2. Villes, urbanisation et violences politiques en Afrique du Nord et de l’Ouest

Les villes ont de tout temps été le théâtre de guerres, d’insurrections et de violences politiques. Nombreuses sont celles à travers le monde qui, de par leurs fonctions militaires et commerciales, ont connu d’innombrables affrontements. Ces dernières années, le rôle des villes et des zones urbaines dans les conflits est de plus en plus mis en avant du fait de l’urbanisation croissante à l’échelle mondiale. Compte-tenu de la proportion et du nombre croissants de citadins, les conflits urbains sont-ils voués à augmenter en nombre et en intensité ? La question des liens entre villes et violences se pose particulièrement en Afrique du Nord et de l’Ouest, au regard des transformations urbaines en cours et des crises touchant de nombreux États.

L’Afrique connaît une transition urbaine rapide, qu’il s’agisse de la taille absolue ou du nombre de villes. Ces dynamiques s’opèrent sous l’effet de taux de fécondité élevés dans les zones urbaines, de l’exode rural et de l’urbanisation des villages. Si l’Afrique reste la région la moins urbanisée du monde, elle affiche toutefois les taux de croissance urbaine les plus rapides, avec une population citadine passée de 27 millions en 1950 à 567 millions en 2015. La population du continent devrait doubler à l’horizon 2050, les deux tiers de cette croissance relevant des villes. Plus de la moitié de la population africaine vit aujourd’hui en zone urbaine, contre 18 % en 1960 et 31 % en 1990 (OCDE/CSAO, 2020[1]). Le nombre d’agglomérations urbaines augmente à un rythme sans précédent, avec plus de 7 600 agglomérations de plus de 10 000 habitants en 2015, contre 5 142 en 2000 (Carte 2.1).

Cette croissance urbaine est l’un des principaux moteurs des transformations économiques et sociales en Afrique du Nord et de l’Ouest. La croissance et la multiplication des villes s’accompagnent en effet d’une diversification vers des produits plus périssables, plus pratiques à consommer et de qualité supérieure, ce qui entraîne des conséquences sur la production agricole, les échanges commerciaux et la consommation alimentaire (Staatz et Hollinger, 2016[2] ; Minten, Reardon et Chen, 2017[3]). La multiplication des villes petites et intermédiaires facilite l’accès à de nouveaux marchés, offre des opportunités économiques et contribue à la diffusion de pratiques innovantes dans les zones rurales (Banjo, Gordon et Riverson, 2012[4]). L’urbanisation facilite l’accès à davantage de services sociaux, d’infrastructures sanitaires et culturelles, longtemps absents des zones rurales et contribuant à améliorer le niveau de développement humain de la région.

Les avantages de l’urbanisation et d’une meilleure accessibilité contribuent au passage d’une économie de subsistance à une économie axée sur les marchés régionaux (Allen et Heinrigs, 2016[5]). Dans le sud du Niger, par exemple, la production d’oignons et de riz le long de la vallée du fleuve Niger alimente non seulement les marchés locaux, mais répond aussi à la demande croissante du golfe de Guinée et du nord du Nigéria, à plus de 500 km (Walther, 2015[6]). Enfin, la bonne connectivité des villes attire un nombre croissant d’entrepreneurs et de prestataires de services, ce qui explique la récente augmentation de l’emploi non agricole dans les zones rurales (Berg, Blankespoor et Selod, 2018[7]).

En Afrique de l’Ouest, les liens entre rural et urbain sont d’autant plus importants que le réseau urbain est relativement jeune et qu’il s’articule entre de petites villes jouant un rôle crucial dans la diversification agricole, commerciale et économique (Owusu, 2008[8] ; Tacoli et Agergaard, 2017[9]). Dans le nord du Ghana, par exemple, les céréales et les cultures de rente transitent par un dense réseau de marchés urbains, comme Bawku, Bolgatanga ou Nyankpala, avant d’être exportées à l’échelon régional ou international (Karg et al., 2019[10]).

La transition démographique s’est opérée plus tôt en Afrique du Nord qu’en Afrique de l’Ouest, d’où un taux d’urbanisation plus élevé (de 20 %) dans les pays du nord du Sahara que dans le reste de la région, avec un écart relativement constant depuis 1950 (Walther, 2021[11]).1 En 2021, sept personnes sur dix vivent en ville en Afrique du Nord, contre un peu moins de cinq sur dix (48 %) en Afrique de l’Ouest. Le pays le moins urbanisé d’Afrique du Nord (le Maroc, 64 %) affiche une part de population urbaine plus élevée que le pays plus urbanisé d’Afrique de l’Ouest continentale (la Gambie, 63 %). Le profil démographique du Cabo Verde est similaire à celui des pays d’Afrique du Nord, caractérisé par de faibles taux de fécondité et de natalité, et des taux d’urbanisation élevés. Plus des trois quarts de la population est urbaine en Libye et en Algérie, où les villes se concentrent le long de la côte méditerranéenne. Des différences significatives s’observent en Afrique de l’Ouest : alors que les taux d’urbanisation dépassent 50 % dans plusieurs pays tels que le Cameroun et la Mauritanie, moins de 30 % de la population du Niger et du Tchad est urbaine (Graphique 2.1).

Depuis les années 1950, la population urbaine augmente à un rythme plus soutenu que celle des zones rurales. Au nord du Sahara, les citadins sont plus nombreux que les ruraux depuis 35 ans ; ils représentent près de 71 millions de personnes en 2021 en Algérie, en Libye, au Maroc et en Tunisie. Les pays d’Afrique de l’Ouest étudiés comptent 200 millions de citadins avec une population rurale supérieure à 238 millions (Graphique 2.2). La croissance urbaine des pays d’Afrique du Nord a diminué de plus de moitié entre 1965 et 2000. L’Afrique de l’Ouest connaît une évolution similaire, avec un décalage temporel considérable. Dans le Sahel, la croissance urbaine s’est maintenue à des niveaux élevés tout au long des années 2000, ne ralentissant que récemment (Graphique 2.3). La population urbaine du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad est estimée à plus de 19 millions de personnes en 2020.

Dans les quatre pays d’Afrique du Nord étudiés, la croissance de la population est plus marquée dans les villes. Le taux de croissance annuel moyen des populations rurales est en forte baisse depuis la fin des années 1990, avec des valeurs négatives entre 2000 et 2010, et nulles entre 2010 et 2020. En termes absolus, la population rurale d’Algérie, de Libye, du Maroc et de Tunisie stagne à environ 30 millions de personnes depuis 20 ans. La croissance de la population rurale reste élevée en Afrique de l’Ouest (+1.5 % en 2021), avec toutefois une lente diminution. Cette croissance est la plus forte dans le Sahel (+2.5 % en 2021), avec une population rurale estimée à 46 millions de personnes en 2020, contre 26 millions il y a 20 ans (Graphique 2.4).

De nombreux pays de la région présentent un réseau urbain macrocéphale, concentrant la plupart des fonctions commerciales et politiques essentielles du pays, ainsi que la majorité de la population urbaine dans une seule agglomération. Cette configuration s’écarte de la répartition théorique de la population urbaine, qui veut que la première ville ou agglomération urbaine compte deux fois plus d’habitants que la deuxième de la hiérarchie. Si la plus grande ville compte un million d’habitants, la deuxième afficherait une population d’un demi-million d’habitants, soit un ratio de 2:1. Au Libéria, en Guinée, au Togo et au Mali, ce ratio est supérieur à 10, illustrant la primauté de Monrovia, Conakry, Lomé et Bamako (OCDE/CSAO, 2019[13]). La Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Tchad et la Sierra Leone présentent également des réseaux urbains dominés par une seule grande ville.

À mesure que les pays poursuivent leur urbanisation, l’importance des capitales politiques (ou économiques) par rapport aux deuxièmes villes continue de s’accentuer (OCDE/CSAO, 2019[13]). Avec plus de 2.8 millions d’habitants, Ouagadougou est 3.6 fois plus peuplée que Bobo-Dioulasso en 2020, pour une taille similaire en 1950. Au Cameroun, Yaoundé double, passant de 2.3 à 4.6 millions d’habitants entre 2010 et 2020, tandis que la population de Douala n’augmente que de 2.2 à 3 millions d’habitants.

Le Nigéria est le seul pays d’Afrique de l’Ouest présentant une structure urbaine véritablement multicéphale, au sein de laquelle plusieurs grandes villes occupent le sommet de la hiérarchie. Les zones métropolitaines de Lagos, Kano et Onitsha fonctionnent ainsi, de fait, comme capitales des trois principales régions ethnolinguistiques du pays (OCDE/CSAO, 2019[13]). Dans le sud-ouest du pays, la présence de fortes densités urbaines et de nombreuses villes de tailles variées est attestée depuis l’époque précoloniale. La traite transatlantique des esclaves favorise le développement urbain du royaume yoruba d’Oyo et du royaume du Bénin, avant que ces régions ne se tournent vers la production agricole (notamment d’huile de palme). Au nord, le réseau urbain des cités-États haoussa et l’empire du Kanem-Bornou dans le bassin du lac Tchad doivent en grande partie leur existence au commerce régional et transsaharien. Au sud-ouest, l’urbanisation igbo et ibibio du delta du Niger et de son arrière-pays a, quant à elle, des origines coloniales.

Le caractère macrocéphale de la structure urbaine du continent africain explique le nombre relativement faible de grandes villes. En 2015, 92 % des villes d’Afrique de l’Ouest totalisent moins de 100 000 habitants (OCDE/CSAO, 2020[1]). L’Afrique ne compte que 11 agglomérations de plus de 5 millions d’habitants : Alexandrie, Dar es Salaam, Le Caire, Johannesburg, Khartoum, Kinshasa, Kisumu, Lagos, Luanda, Nairobi et Onitsha. Les 29 villes millionnaires de la région accueillent 80 millions de personnes, soit 44 % de la population urbaine totale. C’est près du double de la population des 182 villes de 100 000 à 1 million d’habitants (25 %), qui totalisent 45 millions de personnes (OCDE/CSAO, 2019[13]). La répartition des villes à travers le continent est en outre assez inégale. Deux pays, le Kenya et le Nigéria, concentrent ainsi 20 des 50 plus grandes agglomérations urbaines en termes de surface bâtie (OCDE/CSAO, 2020[1]). En Afrique de l’Ouest, près de la moitié des 2 469 agglomérations de plus de 10 000 habitants se trouvent au Nigéria, et moins de 10 % en Côte d’Ivoire et au Ghana. Les petits pays comme le Cabo Verde, la Gambie et la Guinée-Bissau, ceux faiblement peuplés comme la Mauritanie, et ceux dominés par une seule grande ville comme la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, comptent moins de 50 villes de plus de 10 000 habitants chacun.

La répartition de la population en Afrique du Nord et de l’Ouest suit une dynamique bien connue suivant laquelle les fortes densités s’expliquent par des facteurs humains tels que l’existence d’empires précoloniaux ou d’oasis artificielles, et les faibles densités par des facteurs naturels, notamment l’absence de précipitations. Historiquement, la région du Sahel ouest-africain a joué un rôle essentiel dans la circulation des personnes, des idées et des biens entre les deux « rives » du Sahara. Le peuplement s’y caractérise par l’alternance de noyaux sédentaires à forte densité de population et de vides intercalaires (Retaillé, 1989[14]) (Carte 2.2). Chacun de ces noyaux sahéliens est associé à un territoire nomade au Sahara. Entre les fleuves Sénégal et Gambie, le noyau wolof-sérère est ainsi relié au territoire nomade des Maures. Plus à l’est, le noyau marka-songhaï occupant la boucle du fleuve Niger, le noyau mossi au Burkina Faso, ainsi que le noyau haoussa situé entre Sokoto, Kano et Maradi, sont connectés au territoire touareg. Dans la région du lac Tchad, le noyau kanouri est quant à lui lié au territoire toubou. Trouvant ses origines à l’époque précoloniale, la présence de ces fortes densités correspond aux zones d’influence des empires du Ghana et du Mali, des royaumes mossi, des cités-États haoussa et de l’empire du Kanem-Bornou.

Jusqu’à la période coloniale, les villes sahéliennes constituent le centre politique et économique de ces noyaux sédentaires. Elles sont reliées par des routes commerciales à la côte méditerranéenne incluant un chapelet d’oasis sahariennes, ainsi qu’aux royaumes précoloniaux comme l’Ashanti dans l’actuel Ghana ou le royaume yoruba d’Oyo dans l’actuel Nigéria (Carte 2.3). Ces villes apparaissent comme « un carrefour où la structure spatiale, composée de villes et de marchés, peut s’adapter aux variations climatiques et aux crises politiques » (Walther et Retaillé, 2021, p. 30[16]).

Les époques coloniale et post-coloniale remodèlent considérablement cette organisation spatiale, sans en gommer complétement les spécificités. Alors que l’Afrique de l’Ouest précoloniale compte plusieurs agglomérations à l’intérieur des terres, mais pas une seule grande ville sur la côte, les puissances coloniales créent et mettent en valeur des villes côtières afin de faciliter le commerce et les exportations. Le développement de nouvelles villes, l’établissement de frontières politiques et la réorganisation des routes commerciales vers le golfe de Guinée perturbent considérablement le réseau urbain régional hérité de l’époque précoloniale. Les centres urbains comme Tombouctou et Djenné, par exemple, sont ainsi coupés des réseaux commerciaux qui alimentaient leur croissance, tandis que d’autres centres apparaissent, dotés de fonctions administratives pour accompagner la progression de l’organisation territoriale coloniale, puis post-coloniale.

En conséquence, la croissance des villes coloniales est souvent plus spectaculaire que celle des centres urbains plus anciens. Au Niger, Niamey compte par exemple moins de 10 000 habitants en 1950, contre 12 000 pour Zinder, capitale historique du sultanat de Damagaram. La population de Niamey est estimée à plus de 1.2 million d’habitants en 2020, soit près de 5.5 fois la taille de Zinder. Une tendance similaire s’observe au Mali et au Sénégal, où Bamako et Dakar passent devant Kayes et Saint-Louis bien avant la décolonisation (Graphique 2.5).

Cherchant à exploiter les ressources naturelles locales, les pouvoirs coloniaux et post-coloniaux contribuent à opposer les modes de vie sédentaires et nomades (Walther et Retaillé, 2021[16]). En divisant la région en États et en assignant des groupes sociaux à des territoires particuliers, ces initiatives désorganisent les mobilités des sociétés ouest-africaines et encouragent le développement d’activités commerciales informelles permettant de contourner les réglementations officielles. L’impact des politiques territoriales adoptées par les États coloniaux et post-coloniaux n’est nulle part plus manifeste que dans les régions frontalières (Nugent, 2019[17]). Des recherches récentes montrent que les villes frontalières sont plus petites, connaissent une croissance plus rapide et ont une densité plus élevée que les autres villes d’Afrique de l’Ouest (OCDE/CSAO, 2019[13]). La rapidité de cette croissance est particulièrement visible dans un rayon de 50 km des frontières nationales, où se trouvent les marchés les plus dynamiques, comme le long des frontières du Nigéria et dans le golfe de Guinée. Un tiers de la population ouest-africaine vit à moins de 100 km d’une frontière en 2020 (Carte 2.4).

Les villes et marchés frontaliers jouent un rôle crucial dans la circulation transnationale des produits agricoles (OCDE/CSAO, 2017[18]) et des importations des marchés mondiaux, telles que les voitures d’occasion, les céréales, le pétrole, les matériaux plastiques et l’électronique (Walther, 2015). Certaines de ces villes constituent d’ailleurs une composante essentielle des zones métropolitaines transnationales apparues ces dernières décennies, comme la conurbation s’étendant d’Accra au Ghana à Ibadan au Nigéria (OCDE/CSAO, 2020[1]). L’importante population, les fortes densités et le potentiel encore inexploité de cette zone côtière ont conduit la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à identifier le corridor Abidjan-Lagos comme priorité pour l’intégration régionale (BAfD-UEMOA, 2017[19]) (Carte 2.5). L’ambition d’utiliser ce corridor comme instrument d’intégration régionale se heurte toutefois à de nombreux obstacles, notamment les barrages routiers, les frais de transit élevés imposés aux véhicules et les nombreuses interdictions de marchandises imposées par le Nigéria à ses voisins. Jusqu’à présent, le commerce régional demeure segmenté par pays et la plupart des investissements sont consacrés aux corridors Nord-Sud reliant les ports du golfe de Guinée au Sahel (Nugent, 2022[20]).

Comme dans d’autres régions du monde, les villes d’Afrique du Nord et de l’Ouest se distinguent des zones rurales par leur taille, leur densité et leur hétérogénéité sociale. Lieux de diversification et d’innovation, elles se caractérisent par la présence d’une main-d’œuvre spécialisée employée dans des activités non agricoles, telles que le commerce, l’éducation et l’administration. Elles tendent également à faire coexister des personnes de milieux, d’origines et de niveaux de richesse différents, d’où la plus grande visibilité des inégalités sociales en milieu urbain qu’en milieu rural (Coquery-Vidrovitch, 1993[21]). La diversité sociale permise par le tissu urbain favorise l’autonomisation des individus par rapport aux structures sociales traditionnelles. En ce sens, les villes se distinguent des villages par le fait qu’elles permettent la coexistence de différents groupes sociaux dans un cadre commun.

Ces dernières années, une redistribution de la population s’observe de la côte vers l’intérieur des terres (OCDE/CSAO, 2020[1]). Ces processus urbains en mutation et en expansion rapides ont produit plusieurs exemples notables d’agglomérations à croissance rapide, comme Onitsha au Nigéria, passée d’une petite agglomération urbaine à l’une des plus grandes d’Afrique de l’Ouest avec 8.5 millions d’habitants (2015) et une conurbation de 28 millions d’habitants (OCDE/UNCEA/BAD, 2022[22]). Cette expansion se traduit par une proximité immédiate entre plusieurs villes, ce qui crée des opportunités de réseaux et de croissance par le biais du commerce, des savoirs et de l’emploi. Sur le plan économique et social, les zones urbaines d’Afrique sont bien plus productives, riches et innovantes, et bénéficient d’un meilleur accès aux infrastructures que les zones rurales : eau courante, accès à l’électricité, téléphones portables et voitures sont, par exemple, tous plus répandus dans les villes (OCDE/UNCEA/BAD, 2022[22]).

Même les villes petites et intermédiaires, qui représentent la grande majorité des centres urbains, sont mieux loties que les zones rurales. Le sous-emploi et le pourcentage d’adultes sans emploi sont inférieurs dans les zones urbaines, tandis que les salaires sont en moyenne plus que doublés. Le niveau d’éducation y est en moyenne supérieur de 2.5 à 4 ans et les taux de fécondité, bien qu’élevés, inférieurs de plus d’un tiers (Corker, 2017[23]). La proximité d’une grande ville est l’un des facteurs prédictifs les plus probants de l’accès à la téléphonie mobile, aux soins de santé, à l’éducation et à des salaires plus élevés. Pourtant, malgré l’importance de leur rôle dans l’économie régionale, les villes africaines ont longtemps souffert de la faiblesse des budgets et de manque d’autonomie. Les municipalités urbaines composent avec des ressources limitées et des fonctions politiques et budgétaires encore mal définies ne permettant pas d’offrir des services sociaux adéquats.

Sur le plan géographique, les conflits armés sont très inégalement répartis à travers le monde, avec des foyers de violence contenus par les frontières nationales, ou se propageant à des régions entières, comme dans le Sahel-Sahara. Du fait de la fluctuation de la nature des tensions depuis la fin de la guerre froide et des stratégies des belligérants, la dimension géographique des conflits reste débattue. Certains pointent la concentration autour de zones urbaines dotées d’une forte densité et de bonnes infrastructures (Buhaug et Rød, 2006[24] ; Raleigh et Hegre, 2009[25]), tandis que d’autres soulignent que les zones rurales offrent aux belligérants les meilleures ressources pour prospérer et, éventuellement, défier les forces de l’État (Mkandawire, 2002[26]). La question de la nature plutôt urbaine ou rurale des conflits reste donc controversée (Dorward, 2022[27] ; Radil et al., 2022[28]).

Les recherches récentes sur la géographie de la violence montrent que les conflits irréguliers se déroulent de plus en plus dans les villes – comme Bagdad, Londres, Madrid, Mumbai, Paris ou Tel Aviv –, au détriment des plaines, déserts et jungles (Graham, 2011[29]). La ville comme nouveau champ de bataille gagne également du terrain dans les études africaines. Les auteurs y identifient les caractéristiques à la fois politiques et économiques des villes en tant que lieux de contestation et de contrôle. Les villes représentent de puissants symboles de l’autorité de l’État, ce sont aussi des points nodaux pour les réseaux économiques (trans)nationaux et des espaces d’accumulation de capital, qu’il est pertinent de défendre ou de contrôler (Beall, Goodfellow et Rodgers, 2013[30] ; Büscher, 2018[31] ; Goodfellow et Jackman, 2020[32]). Les années 2010 fournissent de nombreux exemples de violences politiques perpétrées par des acteurs étatiques et non étatiques, qui illustrent le fort potentiel d’urbanisation des conflits. Ainsi, en janvier 2017, un kamikaze d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a attaqué la base militaire conjointe de la France et des Nations Unies (ONU) dans la ville de Gao, plaque tournante commerciale située le long du fleuve Niger. Cet attentat-suicide, le plus meurtrier qu’ait connu le Mali, a fait 77 morts et plus de 100 blessés (ACLED, 2022[33]) (Encadré 2.1).

L’idée selon laquelle les conflits africains peuvent redéfinir le paysage urbain est désormais bien établie dans la littérature, au vu de l’impact dévastateur des guerres civiles et des attaques terroristes sur les villes (Büscher, 2018[31]). Mais si les conséquences des conflits sur les villes sont bien documentées, les facteurs poussant les belligérants vers les zones urbaines sont, eux, plus difficiles à identifier car les conflits observés en Afrique prennent des formes très différentes selon les régions. Depuis la fin de la guerre froide, la nature, la forme et la localisation des conflits africains connaissent de profondes transformations (Williams, 2016[35]). Les formes conventionnelles de conflits armés ruraux cèdent la place à des modes alternatifs de violence politique, notamment les émeutes, manifestations et « conflits civiques » qui résultent de la compétition de plusieurs groupes sociaux pour les ressources et les services offerts par les villes (Golooba-Mutebi et Sjögren, 2017[36]). En avril 2008, des milliers de personnes défilent par exemple dans les rues d’Abidjan, de Dakar et de Ouagadougou pour protester contre la hausse des prix des denrées alimentaires et du carburant, et au moins 24 personnes sont tuées lors de manifestations similaires au Cameroun. Plus récemment, des milliers de personnes sont également descendues dans les rues de Bamako, au Mali, pour exiger la démission du président Keita ou le départ des forces françaises du pays.

Le premier facteur susceptible d’expliquer la concentration des conflits dans les villes est la taille et la densité de leur population (Tableau 2.1). La croissance des villes africaines peut en effet rapprocher spatialement des groupes sociaux antagonistes au sein de villes multiethniques, augmentant ainsi la probabilité que leurs différends deviennent violents (Buhaug et Urdal, 2013[37]). De même, la croissance rapide de la population peut accentuer les tensions sociales et la concurrence autour de l’accès aux ressources urbaines, à l’emploi et au logement (Østby, 2016[38] ; Gizelis, Pickering et Urdal, 2021[39]). Au Nigéria, la fréquence des émeutes violentes à Jos, dans la Middle Belt, où cohabitent plusieurs minorités ethniques et religieuses, accrédite par exemple cette thèse (Krause, 2018[40]). Enfin, la taille absolue de la population urbaine et sa jeunesse peuvent faire craindre une augmentation des niveaux de violence et des mouvements de protestation dans les zones urbaines (Urdal et Hoelscher, 2012[41] ; Menashe-Oren, 2020[42]).

L’urbanisation encourage également la concurrence au sein des élites et de nouveaux modèles d’organisation et de la société civile permettant aux citadins politisés et aux niveaux d’éducation élevée de se structurer (Straus, 2012[44]). La population urbaine pauvre est facile à mobiliser par les élites politiques en quête de pouvoir, de soutien et de ressources, ce qui pourrait expliquer la montée des violences urbaines. Ainsi, la récente transition de l’Afrique vers le multipartisme fait des villes des champs de bataille politiques cruciaux pour les élites politiques et religieuses (Raleigh, 2015[45]). Ces formes de violence sont alimentées par les changements institutionnels adoptés par les pays en transition politique. Ainsi, par exemple, les processus de démocratisation sans élections libres privent-ils de ses droits une partie de la population urbaine, qui se sent marginalisée sur le plan économique et politique (Golooba-Mutebi et Sjögren, 2017[36] ; Harding, 2020[46]).

Un autre facteur pouvant expliquer la plus forte exposition des villes africaines aux violences est lié au nombre croissant de migrants susceptibles de se trouver marginalisés et en difficulté pour s’intégrer socialement et psychologiquement à la vie urbaine (Buhaug et Urdal, 2013[37]). Dans certaines régions, comme le bassin du lac Tchad, les Grands Lacs ou le Darfour, les villes attirent également de nombreux réfugiés et déplacés internes, victimes à la fois des forces gouvernementales et des organisations extrémistes violentes. La persistance des déplacements forcés et de l’insécurité conduit à de nouvelles formes urbaines remodelant les villes existantes ou engendrant de nouvelles dynamiques urbaines dans des zones auparavant rurales. La forte croissance urbaine des parties orientale et méridionale du Tchad résulte par exemple de la migration forcée de réfugiés du Soudan et de la République centrafricaine. Dans cette région frontalière, les conflits tendent en effet à créer des agglomérations denses, croissant ou décroissant du côté tchadien de la frontière au gré du contexte politique des pays voisins.

Les villes symbolisent par ailleurs l’autorité de l’État, aussi constituent-elles des cibles militaires dont les groupes armés doivent s’emparer s’ils souhaitent renverser le gouvernement central. La prise de contrôle des capitales évite celle de territoires plus vastes et peut décider de l’évolution de conflits entiers. En 2011, par exemple, la deuxième guerre civile ivoirienne a pris fin avec la capture de Laurent Gbagbo à Abidjan et la réinstallation au pouvoir du président élu Alassane Ouattara. Les capitales africaines jouent un rôle stratégique, qui détermine souvent l’intervention ou non des organismes régionaux et des alliances internationales dans un conflit. Le siège de Monrovia par les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD) en 2003 constitue par exemple un épisode majeur du second conflit en Sierra Leone, qui conduit à l’intervention de la Joint Task Force Liberia des États-Unis et de la force de la CEDEAO.

Le conflit malien illustre le rôle stratégique des capitales. Si Bamako reste relativement paisible, la ville et ses environs n’en demeurent pas moins des éléments clés de la mosaïque sécuritaire du pays. Le contrôle de Bamako étant assimilé à celui de l’État malien, des menaces même lointaines sur la capitale peuvent générer des réponses dramatiques. Au cours de l’année 2012, par exemple, la prise de pouvoir du nord du pays par les djihadistes n’occasionne pas de réponse immédiate des acteurs régionaux et internationaux. À la fin de l’année, les avancées des djihadistes dans le centre du Mali, perçues par certains observateurs comme la première étape d’une tentative de prise de contrôle de Bamako, déclenchent en revanche une réaction rapide sous la houlette de la France – l’opération Serval –, qui permet la reprise des territoires du centre tombés sous contrôle djihadiste et brise leur mainmise sur les villes du nord (Chivvis, 2015[47]).

Les villes sont des lieux où se côtoient l’extrême richesse et pauvreté, parfois à seulement quelques centaines de mètres de distance. À Lagos et Nairobi, les bidonvilles de Makoko et Kibera ne sont qu’à un pas des quartiers aisés et des quartiers d’affaires, où travaillent de nombreux pauvres. Faute de système de transport public abordable et fiable, vivre dans les bidonvilles reste la seule possibilité pour les citadins les plus démunis. Cette concomitance de signes ostentatoires de réussite et d’extrême misère, typique des grands centres urbains, fournit d’amples motifs économiques à ceux souhaitant défier l’État ou s’y soustraire. Les organisations violentes peuvent ainsi être attirées vers les villes, où les activités criminelles offrent une source d’argent facile. Ce scénario est toutefois relativement rare en Afrique du Nord et de l’Ouest, où les organisations djihadistes se concentrent sur le trafic de drogue, le vol de bétail et l’extraction illégale d’or pour financer leur expansion internationale, leur formation et leurs achats d’armes – activités dont aucune ne se déroule dans les villes.

Enfin, les groupes rebelles motivés par la prise du pouvoir politique dans les capitales peuvent se manifester dans les zones urbaines ou avoir une composante urbaine, mais les mouvements durables de guérilla urbaine restent rares en Afrique. La prise de contrôle des zones urbaines et des institutions étatiques reste largement hors de portée des organisations violentes africaines. Comme en Amérique latine depuis les années 1970 (Holmes, 2015[48]), les mouvements de guérilla urbaine doivent ainsi souvent se replier vers les zones rurales ou périphériques, où il leur est plus facile de recruter, d’obtenir des ressources et de maintenir une présence territoriale.

Des dynamiques complexes lient conflits et zones urbaines, cependant, aucune corrélation directe ne s’observe entre les deux. Une part importante de la littérature soutient d’ailleurs que les conflits armés, notamment les guerres civiles et les rébellions, sont traditionnellement associés aux zones rurales. Les groupes armés peuvent certes trouver dans les villes des ressources leur permettant de prospérer, mais la proximité physique peut également être utilisée par les forces gouvernementales pour une répression plus efficace que dans les zones rurales (Tableau 2.2). Les guérillas urbaines ont souvent une durée de vie limitée et tendent à se déplacer vers des zones où le terrain accidenté (Hendrix, 2011[49]), la densité des forêts (Raleigh, 2010[50]) et la porosité des frontières (Radil et al., 2022[28]) peuvent offrir des refuges sûrs, ce qui fait des zones rurales et reculées des cadres propices aux conflits asymétriques entre groupes armés et États.

Dans certaines régions, les villes peuvent rester relativement épargnées par les violences politiques (Beall, Goodfellow et Rodgers, 2013[30]). Kinshasa est, par exemple, tombée sans grande résistance aux mains de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) lors de la première guerre du Congo en mai 1997. Dans le Sahel, Niamey au Niger et N’Djamena au Tchad sont restées largement épargnées par les attaques terroristes, et ce, malgré la proximité du principal centre de l’insurrection. Au Mali, Bamako a été un lieu de repli pour les déplacés (Sangaré et Cold-Ravnkilde, 2020[51]), dont les élites locales, comme les maires et autres responsables des régions centre fuyant les menaces djihadistes.

De nombreux États africains peinent à projeter leur pouvoir et leur autorité vers les périphéries rurales (Herbst, 2000[52]). Il leur est donc plus difficile de contrer les insurgés dans les zones rurales. Les guerres civiles sont ainsi plus susceptibles de se dérouler loin des capitales nationales et de durer plus longtemps (Buhaug, Gates et Lujala, 2009[53]). Ce constat vaut particulièrement pour les conflits sécessionnistes. Au Mali et au Niger, les rébellions touareg se sont par exemple développées dans certaines des régions les plus reculées, où le pouvoir de l’État est depuis longtemps affaibli. Plus à l’est, au Tchad, le pouvoir politique est contesté depuis l’indépendance par des groupes rebelles dont la principale base d’opérations est à plus de 1 000 km au nord de N’Djaména, dans la région du Tibesti.

D’un point de vue démographique, il semblerait que le développement des mouvements rebelles dans l’Adrar des Ifoghas au Mali, le massif de l’Aïr au Niger et le massif du Tibesti au Tchad est moins dû à la nature rurale de ces régions qu’à leur éloignement. Les régions arides ayant en effet l’un des taux d’urbanisation les plus élevés (Bossard, 2015[54]). Au Niger, la part de la population urbaine est trois fois plus élevée dans la région saharienne d’Agadez (45 %) que dans le reste du pays (16 %), selon l’Institut nigérien de la statistique (2022). Toutefois, si ces régions restent fondamentalement plus urbaines que le reste du pays, une part importante des événements violents observés au cours des dernières décennies interviennent à l’écart des villes, dans des zones rurales où les groupes armés se disputent le contrôle des ressources locales ou des routes commerciales (Walther et al., 2021[55]).

Les zones rurales présentent un fort potentiel de conflit, les tensions ethniques autour des ressources y étant souvent peu prises en compte par le gouvernement central (Buhaug et Urdal, 2013[37] ; Gizelis, Pickering et Urdal, 2021[39]). Celles-ci conduisent à deux principales formes de violences : des affrontements communautaires entre populations indigènes et nouveaux arrivants ; et des réactions des populations locales aux saisies de terres ou aux dommages écologiques occasionnés par l’État. Dans le delta du Niger, au Nigéria, le soulèvement des Ogoni, qui protestaient contre la dégradation des terres par le gouvernement et l’industrie pétrolière, en est un bon exemple (Watts, 2004). Le délaissement des zones rurales mène toutefois rarement à des révoltes paysannes en Afrique de l’Ouest, contrairement à l’Ouganda et au Mozambique, où les mouvements rebelles montrent l’implication violente des campagnes, souvent à la suite d’une oppression forte opérée par l’État (Mkandawire, 2002[26]).

Outre le débat sur la nature intrinsèquement urbaine ou rurale des violences, certains affirment que les conflits ne relèvent exclusivement ni de l’un ni de l’autre, changeant de localisation au cours des hostilités afin d’exploiter tour à tour les forces et les faiblesses des villes et des arrière-pays. L’un des premiers tenants de cette approche fut Mao Tsé-Toung (1937), qui suggéra pendant la révolution chinoise que les rébellions émergeaient d’abord dans les campagnes pour tenter ensuite de conquérir les villes. La théorie de Mao s’inspirait de sa propre expérience révolutionnaire. Le Parti communiste chinois suivit d’abord l’idée marxiste d’une révolution socialiste menée par le prolétariat urbain, mais s’éloignât ensuite des villes de Shanghai, Pékin et Guangzhou pour mobiliser la paysannerie rurale. Selon Mao, l’appui de la population rurale était essentiel pour construire une base de soutien territoriale à partir de laquelle lancer une campagne contre le gouvernement central. Sa théorie a exercé une forte influence dans les guerres anticoloniales qui éclatèrent à partir des années 1950 à travers le monde en développement, même si le contexte révolutionnaire chinois diffère considérablement de celui de l’Afrique (Tableau 2.2).

En Algérie, le Front de libération nationale (FLN) lance par exemple d’abord une série d’attaques contre des cibles gouvernementales et des colons français à l’intérieur du pays, qui seront sévèrement réprimées par les forces coloniales. Comprenant que les combats des zones rurales ne suffiront pas à faire entendre sa cause, le FLN lance alors une campagne de terrorisme urbain devant coïncider avec l’Assemblée générale des Nations Unies de 1957. Il concentre sa campagne de terreur sur la capitale, Alger. Après une réponse contre-insurrectionnelle brutale des forces françaises, le FLN est finalement vaincu dans la capitale et reprend le chemin des campagnes, où sa tactique de guerilla prend de plus en plus pour cible les civils qui ne le soutiennent pas. Le FLN prend le contrôle des régions montagneuses de Kabylie et des Aurès, et se sert des pays voisins pour lancer des attaques contre les Français (Galula, 1963, 2006[56]), avant que l’indépendance ne finisse par être déclarée en 1962.

Plus récemment, la région du lac Tchad présente une évolution similaire. Jusqu’en 2002, ce qui deviendra Boko Haram est essentiellement un mouvement urbain formé autour d’un petit nombre de jeunes islamistes radicaux, pour beaucoup issus de la classe sociale supérieure, qui se réunissent à la mosquée Alhaji Muhammadu Ndimi à Maiduguri (Agbiboa, 2022[57]). En 2002, une ramification de la secte, sous la houlette de Mohamed Ali, déclare la ville et ses institutions sociales corrompues, et quitte Maiduguri pour la communauté rurale de Kanam, près de la frontière nigérienne (Walker, 2012[58]). Après un conflit avec la police au sujet de droits de pêche, les membres survivants regagnent Maiduguri fin 2003, où ils établissent leur propre mosquée (Ibn Taimiyyah Masjid) près de la gare.

Les années suivantes sont marquées par l’expansion progressive de Boko Haram vers d’autres villes des États de Bauchi, Yobe et Niger, qui culmine avec le soulèvement de 2009 à Maiduguri, l’un des événements urbains les plus violents jamais observé en Afrique de l’Ouest. La répression gouvernementale qui s’ensuit entraîne la fuite de Boko Haram vers les zones rurales et les pays voisins. Depuis ses bastions des campagnes, le groupe lance alors une campagne d’assassinats dans plusieurs villes du nord-est et la capitale fédérale, Abuja. En 2015, expulsé une deuxième fois des principales villes de la région par le gouvernement et la Force d’intervention civile conjointe (Civilian Joint Task Force, CJTF), il se réfugie dans les monts Mandara, les collines de Gwoza et la forêt de Sambisa.

Les fluctuations des groupes armés entre zones urbaines et rurales au gré de l’opposition gouvernementale suggèrent que les conflits d’Afrique du Nord et de l’Ouest diffèrent du modèle maoïste. Des recherches sur la localisation des violences politiques à travers la région mettent en évidence le concept de « cycle de vie spatial » d’un conflit, pouvant apporter un éclairage supplémentaire sur les facteurs sous-tendant la localisation d’un conflit. Selon ce concept, les dynamiques spatiales de nombreux conflits diffèrent en fonction de la phase (initiale, intermédiaire ou finale) dans laquelle ils se situent (Walther et al., 2021[55]). Lors des phases initiale et finale d’un conflit, les événements violents tendent à être plutôt dispersés et à se produire moins fréquemment. À l’inverse, les événements violents survenant durant la phase intermédiaire d’un conflit sont souvent fortement concentrés dans l’espace et tendent à se produire plus fréquemment (Graphique 2.6).

Il reste à comprendre de manière plus approfondie les leviers des dynamiques identifiées par la théorie du cycle de vie spatial des conflits, notamment les fluctuations des conflits entre zones urbaines et rurales. Ainsi, si les phases initiale et finale d’un conflit tendent à se produire davantage en zone rurale, cet élément pourrait contribuer à expliquer la plus forte dispersion et la plus faible fréquence des événements violents de ces phases, le nombre de cibles étant susceptible d’être plus limité dans des zones moins peuplées (d’où une fréquence d’événements plus faible), et la distance entre ces cibles d’être plus grande (d’où une plus forte dispersion des événements). Si les violences tendent à se déplacer vers les zones urbaines durant la phase intermédiaire d’un conflit, cet élément pourrait expliquer la tendance des événements violents à se concentrer spatialement et à augmenter en fréquence. De ce point de vue, une meilleure compréhension des trajectoires des conflits de la région entre zones urbaines et rurales éclaircirait en partie les processus qui sous-tendent les dynamiques du cycle de vie spatial.

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Note

← 1. Cette section s’appuie sur OCDE/CSAO (2019) et Walther (2021).

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