Introduction
La pandémie de COVID-19 a engendré un choc économique d’une ampleur exceptionnelle. Pour contenir la pandémie, les gouvernements du monde entier ont mis en place des mesures de confinement et de restriction imposant une distanciation physique et limitant la mobilité et les contacts, avant de finir par fermer les frontières et de suspendre les activités dans les secteurs les plus exposés à la contagion. Le PIB a reculé de plus de 10 % dans les pays de l’OCDE au cours des deux premiers trimestres de l’année 2020 (OCDE, 2020[1]). La production s’est fortement redressée au troisième trimestre avec l’assouplissement progressif des mesures d’endiguement, mais au moment de la rédaction du présent chapitre, elle demeurait inférieure à son niveau d’avant la crise. Heureusement, le rebond a été plus rapide que prévu ; la croissance du PIB mondial devrait s’établir à 5.5 % en 2021 et à 4 % en 2022, et la production mondiale devrait retrouver son niveau d’avant la pandémie d’ici à la mi-2021 (OCDE, 2021[2]).
Les PME se situent à l’épicentre de la crise. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, les PME sont représentées de façon disproportionnée dans les secteurs et les services fortement touchés par les confinements (OCDE, 2020[3]), qui ont aggravé les vulnérabilités préexistantes liées à la faiblesse des réserves de trésorerie. Aux États-Unis, par exemple, la moitié des PME fonctionne avec moins de 27 jours de réserve de trésorerie (JP Morgan and Chase Co., 2020[4]). Les pertes de chiffre d’affaires induites par les confinements sont lourdes. D’après une enquête Facebook/OCDE/Banque mondiale, 50 à 70 % des PME qui ont réussi à rester en activité de mai à décembre 2020 ont enregistré une baisse de leur chiffre d’affaires, supérieure à 40 % chez 33 à 50 % d’entre elles (Facebook/OCDE/Banque mondiale, 2020[5]) (Chapitre 1). En outre, les petites entreprises sont moins en mesure d’adopter les nouvelles pratiques numériques, ce qui a encore aggravé leurs difficultés (OECD, 2021[6]).
L’impact sur l’entrepreneuriat et le dynamisme des entreprises est moins marqué, mais peut-être n’est-il que différé. Si certaines jeunes entreprises innovantes ont fait preuve de réactivité et de souplesse face à la pandémie (OCDE, 2020[7]), cela n’a pas été le cas de toutes. Dans la plupart des pays, les taux de création d’entreprises ont considérablement diminué dans certains secteurs, comme l’hôtellerie et la restauration, l’immobilier, et les arts et spectacles. En outre, la crise a exacerbé les difficultés majeures auxquelles les jeunes entreprises se heurtaient déjà auparavant (CFE/SME(2021)2). Alors que les taux de création d’entreprises ont fortement progressé au cours du second semestre 2020 dans la quasi-totalité des pays (où des données sont disponibles), il n’est pas impossible, dans un contexte de hausse du chômage, que l’on ait affaire à de l’entrepreneuriat d’opportunité ou de nécessité. Et bien que l’on n’ait pas constaté de hausse significative des faillites au cours de cette période (chapitre 1), elles pourraient bien se multiplier si les dispositions et les mécanismes d’aide publique sont supprimés trop rapidement – en particulier au vu des niveaux d’endettement croissants. En effet, dans quelques pays, certains signes indiquent déjà que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à quitter le marché (OCDE, 2021[8]).
Les mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics ont permis d’amortir le choc rapidement, considérablement et efficacement. Les gouvernements du monde entier ont déployé des aides massives. Les subventions salariales, les reports d’échéances et les garanties sont les mesures les plus fréquemment utilisées. Les banques centrales ont assoupli leurs conditions monétaires afin de permettre l’octroi d’un plus grand nombre de prêts aux PME. Des modifications temporaires des procédures d’insolvabilité ont également permis de réduire le nombre de faillites (OCDE, 2021[9]) (CFE/SME(2021)2).
Des millions de PME ont bénéficié d’aides publiques à travers le monde. Dans la plupart des pays de l’OCDE, entre 20 et 40 % des PME (possédant une page Facebook) ont reçu des aides publiques sous une forme ou sous une autre en 2020 (Facebook/OCDE/Banque mondiale, 2020[5]) (voir également l’encadré 1.1 du chapitre 1). Les plans d’urgence ont atteint une ampleur sans précédent, malgré d’importantes différences d’un pays à l’autre. D’après les estimations du Fonds monétaire international, entre janvier 2020 et mars 2021, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les gouvernements ont engagé des dépenses supplémentaires et subi un manque à gagner à hauteur de 8.48 % du PIB environ, et ont soutenu la trésorerie par des prises de participation, des prêts et des garanties à hauteur de 8.28 % du PIB environ (Graphique 1) (FMI (Fonds monétaire international), 2021[10]). Les politiques publiques ont contribué à soutenir la trésorerie à court terme des PME et des indépendants (chapitre 1).
De nombreux pays et régions ont adopté des approches territoriales différenciées pour faire face à la crise (OCDE, 2020[11]). Cette dernière n’a pas eu le même impact dans tous les pays, notamment du fait que la concentration des activités varie d’une région à l’autre ; les régions dépendantes du tourisme, par exemple, sont fortement touchées (chapitre 1). Les administrations infranationales jouent donc également un rôle déterminant dans les mesures ciblant les PME prises en complément des mesures nationales. D’après une enquête de l’OCDE et du Comité européen des Régions (CdR) menée en juin 2020 (OCDE-CdR, 2020[12]), 30 % des administrations infranationales de l’UE ont apporté un soutien direct important aux entreprises et aux indépendants (par ex. par le biais de programmes de subvention ou de fonds régionaux de capital-risque), et 28 % ont fourni une assistance technique et des services de soutien importants aux acteurs locaux. En Autriche, par exemple, les neuf Bundesländer ont mis en place des mesures d’aide aux PME pour compléter et étendre les mesures prises par le gouvernement fédéral.
Les inégalités se sont accrues, sapant les fondements de la reprise. Malgré les multiples mesures de précaution prises par les gouvernements, l’onde de choc a frappé de plein fouet certaines entreprises, zones et personnes, à savoir celles qui i) étaient plus dépendantes des secteurs économiques les plus touchés, comme le tourisme ou le commerce de détail ; ii) étaient profondément intégrées dans le système commercial international avant la crise du COVID-19 ; iii) ont été confrontées à des confinements ou des mesures d’endiguement plus stricts ou plus longs ; iv) disposaient de réserves de trésorerie plus limitées et d’un moindre accès aux financements ; v) n’ont pas réussi à obtenir d’aides publiques et vi) les PME informelles (dont le caractère informel complique l’accès aux financements et aux aides publiques) (CFE/SME(2021)2) (OCDE, 2020[11]) (OCDE, 2020[13]). Cela a également aggravé les disparités liées au genre, à l’appartenance ethnique et à l’âge des entrepreneurs. Les entreprises détenues par des femmes, des personnes issues des minorités ethniques et des jeunes se concentrent en règle générale dans les secteurs les plus touchés, sont en moyenne plus petites et plus jeunes, possèdent moins d’actifs financiers et ont un accès plus limité à des sources de financement diversifiées, car elles sont généralement autofinancées ou financées par les amis et la famille (OCDE, 2020[14]). La pandémie a également perturbé l’accès des jeunes à l’éducation et à l’emploi, ce qui pourrait avoir des répercussions à plus long terme sur l’entrepreneuriat (OCDE, 2020[15]).
Les perspectives demeurent incertaines. Bien que le déploiement de vaccins efficaces ait progressé dans de nombreux pays, une grande incertitude demeure, notamment à l’égard des risques liés aux variants, qui pourraient nécessiter de nouveaux vaccins. Les activités ayant subi des interruptions peuvent mettre du temps à revenir à la normale, notamment dans certains secteurs comme les activités culturelles, où le capital humain risque d’être perdu à tout jamais (au profit de nouveaux emplois) et les réseaux démantelés. De nombreuses entreprises viables pourraient avoir disparu, et de nombreuses autres risquent de disparaître si les aides publiques sont brutalement supprimées.
Des politiques structurelles commencent à être déployées en vue de la reprise, et le nombre de pays mettant en œuvre ces politiques augmente (CFE/SME(2020)12/REV7) (CFE/SME(2021)2). À compter de juin 2020, de nombreux pays ont lancé de vastes plans de relance visant à reconstruire en mieux. Ces plans de relance varient d’un pays à l’autre en termes d’ampleur et de contenu. S’ils visent à faire face aux difficultés à moyen terme, ils s’inscrivent également dans une perspective à plus long terme, en mettant l’accent sur le télétravail et le passage au numérique, le recyclage professionnel, les créations d’entreprises et les nouveaux marchés. La durabilité est souvent au centre des préoccupations, une attention particulière étant accordée à la transition vers des énergies propres, à l’efficacité des ressources et à une consommation plus écologique.
La crise a fait émerger trois thèmes spécifiques essentiels à une reprise équitable et durable. Ils font l’objet des trois chapitres qui composent cette deuxième partie :
Le risque croissant d’endettement des PME, et son impact sur leur résilience et leurs futurs investissements productifs ; bien que le niveau d’endettement des PME varie d’un pays à l’autre, on s’inquiète de plus en plus, dans le monde entier, du risque croissant de défaillance des PME et de leur moindre capacité à stimuler la reprise par l’investissement (CFE/SME(2021)2). Cela soulève plus généralement la question de l’accès des PME à des sources de financement adéquates et diversifiées. Cette question fait l’objet du premier chapitre.
L’éventualité d’une relocalisation et d’un retour aux politiques industrielles, le rôle déterminant des PME locales et l’impact sur leur accès aux ressources et marchés stratégiques ; la crise économique risque d’entraîner une reconfiguration des échanges et des investissements internationaux (Rodrik, 2020[16]). Dans ce contexte, de nombreuses stratégies de relocalisation ont été conçues à l’échelon national ou territorial afin de réduire la dépendance vis-à-vis des pays tiers ou de préserver la souveraineté des zones stratégiques et soutenir l’emploi local (Charbit and Gatignol, 2021[17]). Toutefois, les arguments en faveur de la démondialisation – ou de la « slowbalisation » (Irwin, 2020[18]) – négligent les multiples dynamiques en jeu dans la mondialisation, et le potentiel des PME locales à bénéficier de retombées positives dans les chaînes de valeur mondiales (CVM), ou en opérant avec les multinationales et à une distance assez proche de celles-ci. Cette question fait l’objet du deuxième chapitre.
L’effet de la crise sur la transformation numérique, l’innovation, la dynamique des entreprises et l’entrepreneuriat ; pendant la crise, on a recensé un nombre croissant d’exemples de PME intégrant de nouveaux outils et pratiques numériques dans leurs activités (OECD, 2021[6]), de petites entreprises mettant en œuvre des solutions créatives, ou d’initiatives d’innovation sociale (OCDE, 2020[19]). Néanmoins, les mutations économiques imposent souvent aux entreprises non seulement de s’adapter, mais également de se retirer dans certains cas. Comme l’ont montré les travaux précédemment menés par l’OCDE, une grande récession laissera probablement moins de cicatrices dans les pays où les conditions d’entrepreneuriat sont favorables et où la dynamique des entreprises favorise le redéploiement du capital et du travail vers les entreprises les plus efficientes (OCDE, 2021[2]). Cette question fait l’objet du troisième chapitre.
References
[19] Charbit, C. and C. Gatignol (2021), “Territorial attractiveness strategies for a resilient development. The case for reshoring policies”.
[5] Facebook/OCDE/Banque mondiale (2020), Future of Business Survey.
[10] IMF (2021), Fiscal Monitor Database of Country Fiscal Measures in Response to the COVID-19 Pandemic (April 2021), International Monetary Fund, https://www.imf.org/en/Topics/imf-and-covid19/Fiscal-Policies-Database-in-Response-to-COVID-19 (accessed on 9 May 2021).
[13] IMF (n.d.), Policy Tracker, International Monetary Fund, https://www.imf.org/COVID19policytracker (accessed on 9 May 2021).
[20] Irwin, D. (2020), “The pandemic adds momentum to the deglobalisation trend”, PIIE Realtime Economic Issues Watch, 23 avril, https://www.piie.com/.
[4] JP Morgan and Chase Co. (2020), Cash is King: Flows, Balances, and Buffer Days, https://www.jpmorganchase.com/institute/research/small-business/report-cash-flows-balances-and-buffer-days.htm.