1. Introduction

Si le nombre d’études sur le civisme fiscal ne cesse d’augmenter, rares sont celles qui s’intéressent aux entreprises multinationales (EMN) et à leur rôle dans l'édification d’une culture du paiement de l’impôt. Le civisme fiscal, ou le consentement intrinsèque à l’impôt, est un aspect primordial des systèmes fiscaux, dans la mesure où ceux-ci reposent tous sur le respect spontané, par la majorité des contribuables, de leurs obligations fiscales. Il ressort des travaux de recherche antérieurs (OCDE, 2019[1]) que si les données et les études sur le civisme fiscal des particuliers ne cessent de se multiplier, les travaux portant sur les entreprises sont peu nombreux et ceux centrés sur les multinationales quasi inexistants.

L’amélioration du civisme fiscal, et par extension le renforcement du respect des obligations, par les multinationales exerçant leurs activités dans les pays en développement, offre un potentiel considérable d’accroissement des recettes. Les pays en développement sont, en moyenne, davantage tributaires des impôts sur les bénéfices des sociétés que les économies développées. En 2019, l’impôt sur les bénéfices des sociétés représentait 20.1 % des recettes fiscales totales dans la région Asie-Pacifique, 19.2 % en Afrique, 15.5 % dans la région ALC et 10 % dans la zone OCDE (OCDE, 2021[2]), les multinationales étant la principale source de cet impôt. Les EMN versent également d’importants montants d’impôts indirects et interviennent également souvent en qualité d’agents chargés du prélèvement à la source pour le prélèvement des impôts de leurs salariés. Dans de nombreux cas, une grande partie de l’assiette fiscale des pays repose sur les entreprises multinationales, qui, à titre d’exemple, représentaient récemment 70 % de la base fiscale du Rwanda, tandis qu’une seule EMN était à l’origine de 20 % du total des recettes fiscales du Burundi (ATAF, 2016[3]). Le renforcement de la discipline fiscale offre par conséquent la possibilité aux États d’accroître leurs recettes fiscales moyennant moins de mesures répressives, et donc de déployer plus efficacement des ressources limitées pour faire respecter la législation à ceux qui font preuve d’un faible civisme fiscal. À ce titre, un meilleur civisme fiscal peut contribuer de manière significative à l’amélioration du financement du développement durable et à la réalisation des ODD.

La question de la confiance constitue un bon point de départ dans l’examen du civisme fiscal, notamment pour les EMN. Ce rapport rassemble des ensembles de données permettant une analyse plus fine de la confiance et des facteurs qui la sous-tendent dans la relation entre EMN et administrations fiscales. Un corpus croissant d’études révèle que la confiance constitue l’un des principaux facteurs qui conditionnent le civisme fiscal (voir (Dom et al., 2022[4])). La confiance étant subordonnée, et par conséquent sensible, aux changements de politiques, il s’agit d’un bon point de départ pour examiner le phénomène du civisme fiscal et identifier les actions à prendre pour le renforcer. À cette fin, ce rapport rassemble des données tirées des enquêtes d’opinion menées aussi bien auprès des administrations fiscales que des entreprises multinationales, qui fournissent un éclairage précieux sur les niveaux actuels de confiance, les possibilités de renforcer cette dernière et, par extension, le civisme fiscal.

Le présent rapport s’appuie sur un ensemble de données unique, qui reflète la perception qu’ont les agents de l’administration fiscale de l’adhésion des grandes entreprises / multinationales à l’un des principes d’application volontaire les plus largement approuvés. Cet ensemble de données a été obtenu dans le cadre d’une enquête de niveau international, qui a permis de recueillir les réponses de 1 240 agents des services fiscaux de 138 juridictions. Cette enquête visait à connaître la façon dont est perçu le comportement des grandes entreprises/multinationales au regard de la Déclaration du Business at OECD (BIAC) sur les meilleures pratiques fiscales en matière de relations avec les administrations fiscales des pays en développement (Business at OECD, 2013[5]), qui a été adoptée par le BIAC en 2013. Le BIAC est un réseau mondial qui représente plus de sept millions d’entreprises de toutes tailles. Ces principes résultent en conséquence d’un large consensus sur ce que les entreprises considèrent comme des pratiques exemplaires. C’est pourquoi, bien qu’ils puissent ne pas couvrir tous les aspects susceptibles de pouvoir être étudiés, ils constituent un bon de départ pour déterminer la manière dont est perçu le comportement des entreprises au regard des pratiques qu'elles ont elles-mêmes approuvées. L’enquête porte également sur la manière dont est perçu le comportement des quatre principaux cabinets de conseil et d’audit (les « Big Four ») au regard d’un ensemble composite de principes fiscaux facultatifs publiés par certains d’entre eux.

Cette étude menée auprès des agents des services fiscaux est complétée par des données supplémentaires tirées d’une précédente enquête sur la perception qu’ont les multinationales de la sécurité juridique en matière fiscale ainsi que de tables rondes conjointes réunissant entreprises et administrations fiscales. Les travaux antérieurs menés par l'OCDE ont montré que la perception qu’ont les EMN de la sécurité juridique en matière fiscale constituait un indicateur utile de civisme fiscal, et ont révélé qu’une administration de l’impôt efficace et efficiente était susceptible de renforcer la discipline fiscale et le civisme des multinationales (OCDE, 2019[1]). Ces deux enquêtes ont ensuite fait l’objet de discussions à l’occasion d’une série de tables rondes virtuelles qui se sont tenues entre décembre 2020 et mai 2021. Ces tables rondes ont été organisées au niveau régional (Afrique, Asie, Europe et région ALC) en collaboration avec des organisations régionales : Forum sur l'administration fiscale africaine (ATAF), Banque asiatique de développement (BAsD), Organisation intra-européenne des administrations fiscales (IOTA).et Centre inter-américain des administrations fiscales (CIAT). Un document de référence présentant les principales conclusions des enquêtes de perception menées auprès des administrations fiscales et des multinationales a été remis aux participants aux tables rondes, qui ont examiné les facteurs susceptibles d’expliquer ces résultats, ainsi que les bonnes pratiques et les mesures supplémentaires de nature à contribuer au renforcement du civisme fiscal. Les conclusions de ces échanges sont présentées dans l’analyse des résultats au chapitre deux, et constituent le point de départ de l’éventail d’actions possibles énumérées au chapitre trois. Dans la mesure où ces discussions se sont tenues dans le respect de la règle de Chatham House, les interventions au cours des débats restent anonymes.

Le présent rapport examine la relation de confiance entre les entreprises multinationales et les administrations fiscales, qui constitue un déterminant clé du civisme fiscal, et met en lumière un certain nombre des mesures susceptibles de contribuer au renforcement de la discipline fiscale. La manière dont est perçu le comportement des entreprises multinationales donne une indication globale du civisme fiscal des EMN. En outre, la comparaison des deux ensembles de données d’enquête, et l’analyse des conclusions de ces enquêtes lors des tables rondes ont permis de replacer ces résultats dans un contexte plus large et de déterminer non seulement le niveau de confiance, mais également les facteurs potentiellement importants de nature à renforcer (ou au contraire saper) la relation de confiance, comme la transparence et la communication. Il a également été possible de recenser les domaines dans lesquels les administrations fiscales et les entreprises multinationales rencontrent des difficultés communes (malgré leurs différences de points de vue), ce qui laisse à penser que l’adoption de nouvelles approches pourrait leur être mutuellement bénéfique.

Les contribuables ne seront pas tous sensibles aux mesures énoncées dans ce rapport, d’où le rôle crucial des mesures répressives. Ce rapport est centré sur les contribuables qui sont sensibles aux efforts engagés pour améliorer le civisme fiscal, et en particulier les mesures visant à instaurer la confiance. D’autres actions seront nécessaires pour inciter ceux qui ne sont pas sensibles à ces mesures à respecter leurs obligations. C’est pourquoi, bien que ce rapport mette l’accent sur le civisme fiscal, et vise en particulier à déterminer la manière dont la confiance (et la facilitation de la confiance) peuvent contribuer à inciter les contribuables à respecter spontanément leurs obligations, les mesures répressives resteront toujours un volet essentiel de la discipline fiscale (voir (Dom et al., 2022[4]) pour plus de détails sur les interactions entre confiance, facilitation et mesures répressives). De même, quoique le rapport s'intéresse principalement aux mesures prises par les administrations fiscales et les entreprises, d’autres parties prenantes (comme les investisseurs et la société civile) ont également un rôle à jouer pour influer sur le civisme fiscal des entreprises, en ayant à leur disposition différents outils que ceux énumérés dans le présent rapport.

Si l’amélioration du civisme fiscal et le renforcement de la relation entre les contribuables et l’administration fiscale devraient entraîner une baisse du nombre de différends, cela ne sera pas suffisant pour les supprimer totalement. Des différends fiscaux peuvent survenir pour de multiples raisons, et quoique certains d’entre eux puissent être résolus (comme souligné dans ce rapport), avec, à la clé, une diminution du nombre de différends, il est impossible d’éliminer toute source de litiges. Dans certains domaines complexes de la fiscalité notamment (comme le droit international), des différences d’interprétation peuvent légitimement se présenter, lesquelles ne peuvent être résolues que par le biais d’un mécanisme de règlement des différends. Lorsqu’un différend survient, il est souhaitable qu’il soit résolu efficacement, et que l’ensemble des parties acceptent le bien-fondé des différentes positions ainsi que l’issue obtenue, sans que cela nuise à leur confiance dans les autres parties ou à leur volonté d’entretenir avec elles une relation positive à l’avenir.

Ce rapport vise à fournir un point de départ à l’approfondissement du dialogue et des échanges sur les modalités de mesure, de suivi et de renforcement de la confiance et du civisme fiscal dans les grandes entreprises / multinationales, en particulier dans les pays en développement. Si certaines des bonnes pratiques et suggestions d’actions futures répertoriées dans ce document ne sont pas nécessairement nouvelles, le présent rapport pourra inciter l’ensemble des parties à s’impliquer davantage dans la recherche de solutions à même d’améliorer le civisme fiscal, en présentant de nouvelles données empiriques et en soulignant l’importance de la discipline fiscale.

Bibliographie

[3] ATAF (2016), Perspectives fiscales en Afrique, https://events.ataftax.org/index.php?page=documents&func=view&document_id=94&function=changelangpost&language=fr_FR.

[5] Business at OECD (2013), BIAC Statement of Tax Best Practices for Engaging with Tax Authorities in Developing Countries, https://taxation-customs.ec.europa.eu/system/files/2017-06/platform_tax_best_practices_biac.pdf.

[4] Dom, R. et al. (2022), Innovations in Tax Compliance: Building Trust, Navigating Politics, and Tailoring Reform, Groupe de la Banque mondiale, http://hdl.handle.net/10986/36946.

[2] OCDE (2021), Revenue Statistics in Asia and the Pacific 2021: Emerging Challenges for the Asia-Pacific Region in the COVID-19 Era, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/ed374457-en.

[1] OCDE (2019), Tax Morale: What Drives People and Businesses to Pay Tax?, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/f3d8ea10-en.

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