Chapitre 2. Organisations violentes en conflit en Afrique du Nord et de l’Ouest

Une grande part de la complexité des conflits armés en Afrique du Nord et de l’Ouest tient au nombre d’acteurs étatiques et non étatiques impliqués et à leurs objectifs politiques inconciliables. Les forces étatiques qui défendent le territoire national combattent souvent aux côtés de diverses milices ethniques ou pro-gouvernementales, et contre tout un ensemble de rebelles sécessionnistes en quête de plus d’autonomie ou d’indépendance, de groupes jihadistes, de milices financées par des hommes politiques ou des hommes d’affaires, et de chefs de guerre ou d’entreprises criminelles cherchant à s’enrichir.

Les motivations politiques de chacun évoluent au fil du temps. Les rebellions contre les gouvernements africains des 60 dernières années ont différentes origines (Reno, 2011[1]). Les rebelles anticolonialistes ont principalement combattu dans les colonies portugaises de Guinée, du Mozambique et d’Angola, tandis que des mouvements d’inspiration marxiste-léniniste se sont levés contre les régimes dominés par les Blancs en Rhodésie (Zimbabwe), dans le Sud-Ouest africain (Namibie) et en Afrique du Sud. Des rébellions se sont également formées en Ouganda, en Éthiopie et en Érythrée, visant à renverser les régimes d’oppression pour les remplacer par de nouveaux systèmes politiques. Au début des années 90, les chefs de guerre luttent pour le contrôle des ressources locales et terrorisent les populations du golfe de Guinée et de la région des Grands Lacs (encadré 2.1) suite à l’introduction d’une politique électorale multipartite et à l’effondrement des réseaux de clientélisme d’État. Au début des années 2000, une nouvelle génération de rebelles fait son apparition dans des pays comme le Nigéria, où des groupes marginalisés se battent pour obtenir une meilleure place au sein du système politique national. Ils ne s’opposent pas nécessairement à l’État et bénéficient souvent de la protection de politiciens locaux.

Malgré des motivations et enjeux variés, les organisations non étatiques violentes peuvent être regroupées en plusieurs catégories (encadré 2.2). Leur visibilité est un premier critère évident. Certaines, comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), opèrent ainsi dans l’ombre, tandis que d’autres, comme l’Armée nationale libyenne (LNA), manœuvrent au grand jour même lorsqu’elles s’opposent à l’État. Un autre critère de distinction entre organisations violentes réside dans leurs motivations. Celles motivées par le profit visent à gagner des parts de marché ou développer leurs activités, tandis que celles mues par des valeurs cherchent à imposer une idéologie, une religion ou une identité ethnique par des moyens violents (Price, 2019[4]). La plupart des États impliqués dans un conflit en Afrique soutiennent à la fois une armée et plusieurs milices, deux types d’organisations opérant au grand jour et faisant passer les objectifs de l’État avant le profit, du moins en principe (tableau 2.1).

Cette typologie s’avère particulièrement utile pour différencier deux catégories de groupes violents opérant dans l’ombre : les organisations criminelles et terroristes. Contrairement aux organisations criminelles, les organisations terroristes sont principalement motivées par des valeurs plutôt que par le profit, leur but ultime étant de modifier le système politique. Comme le résume Hoffman (2017, p. 38[6]), « le criminel se soucie peu d’avoir une influence sur l’opinion publique ; il veut juste s’enrichir ou accomplir sa tâche de mercenaire le plus rapidement et le plus simplement possible ». Parce qu’elles sont mues par des valeurs, les organisations terroristes promeuvent généralement une idéologie ou une interprétation (religieuse ou autre) exclusive, fondée sur l’identité. Les risques potentiels et l’absence de profits tangibles pour les membres des groupes terroristes peuvent rendre le recrutement particulièrement difficile. Les dirigeants de ces organisations doivent donc développer un sens commun de la lutte idéologique ou identitaire pour attirer et motiver les membres de leur base.

L’une des principales limites de cette classification est cependant de placer les organisations terroristes et les groupes rebelles ethniques sécessionnistes dans la même catégorie. Il existe pourtant des différences nettes entre eux, notamment au Sahel. Dans cette région, la stratégie et les motivations des groupes jihadistes, inspirées par une idéologie salafiste, sont fondamentalement différentes de celles des mouvements rebelles séparatistes ou ethno-nationalistes. Si les mouvements rebelles sécessionnistes contestent la légitimité de certains gouvernements ou cherchent à créer un nouvel État pour leur groupe ethnique, ils le font en agissant selon la logique de l’ordre étatique international. En revanche, les organisations jihadistes cherchent à démanteler l’État laïque pour le remplacer par un modèle fondé sur une interprétation stricte de la religion.

Contrairement à la plupart des groupes rebelles sécessionnistes en quête de plus d’autonomie, d’indépendance ou d’un meilleur accès aux ressources nationales, les groupes jihadistes ne sont pas motivés par l’accès au commandement légal de l’État, mais par l’imposition d’un cadre social reposant sur une interprétation littérale des textes religieux. Les organisations les plus radicales sont, en outre, peu enclines à s’engager dans des négociations de paix avec l’État, qu’elles jugent apostat et illégitime (Thurston, 2018[7]). La nature même des organisations jihadistes constitue donc une menace pour l’existence des élites étatiques africaines, qui ont peu à leur offrir.

Une autre limite de la classification présentée ci-dessus tient au fait qu’elle fonde la distinction entre organisations violentes selon la nature des motivations (profit vs. valeurs) de leur objectif, et non sur les moyens d’existence. Les organisations terroristes et les groupes rebelles se livrent souvent à des activités criminelles à des fins lucratives, amenant ainsi différents observateurs à évoquer un lien entre criminalité transnationale organisée et terrorisme (Miklaucic et Brewer, 2013[8] ; Ruggiero, 2019[9]). Le groupe militant Hezbollah a, par exemple, investi dans un éventail extraordinairement large d’activités criminelles à travers le monde pour soutenir sa lutte militaire au Moyen-Orient (Levitt, 2013[10]) (encadré 2.3). En Afrique de l’Ouest, les organisations extrémistes violentes sont aussi largement impliquées dans des activités criminelles, notamment l’extorsion de fonds en échange d’une protection, le vol, le trafic d’êtres humains et d’armes, le blanchiment d’argent, la contrebande et le trafic de stupéfiants (Lacher, 2011[11] ; Larémont, 2011[12] ; de Tessières, 2018[13]).

En Afrique du Nord et dans le Sahel, l’une des activités criminelles les plus lucratives pour les groupes opérant dans l’ombre est l’enlèvement contre rançon. Elle pourrait ainsi avoir généré « au moins 125 millions de dollars » dans le Sahel entre 2008 et 2014 (Callimachi, 2014[15]). S’il est difficile d’évaluer le montant exact des rançons versées, en raison de l’opacité des négociations et du nombre d’intermédiaires impliqués, il est toutefois très probable que cet argent ait contribué au financement de l’expansion internationale des groupes, de leur entraînement et de leurs achats d’armes. Ces revenus ont également facilité le développement d’alliances entre AQMI et les dirigeants locaux, et simplifié le recrutement de combattants pour les organisations extrémistes. Comme l’explique Lacher (2015, p. 75[16]), les rançons « ont été le facteur le plus important du développement du groupe dans le nord du Mali et, à terme, de sa prise de contrôle pendant le conflit de 2012 ». Les importantes sommes versées par les gouvernements européens contribuent aussi à expliquer la sécession du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), qui a pu quitter AQMI après avoir enlevé plusieurs touristes dans le sud-ouest de l’Algérie en 2011.

Pour toutes ces raisons, il est aussi possible, pour faciliter la différenciation entre organisations violentes, de croiser leur visibilité et leur légalité. Les organisations opérant dans l’ombre, comme les terroristes, criminels, gangs, trafiquants et malfaiteurs, prospèrent en sapant la légitimité de l’État, en exploitant les ressources du secteur privé et en affaiblissant la capacité des acteurs de la société civile (Morselli, Giguère et Petit, 2007[17] ; Van der Hulst, 2011[18] ; Cunningham, Everton et Murphy, 2016[19]). Souvent qualifiés de « réseaux obscurs », en référence à leur nature dissimulée et illégale (Gerdes, 2015[20]), ces organisations doivent surmonter des problèmes d’action collective qui ne diffèrent pas fondamentalement de ceux des autres réseaux. D’un côté, ils doivent faire face à l’inégalité de répartition des actifs, imposer confiance et idéologie, recruter et coordonner des activités à distance, diffuser les décisions relatives aux objectifs, et répartir les fonds et ressources. De l’autre, ils doivent rester dissimulés face aux autorités, ce qui les différencie des organisations légales opérant dans l’ombre et des organisations illégales opérant au grand jour (tableau 2.2). Par conséquent, les communications directes entre membres doivent être limitées, les armes, explosifs et actifs financiers, déplacés sans être détectés par les agences de sécurité, et le recrutement et l’entraînement, effectués en secret.

Cette forme de classification présente aussi des limites, notamment le fait qu’elle repose sur les caractéristiques visibles des organisations. En d’autres termes, si la nature et les objectifs des organisations illégales opérant dans l’ombre sont généralement bien documentés, on en sait toutefois beaucoup moins sur leurs opérations, leur structure interne et leurs liens avec d’autres organisations similaires. Les caractéristiques formelles de ces organisations sont certes importantes, mais une grande part de leur force vient de leur capacité à relier des personnes et des lieux, plus que de leur seule puissance militaire, avance technologique ou importance numérique.

La diversité des organisations non étatiques violentes contribue à la complexité des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest. Dans la plupart des conflits contemporains, les États sont confrontés à un ensemble fluctuant de groupes opérant au grand jour ou dans l’ombre, au nom du profit ou de valeurs, dans la légalité ou l’illégalité, amenés à interagir entre eux ainsi qu’avec les forces étatiques. Il en résulte un environnement politique complexe et changeant, où les relations entre groupes non étatiques se caractérisent par des dynamiques mouvantes de coopération et d’opposition. Ce chapitre examine les circonstances dans lesquelles s’inscrivent ces relations, en mettant plus particulièrement l’accent sur les alliances et rivalités entre acteurs non étatiques.

Si les organisations non étatiques violentes sont connues pour conclure des partenariats avec les États, elles sont néanmoins réticentes à coopérer avec d’autres groupes non étatiques. Ceux-ci peuvent se percevoir comme des concurrents potentiels, en particulier lorsque leur objectif principal est de s’emparer de l’État ou de prendre le contrôle territorial d’une région. De plus, les relations de coopération avec d’autres groupes peuvent s’assortir de risques pour les activités quotidiennes d’une organisation. Les collaborations avec un allié peuvent rendre les organisations violentes plus vulnérables à l’interception des communications par les organismes de lutte contre le terrorisme ; une action conjointe peut quant à elle accroître l’attention et la pression de la part de l’État, provoquer de nouveaux ennemis, ou introduire des dissensions dans les tactiques et stratégies. Dans certains cas, toutefois, les organisations violentes choisissent de s’allier pour surmonter leurs faiblesses et vulnérabilités individuelles (Moghadam, 2017[23]). Bien que risquée, la coopération peut aider à promouvoir une idéologie, à coordonner des actions et à bénéficier de ressources supplémentaires. Les coalitions plus grandes favorisent l’échange de connaissances et contribuent à étendre la portée sociale ou géographique de leurs actions.

Les théories et typologies proposées jusqu’ici pour expliquer les relations de coopération entre organisations violentes s’appuient sur l’analyse qualitative de certains cas, plutôt que sur une approche structurelle des réseaux d’alliances (Bacon, 2014[24]). Selon Karmon (2005[25]), la coopération entre groupes (terroristes) peut prendre au moins trois grandes formes. Dans la première, les groupes partagent une idéologie et renforcent leur collaboration par des déclarations officielles. Dans la deuxième, les groupes se soutiennent financièrement, ou mettent en commun du matériel, des outils de propagande, des armes, des informations et des entraînements. Dans le Sahara-Sahel, AQMI a soutenu Boko Haram en lui fournissant armes et entraînements au début des années 2010 (Werenfels, 2015[26]). Dans la troisième, les organisations violentes mènent des opérations conjointes et partagent des renseignements avant ou pendant les attaques contre des cibles gouvernementales ou civiles. En 2014, Ansar al-Charia Tunisie enlève ainsi à Tripoli Mohamed bin Sheikh, secrétaire de l’ambassadeur de Tunisie, en collaboration avec des jihadistes libyens.

Les organisations violentes tendent à s’affronter plutôt qu’à nouer des alliances. C’est peut-être la raison pour laquelle l’incidence des alliances entre groupes sur les dynamiques de conflits est moins bien documentée que celle de leur fragmentation (Bapat et Bond, 2012[27] ; Horowitz et Potter, 2014[28] ; Popovic, 2018[29]). Des études portant sur de vastes échantillons mettent en évidence une corrélation entre alliances et variables telles que la capacité de contrôle d’un territoire, la taille du groupe (modérée de 100 à 999 membres) et les motivations religieuses (Phillips, 2018[30]). Parmi les groupes terroristes, les alliances sont plus fréquentes entre les groupes partageant une idéologie, une ancienneté, des adversaires ou une région, et ayant un petit nombre de combattants (Asal et al., 2016[31]).

Si les alliances entre groupes sont plutôt inhabituelles dans la plupart des conflits, les relations d’interdépendance peuvent fournir des ressources précieuses, comme le partage de renseignements et un soutien tactique que les organisations mettent à profit contre un gouvernement (Akcinaroglu, 2012[32]). En Afrique du Nord et de l’Ouest, la fusion d’Ansar Dine, d’AQMI, d’Al-Mourabitoune et de la Katibat Macina en mars 2017 apparaît comme une action stratégique maximisant leurs ressources économiques (Weiss, 2017[33]). Selon une étude menée entre 1987 et 2005 sur 600 groupes à travers le monde, la coopération favorise leur survie, en particulier face à un État organisé et autocratique (Phillips, 2014[34]). Dans les situations de conflit où un acteur extérieur, comme une puissance militaire étrangère, est capable d’imposer une coopération qui mène à un accord de paix, les groupes armés peuvent avoir intérêt à former des coalitions et à se ranger dans le camp qui, selon eux, a le plus de chances de gagner le conflit (Christia, 2012[35]).

Bien que les alliances puissent s’avérer utiles dans certaines circonstances, elles restent assez instables sur le long terme. Un accord entre acteurs peut ainsi prendre fin quand les conditions changent, qu’une nouvelle opportunité se présente pour l’un des groupes ou qu’un ennemi commun est vaincu. Lorsque les Français lancent l’offensive militaire dans le nord du Mali en 2013, les combattants d’Ansar Dine rejoignent le MNLA ou le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), nouvellement créé. Quelques mois plus tard, le MIA intègre le nouveau Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). Au cours de cette même période, certains combattants du MUJAO créent également leur propre mouvement – le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) –, affirmant que leur objectif est désormais de parvenir à un accord de paix (Walther et Tisseron, 2015[36]).

Les raisons pour lesquelles ces groupes coopèrent sur de courtes durées sont mieux documentées que les facteurs susceptibles d’expliquer des alliances plus pérennes. Dans des environnements conflictuels où les organisations non étatiques sont légion, les forces gouvernementales, les groupes rebelles et les organisations extrémistes violentes auraient de multiples possibilités de nouer des alliances à plus long terme pour faire avancer leurs objectifs. Les travaux de recherche n’ont cependant pas encore ou peu exploré et documenté ces questions.

L’une des approches les plus prometteuses à cet égard est l’analyse des réseaux sociaux, comme l’illustrent les travaux de Gade, Hafez et Gabbay (2019[37]).Les accords entre groupes non étatiques dans les guerres civiles sont plus probables si ces derniers partagent une vision de ce pour quoi et contre quoi ils se battent, de l’ordre social, politique et religieux promu une fois le conflit terminé, et des aspirations territoriales. Ces trois éléments constituent le fondement idéologique de nombreuses organisations axées sur les valeurs. Il semble donc qu’un type de groupes peut être plus susceptible de nouer des alliances. Outre l’idéologie, les auteurs examinent comment la répartition du pouvoir entre les groupes, ainsi que le soutien de l’État, influencent les choix d’alliance. En Syrie, par exemple, la répartition du pouvoir entre les groupes ne semble pas être déterminante pour expliquer les alliances, et le fait d’avoir un soutien étatique commun n’encourage pas la coopération. Leur étude révèle toutefois que le partage de fondements idéologiques évite les luttes intestines en aidant les organisations à recruter, coordonner les actions, renforcer la loyauté et prévenir les défections.

Le fait qu’en Syrie, les organisations idéologiquement proches soient moins sujettes aux luttes internes, concorde avec d’autres études plus larges, qui suggèrent que les groupes rebelles ayant une idéologie similaire sont moins enclins à la fragmentation (Fjelde et Nilsson, 2018[38]). Cet effet positif liée à l’idéologie n’est toutefois significatif que pour les organisations de gauche, rares en Afrique du Nord et de l’Ouest, où la conviction que l’islam doit guider tous les aspects de la vie sociale et politique a conduit à une multiplication des organisations islamistes depuis au moins le début des années 80.

Étant donné l’importance de la formation d’alliances dans la résolution des conflits, il est à l’évidence nécessaire de poursuivre les recherches sur les facteurs relationnels susceptibles d’amener les organisations à collaborer. Ce rapport documente ainsi l’existence et la durée des alliances entre acteurs étatiques et non étatiques et leur évolution en Afrique du Nord et de l’Ouest.

Des acteurs non étatiques opérant dans la même région peuvent poursuivre des programmes radicalement différents et incompatibles, ce qui peut entraîner l’apparition de relations d’hostilité même lorsqu’ils ont des ennemis communs. Lors de la rébellion touareg de 2012 au Mali, par exemple, les efforts du MNLA pour créer un État touareg indépendant dans le nord du pays reçoivent initialement le soutien d’Ansar Dine. Les deux groupes finissent cependant par s’opposer sur la volonté d’Ansar Dine d’imposer la loi islamique dans toute la région. L’incompatibilité idéologique évoquée précédemment apparaît donc comme un facteur majeur pouvant expliquer l’opposition de ces groupes alors qu’ils luttent contre le même gouvernement.

Les recherches mettent par ailleurs en évidence la relative instabilité des groupes non étatiques dans le temps et leur forte propension à la fragmentation ou à la scission en factions distinctes et souvent concurrentes. Jusqu’ici, plusieurs raisons sont avancées (Asal, Brown et Dalton, 2012[39]). Ainsi, les luttes intestines sont particulièrement fortes lorsque les organisations rebelles opèrent dans des zones de culture de stupéfiants, exercent un contrôle territorial hors de portée du gouvernement et sont numériquement fortes (Fjelde et Nilsson, 2012[40]). Les rivalités entre groupes terroristes dans le monde tiennent également à la concurrence pour le trafic de drogue et à la recherche du soutien de l’État, ainsi qu’à l’ethnicité, notamment dans les pays en proie à un conflit civil (Phillips, 2018[30]).

Bien que courante, la fragmentation des organisations violentes est risquée, destructrice et coûteuse en ressources. Les divisions internes conduisant à la scission d’un groupe augmentent le risque de guerre civile, car la multiplication des belligérants crée des incertitudes quant aux concessions et aux engagements susceptibles de résoudre le conflit par des moyens non violents (Cunningham, 2013[41]). Le manque de cohésion des organisations rebelles augmente également le niveau de violence à l’encontre des civils, de plus en plus souvent victimes de viols, d’enlèvements, de pillages et d’assassinats (Metelits, 2009[42]). Les groupes fragmentés sont plus susceptibles de recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques que les groupes unifiés (Bakke, Cunningham et Seymour, 2012[43] ; Cunningham, Bakke et Seymour, 2012[44]). Une analyse longitudinale des incidents terroristes de 1970 à 1997 confirme que la concurrence entre organisations terroristes religieuses et nationalistes entraîne ainsi une augmentation de la violence (Nemeth, 2014[45]).

Au vu du coût de ces fragmentations, il importe de comprendre pourquoi les organisations consacrent tant de temps et de ressources à s’affronter au lieu de se concentrer sur une lutte contre le gouvernement (Nygård et Weintraub, 2015[46]). Deux explications complémentaires se distinguent. La première tend à expliquer la fragmentation par des facteurs internes, aussi divers que les idéologies concurrentes, les objectifs, l’accès aux ressources, les clivages structurels, la répartition du pouvoir et la taille. La seconde interprète le manque de cohésion à la lumière de facteurs externes, notamment les efforts des États pour lutter contre les insurrections et le terrorisme, les soutiens étrangers, la concurrence avec d’autres organisations et les performances sur le terrain (tableau 2.3).

L’une des analyses les plus abouties sur les divisions internes des organisations violentes est proposée dans l’ouvrage Fault Lines in Global Jihad, écrit 10 ans après les attentats du 11 septembre (Moghadam et Fishman, 2011[49]). Selon ses auteurs, Al-Qaïda, à l’instar de nombreuses autres organisations violentes, est divisé entre plusieurs courants idéologiques se faisant concurrence. Des conflits internes apparaissent également autour des objectifs, de la stratégie et des tactiques à employer, en particulier concernant l’identification d’un ennemi commun et le recours à la violence contre les populations musulmanes. Les luttes internes se cristallisent aussi autour des questions de production et de répartition des ressources entre Al-Qaïda et ses filiales régionales, comme AQMI en Afrique du Nord et de l’Ouest. Al-Qaïda est par ailleurs en proie à d’âpres divisions internes liées à la structure de leadership de l’organisation et à la nécessité de gérer des militants de différentes origines tribales ou ethniques. Enfin, Al-Qaïda a des difficultés à exercer son pouvoir sur un réseau mondial tout en maintenant une structure décentralisée. Chacun de ces facteurs s’avère pertinent pour les organisations violentes d’Afrique du Nord et de l’Ouest étudiées ici.

Le facteur idéologique explique à la fois la fragmentation et la cohésion des organisations violentes. En Afrique du Nord et de l’Ouest, comme ailleurs, le fait d’avoir une idéologie islamiste commune n’est pas un gage de cohésion, comme le montrent les relations entre Al-Qaïda et de l’État islamique (Moghadam, 2017[23]). Les organisations ayant une idéologie commune sont en effet souvent en concurrence et des scissions se produisent. Inversement, des groupes différents sur le plan idéologique peuvent coopérer face à un adversaire commun. Des idéologies telles que le communisme, le nationalisme ou l’islamisme sont en effet de vastes causes sous l’égide desquelles des organisations tant extrémistes que centristes peuvent opérer (Hafez, 2020[50]). Au Moyen-Orient, le groupe militant chiite Hezbollah et l’organisation fondamentaliste sunnite Hamas ont ainsi partagé des ressources financières, symboliques et d’entraînement dans le cadre de leur lutte contre leur ennemi commun, Israël (Price, 2019[4]).

L’islamisme connaît d’importantes divisions. Si les fondamentalistes promeuvent une interprétation littérale du Coran et des paroles et actions de Mahomet (sunna), ainsi qu’un strict respect de la loi religieuse (charia), ils sont toutefois souvent en désaccord sur les moyens à adopter pour faire avancer leurs objectifs. Le salafisme, principale forme d’activisme islamiste en Afrique du Nord et de l’Ouest, est par exemple composé de plusieurs mouvances se faisant concurrence selon qu’elles promeuvent une vision extrémiste ou centriste. Les membres de la mouvance quiétiste, comme les ordres soufi en Afrique de l’Ouest, ont adopté une approche pacifique et apolitique, privilégiant l’éducation religieuse et le prosélytisme plutôt que l’activisme politique. Cette mouvance est de plus en plus contestée par une branche activiste prônant une implication plus directe, mais non violente, dans les affaires politiques, comme les Frères musulmans ou le mouvement Ennahdha en Tunisie. À l’autre extrémité du spectre, des groupes jihadistes comme le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (en arabe, Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin, JNIM) entendent renverser les gouvernements laïques, rompre leurs liens avec l’Occident et « purifier » les autres musulmans par l’usage de la violence.

Les organisations jihadistes partagent trois positions idéologiques qui les distinguent des autres mouvements religieux réformistes de la région (Ibrahim, 2017[51]). Tout d’abord, elles envisagent le monde sous le prisme d’un choc des religions et estiment qu’il est du devoir de tous les musulmans d’affronter l’Occident et ses alliés locaux par des moyens militaires et terroristes. Ensuite, elles rejettent ce qu’elles considèrent comme des pratiques contraires à l’islam, par exemple le soufisme, et les institutions d’inspiration occidentale telles que la démocratie, l’État-nation ou l’éducation moderne (Thurston, 2018[7]). Enfin, elles voient dans les musulmans qui ne suivent pas scrupuleusement une interprétation littérale du Coran et de la sunna, des infidèles devant abandonner leurs pratiques religieuses ou être éliminés.

Les organisations islamistes quiétistes, activistes et jihadistes sont souvent en concurrence dans la même région. Dans le nord du Nigéria et au Niger, les confréries soufi traditionnelles sont par exemple en concurrence avec des mouvements islamistes plus conservateurs, tels que la Société pour la suppression de l’innovation et le rétablissement de la sunna (Izala), qui promeut un programme réformiste non violent (McCullough et al., 2017[52]). Le mouvement Izala rejette l’ostentation et les obligations sociales coûteuses qui empêchent de nombreux entrepreneurs de s’enrichir, ce qui le rend particulièrement populaire auprès des marchands d’Afrique de l’Ouest (Kuépié, Tenikue et Walther, 2016[53]). Les membres d’Izala sont eux-mêmes en concurrence avec l’organisation salafiste-jihadiste Boko Haram, mouvement religieux de masse apparu dans le nord du Nigéria au début des années 2000, aujourd’hui devenu l’un des groupes armés les plus meurtriers du monde (Thurston, 2018[7]). Ses attaques visent les mouvements religieux soufi et salafistes, les populations civiles musulmanes et chrétiennes en général, ainsi que l’État nigérian, que le mouvement juge corrompu et illégitime.

La fragmentation des organisations non étatiques naît souvent de désaccords sur les objectifs, les stratégies et les tactiques. Les points les plus controversés sont ceux concernant l’usage de la violence. Les dissensions sur qui constitue une cible légitime, ainsi que sur les stratégies de destruction massive et le meurtre de musulmans innocents, expliquent les profonds clivages au sein des organisations violentes de la région. La notion controversée de takfir (ou excommunication), qui détermine qui est musulman et qui est infidèle, et précise dans quelles circonstances un musulman peut être tué, revêt une importance toute particulière pour les organisations extrémistes en Afrique du Nord et de l’Ouest. Elle est interprétée de plusieurs façons, influençant la légitimité ou non d’une cible.

D’importantes différences s’observent également ces dernières décennies dans l’usage de la violence. Le Groupe islamique armé (GIA), en lutte contre le gouvernement algérien pendant la guerre civile (1991-2002), est représentatif de l’approche la plus violente (Hafez, 2020[50]). En plus de prendre pour cibles l’État et d’autres groupes islamistes tels que le Front islamique du salut (FIS), le GIA fait usage d’une violence extrême contre les civils, les journalistes et les étrangers dans sa quête de destruction du gouvernement laïque et d’instauration d’un État islamique régi par la loi religieuse (Martinez, 2000[54]). L’adoption de cette ligne dure provoque des désertions massives en son sein. Alors que l’Armée islamique du salut (AIS) proclame un cessez-le-feu unilatéral avec le gouvernement en 1997, des membres du GIA déçus de sa politique de massacre aveugle créent en 1998 le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

Dans les années 2010, des dissensions majeures autour de l’usage de la violence opposent la direction d’AQMI, établie dans le nord de l’Algérie, et ses unités sahariennes (Lacher, 2015[16]). Alors que le leader d’AQMI, Droukdel, prône l’établissement d’alliances durables avec les tribus locales du nord du Mali, les dirigeants régionaux d’AQMI, du MUJAO et d’Ansar Dine, comme Mokhtar Belmokhtar et Abou Zeïd, suivent une stratégie inverse, caractérisée par des confrontations violentes avec les populations locales et leurs chefs traditionnels (Siegel, 2013[55]). Dans une lettre retrouvée par l’Associated Press à Tombouctou, en janvier 2013, Droukdel exhorte ses lieutenants du Sahara et le chef d’Ansar Dine, Iyad ag Ghali, à cultiver les soutiens locaux pour résister à une intervention militaire étrangère (Associated Press, 2013[56]). Il critique leur décision de proclamer un État islamique dans l’Azawad et d’imposer la loi religieuse par la force, et regrette la destruction des mausolées de Tombouctou, vivement condamnée par la communauté internationale. Il s’oppose également à la décision de mettre fin à l’alliance stratégique conclue avec le MNLA, qui aurait renforcé la puissance militaire et la légitimité locale des jihadistes (encadrés 2.4 et 2.5).

Ces dernières années, des dissensions sur l’usage de la violence contre les civils contribuent également à diviser Boko Haram, organisation jihadiste opérant dans la région du lac Tchad. Fondé par Mohamed Yusuf vers 2002, ce groupe est dirigé par deux adjoints, Abubakar Shekau et Mamman Nour, ainsi qu’un proche associé, Khalid al-Barnawi (Campbell et Page, 2018[62]). Après l’assassinat de Yusuf en détention par les forces gouvernementales nigérianes en 2009, Nour et al-Barnawi rompent avec Shekau pour créer Ansaru, groupe ciblant les chrétiens et les forces de sécurité. L’usage aveugle de la violence contre les civils par Shekau constitue l’un des nombreux motifs de cette rupture. En 2016, un désaccord au sein de la direction de Boko Haram sur le meurtre de civils entraîne une nouvelle scission au sein de l’organisation (Thurston, 2018[7]). En août, l’État islamique annonce la nomination d’Abou Mosab al-Barnaoui comme nouveau chef de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), nom adopté par Boko Haram depuis mars 2015, sous la direction de Shekau. L’organisation se scinde en deux factions, l’une soutenant Barnaoui, et l’autre Shekau, qui baptise son groupe Jama’at Alhul Sunnah Lidda’wati wal Jihad, ancien nom de Boko Haram avant son allégeance à l’État islamique (Zenn, 2019[63]).

Un autre point majeur de discorde au sein des organisations violentes est de savoir si elles doivent cibler les régimes locaux, qu’elles jugent corrompus et apostats, ou leurs alliés internationaux, comme les États-Unis, la France et Israël. Le débat sur les ennemis proches et lointains de l’islam est aussi ancien que le salafisme jihadiste. À la fin des années 70, Mohamed Abdelsalam Faraj, leader égyptien du groupe islamiste Al-Jihad impliqué dans l’assassinat d’Anouar el-Sadate, affirme que le mouvement jihadiste doit cibler ses ennemis proches, que sont les régimes politiques du monde musulman, plutôt que de se focaliser contre Israël, l’ennemi lointain (Brooke, 2011[64]). Il pense que l’instauration d’un califat dans les pays gouvernés par des régimes laïques est une condition préalable à la (re)conquête d’Israël.

D’autres théoriciens islamistes se sont fortement opposés à cette vision, faisant valoir que les jihadistes du monde entier s’inscrivaient dans un combat plus vaste visant la reconquête d’Israël et l’expulsion des non-musulmans des pays musulmans. Les principaux défenseurs de cette approche internationaliste ont été Oussama ben Laden et Ayman al-Zawahiri. Ils publient ainsi en 1998 un avis juridique (fatwa) connu sous le nom de « Déclaration du Front islamique mondial pour le jihad contre les Juifs et les croisés », dans lequel ils affirment que « tuer les Américains et leurs alliés – civils et militaires – est un devoir individuel pour chaque musulman qui peut le faire, dans tous les pays où cela est possible, afin de libérer la mosquée Al-Aqsa et la sainte mosquée de La Mecque de leur emprise, et pour obliger leurs armées à quitter la terre sainte de l’islam » (Ben Laden et al., 1998[65]). Ce nouvel accent mis par Ben Laden et al-Zawahiri sur l’ennemi lointain, et l’élargissement de sa définition aux États-Unis, provoquent de graves dissensions avec Abou Moussab al-Zarqaoui, Abdallah Youssouf Azzam et les Talibans, qui préconisent un jihad bien plus localisé en Irak et en Afghanistan.

Malgré de fortes résistances, Al-Qaïda joue un rôle important dans la réorientation de l’approche nationaliste de nombreux groupes islamistes locaux, du moins officiellement. Ces franchises locales utilisent de manière opportuniste le label Al-Qaïda pour se faire connaître sur la scène internationale. La guerre civile algérienne en offre une bonne illustration. Lorsqu’elle éclate, en 1991, les groupes islamistes prennent d’abord pour cible les personnels de sécurité de l’État (l’ennemi local), mais avec l’intensification des violences dans les années 90, les luttes internes au sein des groupes islamistes sur la définition de l’ennemi prennent rapidement de l’ampleur (Le Sueur, 2010[66]). Au sein du GSPC, des chefs comme Hassan Hattab veulent cibler les représentants de l’État et mettre sur pied un programme d’action national, tandis que d’autres souhaitent étendre la lutte à l’ennemi lointain, en particulier la France, comme le recommande Al-Qaïda. Nabil Sahraoui remplace par la suite Hattab en 2003, qui rejoint le programme de réconciliation nationale en 2005. Le GSPC est rebaptisé AQMI en 2007, sous la direction d’Abdelmalek Droukdel, et déclare son intention d’attaquer des cibles américaines et européennes.

Ces dernières années, le débat sur la primauté de l’ennemi proche ou lointain s’est complexifié avec l’intervention militaire des pays occidentaux dans les pays musulmans, qui les a paradoxalement rapprochés plus que jamais des mouvements jihadistes salafistes. Au Moyen-Orient et en Afghanistan, les organisations violentes peuvent ainsi désormais considérer les États-Unis et d’autres pays occidentaux comme la France à la fois comme des ennemis proches et lointains. Il est donc ici nécessaire de faire la distinction entre les effets escomptés des attaques et leur localisation géographique réelle, tous deux pouvant être proches ou lointains (OCDE/CSAO, 2020[67]). Les organisations violentes en lutte contre un ennemi lointain n’ont pas nécessairement besoin de mener des attaques loin de leur pays d’origine. Elles peuvent choisir de cibler des personnes ou des intérêts au niveau local, en prenant des otages ou en attaquant des bars, restaurants et hôtels fréquentés par des étrangers. Même si les groupes armés dirigent leur propagande contre un ennemi lointain, leur champ d’action directe peut ainsi être beaucoup plus limité d’un point de vue géographique.

Certaines attaques peuvent cibler les régimes locaux dans le but d’avoir des effets à l’échelle locale. Dans une région où les organisations extrémistes ont rarement un programme d’action internationale et disposent de moyens limités sur le plan organisationnel et militaire, ce schéma vaut pour la grande majorité des organisations violentes. C’est le cas, par exemple, quand des militants islamistes de Boko Haram tuent des représentants de l’État nigérian et les populations chrétiennes dans la région du lac Tchad. Mais les attaques perpétrées contre des ennemis proches peuvent également viser à impacter la politique étrangère ou internationale. C’est notamment le cas quand des groupes terroristes ciblent des structures détenues ou exploitées par des Occidentaux, comme lors de l’attaque de l’hôtel Radisson Blu à Bamako par AQMI et Al-Mourabitoune en 2015.

Les militants peuvent également choisir de cibler des ennemis lointains pour provoquer des changements au niveau de la politique locale. Au début des années 2000, le GSPC enlève 32 touristes européens dans le Sahara afin d’apporter des ressources à un mouvement ciblant essentiellement le gouvernement algérien. La rançon payée par les gouvernements européens aide considérablement le GSPC à étendre ses opérations au sud du Sahara. Enfin, les militants peuvent mener des attaques contre un ennemi lointain dans le but d’avoir des retombées internationales, et frapper ainsi les pays occidentaux en leur cœur, tout en touchant le plus large public possible dans le monde. Bien que spectaculaire, ce type d’attaque est toutefois rare, car aucune des franchises régionales d’Al-Qaïda et de l’État islamique en Afrique du Nord et de l’Ouest n’a la capacité de mener des opérations militaires loin de son pays.

La disponibilité et la répartition des ressources est un autre facteur pour expliquer les rivalités au sein des organisations violentes, en particulier quand elles contribuent à la lutte contre les gouvernements centraux (Fjelde et Nilsson, 2012[40]). Dans le Sahara-Sahel, où la plupart des ressources proviennent des flux de personnes et de biens plutôt que d’une production industrielle localisée (Retaillé et Walther, 2013[68]), le commerce lucratif du trafic d’armes et de stupéfiants est source d’un maillage fluctuant d’alliances et de conflits, qui transcendent les clivages politiques et religieux entre groupes (Walther et Tisseron, 2015[36]). Les mouvements d’argent générés par les trafics expliquent nombre des épisodes de violence entre groupes armés se disputant le contrôle des routes transsahariennes clés. Les groupes rebelles, trafiquants et organisations terroristes ciblent de plus en plus les mines artisanales de l’est du Burkina Faso, du Mali et du Niger, où l’exploitation de l’or s’est intensifiée depuis le début des années 2010 suite à la découverte de nouveaux gisements (International Crisis Group, 2019[69]).

Il arrive que des groupes nouent des alliances de convenance pour la bonne conduite de leurs affaires et le maintien de leur influence. Deux accords de ce type sont conclus entre des hommes d’affaires du nord et des chefs de guerre de la commune d’Anéfis, au Mali, en octobre 2015 et 2017, dans le but de maintenir les routes de contrebande ouvertes et de réduire la concurrence entre trafiquants (International Crisis Group, 2018[70]). Ces derniers et les dirigeants politiques négocient ces accords en parallèle des négociations de paix avec l’État malien et ses soutiens internationaux. Il y a pourtant des raisons de croire que l’ampleur du lien entre drogue et terrorisme a souvent été exagérée dans la région (Lacher, 2013[71]). Tout d’abord, les organisations à motivation politique affiliées à Al-Qaïda et à l’État islamique ne se sont pas transformées en groupes criminels du jour au lendemain. Leur rhétorique islamiste est profondément ancrée dans leur histoire et ne sert pas de simple couverture à leurs activités criminelles (Boeke, 2016[72]). Ensuite, les organisations jihadistes ne sont pas les seules impliquées dans les trafics de la région : fonctionnaires, milices, groupes rebelles et tribus nomades participent aussi activement à la circulation des stupéfiants et des armes à travers le Sahara (Strazzari, 2015[73]). Selon un récent rapport des Nations Unies (2018[74]) , les trafiquants de drogue de l’est du Mali utilisaient par exemple des organisations islamistes, des milices pro-gouvernementales et des groupes séparatistes à des fins de sécurité avant l’intervention menée par la France en 2013. Depuis la signature en 2015 de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, ils cherchent protection auprès des groupes armés signataires plutôt que des organisations terroristes, afin d’être moins exposés et de bénéficier de leur légitimité (ONU, 2018, p. 33[74]).

La fragmentation est accentuée par des facteurs structurels ayant trait à la façon dont chaque organisation et ses acteurs individuels sont liés entre eux (Gartenstein-Ross et al., 2019[48]). La nécessité de trouver un équilibre entre efficacité et sécurité a conduit les organisations violentes à adopter des structures variées. Certaines, comme la mafia aux États-Unis ou l’Armée républicaine irlandaise (IRA) provisoire en Irlande du Nord, ont opté pour une structure plutôt centralisée, au sein de laquelle la gestion des décisions et des ressources s’opère de façon descendante. Ces structures sont théoriquement plus efficaces que celles décentralisées, mais aussi moins résistantes aux menaces, ce qui explique leur rareté. À l’inverse, la plupart des organisations criminelles et terroristes adoptent une structure décentralisée, agencée autour de cellules indépendantes qui, si elles viennent à être détruites, ne compromettent pas la structure dans sa globalité, et de hiérarchies souples accordant une grande autonomie aux commandants régionaux (Price, 2019[4]). Parmi les réseaux décentralisés au sein desquels les cellules individuelles sont relativement indépendantes du noyau, se trouvent des organisations aussi diverses que l’État islamique ou les franchises locales d’Al-Qaïda en Afrique et dans la péninsule arabique. Leur absence relative de hiérarchie formelle les rend certes difficiles à démanteler, mais aussi bien plus complexes à coordonner que les réseaux centralisés.

L’équilibre entre efficacité et sécurité est fréquemment source de fortes tensions au sein des organisations non étatiques violentes, souvent en proie à d’âpres divisions entre défenseurs d’une plus grande coordination et partisans de la décentralisation. Les recherches existantes soulignent deux facteurs importants. Tout d’abord, les études sur les dynamiques intra-groupe suggèrent que la structure interne des groupes belligérants serait déterminante pour expliquer les trajectoires des groupes d’insurgés (Staniland, 2014[47]). Les liens sociaux noués avant et pendant la guerre renforcent en effet la cohésion des organisations violentes et réduisent leur risque de fragmentation. Ils facilitent en outre les recrutements et les allégeances durant les conflits. Ensuite, des recherches montrent que les organisations extrémistes sont souvent profondément divisées par des clivages ethniques, tribaux et nationaux qui entravent leur développement et leur expansion transnationale (Moghadam et Fishman, 2011[49]).

À cet égard, les sociétés pastorales sont particulièrement sujettes à la fragmentation, principe souligné par l’anthropologue structuraliste Evans-Pritchard (1940[75]), qui observe que les factions d’une même caste tendent à s’attaquer entre elles, mais à s’unir contre les factions d’une caste supérieure. Ainsi, dans une société divisée en tribus et factions, deux factions appartenant à la même tribu s’attaqueraient mutuellement, mais s’allieraient contre une autre tribu. De manière plus générale, de nombreux conflits au sein des organisations violentes d’Afrique du Nord et de l’Ouest reflètent des clivages tribaux, régionaux et sociaux. Les Touareg, société nomade qui n’a jusqu’ici pas été en mesure de s’unir au niveau national ou supranational, et ce malgré un patrimoine linguistique et culturel commun, illustrent parfaitement ce principe structuraliste.

La société touareg se divise en plusieurs groupes définis selon le statut social et les catégories raciales : les guerriers nobles (imajeghen), les érudits religieux (ineslemen), les tributaires ou vassaux (imghad), les artisans (inadan) et les anciens esclaves (iklan) (Lecocq et Klute, 2019[76]). Tous, sauf les artisans et les anciens esclaves, sont perçus comme racialement blancs. Les tribus nobles, telles que les Ifogha, entretiennent des relations conflictuelles avec les tribus vassales, d’autres tribus nobles d’autres régions et les anciens esclaves, aussi appelés localement bellah. Ces relations conflictuelles s’exacerbent durant la rébellion des années 90 au Mali, au cours de laquelle les anciens esclaves prennent les armes contre leurs anciens maîtres (Lecocq, 2005[77]). Le Front populaire de libération de l’Azawad (FPLA) et l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA) représentent alors les strates sociales inférieures, tandis que le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) représente les nobles. Des divisions semblables marquent la rébellion touareg de 2012 : le MNLA, Ansar Dine et le HCUA représentent les nobles ifogha, tandis que le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) du Général El Hadj ag Gamou représente les vassaux (encadré 2.6). Parmi les autres clivages, il y a les écarts de richesse entre ceux enrichis grâce aux différents trafics et ceux dont les moyens de subsistance se sont vus détruits par la multiplication des sécheresses et l’effondrement de l’industrie touristique. Enfin, de vifs différends opposent les chefs alliés au gouvernement depuis la rébellion de 1963 afin de préserver leurs privilèges et les jeunes chômeurs revenus d’Algérie et de Libye dans les années 90 (Lecocq, 2004[78] ; OCDE/CSAO, 2020[67]).

Outre les facteurs structurels, des motifs plus prosaïques peuvent aussi expliquer la fragmentation, tels que l’insatisfaction à l’égard des dirigeants, les problèmes de gestion, ou encore la perception de formes d’incompétence ou de corruption (Asal, Brown et Dalton, 2012[39]). Les lettres échangées entre les dirigeants radicaux et leurs subordonnés, ainsi que les documents trouvés lors des opérations menées contre eux, donnent un aperçu inédit de ces luttes internes (Associated Press, 2013[56]). La création d’Ansar Dine en décembre 2011 en offre un exemple intéressant en Afrique subsaharienne. La scission intervient en effet sur fond de luttes de pouvoir au sein de la rébellion touareg. Les dirigeants du MNLA nouvellement créé refusent ainsi de nommer Iyad ag Ghali aux fonctions de nouveau secrétaire général du mouvement sécessionniste, car ils craignent qu’il soit trop proche de l’Algérie et trop extrémiste dans ses principes islamistes (Bencherif et Campana, 2017[82]). En réaction, ag Ghali offre alors ses services à AQMI, qui l’encourage finalement à créer son propre mouvement, Ansar Dine.

Cette section s’inspire des travaux de Walther et Pedersen (2020[83]), avec l’autorisation des auteurs.

La répartition du pouvoir est souvent source de différends majeurs au sein des organisations violentes. Pour certains auteurs s’inscrivant dans la lignée du structuralisme néoréaliste, ce sont les problématiques de pouvoir, plutôt que d’identité et d’idéologie, qui motivent la formation et la rupture des alliances rebelles (Christia, 2012[35]). La fragmentation résulte de calculs délibérés, et non d’un ensemble complexe de mécanismes de causalité qui échapperaient au contrôle des organisations individuelles et de leurs dirigeants. Les organisations rebelles se battent pour établir ou s’inscrire dans une « coalition minimale gagnante » possédant « un pouvoir global suffisant pour remporter le conflit, mais le moins de partenaires possible afin de permettre au groupe de maximiser sa part de contrôle politique une fois le conflit terminé » (Christia, 2012, p. 240[35]).

En réaction à la tendance à considérer les mouvements rebelles armés comme des adversaires cohérents de l’État, Bakke, Cunningham et Seymour (2012[43]) proposent une nouvelle interprétation : les rébellions seraient constituées d’un ensemble fluctuant d’acteurs partageant une identité centrale, mais pouvant aussi s’engager dans des allégeances mouvantes et avoir des intérêts diamétralement opposés. Par conséquent, les organisations qui constituent un mouvement se revendiqueront toutes de la même identité globale, mais poursuivront également leurs propres intérêts particuliers. C’est dans cette articulation entre objectifs communs du mouvement et intérêts particuliers des organisations que se produit la fragmentation. Comme les organisations se disputent le leadership et l’influence au sein d’un même cercle, cette double concurrence peut engendrer des luttes intestines.

Selon Bakke, Cunningham et Seymour (2012[43]), les divisions internes pourraient s’expliquer par trois variables liées. La première est le nombre d’organisations. Bien que la présence de nombreuses organisations au sein d’un mouvement suggère une multitude de différences internes, les mouvements fragmentés sur le plan numérique peuvent néanmoins trouver un équilibre interne s’ils parviennent à poursuivre de concert leurs intérêts collectifs. À l’inverse, une rébellion composée de deux organisations seulement peut connaître des conflits d’intérêts et de stratégie, susceptibles d’entraîner des luttes internes entre les deux centres de gravité concurrents.

La deuxième variable influant sur le niveau global de fragmentation est le degré d’institutionnalisation qui prévaut entre les organisations. Les mouvements cohésifs ont des liens institutionnels durables qui relient les organisations entre elles et coordonnent leur conduite, tandis que les mouvements fragmentés ne disposent pas des réseaux qui rendent possible une action militaire et politique coordonnée. Les structures institutionnelles globales, telles que les alliances intra-organisationnelles, les comités centraux et les pratiques de coordination avec les rebelles en exil, ont un effet de cohésion sur l’ensemble du mouvement. Elles requièrent que les structures institutionnelles aient la portée et l’envergure nécessaires pour parvenir à une synchronisation politique, coordonner les efforts stratégiques et avoir un effet contraignant sur les acteurs s’inscrivant dans ce cadre institutionnel.

La troisième variable concerne les modalités de répartition du pouvoir au sein de la rébellion. Le risque de fragmentation augmente lorsque le pouvoir est dispersé entre de nombreuses organisations, car les factions individuelles ont alors la possibilité de poursuivre leurs propres intérêts. Ce risque de fragmentation diminue en revanche dans les rébellions dominées par une organisation hégémonique, la capacité des organisations subalternes à influer sur les objectifs collectifs de la rébellion se trouvant ainsi limitée.

En résumé, une rébellion sera extrêmement fragmentée si elle est constituée de nombreuses organisations ayant des liens institutionnels faibles ou inexistants, et si le pouvoir est dispersé entre les différents groupes. À l’inverse, elle se caractérisera par une très forte cohésion si elle se compose d’un petit nombre d’organisations reliées entre elles par de solides liens institutionnels, et si le pouvoir se concentre entre les mains d’une organisation hégémonique (Walther et Pedersen, 2020[83]).

Les divisions au sein des organisations violentes sont également accentuées par des facteurs externes liés à leurs relations avec l’État et d’autres acteurs non étatiques (Seymour, Bakke et Cunningham, 2016[84]). Les groupes rebelles s’affrontent souvent entre eux au lieu de former des coalitions lorsque le gouvernement n’a pas un pouvoir de répression suffisant. En Éthiopie, dans les provinces d’Érythrée et du Tigré, les rivalités se sont par exemple accrues quand les groupes d’insurgés ont entrevu des possibilités d’expansion, tout en faisant face à des rivaux relativement plus faibles, dont le gouvernement (Pischedda, 2018[85]). Les efforts de lutte contre les insurrections et le terrorisme entraînent souvent des scissions au sein des organisations violentes, parce qu’une faction des militants décide de se rendre ou d’adopter une approche plus pacifique du conflit. Pendant la guerre civile algérienne, le gouvernement d’Abdelaziz Bouteflika a, par exemple, proposé aux militants islamistes armés de profiter d’une nouvelle loi d’amnistie ou d’être tués sans merci par le gouvernement.

Si les négociations de paix sont en général propices à la création de nouvelles coalitions, la signature des accords de paix entraîne souvent, quant à elle, la fragmentation des groupes armés. En 1991, par exemple, les accords de paix avec la rébellion touareg sont suivis, de manière générale, de divisions internes selon les lignes de clivage tribales (Walther et Tisseron, 2015[36]). Les mouvements divisés sont également plus susceptibles d’obtenir des concessions de l’État que les mouvements affichant une forte cohésion, car les États sont souvent plus enclins à « diviser pour faire des concessions » qu’à « diviser pour régner » (Cunningham, 2011[86]). Dans le Sahel-Sahara, les États ont souvent encouragé ces dynamiques en intégrant d’anciens rebelles dans l’appareil d’État, que ce soit dans l’armée ou le gouvernement. Au Niger, Rhissa ag Boula devient ainsi en 2011 conseiller du Président Mahamadou Issoufou, après avoir joué un rôle clé dans les rébellions touareg de 1990-95 et de 2007-09. Parmi les autres exemples d’anciens rebelles nommés à des postes gouvernementaux, citons Aghali Alambo, devenu conseiller du président de l’Assemblé nationale, Mohamed Anako, qui a présidé le Conseil régional d’Agadez, Rhissa Feltou, maire d’Agadez, et Issouf ag Maha, maire de Tchirozérine (Grégoire, 2013[80]).

Cette stratégie a connu un tel succès que, pour certains mouvements rebelles, l’objectif du conflit n’est pas tant de contester l’autorité de l’État que de revendiquer un meilleur accès à ses ressources. Ce constat n’est nulle part plus évident qu’au Mali, où les alliances entre groupes armés sont motivées par les dividendes politiques escomptés (Desgrais, Guichaoua et Lebovich, 2018[81]). Les rebelles du MNLA et d’autres factions ont ainsi artificiellement gonflé le nombre de combattants pouvant être démobilisés afin de procurer des emplois stables à leurs membres dans l’armée malienne. Des rebelles, qui avaient déserté l’armée malienne et combattu contre elle, ont même exigé que les prestations de santé et les arriérés de salaire leur soient payés, et que la progression en grade et les privilèges durant leur période de désertion soient pris en compte avant leur réintégration dans l’armée (ONU, 2018[74]).

Les divisions internes surviennent également lorsque les États augmentent ou retirent leur soutien aux organisations violentes, qu’ils peuvent utiliser pour mener des guerres pour leur compte au sein de leur propre territoire ou à l’étranger. Les guerres du Congo se caractérisent ainsi par le soutien apporté par des gouvernements voisins, dont l’Angola, l’Ouganda et le Rwanda, à de nombreux groupes rebelles (Prunier, 2008[87]). Le cas du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) durant la deuxième guerre du Congo en est un bon exemple. Après le renversement de Mobutu Sese Seko, en 1997, le RCD est la principale force à œuvrer pour le compte de l’Ouganda et du Rwanda contre le gouvernement congolais. En 1999, l’organisation se scinde toutefois en deux factions concurrentes, les deux gouvernements qui la soutiennent se disputant son contrôle total, ainsi que celui des précieuses ressources exploitables de l’est de la République démocratique du Congo. Les relations entre les factions concurrentes du RCD reflètent alors la détérioration du partenariat entre l’Ouganda et le Rwanda, aboutissant à un conflit ouvert en 1999 et 2000. Bien qu’il ne soit pas l’unique raison de la fragmentation du RCD, il n’est toutefois pas possible d’appréhender pleinement cette scission sans comprendre le rôle du soutien des différents États durant cette période.

Cette dynamique s’observe également dans des conflits en dehors de la région. La guerre civile syrienne illustre par exemple clairement comment les soutiens étrangers peuvent provoquer des divisions majeures au sein des organisations violentes. Dès le début, le mouvement rebelle en Syrie est confronté à des divisions internes et à des luttes intestines ouvertes autour de différents clivages : extrémisme religieux, idéologie politique, ou encore luttes de pouvoir entre rivaux (Lister, 2015[88]). La rivalité entre l’Arabie saoudite et le Qatar, par exemple, met à mal le Conseil militaire suprême, tentative de donner une structure de commandement unifiée à l’Armée syrienne libre (ASL), elle-même principale entité de rassemblement des rebelles syriens dits « traditionnels » (Walther et Pedersen, 2020[83]). Alors que le gouvernement saoudien finance des groupes laïques, celui du Qatar appuie principalement des groupes islamistes. Avec différents soutiens internationaux potentiels à satisfaire, le nombre de groupes se multiplie et la cohésion interne de l’ASL s’en trouve diminuée. De la même manière, les gouvernements américain et turc provoquent des divisions au sein de l’ASL autour de la question de la coopération avec les Unités kurdes de protection du peuple (YPG). Tandis que les États-Unis pressent à la fois leurs alliés de l’ASL et des YPG de coopérer dans la lutte contre l’État islamique sous l’égide des Forces démocratiques syriennes (FDS), la Turquie rejette quant à elle tout partenariat de ses alliés de l’ASL avec les YPG kurdes (Barfi, 2016[89]). Elle coopère au contraire avec certains groupes de l’ASL et les finance pour combattre les FDS.

Les études existantes sur les interventions de tierces parties dans les guerres civiles s’attachent à leur impact sur l’issue et la durée des conflits (Findley et Marineau, 2015[90]), en concevant principalement la guerre civile comme un modèle à deux acteurs mettant aux prises gouvernements contre groupes armés. Les interventions étrangères dans les guerres civiles peuvent être soit partisanes, lorsqu’elles apportent leur soutien à un belligérant plutôt qu’à un autre, soit neutres. En général, les études font valoir que l’intervention partisane d’une tierce partie contribue à écourter les guerres en faisant pencher clairement d’un côté l’équilibre des forces nationales en présence, tandis que les interventions neutres tendent plutôt à faire stagner le conflit en stabilisant l’équilibre des forces (Balch-Lindsay et Enterline, 2000[91] ; Regan, 2002[92]). De 1816 à 1997, les interventions de tierces parties au nom du gouvernement ou de l’opposition ont par exemple plutôt pour effet d’accroître la probabilité d’un règlement négocié, tandis que celles soutenant à la fois le gouvernement et l’opposition conduisent à un allongement du conflit (Balch-Lindsay, Enterline et Joyce, 2008[93]).

L’impact des interventions étrangères sur le plan de la sécurité reste controversé. Selon des recherches récentes menées à l’échelle mondiale depuis la fin de la guerre froide, les opérations de maintien de la paix des Nations Unies atténueraient l’impact de la fragmentation à la fois sur la durée et l’intensité des conflits, en les écourtant et en évitant les décès liés aux combats (Ari et Gizelis, 2020[94]). En Afrique subsaharienne, où les anciennes puissances coloniales sont intervenues à maintes reprises depuis les années 60 (OCDE/CSAO, 2020[67]), les interventions militaires lancées pour protéger les populations civiles et/ou lutter contre les organisations extrémistes ont souvent conduit à une militarisation des politiques locales, encourageant les régimes autoritaires qui se présentent comme les garants de la sécurité internationale (Schmidt, 2018[95]).

D’autres études évitent cette approche fondée sur l’équilibre des forces pour appréhender plutôt les guerres civiles comme une série de négociations entre acteurs ne disposant que d’informations incomplètes sur leurs adversaires et le conflit dans sa globalité (Filson et Werner, 2002[96] ; Slantchev, 2003[97] ; Smith et Stam, 2004[98] ; Walter, 2009[99]). Les événements, comme les combats, servent à « actualiser » les informations qu’ont les acteurs sur leurs propres capacités et celles des autres acteurs. En théorie, une connaissance complète des capacités de l’ensemble des acteurs conduirait à un règlement du conflit par davantage de négociation. Puisque les interventions peuvent actualiser les informations incomplètes en possession des acteurs, ces recherches concluent qu’elles écourtent la durée des guerres civiles. D’après Cunningham (2006[100] ; 2010[101]), toutefois, comme les interventions augmentent le nombre d’acteurs en conflit, elles auraient plutôt tendance à allonger la durée des guerres civiles. L’augmentation du nombre d’acteurs induit en effet un accroissement du risque d’asymétrie d’information et du nombre d’alliances susceptibles de fluctuer. Elle réduit en outre l’éventail de conditions acceptables pour la résolution du conflit, un plus grand nombre de parties ayant des exigences à satisfaire.

Les conflits actuels en Afrique du Nord et de l’Ouest se caractérisent indéniablement par leur complexité, et ce à différents égards. Le nombre et la diversité des organisations non étatiques violentes impliquées dans ces conflits constituent l’une des dimensions clés de cette complexité. Plusieurs typologies des organisations non étatiques ont été proposées (opérations au grand jour/dans l’ombre, valeurs/profit, légalité/illégalité) afin d’aider à mettre en évidence les principales différences entre les groupes opérant dans la région. Ces typologies sont notamment utiles pour comprendre pourquoi les organisations axées sur des valeurs, comme les rebelles sécessionnistes ou les terroristes jihadistes, posent des problèmes insolubles aux États. Les objectifs politiques de ces organisations peuvent menacer l’intégrité territoriale ou l’existence globale de l’État d’une manière différente des organisations motivées par le profit, comme les armées de mercenaires. Ces typologies sont aussi utiles, car elles contribuent à éclairer les limites des connaissances disponibles pour l’étude scientifique de ces conflits. Dans la région, de nombreux groupes opèrent en effet en grande partie dans l’ombre et l’illégalité, ce qui réduit la possibilité d’observer avec fiabilité leurs caractéristiques, comme leurs effectifs ou les ressources à leur disposition.

Une autre dimension clé de la complexité des conflits de la région réside dans la diversité des relations que les organisations non étatiques violentes entretiennent avec les États et entre elles. Comme ces organisations s’opposent souvent aux États de la région, elles peuvent se trouver incitées à coopérer pour atteindre leurs objectifs, même sur une base temporaire ou ad hoc. Les connaissances restent toutefois relativement limitées sur cet aspect des violences, et ce malgré des exemples notables au Mali et ailleurs. L’examen des raisons pour lesquelles les organisations non étatiques s’opposent entre elles, notamment des facteurs relevant à la fois du fonctionnement interne de chacune et des circonstances extérieures dans lesquelles elles s’inscrivent, a été davantage documenté. En outre, les dynamiques de ces deux types de relations (coopération et opposition) n’ont pas été explorées. Le genre de relation qui prédomine ou le degré de stabilité de ces liens dans le temps reste par conséquent peu compris. En bref, la dimension relationnelle – essentielle – de la complexité des conflits de la région n’a pas encore été suffisamment explorée.

Si certaines informations sur les organisations non étatiques violentes peuvent être difficiles d’accès, leurs actions et leurs répercussions sont davantage connues. Les attaques qu’elles mènent en vue de réaliser leurs objectifs sont bien documentées, sur le plan temporel ou géographique. Ces informations peuvent permettre d’apporter un nouvel éclairage sur la nature et les modalités des relations de ces différents types d’organisations avec l’État et entre elles. Pour ce faire, il est toutefois nécessaire de mobiliser des concepts et des méthodes centrés sur les relations entre ces organisations et non sur leurs différents attributs, ainsi qu’un ensemble de données fiables sur les actions qu’elles entreprennent les unes envers les autres. C’est précisément ce type d’approche relationnelle qu’adopte ce travail, en appliquant l’analyse des réseaux sociaux à une base de données régionales pluriannuelles sur les attaques perpétrées par ces groupes contre d’autres organisations.

Cette étude reconnaît aussi le besoin évident de replacer ces problématiques dans le contexte régional. Dans cette optique, elle cartographie la façon dont les organisations violentes s’inscrivent dans un réseau plus vaste d’alliances et de rivalités. Elle reconnaît en outre l’importance d’une approche à la fois spatiale et temporelle. Nombre des questions abordées dans ce chapitre présentent en effet une dimension géographique sous-jacente, qui peut à son tour donner lieu à une variation des phénomènes sur le plan spatial selon la localisation ou le cadre dans lequel une organisation opère principalement. Ainsi, alors que l’idéologie d’une organisation peut transcender un lieu ou une région spécifique (comme l’extrémisme islamique), de nombreuses organisations adaptent cette idéologie « globale » aux spécificités de leur contexte local, régional ou national. Les relations nouées par les organisations non étatiques violentes sont par ailleurs peu susceptibles d’être permanentes dans le temps. Au vu de ces constats, il importe de déterminer où et quand les relations s’établissent, en plus d’identifier quel acteur entretient des relations de coopération ou d’opposition avec quel autre acteur. Ces approches et les concepts qui les sous-tendent sont examinés plus en détail au chapitre 3.

La complexité des conflits actuels est également accentuée par les interventions militaires étrangères, qui ont souvent d’importantes répercussions sur les dynamiques d’alliances et de rivalités entre forces étatiques, groupes rebelles et organisations extrémistes violentes. Malgré les récents progrès de la recherche sur les conflits, l’impact des interventions étrangères sur les alliances et les rivalités entre organisations non étatiques reste peu étudié. L’un des objectifs de ce rapport est de contribuer à combler cette lacune en proposant une approche plus structurelle et systématique des réseaux de conflit. S’appuyant sur les principes de l’analyse des réseaux, cette étude suppose que l’introduction d’un nouvel acteur, comme l’intervention d’une puissance étrangère, est susceptible de modifier l’équilibre des forces au sein de l’environnement de conflit, entraînant ainsi potentiellement une augmentation ou une diminution de la violence. Le résultat de l’intervention dépend autant des relations entre la puissance intervenante et les belligérants que de celles entre les belligérants eux-mêmes. Les implications politiques de cette étude sont évidentes. Comprendre les conséquences structurelles d’une intervention militaire s’avère non seulement capital pour les puissances étrangères hésitant à intervenir dans un conflit, mais aussi pour celles obligées d’évaluer leur contribution après plusieurs années d’intervention militaire, comme c’est aujourd’hui le cas dans le Sahel.

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