerie électronique les plus utilisés (comme Gmail) détectent déjà les dates et les demandes de réunion dans les e-mails, et actualisent automatiquement les calendriers. Ces programmes notifient également l’utilisateur si l’e-mail contient des questions ou des requêtes restées sans réponse plus de cinq jours.

L’automatisation et l’évolution technologique rendront inévitablement certaines tâches et compétences de plus en plus redondantes, mais elles libéreront aussi du temps que les travailleurs pourront consacrer à des activités plus productives au même poste ou à de nouveaux types de postes. De nouvelles professions naîtront probablement de l’évolution technologique, grâce auxquelles les compétences et les tâches seront réorganisées de manières innovantes. Les enquêtes auprès des employeurs (Forum économique mondial, 2020[8]) montrent que les « rôles de plus en plus redondants diminueront, de 15.4 % de la main-d’œuvre à 9 % (régression de 6.4 %) et que les nouvelles professions progresseront, de 7.8 % à 13.5 % (progression de 5.7 %) du total des effectifs des entreprises participantes », à l’horizon 2025.

Selon les projections du U.S. BLS, l’emploi dans un large éventail de professions devrait progresser Tableau 5.2), en particulier dans au moins trois des principales catégories professionnelles. Les métiers du secteur de l’énergie, dont un grand nombre sont directement liés à l’introduction des techniques dites « vertes » (techniciens de maintenance de parcs éoliens ou installateurs de panneaux photovoltaïques), devraient connaître une croissance de plus de 50 % à l’horizon 2029 par rapport à 2019. D’autres métiers et tâches dans le même secteur deviennent eux aussi plus « verts » (conducteurs de tour, foreurs de puits et hommes de surface dans le secteur pétrole et gaz) et devraient connaître une croissance d’au moins 25 % à l’horizon 20299.

L’emploi dans le secteur de la santé devrait lui aussi connaître une augmentation spectaculaire dans les dix prochaines années. Les métiers d’auxiliaire de vie à domicile, d’assistant en physiothérapie et de gestionnaire de services médicaux et de santé devraient progresser de plus de 30 % ; celui d’infirmière/infirmier de pratique avancée, de 52 %. Bien que ces évolutions expriment en partie les caractéristiques uniques du système de santé américain, le vieillissement démographique et le nombre croissant de personnes atteintes de maladies chroniques entraîneront probablement des mutations comparables dans d’autres pays.

L’emploi dans le secteur de la technologie et de l’analyse des données devrait lui aussi fortement progresser, grâce à la croissance exponentielle de la disponibilité des données pour le commerce, la recherche et la gestion d’entreprise. Les métiers de statisticien, d’expert en sécurité informatique, en science des données et en calcul scientifique, de développeur de logiciels, d’analyste qualité et testeur de logiciels, devraient progresser de 20 à 30 % dans les dix prochaines années. Les 30 professions qui, selon les projections, progresseront le plus rapidement, connaîtront une expansion de 28 % en moyenne à l’horizon 2029. Plus de deux millions et demi de nouveaux métiers et près de 12 millions d’emplois seront ainsi créés aux États-Unis seuls.

L’analyse des offres d’emploi en ligne permet de recueillir des informations granulaires sur les compétences et les connaissances les plus pertinentes pour les professions en progression, ainsi que les tâches généralement demandées dans ces métiers. Les résultats illustrés par le Graphique 5.16 qui se dégagent de l’analyse des offres d’emploi en ligne recueillies entre 2016 et 2018 aux États-Unis montrent le bouquet de compétences associé aux techniciens de maintenance de parcs éoliens. Ces techniciens sont généralement chargés d’installer, d’inspecter, de maintenir, d’exploiter et de réparer les éoliennes, mais aussi de diagnostiquer et résoudre les problèmes susceptibles de causer des pannes. Des connaissances en énergie éolienne sont donc essentielles pour ce métier, mais d’autres compétences et connaissances techniques le sont aussi pour bien exécuter ce travail ; elles sont donc demandées dans les offres d’emplois correspondantes.

Par exemple, les techniciens de maintenance de parcs éoliens collectent des données sur les éoliennes à des fins de test et d’analyse en utilisant des appareils fumigènes (conçus pour faciliter l’observation des mouvements d’air et le traçage de l’air dans de nombreux types de situations de circulation d’air) ou des analyseurs de combustion. Un grand nombre des tâches associées à ce travail consistent également à maintenir et tester des composants électriques et des systèmes mécaniques et hydrauliques. Des connaissances en câblage et systèmes électriques triphasés (les outils courants qui alternent la production, la transmission et la distribution de l’énergie électrique) sont essentielles pour ce métier et très pertinentes dans les annonces d’offres d’emploi, aux côtés des compétences de ressuage cuivre, de la connaissance des systèmes de canalisation de l’eau et de la capacité de déchiffrage et réalisation plans de soudage. On notera avec intérêt que les annonces d’offres d’emploi en ligne révèlent en outre que les techniciens de maintenance de parcs éoliens doivent être familiarisés avec les opérations de vente au détail (contrôle des inventaires et service client), connaître les techniques de promotion de produits, et fournir des conseils et un encadrement techniques aux clients (compétences en vente technique).

Développeurs et analystes qualité/testeurs de logiciels sont des métiers qui devraient progresser sensiblement (21 %) à l’horizon 2029. Ils demandent la maîtrise des principes de développement de logiciels et des principes de programmation, des bases de données et de la programmation SQL, de Java (langage de programmation général pour les développeurs) et de Jquery (bibliothèque de logiciels JavaScript en accès libre utilisée par 73 % des 10 millions de sites les plus populaires et conçue pour simplifier la manipulation HTML, l’utilisation d’événements, les animations et Ajax). Les résultats de l’analyse textuelle des annonces d’offres d’emploi en ligne indiquent clairement que la connaissance des langages de programmation (C et C++, Eclipselink et diverses applications Java, comme JavaFX ou JavaRS) représente la plus grosse proportion des compétences les plus pertinentes pour les développeurs et analystes assurance qualité de logiciels. D’autres compétences statistiques, comme le bootstrapping (tests ou paramètres de mesure utilisant un échantillonnage aléatoire) et le fuzzy matching (technique permettant de mettre en correspondance des données qui ne sont pas 100 % similaires) sont cependant elles aussi essentielles (par exemple, pour l’analyse de données massives).

Les métiers de la santé représentent 13 des 30 professions les plus porteuses à l’horizon 2029 et méritent ainsi une attention particulière. Aux États-Unis, par exemple, l’emploi des infirmières de pratique avancée devrait doubler d’ici à 2029, jusqu’à 300 000 postes. Les infirmières de pratique avancée sont qualifiées pour intervenir à la fois dans le diagnostic et le traitement d’affections, en mettant par ailleurs l’accent sur la prévention des maladies et la gestion de la santé. Elles sont formées pour évaluer les besoins des patients, ordonner et interpréter des tests diagnostiques et des analyses en laboratoire, diagnostiquer des maladies, formuler et prescrire des plans de traitement. Selon le BLS, une infirmière de pratique avancée perçoit un salaire annuel médian de plus de 100 000 USD, soit plus du double du salaire moyen dans le pays. L’analyse des annonces d’offres d’emploi en ligne du Graphique 5.17 indique que la capacité à prodiguer des soins avancés aux patients est extrêmement pertinente pour ce métier, ainsi que la maîtrise de plusieurs domaines médicaux différents, dont la pédiatrie, la gynécologie, l’oncologie, les soins d’urgence et les soins intensifs. L’infirmière de pratique avancée conjugue ces compétences avec sa connaissance des procédures thérapeutiques, comme la thérapie électroconvulsive, le traitement des douleurs et de la chirurgie abdominales, la réparation de lacérations, les soins postopératoires en oto-rhino-laryngologie et l’irrigation des yeux. Le gain d’importance des métiers de la santé dans les dix années à venir se répercutera sur les compétences assimilées ; une progression qui risque alors de créer des déficits de compétences que les systèmes d’éducation et de formation devront combler par une offre adéquate de personnel qualifié.

Les emplois de type « auxiliaire de vie à domicile » occupent déjà plus de 3 millions de personnes aux États-Unis et devraient progresser de 34 % encore dans les dix prochaines années ; ils pourraient alors occuper plus de quatre millions et demi de personnes. Le vieillissement démographique et la demande d’aide aux personnes âgées qu’il entraîne sont des moteurs fondamentaux de cette dynamique du marché du travail. Contrairement aux infirmières de pratique avancée, les auxiliaires de vie à domicile sont des professionnels peu qualifiés (ils possèdent en moyenne un diplôme de fin d’études secondaires ou l’équivalent). Leurs compétences sont toutefois difficiles à automatiser compte tenu des diverses tâches effectuées chaque jour pour aider les personnes handicapées physiques, atteintes d’une maladie chronique ou en situation de handicap cognitif dans les actes du quotidien. Les annonces d’offres d’emploi en ligne révèlent que ce métier demande aussi d’être familiarisé avec un éventail hétérogène de concepts médicaux comme la gériatrie, les troubles de la santé mentale et le traitement des défaillances rénales aiguës.

On note avec intérêt que figurent dans les bouquets de compétences des auxiliaires de vie à domicile des procédures innovantes, comme la thérapie fonctionnelle, la thérapie psychodynamique (l’interprétation des processus mentaux et émotionnels pour aider les clients à discerner des schémas dans leurs émotions, leurs pensées et leurs croyances, pour mieux se comprendre eux-mêmes) et même la reconversion cognitive. D’autres tâches et compétences associées à la profession font intervenir des capacités plus manuelles et physiques pour améliorer la qualité de vie des patients : manipuler une stomie, réaliser des tests de glycémie ou désinfecter à l’alcool.

Le monde du travail est en train de se transformer sous nos yeux et l’impact de la pandémie de COVID-19 se fera ressentir pendant encore de longues années, alors que les pays tenteront de se remettre de ce choc sans précédent. De nombreux travailleurs ont perdu leur emploi pendant la crise, de nombreux autres ont vu leurs moyens de subsistance s’amoindrir. La relance économique se dessine avec l’arrivée des vaccins, mais l’incertitude continue de planer : les économies pourront-elles reprendre de la vitesse rapidement et les travailleurs qui ont perdu leur emploi en trouveront-ils un autre ?

« Retour à la normalité » ne veut pas dire reprise économique soutenue (OCDE, 2020[2]), car le monde du travail était déjà en train de changer avant la pandémie. La crise actuelle peut néanmoins être un tournant pour « reconstruire mieux » en faisant face à l’urgence et aux défis structurels posés par l’évolution technologique, la transformation numérique et l’automatisation. Si l’on considère le croisement des politiques d’éducation, de formation et d’emploi, cela signifie que de nombreux travailleurs devront s’adapter à cette période agitée en réintégrant le marché du travail à des postes différents, voire dans des professions différentes. Le seul moyen de permettre ces transitions nécessaires consiste à faciliter la reconversion professionnelle des travailleurs concernés afin qu’ils puissent développer les nouvelles compétences indispensables aujourd’hui et demain.

Cette section exploite des informations sur les compétences et les connaissances détaillées dans 62 millions d’annonces d’offres d’emploi publiées en ligne aux États-Unis pour plus de 700 métiers différents entre 2016 et 2018. L’analyse dévoile les parcours de reconversion qui permettraient le mieux aux individus exerçant actuellement certains métiers fragilisés d’évoluer vers des métiers porteurs dans les dix prochaines années. L’OCDE (2020[20]) a effectué un exercice similaire (bien qu’à un bien plus haut niveau d’agrégation) à partir des données recueillies en 2012 dans le cadre de l’Évaluation des compétences des adultes, un produit du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC). Ce chapitre donne quelques exemples d’un éventail de professions qui devraient régresser brutalement dans les dix prochaines années ou qui ont été très fragilisées par la pandémie, en utilisant les informations plus détaillées et actuelles contenues dans les annonces d’offres d’emploi.

En particulier, cette section analyse le type de reconversion professionnelle qui permettrait aux assistants administratifs de direction (profession qui devrait enregistrer un recul de plus de 20 %) d’évoluer vers des emplois présentant un degré suffisant de similarité des compétences, comme gestionnaire de services et structures administratifs (progression de 6 % prévue) ou spécialiste de relations publiques (progression de 7 % prévue).

En rapport avec la dynamique née de la crise du COVID-19, le chapitre s’intéresse également aux parcours de reconversion à court terme nécessaires pour former les enseignants et conseillers d’orientation scolaire et professionnelle (qui ont connu une baisse des offres d’emploi de 49 % pendant la crise) au métier d’agent de santé communautaires (croissance de 11 % des offres d’emploi en ligne sur la même période). Ce qui ne veut pas dire que ces virages professionnels seraient immédiatement désirables une fois la pandémie maîtrisée. Il est néanmoins intéressant de les analyser à titre d’exemple de l’utilisation possible des données massives dans le contexte actuel pour guider les décideurs dans la mise en place de parcours de reconversion courts et efficaces. Bien entendu, des changements d’emploi plus nombreux et différents sont possibles et parfois souhaitables, selon les caractéristiques ou les préférences de l’individu. Les pays devraient toutefois envisager d’utiliser les informations granulaires en temps réel contenues dans les annonces d’offres d’emploi en appui de la conception, et plus particulièrement de l’actualisation, des parcours de reconversion et des programmes d’apprentissage tout au long de la vie, pour aider les travailleurs dans leurs décisions de formation et de reconversion.

Les informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne permettent de déterminer les compétences, les connaissances et les tâches qui caractérisent différentes professions. Étant donné que ces caractéristiques se chevauchent parfois, les travailleurs peuvent changer d’emploi en mobilisant les compétences et les connaissances qu’ils utilisent dans leur emploi courant et en en intégrant de nouvelles. Par exemple, les offres d’emploi de réceptionnistes et d’employés de services d’information publiées en ligne ont un grand nombre de compétences et connaissances requises en commun avec les offres d’emploi de documentalistes, lesquelles compétences et connaissances sont très différentes de celles demandées des directeurs artistiques ou des informaticiens. Un degré élevé de compétences communes entre deux professions facilite les virages professionnels puisque la reconversion sera plus courte et moins intense. Ces changements d’emploi sont aussi plus ou moins difficiles selon si le nouveau métier demande le même niveau d’études et de formation en cours d’emploi pour parvenir au niveau de compétence voulu et selon si le changement implique une perte ou un gain de salaire.

Le cercle extérieur du Graphique 5.18 illustre les dix métiers dont les bouquets de compétences et de connaissances sont les plus proches de ceux des secrétaires de direction et assistants administratifs de direction. Les résultats reposent sur les informations contenues dans les offres d’emploi en ligne, ce qui permet de comparer les bouquets de compétences de différents métiers, en les classant des métiers relativement dissemblables aux métiers très semblables en termes de compétences requises. Le bleu clair dénote une plus grande similarité des compétences entre le métier de départ et celui d’arrivée ; le vert indique que le métier d’arrivée devrait progresser à l’horizon 2029 (voir le Tableau 5.1 et le Tableau 5.2 ci-dessus).

Les cercles intérieurs du Graphique 5.18 donnent des informations supplémentaires sur le niveau d’études (deuxième cercle en partant de l’extérieur) et de formation en cours d’emploi (troisième cercle en partant de l’extérieur) généralement requis pour accéder à la profession. Les couleurs plus claires dénotent des critères d’études et de formation en cours d’emploi similaires entre le métier de départ et celui d’arrivée. Enfin, le plus petit cercle indique si un changement d’emploi impliquerait (en moyenne) une perte de salaire, un gain de salaire ou un salaire équivalent à celui du métier de départ (les couleurs plus claires indiquent que le changement d’emploi aboutirait à un poste mieux rémunéré ou rémunéré au même niveau, les couleurs plus foncées à un poste dont le salaire serait inférieur à celui du métier de départ, et donc plus difficile à accepter pour l’individu).

Les résultats montrent que le changement d’emploi le plus « facile » pour les secrétaires de direction et assistants administratifs de direction serait vers de postes de superviseurs (travail de bureau) ou d’auxiliaires administratifs. L’analyse des annonces d’offres d’emploi révèle en fait que les deux métiers ont des critères de compétences, de connaissances et d’études en commun. Ni l’un ni l’autre ne demande de formation en cours d’emploi particulière et les salaires sont relativement proches. Cependant, le taux d’emploi des superviseurs (travail de bureau) et des auxiliaires administratifs devrait baisser sensiblement (83 %) dans les dix prochaines années. Compte tenu de l’impact de l’évolution technologique et des changements structurels sur les emplois, les virages professionnels tournés vers l’avenir devraient considérer les métiers situés dans le « voisinage de compétences » du métier de départ, mais porteurs à un horizon de dix ans. Les responsables des services administratifs et généraux et les spécialistes des relations publiques entrent dans le voisinage de compétences des secrétaires de direction et assistants administratifs de direction (d’après le descriptif donné dans les annonces d’offres d’emploi), mais devraient progresser de 6 et 7 % respectivement dans les dix prochaines années.

Les responsables des services administratifs et généraux planifient, dirigent et coordonnent les services administratifs d’une organisation. Ils sont également chargés de l’entretien des infrastructures, des fonctions administratives et du confort, de la sécurité et de l’efficacité de l’environnement bâti. Ils ont en commun plusieurs compétences « administratives » avec les secrétaires de direction et assistants administratifs de direction, et exécutent généralement des tâches similaires. Plusieurs aspects les séparent cependant. Comparés aux secrétaires de direction et assistants administratifs de direction, les responsables des services administratifs et généraux ont une plus grande connaissance de la gestion des infrastructures, de la maintenance et de la gestion énergétiques, ainsi que de la planification, de la gestion et de l’utilisation de certaines technologies (chauffage, ventilation et climatisation, par exemple) (Graphique 5.19). La montée en compétences et la formation dans les domaines susmentionnés permettraient aux secrétaires de direction et assistants administratifs de direction de mettre leurs connaissances à niveau pour exécuter les tâches des responsables des services administratifs et généraux, tout en apportant un grand nombre des compétences déjà développées dans le cadre du métier de départ.

Les spécialistes des relations publiques sont généralement chargés de créer et d’entretenir l’image publique d’un employeur ou d’un client en rédigeant des communiqués de presse, en planifiant et en pilotant des programmes de relations publiques et en levant des fonds pour leur organisation. Ils ont en commun plusieurs compétences et connaissances avec les secrétaires de direction et les assistants administratifs de direction, notamment en planification et gestion d’événements. Les deux métiers diffèrent principalement par le fait que les spécialistes des relations publiques s’occupent également de campagnes promotionnelles, de marketing général et de stratégie marketing. De nombreuses campagnes de marketing et de relations publiques sont menées de plus en plus en ligne, au moyen d’outils comme SproutSocial (plateforme de gestion et optimisation des réseaux sociaux qui offre aux marques et aux agences une interface unique pour la publication, l’analytique et l’engagement sur plusieurs profils). Les secrétaires de direction et assistants administratifs de direction auraient généralement besoin de se reconvertir dans ces domaines pour devenir des spécialistes des relations publiques.

La crise du COVID-19 a fait ressortir que le marché du travail peut mettre du temps à retrouver son équilibre, surtout face à une crise d’une ampleur inédite. Les pénuries de personnel dans certains secteurs risquent de ne pas être comblées rapidement par les surplus de professionnels dans d’autres, à moins d’une intervention des pouvoirs publics dirigée capable i) d’identifier les travailleurs les mieux à même de pallier ces pénuries et ii) de proposer des parcours de reconversion rapides et efficaces pour compenser les déficits causés par la crise.

Les données contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne offrent aux décideurs un moyen de repérer les travailleurs touchés par les plus fortes régressions de l’emploi pendant la crise, mais qui, de par leurs compétences, pourraient combler les pénuries moyennant une reconversion de courte durée vers d’autres professions dont la demande a très fortement augmenté. Mettre au point des parcours de reconversion professionnelle est beaucoup plus complexe pour une situation de crise que lorsqu’il s’agit de remplacer des métiers en lente disparition sous l’effet de l’évolution technologique. En raison de la nature soudaine de la crise, assortir deux métiers offrant des perspectives différentes, mais demandant des compétences suffisamment voisines est un exercice délicat, pour ne rien dire des autres aspects, comme le niveau d’études et de formation demandé et le salaire.

Le Tableau 5.3 dégage deux de ces professions dans le contexte actuel du COVID-19. Les données tirées des annonces d’offres d’emploi en ligne indiquent que les offres de postes de conseiller d’orientation scolaire et professionnelle ont accusé une chute brutale (-49 %) pendant la pandémie, alors que la demande d’agents de santé communautaires a augmenté de 11 %. Pourtant, ces deux professions demandent des compétences relativement voisines, qui permettraient le redéploiement de travailleurs de l’une à l’autre pendant la crise, moyennant une reconversion adéquate.

Les agents de santé communautaires prodiguent et organisent des soins de santé, des soins médicaux de base et des conseils à la communauté. Non seulement ils aident les patients à s’orienter dans les systèmes de soins de santé et de services sociaux et déterminent leur éligibilité aux plans d’assurance maladie, mais ils fournissent aussi des services de conseil informels, effectuent des examens de dépistage et renvoient les patients aux médecins compétents. Ces tâches et ces compétences ne sont pas très éloignées de celles des conseillers d’orientation scolaire et professionnelle, qui conseillent et assistent également des personnes (élèves) et interviennent lorsque des situations difficiles se présentent dans les établissements scolaires.

Les informations sur les compétences demandées recueillies dans les annonces d’offres d’emploi aux États-Unis révèlent que les conseillers d’orientation scolaire et professionnelle pourraient être redéployés en qualité d’agents de santé communautaires moyennant un minimum de formation aux actes de soins, à la réglementation et dans différents domaines médicaux : biopsie de l’endomètre, endocrinologie, recommandation de médicaments, etc. (Graphique 5.20).

D’après les informations granulaires contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne, une réaction rapide des pouvoirs publics permettrait d’épingler, en temps réel, les professions qui portent le plus lourd poids de la crise. Moyennant des parcours de reconversion courts, le surplus de travailleurs pourrait pourvoir rapidement les nouveaux postes dans les secteurs du marché du travail en tension touchés par la crise. Certaines mises en garde s’imposent cependant. Premièrement, les compétences et les connaissances recensées dans le Graphique 5.20 correspondent aux tâches ordinaires des agents de santé communautaires dans une situation pré-COVID, plutôt qu’à celles qu’ils sont amenés à exécuter en pleine crise sanitaire. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour adapter les parcours de reconversion à la situation d’urgence actuelle. Deuxièmement, les changements d’emploi décrits dans cet exemple ne devraient pas être considérés comme forcément souhaitables à long terme et une fois que la pandémie sera maîtrisée. Conseiller d’orientation scolaire et professionnelle et agent de santé communautaire sont en fait deux métiers porteurs, mais qui ont été touchés de manières très différentes pendant la crise du COVID-19. Les décideurs devraient cependant penser à utiliser des informations aussi granulaires et actuelles que celles dont il est ici question pour suivre de près l’évolution de leurs marchés du travail et ajuster l’offre de programmes de formation et de reconversion en conséquence.

Ce chapitre donne un aperçu de l’avenir des demandes de compétences et du marché du travail. En préparation pour l’après-COVID-19, de nombreuses entreprises ont déjà annoncé des projets d’investissement dans l’automatisation pour accroître la productivité. Un investissement susceptible d’accélérer les effets perturbateurs de la diffusion technologique et de poser d’énormes problèmes aux travailleurs précarisés, en particulier les individus peu qualifiés manquant de culture numérique qui devront monter en compétences pour bénéficier de la transformation numérique et de l’évolution technologique.

Au lendemain de la pandémie, de nombreux travailleurs qui pourront réintégrer leur poste quand l’activité économique reprendra feront eux aussi face à d’importants changements dans les compétences demandées et les tâches. D’autres, moins chanceux, ne pourront peut-être pas réintégrer le marché du travail à leur poste d’avant-crise et devront se reconvertir et monter en compétences pour trouver un nouvel emploi. Ici aussi, un enseignement tout au long de la vie ciblé et réactif est essentiel pour aider les individus à trouver leur chemin dans ce paysage incertain et inhospitalier.

Face à ce contexte, les pays devront adapter leurs systèmes d’éducation et de formation à l’avenir du travail. Les projections utilisées dans ce chapitre montrent que les professions en régression englobent plusieurs secteurs, et que certaines des compétences utilisées par les travailleurs aujourd’hui deviendront redondantes à mesure de l’automatisation des tâches.

L’analyse présentée dans ce chapitre renforce le message des Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2021, à savoir que sous l’effet de l’accélération de l’adoption des technologies, l’apprentissage tout au long de la vie deviendra encore plus essentiel. L’enjeu est colossal pour les pouvoirs publics : des politiques qui restent pertinentes et ciblent des situations et des demandes en évolution constante. Pour faciliter le redressement économique au court, moyen et long terme, les pays devront minimiser les pénuries de compétences et veiller à ce que les mesures en faveur de la montée en compétences et de la reconversion professionnelle soient ciblées et prises au moment opportun. Ils doivent identifier non seulement les compétences requises aujourd’hui, mais aussi les nouvelles tendances et les secteurs d’activité qui auront le plus besoin de compétences demain. Ces informations sont essentielles pour faciliter les changements d’emploi et aligner les efforts de reconversion sur les besoins du marché du travail, en accompagnant les individus dans leur parcours d’apprentissage tout au long de la vie. Conjuguées avec les statistiques de l’emploi conventionnelles, les informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne peuvent aider les décideurs à mieux comprendre les défis qui se posent à court et long terme ainsi munis de données actuelles et ciblées sur les difficultés à court et long terme en soutien de décisions cruciales.

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Des millions de personnes dans le monde utilisent les nouvelles technologies au quotidien pour rechercher un nouvel emploi, rester en contact avec leurs réseaux professionnels ou s’informer sur les salaires et les débouchés dans leurs (ou d’autres) professions. Les plateformes en ligne comme LinkedIn, Monster, Indeed, ZipRecruiter ou CareerBuilder fédèrent les données de millions d’utilisateurs et d’entreprises qui font appel à cette place de marché. La quasi-totalité de ces plateformes fournit à leurs utilisateurs un « marché du travail électronique », sur lequel des millions de nouveaux postes dans des secteurs et domaines très divers sont publiés chaque jour. Les annonces d’offres d’emploi en ligne contiennent des informations textuelles sur les qualités recherchées par l’employeur chez les candidats, à l’instar des annonces autrefois publiées dans les journaux. Elles concernent les compétences et les missions, le salaire annoncé, le lieu d’exercice, la durée du contrat et de nombreux autres aspects liés à l’environnement de travail.

Les nouveaux progrès en web-scraping (extraction et stockage automatiques d’informations textuelles de pages web) rendent possible de recueillir une multitude d’informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne pour analyser les tendances de la dynamique du marché du travail et des demandes de compétences, avec un niveau de granularité et d’actualité sans précédent.

Les avantages de ces informations par rapport aux statistiques de l’emploi conventionnelles (enquêtes auprès des employeurs ou de la main-d’œuvre) résident dans leur richesse, leur actualité et leur granularité. Premièrement, contrairement aux autres sources de données (O*NET10 ou ESCO11 par exemple) basées sur la collecte de données d’enquêtes ou d’avis d’experts, l’analyse des annonces d’offres d’emploi en ligne permet de suivre l’évolution des demandes de compétence dans le temps et jusqu’au présent. Cette caractéristique livre des éléments utiles sur l’évolution rapide du marché du travail dans le contexte de la crise du COVID-19, mais aussi sur l’évolution de la demande. Il est ainsi possible de détecter les tendances naissantes et de mieux prédire les changements au court et au moyen terme.

Deuxièmement, par rapport aux bases de données existantes sur les compétences, le détail et le volume des informations contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne améliore considérablement la granularité de l’analyse en permettant l’examen approfondi de compétences spécifiques généralement groupées dans les sources de données conventionnelles. On peut ainsi aller au-delà de l’analyse de concepts génériques, comme « connaissances en médecine » (évaluées dans d’autres bases de données souvent citées, comme O*NET) pour se rapprocher de concepts spécifiques, comme « connaissances en endocrinologie ou anesthésiologie ». Les incidences sont importantes, sur la capacité à réaliser des projections plus granulaires des demandes de compétences, à créer des parcours de reconversion et à mettre en place des interventions publiques pour stimuler leur développement.

Enfin, outre les données très détaillées concernant les compétences, les bases de données de recrutement en ligne contiennent un large éventail de métadonnées supplémentaires, dont les qualifications et l’expérience requises pour accéder à un poste particulier, sa situation géographique (dans le pays), le nom de l’entreprise ou de l’employeur qui recrute, le type de contrat (à durée déterminée ou indéterminée) et le mode de travail (télétravail, etc.). De nombreuses annonces d’offres d’emploi contiennent également des informations sur le salaire proposé.

Ce chapitre utilise des données fournies par Burning Glass Technologies couvrant 27 pays européens, plus l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Les données sont présentées au moyen d’un « identifiant de poste » unique après déduplication des annonces publiées simultanément sur plusieurs plateformes, pour veiller à ce que le même poste ne soit pas compté plus d’une fois même s’il apparaît en plusieurs endroits. Les offres d’emploi sont ensuite assorties avec différentes taxonomies (code à 6 chiffres du système national ou international de classification des professions), ce qui permet la mise en correspondance avec d’autres statistiques de l’emploi et du marché du travail. Burning Glass Technologies s’attache aussi beaucoup à harmoniser les mots clés trouvés dans les annonces. Par exemple, les mots ayant plus d’une graphie sont considérés comme interchangeables et codifiés de manière homogène pour les analyses ultérieures. Ainsi, les mots clés « travail en équipe » et « collaboration » sont combinés en « travail en équipe/collaboration ».

Cependant, tous les mots clés recueillis dans les annonces ne sont pas, stricto sensu, des « compétences ». Un grand nombre d’entre eux représentent des « champs de savoir » (endocrinologie, modélisation mathématique, etc.), d’autres font référence à la connaissance de « technologies et outils » particuliers (Phython, Microsoft Excel, etc.), d’autres encore concernent des « aptitudes » requises pour tel ou tel métier (aptitudes physiques ou cognitives). Bien que ces distinctions soient utiles, ce chapitre regroupe ces catégories dans l’analyse et opère une distinction entre les différents concepts lorsque cela est approprié (Encadré 5.A.1). Par souci de simplicité, le terme « compétences » sera utilisé dans le reste du chapitre pour désigner ces différents aspects globalement, tandis que les termes « connaissances », « aptitudes », « technologies » et « outils » seront employés pour distinguer clairement les différents concepts.

L’abondance et la granularité des informations sur les compétences et le marché du travail contenues dans les annonces d’offres d’emploi sont inédites, mais non sans certaines réserves et limitations. Par exemple, du fait que les données de Burning Glass concernent uniquement les offres d’emploi publiées en ligne, elles pourraient ne pas être représentatives des offres d’emploi publiées par d’autres moyens12.Par ailleurs, les annonces d’offres d’emploi en ligne peuvent être quelque peu biaisées en faveur de certains domaines de l’économie. (Hershbein et Kahn, 2018[33]) font observer que les soins de santé et l’assistance sociale, la finance et l’assurance, et l’enseignement sont surreprésentés dans les données de Burning Glass (États-Unis), tandis que l’hébergement et la restauration, l’administration publique/la fonction publique et le bâtiment sont sous-représentés. La plupart des différences sont toutefois mineures. Un récent document de travail de l’OCDE a évalué les propriétés statistiques et les caractéristiques distributives des données des annonces d’offres d’emploi en ligne de Burning Glass, en s’intéressant également à leur évolution dans le temps (Cammeerat et Squicciarini, 2020[34]). Il ressort de ces travaux que la représentativité est globalement adéquate pour la majorité des pays, si l’on considère uniquement les années pour lesquelles aucune rupture de la série chronologique n’est observée. L’étude montre cependant que les cadres, professionnels, techniciens et professionnels assimilés sont relativement plus représentés dans les données de Burning Glass que les autres catégories professionnelles. La prudence est donc de mise dans l’interprétation des résultats, la comparaison des catégories professionnelles ou les analyses sectorielles13.

Le biais potentiel est plus prononcé pour les emplois peu qualifiés, et moins problématique pour les professions et les secteurs très qualifiés. À cet égard, Carnevale, Jayasundera et Repnikov (2014[35]) estiment qu’environ 80 à 90 % des annonces demandant au moins une licence sont publiées en ligne, contre 40 à 60 % des annonces demandant un diplôme de fin d’études secondaires. Cela étant dit, Herbshbein et Kahn (2018[33]), Forsyth et al. (2020[36]) et Dalton, Kahn et Mueller (2020[8]) ont relié les données de Burning Glass aux États-Unis à celles de l’enquête U.S. Job Openings and Labour Turnover auprès des établissements et observé un degré élevé de concordance entre les deux bases de données14. Knutsson, Tsvetkova et Lembck (à paraître[37]) montrent également que la répartition régionale des données de Burning Glass pour l’Australie, le Canada et les États-Unis correspond généralement aux données officielles des quelques dernières années.

Les précédentes études qui se sont appuyées sur les annonces d’offres d’emploi en ligne pour analyser la dynamique du marché du travail ont, dans la plupart des cas, examiné la fréquence d’apparition des mots clés des compétences dans les annonces pour en déduire les demandes de compétences sur le marché du travail. Or, les récents progrès en traitement du langage naturel (TLN) permettent désormais d’utiliser les informations contenues dans les offres d’emploi en ligne de manière bien plus pointue, en s’intéressant à la valeur sémantique des éléments textuels. L’une de ces méthodes, appelée « plongement de mots » (word embeddings), tire le sens d’un mot de son contexte (l’hypothèse distributionnelle). Cette méthode est utilisée dans ce chapitre à la fois pour interpréter le sens des mots clés dans la base de données, mais aussi pour définir une stratégie de catégorisation de ces mots clés en plus grands groupes.

Sous leur forme la plus courante, les modèles d’espace vectoriel utilisent le contexte du mot pour en tirer le sens et créer des vecteurs de dimensions n qui représentent ce sens. Essentiellement, ces vecteurs de dimensions n sont des listes de nombres réels qui peuvent être représentés sous forme de coordonnées dans un espace de grande dimension. Cette représentation sémantique est ainsi codée et répartie sur l’ensemble des dimensions n du vecteur ; chaque dimension représente un certain élément de contexte et ses coordonnées correspondent au nombre d’occurrences de ce contexte (Erk, 2012[17]). Étant donné que cette représentation sémantique est entièrement bâtie à partir de nombres réels, on peut utiliser des mesures de similarité pour refléter la similarité entre différents vecteurs représentant différents mots (Boleda, 2020[38]).

Ces opérations arithmétiques conservent intuitivement la valeur sémantique des mots et devraient donc donner des résultats logiquement et sémantiquement significatifs. Par exemple, une fois les vecteurs de mots estimés, l’opération arithmétique élémentaire suivante pourrait être réalisée : vec(“Reine”) + vec(“Masculin) = vec(“Roi).

Du point de vue mathématique, cela signifie que si deux mots ont des sens voisins (par exemple Reine, Roi et Royauté), le cosinus de l’angle entre leurs représentations vectorielles devrait être proche de 1 (l’angle proche de 0). Par ailleurs, les valeurs négatives du cosinus correspondent à des représentations vectorielles proches, mais de sens contraire. Dans le contexte des annonces d’offres d’emploi en ligne utilisées dans ce chapitre, cette méthode peut servir à extraire la valeur sémantique de chaque « mot clé des compétences » contenu et à analyser ces valeurs en établissant les relations entre, dans notre cas, les mots clés des compétences.

Outre les vecteurs de mots (représentant les compétences), on obtient également une représentation vectorielle de toutes les professions en concaténant les vecteurs de compétences pour former des « vecteurs de profession ». Afin de faciliter cette opération, le vecteur de paragraphe Distributed Bag of Words (PV-DBOW) est employé pour déterminer la valeur sémantique à la fois des compétences et des professions. Les vecteurs de compétences individuels ont été entraînés avec la variante Skip-Gram de Word2Vc. Les vecteurs de profession, obtenus de manière empirique avec le PV-DBOW, représentent intuitivement le champ sémantique de chaque profession sous forme vectorielle, car ils sont construits à partir de la valeur sémantique des compétences qui constituent la profession, représentant les compétences demandées par telle ou telle profession.

Le calcul de la représentation vectorielle dans l’espace de dimension n des mots clés des compétences et des professions permet également de calculer la similarité d’une compétence donnée quelconque avec le vecteur de profession calculé. On peut ainsi déterminer, par exemple, si le vecteur pour le mot clé « compétences administratives » est plus proche de la représentation vectorielle de la profession « économiste » ou « peintre ». Notons que le graphe des compétences ainsi extrait est un graphe acyclique non dirigé, ce qui signifie l’absence d’occurrences simultanées des compétences. Par conséquent, la diagonale de la matrice d’adjacence est 0. Lorsqu’il y a cooccurrence de deux compétences dans une certaine annonce d’offre d’emploi, la ligne correspondant à la compétence A et la colonne correspondant à la compétence B auront la valeur 1. Notons la symétrie de la matrice d’adjacence, qui signifie que la cooccurrence des compétences est non dirigée et donc commutative.

Les scores de similarité entre les mots clés des compétences et les vecteurs de professions sont calculés pour toutes les combinaisons de professions et de compétences. Les valeurs qui résultent de ce calcul remplissent la matrice sémantique des bouquets de compétences (Semantic Skill Bundle Matrix, SSBM ci-après).

À titre d’illustration du type d’informations contenues dans la SSBM, un exemple est donné dans le Graphique d’annexe 5.B.1 pour les professions de « Concepteur web » et « Responsable marketing ». Les résultats du Graphique d’annexe 5.B.1 montrent que les vecteurs de mots « concepteur web », « bootstrap » et « conception graphique et visuelle » sont sémantiquement (spatialement) proches de la profession « concepteur web » et, partant, ils sont interprétés dans ce qui suit comme des compétences « pertinentes » pour cette profession. De même, « marketing en ligne », « gestion marketing » et « marketing général » sont les compétences pertinentes pour les « responsables marketing ».

En plus de créer une série de valeurs hiérarchisées de pertinence de chaque compétence pour une profession donnée, la structure de la SSBM permet de calculer la corrélation entre les compétences sur l’ensemble des professions dans les données BGT. Dans la pratique, il est possible de connaître le degré de corrélation entre toutes les compétences et de révéler ainsi les relations entre les compétences dans le corpus entier d’offres d’emploi.

À titre d’exemple, le Graphique d’annexe 5.B.1 montre comment la connaissance de la « méthodologie de développement de logiciels » est associée à celle des « serveurs web » d’une profession à l’autre, ce qui signifie que les professions pour lesquelles le premier mot clé est très pertinent sont celles pour lesquelles le dernier l’est également.

Les valeurs dans la grille des bouquets de compétences sont une représentation de la ressemblance/dissemblance sémantique d’un mot clé des compétences donné par rapport à la représentation vectorielle de chaque profession. Du point de vue intuitif, plus un mot clé des compétences est proche (par son sens, c’est-à-dire aussi dans l’espace vectoriel de dimension n) d’une profession, plus cette compétence joue un rôle important dans cette profession (elle est « pertinente »). En principe, la similarité sémantique d’une compétence par rapport à une profession peut, par conséquent, être utilisée pour suppléer l’importance de cette compétence dans le bouquet de compétences spécifique de la profession considérée. Il n’existe toutefois pas de moyen simple de soumettre cette hypothèse à un test empirique. On pourrait faire appel à un jugement et des évaluations d’experts sur l’importance de la compétence dans plusieurs professions et comparer le résultat aux valeurs de la grille des bouquets de compétences.

ONET est une source précieuse d’informations dans ce sens grâce à l’« indice concis » d’évaluations d’experts sur l’importance et le niveau d’un large éventail de compétences dans plusieurs professions. Dans ONET, les experts et les titulaires de postes doivent classer l’importance (et le niveau) d’un large éventail de compétences pour chaque profession (code à 6 chiffres) sur le marché du travail américain.

En corrélant les valeurs de la matrice des bouquets de compétences avec celles de ONET sur plusieurs professions, on peut, dans l’idéal, établir si les valeurs de la grille des bouquets de compétences construite à partir de l’analyse sémantique sont une bonne approximation du classement par « importance et niveau » donné par les experts de ONET pour chaque compétence sur l’ensemble des professions. Une difficulté se pose cependant, du fait que les mots clés des compétences dans BGT ne correspondent pas aux catégories dans ONET. Étant donné que les mots clés sont beaucoup plus nombreux dans BGT, ils sont aussi plus granulaires et plus spécifiques que les catégories dans ONET. À titre d’exemple, alors qu’il est possible de trouver le mot clé « anesthésiologie » dans BGT, cette compétence serait probablement classée dans une catégorie beaucoup plus générale dans ONET, comme « Médecine et dentisterie ».

Une analyse de corrélation complète entre une compétence quelconque dans BGT et toutes les valeurs des catégories de ONET sur l’ensemble des professions permet d’établir les relations entre les catégories de ONET et les mots clés de BGT. Les résultats illustrés par le Graphique d’annexe 5.B.2 montrent la corrélation (coeff. : 0.66) entre les valeurs de la grille SSBM pour ingénieur en génie civil architectural (BGT) et connaissances en bâtiment et construction (ONET). Cette corrélation est positive et significative, ce qui confirme que les valeurs de ONET et celles de la grille SSMB sont bien alignées comme prévu/voulu.

Les résultats ci-dessus confirment que les classements de la « pertinence » sémantique des compétences sur l’ensemble des professions dans la SSBM est proche du classement de l’importance et du niveau dans ONET (fourni par les experts du marché du travail et les titulaires des postes) pour les compétences/connaissances logiquement liées les unes aux autres dans les deux sources de données (dans les cas ci-dessus, anesthésiologie vs médecine et dentisterie ou génie civil vs bâtiment et construction dans BGT et ONET respectivement). Cela donne à son tour à penser que les valeurs contenues dans la SSBM et leur classement sur l’ensemble des professions peuvent suppléer la pertinence des compétences dans BGT sur l’ensemble des professions, car elles donnent des résultats remarquablement similaires lorsqu’elles sont comparées avec les valeurs de ONET pour les mêmes professions et des compétences, connaissances et aptitudes assimilées.

L’analyse présentée dans ce chapitre estime le lien entre salaire, résultats au regard de l’emploi et compétences transversales à travers un modèle de régression type appliqué à un panel important d’environ 2 millions d’annonces d’offres d’emploi en ligne recueillies au Royaume-Uni entre 2017 et 2019. Le modèle empirique teste la spécification générale suivante dans deux variantes (salaire et emploi)

lnY=α+β1AvEducation+β2SkillComplex+β3Trans_Skill+Geography+Sector+Time

Dans la régression sur le salaire, InY est le log des salaires annuels proposés dans chaque annonce d’offre d’emploi individuelle. Dans la régression sur l’emploi, InY représente le log des offres d’emploi dans la profession considérée (code CITP à 6 chiffres). Les deux spécifications utilisent le même ensemble de régresseurs pour estimer le rendement salarial et le rendement professionnel. Cependant, la régression sur l’emploi agrège toutes les variables au niveau de la profession (code CITP à 6 chiffres), car la variable dépendante dans cette dernière spécification est la fréquence des offres d’emploi par profession et par situation géographique.

AvEducation est la désignation de la qualification mentionnée par les employeurs dans leurs annonces. Étant donné que les annonces ne mentionnent pas explicitement le nombre d’années d’études requis, mais plutôt seulement le niveau de qualification souhaité (master, doctorat ou deuxième cycle de l’enseignement secondaire), la désignation a été convertie en nombre moyen d’années d’études selon la Classification internationale type de l’éducation.

SkillComplex mesure le nombre total de compétences mentionnées dans chaque annonce d’offre d’emploi et constitue un indicateur de la complexité moyenne de l’offre d’emploi considérée. On suppose que les offres mentionnant un grand nombre de compétences sont plus complexes et demandent un éventail de compétences diverses.

Trans_Skills est une variable continue qui représente la pertinence de chaque compétence transversale considérée pour une profession donnée. Cette mesure est calculée en créant des plongements de mots à partir des informations textuelles contenues dans les annonces d’offres d’emploi en ligne (voir l’Annexe 5.B) pour représenter la valeur sémantique des mots clés sous forme de vecteur mathématique. Les vecteurs de compétences et de professions ont été estimés par TLN et en utilisant des algorithmes d’AA word2vec et doc2vec. La distance sémantique (similarité du cosinus) entre les vecteurs de compétences et de professions est utilisée pour approximer la pertinence de la compétence par rapport à la profession. Par exemple, cette méthode d’AA permet d’établir si les compétences de leadership sont plus proches et plus pertinentes pour les cadres que pour les plombiers. La spécification empirique est appliquée à un ensemble complet de variables indicatrices sectorielles et géographiques (au niveau du pays) ainsi qu’à des effets temporels fixes ; elle est répétée séparément pour chaque compétence transversale dans le Graphique 5.8

Outre les résultats présentés plus haut, qui concernent le rendement de chaque compétence transversale spécifique, l’analyse complémentaire illustrée par le Tableau d’annexe 5.C.1 cherche à savoir si les emplois qui demandent un plus grand nombre de compétences transversales procurent un rendement salarial ou professionnel supérieur ou inférieur. Les résultats donnés dans le Tableau d’annexe 5.C.1 montrent que, en moyenne, les annonces d’offres d’emploi mentionnant un grand nombre de compétences transversales sont associées à un rendement salarial négatif (un salaire inférieur à la moyenne de l’échantillon). Ce résultat n’a rien d’inattendu. Les emplois demandant un nombre relativement important de compétences transversales ne sont pas, par définition, techniques et spécialisés, d’où la forte probabilité d’un rendement salarial inférieur à la moyenne sur le marché du travail général. Autrement dit, les résultats donnent à penser qu’un certain degré de spécialisation et de compétences techniques entraîne un surplus de salaire. Cela étant dit, les résultats du Tableau d’annexe 5.C.1 montrent également que les professions demandant un nombre relativement important de compétences transversales ont un rendement professionnel positif (plus d’offres d’emploi que la moyenne). Les résultats permettent de penser que les travailleurs qui possèdent de nombreuses compétences transversales peuvent facilement s’adapter à différents postes et exécuter des tâches dans des professions diverses. Autrement dit, les individus qui possèdent un large éventail de compétences transversales seront en toute probabilité de bons candidats pour un plus large ensemble de postes, ce qui multipliera considérablement leurs chances globales d’être employés. Si l’on considère le salaire et les résultats au regard de l’emploi ensemble, l’analyse du Tableau d’annexe 5.C.1 laisse entrevoir l’existence d’un compromis entre ce que les compétences transversales peuvent apporter en termes d’employabilité accrue et le rendement salarial qui leur est associé.

Notes

← 1. Les initiatives vont du renforcement des mesures de dépistage rapide et de traçage des contacts à l’imposition de mesures de distanciation physique draconiennes, dont des confinements nationaux et l’arrêt de toutes les activités économiques « non essentielles ». Les mesures les plus fréquentes ont été la fermeture des écoles, les restrictions sur les voyages, l’interdiction des rassemblements publics, les investissements d’urgence dans des installations sanitaires, les nouvelles formes de protection sociale, le traçage des contacts et autres interventions visant à contrôler la propagation du virus, à renforcer les systèmes de santé et à gérer les conséquences économiques de ces actions (Hale et al., 2020[4]).

← 2. Les résultats présentés ici concernent une sélection de pays. Les résultats complets seront publiés en ligne dans des notes par pays.

← 3. L’indice de rigueur est tiré de l’Oxford COVID-19 Government Response Tracker (OxCGRT), un outil systématique de suivi des mesures publiques de lutte contre le COVID-19 dans le temps, permettant des comparaisons entre les pays et les territoires. Le projet suit les politiques et les interventions des pouvoirs publics selon une série d’indicateurs normalisés et crée un ensemble d’indices composites pour en mesurer l’ampleur. L’indice de rigueur, en particulier, contient des informations sur les mesures d’endiguement et de fermeture, dont les fermetures d’écoles et les restrictions de la circulation. Il enregistre le nombre et la rigueur des mesures publiques et ne devrait pas être interprété comme une évaluation du bien-fondé ou de l’efficacité de la réponse d’un pays. Pour en savoir plus, voir (University of Oxford, 2021[44]).

← 4. Ces résultats ventilés sont à interpréter avec certaines réserves. Bien qu’ils reposent sur des échantillons d’observations de taille importante, les annonces d’offres d’emploi qui spécifient le niveau minimum d’études sont minoritaires : 32.3 % de l’échantillon total pour l’Australie, 38 % pour le Canada, 60.5 % pour les États-Unis et 25.6 % pour le Royaume-Uni. Par ailleurs, les offres d’emploi concernant des postes peu qualifiés ne sont pas généralement publiées en ligne et sont donc peut-être sous-représentées dans cette analyse.

← 5. Cette section analyse les annonces d’offres d’emploi publiées au Royaume-Uni entre 2017 et 2019. Elle utilise les résultats du Royaume-Uni comme exemple, les compétences transversales recensées dans d’autres pays étant qualitativement proches.

← 6. On trouve, parmi les compétences informatiques liées à la gestion de projet, C shell-csh (langage de programmation qui ressemble à C et laisse l’utilisateur rappeler des commandes précédemment saisies et les répéter ou les modifier) et IPX/SPX (protocole réseau en couches).

← 7. Ce chapitre utilise des projections pour les États-Unis pour illustrer les conséquences attendues des mégatendances (automatisation, transformation numérique et vieillissement démographique) sur les économies à la frontière technologique. En toute probabilité, les tendances analysées ici seront quantitativement voisines et prévisibles dans d’autres pays. Qui plus est, les projections sont produites à un niveau élevé de désagrégation par profession, ce qui permet d’épingler les effets des mégatendances sur les tendances de l’emploi avec le degré nécessaire de granularité pour cette analyse.

← 8. La connaissance des transactions concerne les opérations d’achat et vente d’un instrument financier le même jour, voire plusieurs fois en un même jour.

← 9. Les études précédentes de Vona et (Vona et al., 2018[39]) et Chen et (Chen et al., 2020[42]) ont utilisé les données de O*NET pour identifier les principaux ensembles de compétences « vertes » et conclu que leur importance pour les conducteurs de tour est proche de l’indicateur maximum.

← 10. (ONET, 2021[31]).

← 11. (ESCO, 2021[43]).

← 12. Les offres d’emploi sont de plus en plus publiées en ligne, plutôt que dans les journaux et par d’autres moyens conventionnels. On estime par exemple, que 60 à 70 % de toutes les annonces d’offres d’emploi aux États-Unis ont été publiées en ligne en 2014 (Carnevale, Jayasundera et Repnikov, 2014[35]).

← 13. Selon la finalité de l’étude, la repondération de l’échantillon peut s’imposer. Qui plus est, l’étude met en doute la représentativité des données de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Hershbein et Kahn (2020[40]) proposent une approche de repondération-estimation-transformation pour estimer les incidences du COVID-19 sur les annonces d’offres d’emploi en Australie et surmonter le problème causé par la trop petite taille de l’échantillon. Compte tenu de la nature des données et du manque de statistiques conventionnelles produites à des intervalles comparables, la repondération des données peut être difficile. La prudence est donc de mise dans l’interprétation des résultats donnés ici.

← 14. Autre point soulevé par Hershbein et Kahn (2018[33]), les annonces d’offres d’emploi publiées en ligne « représentent une marge seulement permettant aux entreprises d’ajuster les intrants de main-d’œuvre à travers une demande exprimée, mais pas nécessairement comblée. ».

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