3. Les droits et libertés publics en Tunisie

Les droits et libertés publics associés à l’espace civique sont garantis par la Constitution tunisienne de 2014 et dans un certain nombre de textes de loi, et sont mis en œuvre dans une large mesure. La Tunisie est également partie à plusieurs conventions internationales et régionales relatives aux droits civils et libertés publics.1

La révolution tunisienne a permis la consécration de ces droits et libertés dans le pays. Au lendemain de la révolution, plusieurs décrets-lois adoptés sur proposition de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique sont venus intégrer ces garanties au sein du cadre légal nouvellement établi, notamment le droit d’accès aux documents administratifs des organismes publics (décret-loi n° 2011-41),2 le droit à la liberté d’association (décret-loi n° 2011-88), la liberté de la presse (décret-loi n° 2011-115) ou encore la liberté de communication audiovisuelle (décret-loi n° 2011-116) (Ferchichi, 2021[1]).

Les droits et libertés publics ont par la suite été pleinement intégrés à la Constitution du 27 janvier 2014, qui y dédie le titre II, et prévoit la mise en place d’un certain nombre d’instances visant à leur protection et à leur promotion. L’article 49 de la Constitution précise cependant que des restrictions relatives à l’exercice des droits et libertés peuvent être fixées par la loi, à condition de ne pas porter atteinte à leur essence. Ces limitations doivent répondre à la nécessité de « protéger les droits des tiers, ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique, et avec le respect de la proportionnalité et de la nécessité des restrictions à l’objectif recherché » (République tunisienne, 2014[2]).

La Tunisie ne dispose pas pour l’heure d’une stratégie nationale de protection et de promotion des droits et libertés. En 2020, l’ancienne ministre des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile a lancé un projet visant à mettre en place une stratégie nationale des droits de l’homme, en coopération avec toutes les parties prenantes. Ce projet a cependant été ralenti du fait du remaniement ministériel de janvier 2021.3 Une stratégie intégrée dans le domaine des droits de l’homme pourrait constituer un outil déterminant pour définir une vision et assurer la cohérence et l’alignement des efforts et initiatives déployés par l’ensemble des institutions publiques dans ce domaine. Il serait donc opportun de relancer ce processus en veillant à y impliquer la société civile.

Les textes cités précédemment et la Constitution de 2014 ont permis des avancées significatives dans la mise en place d’un cadre légal conforme aux normes et engagements internationaux de la Tunisie en matière de droits et libertés publics. Le retard dans la réforme de certains textes clés – tels que la loi relative à la liberté de réunion pacifique, celle relative à l’état d’urgence ou le Code pénal –, ainsi que, plus généralement, dans l’harmonisation de la législation constitue cependant un obstacle et un défi important à la pleine jouissance de ces droits en Tunisie. Les entretiens menés pour le scan semblent ainsi révéler un décalage important entre un cadre légal libéral sur de nombreux aspects et sa mise en œuvre encore partielle et inégale, notamment dans un contexte d’importantes manifestations et de craintes de recul des acquis de la révolution.

Ce chapitre abordera également la question de l’impact sur l’espace civique de la législation d’urgence mise en place, d’une part, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et, d’autre part, pour faire face à la propagation de la pandémie de COVID-19. Comme de nombreux pays, la Tunisie a en effet eu recours, en mars 2020, à un état d’exception représentant un risque potentiel pour les libertés publiques. En outre, elle connaît un état d’urgence permanent depuis 2015, dont les dispositions extensives pourraient représenter une menace pour l’espace civique, ainsi qu’un état d’exception depuis le 25 juillet 2021.

Dans les sections qui suivent, le scan se propose d’examiner le cadre légal relatif aux droits et libertés publics, fondamentaux pour la protection de l’espace civique. Il s’agit notamment des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, pour lesquelles il faudra identifier les progrès réalisés et les possibilités de réforme. Le sujet de la discrimination sera quant à lui abordé dans le Chapitre 7, en tant que sujet transversal.

Le droit à la liberté d’expression est garanti à l’article 31 de la Constitution de 2014 (République tunisienne, 2014[2]). Il inclut la liberté d’opinion, d’expression, d’information et de publication, sans contrôle préalable. Plusieurs dispositions légales contenues dans différents textes viennent encadrer et limiter le droit à la liberté d’expression, en ligne avec l’article 49 de la Constitution. Ce droit est également reconnu à l’article premier du décret-loi n° 2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition (voir Chapitre 4) (République tunisienne, 2011[3]).

L’article premier du décret-loi n° 2011-115 garantit et définit la liberté d’expression comme « la libre circulation des idées, des opinions et des informations de toutes natures, leur publication, leur réception et leur échange » (République tunisienne, 2011[3]).4 Il précise que la liberté d’expression ne peut être limitée qu’en vertu de la loi et sous réserve que cette limitation ait pour but la poursuite d’un intérêt légitime consistant dans le respect des droits et de la dignité d’autrui, la préservation de l’ordre public ou la protection de la défense et de la sûreté nationales, qu’elle soit nécessaire et proportionnée aux mesures qui doivent être adoptées dans une société démocratique, et qu’elle ne constitue pas un risque d’atteinte au droit substantiel de la liberté d’expression et de l’information, conformément aux normes internationales.5

Le Chapitre IV du Code pénal, intitulé « Attentats contre les autorités publiques commis par les particuliers », met en place un nombre important de limites à la liberté d’expression (République tunisienne, 1913[4]). L’incitation à la rébellion au cours de laquelle des voies de fait auraient été exercées contre un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions est passible, même en l’absence de participation à cette rébellion, de cinq ans de prison, et d’un an si la rébellion n’a pas eu lieu, en vertu de l’article 121 du Code pénal.

De plus, l’article 125 pénalise l’outrage et prévoit des amendes et peines de prison jusqu’à un an pour quiconque « par paroles, gestes ou menaces se rend coupable d’outrage à un fonctionnaire public ou assimilé dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » (République tunisienne, 1913[4]). La peine de prison est augmentée à deux ans si l’outrage a été commis au cours d’une audience à l’encontre d’un fonctionnaire de l’ordre judiciaire, en vertu de l’article 126. L’article 128 punit quant à lui de deux ans de prison et d’une amende « quiconque par discours publics, presse ou tous autres moyens de publicité, impute à un fonctionnaire public ou assimilé des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité » (République tunisienne, 1913[4]).

Les articles 226 et 226 bis pénalisent en outre l’atteinte aux bonnes mœurs et à la morale publique. La diffamation (article 245 du Code pénal) est punie de six mois d’emprisonnement et de 240 TND (dinars tunisiens) d’amende, et la calomnie6 (article 246 du Code pénal) d’un an d’emprisonnement (République tunisienne, 1913[4]). De plus, le crime « d’offense » contre le chef de l’État est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison, en vertu de l’article 67 du Code pénal.

En outre, l’article 86 du Code des télécommunications,7 adopté en 2001 sous le président Zine El-Abidine Ben Ali, dispose qu’« est puni d’un emprisonnement d’un an à deux ans et d’une amende de 100 à 1 000 TND quiconque sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications » (République tunisienne, 2001[5]). Ces dispositions s’appliquent notamment dans le cas de propos tenus sur Internet et les réseaux sociaux, en l’absence d’un cadre légal régissant spécifiquement Internet.

Le Code de la justice militaire, adopté en 1957 et modifié par deux décrets-lois en 2011, accorde une compétence aux tribunaux militaires pour juger des militaires ou des civils pour des infractions commises contre des militaires en service ou à l’occasion de leur service. L’article 91 du Code de la justice militaire prévoit une peine allant jusqu’à trois ans de prison à l’encontre de quiconque, militaire ou civil, « se rend coupable d’outrages au drapeau ou à l’armée, d’atteinte à la dignité, à la renommée, au moral de l’armée, ou d’actes de nature à affaiblir la discipline militaire, l’obéissance et le respect dus aux supérieurs, ou de critiques sur l’action du commandement supérieur ou des responsables de l’armée de l’armée portant atteinte à leur dignité » (République tunisienne, 1957[6]).

La loi organique n° 2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d'argent définit comme infraction terroriste le fait de commettre par quelque moyen que ce soit, « intentionnellement, à l’intérieur ou à l’extérieur de la République, l’apologie, d’une manière publique et expresse, d’une infraction terroriste, de ses auteurs, d’une organisation, d’une entente, de ses membres, de ses activités ou de ses opinions et idées liées à ces infractions terroristes » (article 31) (République tunisienne, 2015[7]). Elle prévoit en outre des peines d’un à 5 ans d’emprisonnement et 5 000 à 20 000 TND d’amende pour de tels faits.8

Enfin, la loi organique n° 2018-50 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale punit d’un mois à un an d’emprisonnement et d’une amende de 500 à 1 000 TND, ou de l’une de ces deux peines, quiconque « aura émis un propos contenant une discrimination raciale… dans l’intention du mépris ou de l’atteinte à la dignité » (article 8) (République tunisienne, 2018[8]). Cette loi sera examinée plus en détail dans le Chapitre 7.

Outre les défis relatifs à la mise en œuvre de ces différentes lois, on peut d’ores et déjà relever ici quelques défis directement liés au cadre légal lui-même. En particulier, les dispositions de plusieurs de ces textes de loi pourraient être davantage précisées et certains de leurs termes être définis, car, en l’état, ces textes pourraient ouvrir la porte à une marge d’interprétation de la part des agents des forces de l’ordre et du secteur judiciaire, et entraîner un certain degré d’insécurité juridique de nature à limiter l’usage du droit à la liberté d’expression. Il serait donc opportun de poursuivre et finaliser le travail déjà entamé pour mieux préciser certains termes et harmoniser l’ensemble du cadre légal relatif à la liberté d’expression aux dispositions constitutionnelles. Cette problématique ainsi que les initiatives lancées par le gouvernement tunisien pour y répondre seront étudiées plus en détail dans la seconde partie de ce chapitre.

Le droit à la liberté de réunion pacifique est garanti à l’article 37 de la Constitution de 2014 et est régi par la loi n° 69-4 du 24 janvier 1969 réglementant les réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements (République tunisienne, 1969[9] ; République tunisienne, 2014[2]). Si la loi garantit dans son premier article la liberté de réunion publique sans autorisation préalable, elle met également en place un certain nombre de conditions et de limites à son exercice.

Ainsi, la déclaration auprès des autorités de toute tenue de réunion publique ou organisation de manifestation, indiquant les buts et motifs de la réunion, est obligatoire et donne lieu à la délivrance d’un récépissé (article 2), ce qui peut être de nature à transformer le régime de déclaration prévu par la loi en régime d’autorisation de facto, les organisateurs de la réunion n’ayant d’autre moyen de prouver la légalité de celle-ci qu’à travers la présentation du récépissé. Le texte dispose de plus qu’un fonctionnaire sera chargé par les services de la sûreté d’assister à la réunion publique, et qu’il pourra prononcer sa dissolution si celle-ci est requise par le bureau des responsables de la réunion ou s’il se produit des collisions ou voies de fait (article 6).

Au titre de l’article 5, un bureau composé d’au moins trois personnes est par ailleurs chargé de maintenir l’ordre, d’empêcher toute infraction aux lois, de s’assurer que la réunion conserve le caractère qui lui a été donné dans la déclaration faite aux autorités et, enfin, d’interdire tout discours contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Les autorités peuvent en outre interdire toute réunion publique ou manifestation susceptible de troubler la sécurité et l’ordre publics (articles 4 et 12). Le Chapitre III concerne les attroupements sur la voie publique. Il interdit sur la voie publique, en plus des attroupements armés, les attroupements non armés susceptibles de troubler l’ordre public (article 13). L’article 25 punit d’une peine de quinze jours à six mois de prison et d’une amende tout individu qui aura pris une part active à une réunion tenue sur la voie publique, ainsi que quiconque aura appelé à la tenue d’une réunion sur la voie publique. Quiconque aura participé à une manifestation non déclarée ou ayant été interdite est également passible d’une amende et d’une peine de trois mois à un an de prison. Le refus de dispersion après sommation par les forces de sécurité est passible d’une amende et d’une peine de prison, ainsi que d’une suspension de cinq ans ou plus de certains de ses droits, dont le droit d’exercer certaines fonctions et le droit de vote (article 29),9 ce qui semble en contradiction avec l’article 49 de la Constitution de 2014.

L’analyse de ce texte, qui n’a pas été révisé depuis la révolution et à l’aune des nouvelles garanties constitutionnelles et du contexte de la transition démocratique, permet d’ores et déjà de souligner plusieurs défis et limites directement liés au cadre légal régissant la liberté de réunion pacifique et de manifestation. Ainsi, si les normes internationales autorisent le régime de notification préalable dans la mesure du nécessaire, afin de permettre aux autorités de faciliter le bon déroulement de la réunion, le caractère illicite conféré par la loi à la manifestation et réunion pacifique en cas de défaut de notification et les peines de prison jusqu’à trois mois prévues (article 23) sont contraires aux normes émises par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui précise que « le défaut de notification préalable aux autorités d’un rassemblement à venir, lorsque cette notification est requise, ne rend pas illégale la participation à la réunion en question, et ne doit pas en soi servir de motif pour disperser la réunion ou arrêter les participants ou les organisateurs, ou pour infliger des sanctions injustifiées » (Comité des droits de l'homme, 2020[10]). De ce fait, la liberté de manifestation pourrait être considérée comme limitée. En outre, le principe de proportionnalité et de nécessité des restrictions édictées à l’article 49 de la Constitution de 2014 semblerait ne pas être respecté non plus. Par ailleurs, les termes « ordre public » et « bonnes mœurs » ne sont pas définis avec précision et, selon les témoignages de plusieurs associations et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, les juges et les forces de sécurité pourraient les interpréter de manière à limiter la liberté de réunion et les sujets abordés (Voule, 2019[11]).10 En outre, les sanctions prévues par la loi n° 69-4 pourraient être plus mesurées au regard des objectifs poursuivis, car elles peuvent dissuader les individus d’organiser ou de prendre part à des réunions publiques ou des manifestations pacifiques.11 Enfin, la loi définit en son Chapitre IV la réponse graduelle qui doit être adoptée par les forces de sécurité pour la dispersion d’une manifestation, qui s’échelonne de la sommation à l’usage d’armes à feu contre les manifestants refusant de se disperser, sans qu’ils représentent pour autant un danger pour les forces de l’ordre. Bien que graduelles, par leur caractère excessif, ces dispositions pourraient représenter une menace importante à la liberté de manifestation. Ainsi, les nombreuses limites mises en place par le cadre légal dans l’exercice de la liberté de manifestation sont de nature à vider ce droit de sa substance.12 Par ailleurs, l’article 79 du Code pénal punit de deux ans d’emprisonnement « quiconque aura pris part à un attroupement de nature à troubler la paix publique et dont l’objet est de commettre une infraction ou de s’opposer à l’exécution d’une loi, d’une contrainte ou d’un jugement » (République tunisienne, 1913[4]).

Le gouvernement tunisien pourrait donc envisager une réforme du cadre légal régissant la liberté de manifestation et de réunion pacifique, en particulier la loi n° 69-4, en s’appuyant sur les nombreux rapports et recommandations des OSC et juristes spécialisés sur la question des droits et libertés publics et individuels. En particulier, le législateur devrait s’assurer que tout projet de réforme est conforme aux garanties constitutionnelles, ainsi qu’aux principes de proportionnalité et de nécessité des limites imposées au droit à la liberté de manifestation pacifique, énoncés en son article 49 et préservant la substance de ce droit.

La liberté d’association est quant à elle garantie par l’article 35 de la Constitution et régie par le décret-loi n° 2011-88 (République tunisienne, 2011[12]). L’article premier du décret-loi stipule que sont garantis « la liberté de constituer des associations, d’y adhérer, d’y exercer des activités et le renforcement du rôle des OSC ainsi que leur développement et le respect de leur indépendance » (République tunisienne, 2011[12]).

Toute personne physique de nationalité tunisienne ou étrangère résidant en Tunisie jouit de ce droit, à condition d’être âgée d’au moins 16 ans pour la constitution d’une association et d’au moins 13 ans pour l’adhésion. Le décret-loi n° 2011-88 met en place un régime déclaratif pour la création des associations, sans besoin d’autorisation expresse des autorités compétentes, et stipule que seuls les tribunaux sont habilités à décider de la suspension ou de la dissolution d’une association. Salué comme un des cadres légaux les plus progressistes dans la région en termes de liberté d’association (Voule, 2019[11]), le cadre légal tunisien relatif aux associations sera approfondi dans le Chapitre 5.

Dans l’analyse du cadre légal, il semble important de souligner qu’un certain nombre de lois présentées comportent des termes vagues, dont la définition manque de précision, ce qui laisse au juge une large marge d’interprétation. Ainsi, le Code pénal, le Code des télécommunications et le décret-loi n° 2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition contiennent des dispositions criminalisant la diffamation, définie comme toute accusation susceptible de « porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne » (République tunisienne, 2011[3]), l’infraction d’injure, le fait de « nuire sciemment aux tiers ou [de] perturber leur quiétude à travers les réseaux publics de télécommunication » (République tunisienne, 2001[5]), l’outrage et la diffamation à l’encontre des autorités publiques (article 125 du Code pénal), ainsi que les atteintes aux bonnes mœurs et à la morale publique (articles 226 et 226 bis du Code pénal) (République tunisienne, 1913[4]). Les termes tels que « la quiétude », « les bonnes mœurs ou la morale publique », « l’honneur et la considération » et « l’outrage » laissent une large marge d’interprétation, pouvant donner lieu à des arrestations et des mises en examen qui, si elles ne débouchent pas sur une condamnation, pourraient intimider et dissuader les individus de faire usage de leur liberté d’expression. Des rapports semblent par ailleurs indiquer une utilisation croissante des dispositions relatives à l’outrage à un fonctionnaire à des fins supposées de représailles lorsque des individus dénoncent des faits ou déposent une plainte à l’encontre d’agents publics (Human Rights Watch, 2017[13]).

De plus, la notion de « sacré », présente dans la Constitution, n’est par exemple pas définie et peut donc être interprétée de manière extensive dans le sens de la limitation de la liberté d’expression (République tunisienne, 2014[2]). Une condamnation à six mois de prison a été prononcée à l’encontre d’une blogueuse qui avait partagé sur les réseaux sociaux un contenu satirique, pour « appel à la haine entre les religions et les races » au titre de la loi n° 2018-50 relative à l’élimination de toute forme de discrimination raciale, et à 2 000 TND d’amende au titre des articles 52 et 53 du décret-loi n° 2011-115, qui pénalisent l’appel à la haine entre les races et les religions, et interdit de « porter atteinte à l’un des rites religieux autorisés » (Amnesty International, 2020[14] ; République tunisienne, 2011[3]). Si cette condamnation a finalement été annulée, elle traduit cependant le risque que peut poser ce type de disposition pour la liberté d’expression.

Le manque de précision de certains termes employés dans le cadre légal, induisant une limite à certaines libertés publiques, n’est pas en totale adéquation avec les normes internationales en la matière. En effet, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a estimé qu’une « norme doit être libellée avec suffisamment de précision pour permettre à un individu d’adapter son comportement en fonction de la règle » et a ajouté que « la loi ne peut conférer aux personnes chargées de son application un pouvoir illimité de décider de la restriction de la liberté d’expression » (Comité des droits de l'homme, 2011[15]). Les restrictions aux droits et libertés doivent également être manifestement nécessaires à la sauvegarde de certains intérêts nationaux ou au respect des droits ou de la réputation d’autrui, et être proportionnées à ces objectifs, le choix devant se porter sur la moins restrictive des mesures permettant d’atteindre l’objectif poursuivi (Comité des droits de l'homme, 2011[15]). Par ailleurs, dans son observation n° 34 relative au droit à la liberté d’expression, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies exprime en particulier son inquiétude face à des dispositions légales régissant le crime de lèse-majesté, l’outrage à l’autorité publique, l’offense au drapeau et aux symboles, la diffamation du chef de l’État, et souligne également que « les États parties ne doivent pas interdire la critique à l’égard d’institutions telles que l’armée ou l’administration » (Comité des droits de l'homme, 2011[15]). Le gouvernement tunisien pourrait donc ouvrir une phase de consultation visant à identifier les termes susceptibles de se prêter à des interprétations trop larges et à formuler des propositions pour mieux préciser leur étendue.

La question de la protection des lanceurs d’alerte est étroitement liée à la promotion et la protection des droits à la liberté d’expression et d’accès à l’information (Kaye, 2015[16]). Les lanceurs d’alerte peuvent contribuer à mettre en lumière des informations concernant une menace ou un préjudice à l’intérêt général, et sont à ce titre des acteurs essentiels de l’espace civique, qu’il convient de protéger des intimidations, poursuites ou représailles à travers un cadre juridique et institutionnel adapté.

Ainsi, la Tunisie a adopté en 2017 la loi organique n° 2017-10 relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte (République tunisienne, 2017[17]). La loi définit le lanceur d’alerte comme « toute personne physique ou morale signalant, de bonne foi, aux autorités compétentes des informations constituant des présomptions sérieuses ou laissant présumer sérieusement l’existence des faits de corruption, afin d’identifier ses auteurs, et ce, conformément aux conditions et procédures prévues par la présente loi » (article 1) (République tunisienne, 2017[17]). Elle met en place des mécanismes précis de signalement et de traitement des signalements dans des délais impartis, et garantit la protection du lanceur d’alerte « contre toute forme de rétorsion, de discrimination, d’intimidation ou de répression. Il est également protégé contre toute poursuite pénale, civile ou administrative, ainsi que contre toute autre mesure lui causant un préjudice matériel ou moral » (article 19). Le lanceur d’alerte est également protégé contre les sanctions disciplinaires ou pénales encourues pour violation du secret professionnel ou pour manquement à l’obligation de réserve (article 23) (République tunisienne, 2017[17]). La loi stipule que cette protection peut être étendue, si nécessaire, aux membres de sa famille, ainsi qu’aux témoins, experts et toute autre personne pouvant souffrir d’un préjudice. Par ailleurs, au titre de l’article 20, l’établissement de la preuve des informations faisant l’objet du signalement n’est pas à la charge du lanceur d’alerte. Celui-ci doit obligatoirement effectuer un signalement auprès de l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption (dont les prérogatives dans ce domaine sont pour l’heure prises en charge par l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), dans l’attente de sa mise en place), qui prend la décision d’accorder ou non une protection dans un délai de trois jours à compter de la réception de la demande, en justifiant la décision en cas de refus (article 21). La loi met également à la disposition du lanceur d’alerte une aide judiciaire et juridictionnelle auprès du tribunal administratif, sans que celui-ci doive remplir les conditions exigées pour l’accès à l’aide juridictionnelle dans d’autres cas de figure (notamment de niveau de ressources et de peine minimale encourue) (article 24), et pénalise la divulgation de l’identité du lanceur d’alerte. Elle prévoit également une indemnisation financière pour les préjudices subis par le lanceur d’alerte. D’un point de vue institutionnel, la loi prévoit la désignation, dans chaque organisme public, d’une structure administrative compétente pour recevoir et enquêter sur les signalements de suspicion qui lui sont transmis par l’instance (article 7).

Si la loi organique n° 2017-10 représente une avancée significative pour la protection de l’espace civique et la consécration des principes d’intégrité et de transparence dans le contexte de la transition démocratique tunisienne, et qu’elle se distingue par une véritable volonté d’exhaustivité des mesures – qui prennent par exemple en compte le cas des personnes non voyantes se trouvant dans l’impossibilité d’effectuer un signalement par voie classique –, le cadre légal de protection des lanceurs d’alerte établi pourrait encore être approfondi. On peut par exemple citer l’absence de décrets d’application concernant l’assistance ou la protection policière dont les lanceurs d’alerte pourraient bénéficier, ou encore le manque de précision quant aux procédures de divulgation dans le secteur privé. Le gouvernement pourrait donc analyser les éventuelles lacunes et entamer les démarches pour les combler, en promulguant les textes nécessaires. Des décrets relatifs aux récompenses pécuniaires et aux incitations ont quant à eux été promulgués en 2019.13

Enfin, il existe un autre levier qui permettrait à la Tunisie d’aller encore plus loin dans la mise en place d’un cadre holistique de protection des lanceurs d’alerte. Il réside dans la définition de ces derniers par la loi. En effet, le cadre légal actuel concerne essentiellement la dénonciation de faits de corruption, et n’inclut pas une définition plus large du lanceur d’alerte. Celle-ci pourrait par exemple inclure tout comportement illicite ou présentant un danger pour l’intérêt général au sens plus large. Le Conseil de l’Europe définit ainsi les lanceurs d’alerte comme des « personnes qui font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général » (Conseil de l'Europe, 2014[18]). La limitation aux faits de corruption tend à réduire le champ des personnes pouvant prétendre à une protection, et laisse un certain vide juridique quant à la révélation de faits n’entrant pas strictement dans le cadre de la corruption, tels que des atteintes systématisées aux droits et libertés ou à l’environnement, ou la violation des données à caractère personnel, pour ne citer que quelques exemples. Il serait donc opportun d’élargir la définition et le champ d’application de la législation relative à la protection des lanceurs d’alerte, afin d’assurer un cadre propice au renforcement de la redevabilité et de la transparence des secteurs publics et privés.

L’état d’urgence, ainsi que les mesures mises en place dans le cadre de la lutte contre le terrorisme peuvent avoir un impact important sur l’espace civique en Tunisie, du fait de dispositions larges qui risquent de limiter la liberté d’expression, de manifestation et d’association. La Tunisie connaît en effet un état d’urgence permanent sur l’ensemble de son territoire depuis sa proclamation en novembre 2015, à la suite d’une série d’attentats terroristes qui a touché le pays.14 Il a été déclaré pour une période d’un mois, puis prorogé 36 fois depuis.15

L’état d’urgence est régi par le décret n° 78-50, adopté en 1978 sous la présidence d’Habib Bourguiba, et peut être déclaré sur tout ou partie du territoire « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur gravité le caractère de calamité publique » (article 1) (République tunisienne, 1978[19]). Déclaré pour une durée initiale de 30 jours, il peut être prorogé par décret, sans qu’un contrôle ou qu’une limite au nombre possible de prorogations ne soit établi. Ce décret n’a pas été révisé depuis la révolution et à l’aune des nouvelles garanties constitutionnelles. Il confère ainsi aux autorités des pouvoirs extrêmement étendus et perçus comme disproportionnés au regard des objectifs poursuivis, et peut de ce fait représenter une menace importante aux droits et libertés publics.

D’après l’article 4 du décret n° 78-50, le gouverneur peut ainsi interdire toute circulation de personne ou de véhicule, toute grève, réglementer les séjours des personnes et interdire le séjour de toute personne « cherchant à entraver de quelque manière que ce soit l’action des pouvoirs publics » (République tunisienne, 1978[19]). Le décret permet également l’interdiction les réunions « de nature à provoquer ou entretenir le désordre » (République tunisienne, 1978[19]). Enfin, l’article 8 stipule que, dans les zones où l’état d’urgence est appliqué, « les autorités visées à l’article précédent peuvent ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit et prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales » (République tunisienne, 1978[19]). Cet article en particulier octroie aux autorités un pouvoir quasi sans limites dans le cadre de l’état d’urgence, et permet une prise de contrôle de la presse. Par ailleurs, le décret n° 78-50 ne met en place aucun mécanisme de contrôle de l’état d’urgence. Si certaines des décisions administratives, telles que les assignations à résidence, peuvent être contestées auprès des tribunaux administratifs, les mesures prises en tant que telles, par exemple l’imposition d’un couvre-feu, ne peuvent, elles, pas être remises en cause. L’article 9 punit d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement et/ou d’une amende de 60 à 2 500 TND les infractions aux dispositions de l’état d’urgence.

Face à la nécessité de révision de ce cadre légal, le projet de loi n° 2018/91 relatif à l’organisation de l’état d’urgence a été déposé à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) le 30 novembre 2018 (Présidence du gouvernement, 2018[20]). Il contient des dispositions autorisant les limitations de la liberté de circulation, la réquisition des personnes et des biens, l’interdiction du droit de grève, des réunions, rassemblements, attroupements et manifestations, et l’assignation à résidence, le contrôle administratif, la récupération du passeport et l’interception des communications, et permettant de procéder à des perquisitions à domicile ou encore de suspendre l’activité des associations. Ce projet de loi, qui octroie encore une fois des prérogatives extrêmement étendues aux autorités, a fait l’objet de critiques de la part de la société civile, qui a mis en garde contre la dérive qu’il pourrait entraîner (Amnesty International, 2019[21]). Contrairement à la loi actuellement en vigueur, ce projet de loi met tout de même en place une possibilité de recours auprès du tribunal administratif, et conditionne la prorogation de l’état d’urgence à la présentation par le président de la République d’un rapport au président de l’ARP, l’informant des raisons ayant exigé cette prorogation (article 4). Cette disposition représente un progrès par rapport au cadre légal actuellement en vigueur, et pourrait assurer davantage de transparence et de redevabilité dans le processus de prorogation. Les dispositions de ce projet de loi pourraient cependant apporter davantage de garanties en matière d’état de droit et de respect des libertés fondamentales et publiques dans le cadre de l’état d’urgence.16 Ce projet de loi contient par ailleurs toujours des termes non suffisamment définis, tels que l’entrave à « l’action des autorités publiques » (article 11) ou « l’ordre public », qui pourraient être interprétés dans le sens d’une limitation des libertés (Présidence du gouvernement, 2018[20]). La mise en place d’états d’urgence susceptibles de limiter les droits et libertés publics sans pour autant prévoir des mécanismes robustes et efficaces de recours semble être un phénomène global et sera analysé de manière comparative dans le rapport global de l’OCDE sur l’espace civique (OCDE, 2022[22]).

Enfin, les articles 70 et 80 de la Constitution de 2014 permettent de mettre en place un régime d’exception. L’article 70 stipule que « l’Assemblée des représentants du peuple peut, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, en vertu d’une loi et pour un motif déterminé, déléguer au chef du Gouvernement, pour une durée déterminée qui ne dépasse pas les deux mois, le pouvoir de prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi. Ces décrets-lois sont soumis à l’approbation de l’Assemblée à la fin de la période en question » (République tunisienne, 2014[2]). Cet article a été activé pour la première fois à travers la loi n° 2020-19 dans le cadre de la réponse à la pandémie de COVID-19 (République tunisienne, 2020[23]). Quant à l’article 80 de la Constitution de 2014, il octroie au président de la République des pouvoirs étendus en cas de « péril imminent menaçant la Nation ou la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (République tunisienne, 2014[2]). Cet article octroie cependant un rôle de contrôle à la Cour constitutionnelle, qui n’est pas encore en place (voir Section ‎3.3.2).

Une révision du cadre légal relatif à l’état d’urgence pourrait permettre de mieux garantir la protection et la promotion des droits et libertés fondamentaux dans un contexte de lois d’exception. Dans cette perspective, le gouvernement pourrait collaborer avec les OSC œuvrant dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l’homme, afin de bénéficier de leur expertise et de s’assurer que toute proposition de texte relative à l’état d’urgence prend en compte la nécessité de préserver l’état de droit et les libertés, notamment à travers la mise en place des mécanismes de contrôle et de recours nécessaires.

Pour que la défense des droits et des libertés publics prévue dans le cadre légal se traduise en pratique, il est essentiel de mettre en place des institutions de contrôle et de recours indépendantes et efficaces, qui permettent aux individus estimant être victimes d’une violation de porter plainte et de bénéficier d’une réparation si la plainte se révèle fondée.

La Constitution de 2014 fait du pouvoir judiciaire dans son intégralité et dans toutes ses composantes le garant de la suprématie de la Constitution, de la souveraineté de la loi, et le protecteur des droits et libertés (article 102) (République tunisienne, 2014[2]). Elle affirme également l’indépendance de la justice.

La Constitution de 2014, ainsi que les différents décrets et instances mis en place au lendemain de la révolution ont démontré la volonté du législateur d’établir des garde-fous solides pour préserver les droits et libertés en Tunisie, dans un contexte de transition démocratique. Cependant, le processus de mise en place de quelques institutions clés, notamment la Cour constitutionnelle et certaines instances indépendantes, souffre de retards importants, limitant les contre-pouvoirs prévus par la Constitution, ainsi que les mécanismes de recours à la disposition des citoyens.

La présence d’une institution indépendante de promotion et défense des droits de l’homme pourrait constituer un mécanisme de recours déterminant pour les personnes se considérant victimes d’une atteinte à leurs libertés publiques. La Tunisie dispose d’un Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CSDHLF). Il a d’abord été créé par le décret n° 91-54 du 7 janvier 1991 du président de la République en tant que comité consultatif du président, disposant ainsi de prérogatives très limitées (Présidence de la République, 1991[24]). Il était ainsi chargé de rédiger un rapport relatif à la situation des droits de l’homme, uniquement destiné au président. Il a aujourd’hui vocation à être remplacé par l’Instance des droits de l’homme – étudiée dans la suite de ce chapitre – et constitue donc une instance provisoire.

À la suite de l’adoption des principes de Paris en 1993, qui ont mis en place un certain nombre de critères relatifs aux institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme (Résolution 48/134 de l'Assemblée générale, 1993[25]), la loi n° 2008-37 du 16 juin 2008 est venue abroger le décret n° 91-54 et modifier de manière significative le statut du comité, qui a été doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Le comité vise à « la promotion et la protection des droits de l’homme, la consolidation de leurs valeurs, la diffusion de leur culture et la contribution à la garantie de leur exercice » (article 1) (République tunisienne, 2008[26]). Il dispose des missions et prérogatives suivantes :

  • Donner son avis sur les questions qui lui sont soumises, avec la possibilité de s’autosaisir de toute question portant sur la consolidation et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et attirer l’attention sur les cas de violation des droits de l’homme. Le Comité ne disposait pas de la possibilité de s’autosaisir avant la réforme de 2008.

  • Soumettre au président de la République les propositions susceptibles de consolider les droits de l’homme et les libertés fondamentales sur le plan national et international, y compris celles permettant d’assurer la conformité ou la compatibilité de la législation et des pratiques aux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.

  • Accomplir toute mission qui lui serait confiée dans ce domaine par le président de la République.

  • Recevoir les requêtes et les plaintes concernant les questions ayant trait aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les examiner, procéder, le cas échéant, à l’audition de leurs auteurs, les adresser à toute autre autorité compétente aux fins de saisine, informer les auteurs des requêtes et des plaintes des moyens de faire valoir leurs droits et soumettre les rapports y afférents au président de la République. Une personne est chargée, au sein du comité, de la réception des plaintes et d’en référer aux ministères concernés ou aux juridictions compétentes (République tunisienne, 2008[26]).

Le Comité peut également organiser des visites de lieux de privation de liberté, et est censé publier chaque année un rapport sur la situation des droits de l’homme dans le pays.17 Il n’a cependant pas été en mesure de publier de rapport de manière régulière au cours des dernières années ; le dernier rapport, datant de décembre 2020, couvre la période 2016-19.

La réforme de 2008 n’a pas permis la modification du mode de nomination des membres, qui demeure la prérogative du président de la République, et peut contribuer à limiter l’indépendance du Comité. Il est à noter que les Principes de Paris laisse la latitude aux États pour choisir le mode de désignation des membres, par élection ou non. Elle n’a pas non plus permis de garantir la véritable indépendance financière du Comité, en non-conformité avec les principes de Paris. Le Comité est composé de 40 membres, qui travaillent bénévolement et à temps partiel, et occupent donc d’autres fonctions professionnelles. Douze de ces membres sont des représentants d’OSC, auxquels s’ajoutent des représentants des différents ministères, des personnalités reconnues pour leurs compétences dans le domaine des droits de l’homme, et deux représentants du pouvoir législatif. Cette composition consacre ainsi la représentativité des différentes catégories d’acteurs dans le domaine de la promotion des droits de l’homme.

Dans son rapport pour la période 2016-19, le CSDHLF fait état de 11 000 plaintes reçues depuis 1991, que le Comité n’a pas été en mesure de traiter en raison du manque de mécanismes à cet effet (Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2020[27]). Le Comité fait état de seulement 620 plaintes pour la période 2016-19 (Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2020[27]), qui ont été déposées par voie postale ou par voie électronique.

D’après un entretien mené avec un de ses membres, le Comité se trouverait actuellement dans une situation de blocage, et les assemblées générales prévues par la loi n’auraient pas lieu.18 Malgré quelques avancées et progrès permis par une coopération avec certains ministères sur des questions liées à la liberté de circuler, notamment les ministères de la Justice et de l’Intérieur, le manque de retour sur les suites données aux signalements de violation a été mis en avant, notamment concernant des mesures disciplinaires prises à l’encontre d’agents du service public.19 La composition du Comité se distingue par une surreprésentation des institutions gouvernementales, dont, en outre, peu de représentants seraient véritablement actifs. Il convient par ailleurs de noter que ces représentants ne disposent pas du droit de vote au sein du comité. La question budgétaire représenterait également un frein important au travail du comité, puisque ce dernier disposait en 2019 d’un budget de 764 000 TND (Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s.d.[28]), qui gagnerait à être renforcé au regard de l’ampleur des missions qui lui sont conférées en l’absence de l’Instance des droits de l’homme. Face à cela, le degré d’activités reposerait en trop grande partie sur la motivation et la mobilisation personnelle de certains de ses membres, qui cherchent par exemple à organiser des visites dans des prisons.20

Malgré une tentative de réforme au lendemain de la révolution, le cadre légal actuel et le manque de ressources humaines et budgétaires n’ont pas permis au Comité de s’imposer comme un véritable mécanisme de recours à disposition des citoyens en cas de violations de leurs droits et libertés. Accélérer la mise en place de l’Instance des droits de l’homme, qui doit remplacer le Comité et dispose de prérogatives plus étendues et est davantage en ligne avec les standards internationaux, permettrait de compléter l’architecture institutionnelle de protection et de promotion des droits et libertés en Tunisie, conformément aux dispositions constitutionnelles.

Le paysage institutionnel comporte un certain nombre d’instances, dont quelques-unes sont provisoires, qui jouent un rôle primordial dans la protection et la promotion des droits et libertés, en particulier en relation avec certains éléments clés de l’espace civique, tels que l’accès à l’information, la protection des données à caractère personnel ou encore la liberté des médias (voir Graphique ‎3.1). Certaines de ces instances découlent directement de la Constitution de 2014, ce qui leur confère un statut particulier, quand d’autres ont été mises en place par des lois. De manière générale, les instances indépendantes et constitutionnelles représentent une innovation institutionnelle originale, avec un réel potentiel de défense et de promotion de l’espace civique.

Ainsi, la Tunisie dispose actuellement de sept instances opérationnelles (dont l’une est constitutionnelle) :

  • l’Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), mise en place par la loi organique n° 2004-63 en date du 27 juillet 2004 (voir Chapitre 4)

  • la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), mise en place par le décret-loi n° 2011-116 du 2 novembre 2011 (voir Chapitre 4)

  • l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), mise en place par le décret-loi n° 2011-120 du 14 novembre 2011

  • l’Instance nationale pour la prévention de la torture (INPT), mise en place par la loi organique n° 2013-43 du 23 octobre 2013

  • l’Instance nationale d’accès à l’information (INAI), mise en place par la loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016

  • l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes (INLTP), mise en place par la loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016 ; contrairement aux autres instances, l’INLTP n’est pas indépendante et est rattachée au ministère de la Justice

  • l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), qui est une instance constitutionnelle (voir Encadré ‎3.1).

Il existe par ailleurs une direction générale rattachée à la Présidence du gouvernement tunisien et dédiée à l’appui aux instances constitutionnelles et indépendantes. Elle a été mise en place en 2016 par le décret gouvernemental n° 2016-465, dans un premier temps au sein du ministère chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des Droits de l’homme, puis rattachée à la Présidence du gouvernement lors du remaniement de janvier 2021 (Présidence du gouvernement, 2016[29]). Cette direction doit constituer l’interlocuteur unique de ces instances dans leurs relations avec les structures de l’État. Elle est notamment chargée de développer le cadre légal relatif aux instances constitutionnelles, de faciliter leur travail, de garantir leur participation dans les politiques publiques et programmes liés à leurs domaines d’intervention, et d’animer des espaces de consultation et de débat entre les instances et les organismes publics (Présidence du gouvernement, 2016[29]).

Les entretiens ont mis en avant le rôle joué par ces instances – notamment l’INPT et l’INLTP –, comme mécanismes de surveillance et de promotion des droits de l’homme. Face aux lacunes du CSDHLF,21 elles parviennent, pour un temps, à compenser l’absence de l’Instance des droits de l’homme. Ces instances se sont par exemple illustrées à travers les visites de centres de détention, notamment durant la pandémie de COVID-19, et produisent des rapports détaillés relatifs aux violations observées dans leurs domaines de compétences, que les autorités gagneraient à davantage prendre en compte et exploiter.22 Elles disposent cependant de ressources humaines et financières limitées au regard des missions qui leur sont confiées, ce qui ne leur permet pas d’atteindre leur plein potentiel. À titre d’exemple, l’INPT disposait au titre de l’année 2020 d’un budget d’environ 2 millions TND, ce qui permettait uniquement de couvrir les salaires et demeurait insuffisant pour la mise en place d’activités et de campagnes de sensibilisation.23 Le manque de moyens, commun à la plupart des instances, ainsi que le retard pris dans la mise en place de nouveaux organes et instances de contrôle semblent montrer que le soutien aux instances ne constitue pas à l’heure actuelle une priorité du gouvernement et de l’organe législatif. Ainsi, face aux différentes problématiques communes qui touchent ces institutions, la Ligue des instances publiques indépendantes a été lancée en 2018, afin de coordonner les efforts et d’opérer un travail de plaidoyer sur la nécessité de davantage de soutien de la part du gouvernement. Elle regroupe les présidents du CSDHLF, de l’INLUCC, de l’INAI, de la HAICA et de l’INPT.

De plus, plusieurs instances ont fait état de difficultés rencontrées dans le suivi des suites données aux plaintes déposées auprès d’elles et transmises à la justice.24 Ces instances ne sont en effet pas habilitées à rendre des jugements, et l’effectivité de ces mécanismes de plainte dépend donc également en grande partie du degré de coopération des instances avec la justice et de l’efficacité de cette dernière. Les mécanismes mis en place par les instances indépendantes pourraient ainsi gagner en efficacité si l’appareil judiciaire parvenait à être désengorgé (voir Section ‎3.3.3) et si le système bénéficiait de davantage de transparence. Face à ce constat, il serait opportun de mettre en place ou de renforcer des biais institutionnalisés de communication et de coopération entre la justice et les instances. Cela ne remet pas en cause l’indépendance de l’une comme des autres, qui est un pilier de l’État de droit et représente un gage supplémentaire pour la garantie des droits et libertés publics, mais permettrait de renforcer la complémentarité du travail effectué par ces différents acteurs essentiels à la protection et à la promotion de l’espace civique. Une autre option à considérer serait de doter certaines de ces instances de compétences en matière de sanctions et de renvoi vers les cours et tribunaux, sans préjudice des compétences propres à la justice, tel que préconisé par exemple par le Règlement Général sur les Données Personnelles (RGDP) de l’Union Européenne qui dans son article 129 prévoit que les autorités de contrôle aient des « pouvoirs d'enquête, le pouvoir d’adopter des mesures correctrices et d’infliger des sanctions ».

Si l’ensemble des instances citées précédemment a un rôle à jouer dans la promotion et la protection des droits, il est particulièrement pertinent de s’arrêter sur le rôle de l’Instance des droits de l’homme. Celle-ci revêt en effet une importance particulière dans la promotion et la protection des droits et libertés publics, qui constituent un des piliers de l’espace civique selon le cadre analytique de l’OCDE (OCDE, 2020[30]). D’autres instances pertinentes pour ce scan, telles que la HAICA et l’INPDP, seront étudiées en détail dans le Chapitre 4. L’Instance des droits de l’homme est mise en place par l’article 128 de la Constitution de 2014 et dispose des prérogatives et missions suivantes :

L’Instance des droits de l’Homme contrôle le respect des libertés et des droits de l’Homme et œuvre à leur renforcement ; elle formule des propositions en vue du développement du système des droits de l’Homme. Elle est obligatoirement consultée sur les projets de loi se rapportant à son domaine de compétence. L’Instance enquête sur les cas de violation des droits de l’Homme, en vue de les régler ou de les soumettre aux autorités compétentes. (République tunisienne, 2014[2])

Cette instance a vocation à remplacer l’actuel Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La loi organique n° 2018-51 relative à l’Instance des droits de l’homme a été adoptée le 29 octobre 2018 (République tunisienne, 2018[31]). Le Conseil de l’Instance est composé de neuf membres, dont la qualité est définie dans la loi : deux juges (issus respectivement de l’Ordre judiciaire et de l’Ordre administratif), un avocat, un médecin, et cinq représentants d’associations intéressées par la défense des droits de l’homme et des libertés – constituées conformément à la législation en vigueur et en situation administrative et financière régulière –, parmi lesquels doivent obligatoirement se trouver un spécialiste en psychologie, un spécialiste en droits de l’enfant, et un spécialiste dans le domaine économique et social. Chaque membre doit justifier d’au moins dix ans d’activité dans sa spécialité. Les membres du Conseil sont sélectionnés après un dépôt de candidature auprès d’une commission dédiée au sein de l’ARP, qui doit se prononcer conformément à un barème de notation publié au préalable dans le Journal officiel de la République tunisienne (JORT), et selon des critères objectifs et transparents. Le président de la commission parlementaire est ensuite tenu de transmettre, en séance plénière de l’ARP, une liste paritaire des huit premiers candidats retenus pour chaque catégorie, afin que l’ARP se prononce à la majorité des deux tiers. En outre, la majorité des neuf membres de l’Instance doivent être issus de la société civile, ce qui peut représenter un gage supplémentaire d’indépendance des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi qu’une reconnaissance du rôle joué de longue date par la société civile tunisienne dans la promotion et la protection des droits et libertés.

Malgré un processus de sélection des membres du Conseil de l’Instance qui met en avant des critères objectifs et liés aux compétences des candidats, l’ARP n’a pas pu élire les membres en dépit d’un premier appel à candidature en février 2019 puis réitéré en juillet 2020 pour les catégories spécialistes en psychologie et en droits de l’enfant, et la présélection de plusieurs candidats. Il serait pourtant crucial d’accélérer le processus de mise en place de l’instance, vu son caractère indispensable dans l’architecture institutionnelle de la protection et de la promotion des droits et libertés en Tunisie, face aux lacunes structurelles du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il ressort de l’enquête et des différents entretiens que les instances constituent tout de même des garants indispensables à la réussite du processus de transition démocratique, et de la promotion des droits et libertés publics. Afin de pleinement tirer profit de l’existence de ces institutions innovantes, il convient d’accélérer le processus de mise en place des instances qui ne sont pas encore opérationnelles, en révisant si nécessaire le mécanisme d’élection des membres, afin de le faciliter et le mettre à l’abri des risques de politisation au sein de l’ARP. Il sera aussi primordial de doter les instances de moyens (humains, financiers et logistiques) suffisants, de promouvoir une collaboration étroite avec les OSC, et de favoriser une coopération avec les autorités tout en garantissant leur indépendance fonctionnelle.

La Constitution de 2014 institue une Cour constitutionnelle (Titre V, Chapitre II), qui devait voir le jour dans un délai d’un an à compter de la date des premières élections législatives de la période de transition, soit en octobre 2015. Elle n’a cependant pas encore été établie. Au titre de l’article 118 de la Constitution, « la Cour constitutionnelle est une instance juridictionnelle indépendante, composée de douze membres, choisis parmi les personnes compétentes, dont les trois quarts sont des spécialistes en droit et ayant une expérience d’au moins vingt ans » (République tunisienne, 2014[2]). Elle joue un rôle essentiel dans l’architecture institutionnelle de protection de l’État de droit en Tunisie et dispose de prérogatives étendues.

La loi n° 2015-50 relative à la Cour constitutionnelle a été adoptée le 3 décembre 2015, et définit le mode de sélection des membres de la Cour, dont quatre sont élus aux deux tiers des voix par l’ARP, quatre aux deux tiers des voix par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et quatre par le président de la République, dans cet ordre de succession et dans le respect du principe de parité (République tunisienne, 2015[32]). Malgré quatre appels à candidatures lancés depuis mars 2017, l’ARP n’a pu élire qu’un seul membre de la Cour constitutionnelle, n’étant pas parvenu à trouver un consensus sur les trois autres membres à élire. Ainsi, d’après les entretiens menés, le principal obstacle à la mise en place effective de la Cour constitutionnelle résiderait dans la polarisation croissante des opinions au sein de l’ARP.25 Face à ce blocage institutionnel, l’ARP a adopté un projet de loi en mai 2021 permettant une élection des membres de la Cour aux trois cinquièmes – et non aux deux tiers – si les candidats n’obtiennent pas la majorité requise à l’issue de trois séances consécutives, et supprimant le terme « respectivement » de l’article 10 de la loi n° 2015-50 quant à la hiérarchie d’élections des membres par l’ARP, le CSM et le président de la République. Le président de la République n’a cependant pas promulgué cette loi, car il l’a jugée inconstitutionnelle du fait du dépassement des délais prescrits par la Constitution pour la mise en place de la Cour (Democracy Reporting International, 2021[33]).

Le retard dans la mise en place de la Cour constitutionnelle a un impact négatif sur la protection et la promotion des droits et libertés publics à plusieurs égards. D’abord, l’absence d’une Cour constitutionnelle influe sur le processus d’harmonisation de la législation applicable avec la Constitution et les traités internationaux dûment ratifiés par la Tunisie. Les citoyens n’ont actuellement pas la possibilité de déposer un recours d’inconstitutionnalité, et ainsi de remettre en cause la mise en œuvre de lois contraires aux garanties constitutionnelles (Voule, 2019[11]). Les citoyens ne peuvent par conséquent pas se prévaloir directement de la Constitution devant les tribunaux, une possibilité qui permettrait de contester certains jugements fondés sur des textes antérieurs à la Constitution et dont les dispositions contreviennent aux conditions énoncées à l’article 49 de la Constitution de 2014 concernant les limitations potentielles aux libertés fondamentales. À titre d’exemple, la loi n° 69-4 régissant la liberté de réunion pacifique, ainsi que la loi sur l’état d’urgence continuent à être applicables malgré le fait qu’elles contiennent des contradictions avec les libertés garanties par la Constitution, dans l’attente de l’adoption de nouvelles lois.

De plus, la Cour constitutionnelle dispose de prérogatives importantes en tant que contre-pouvoir et organe de contrôle dans le cadre de l’État d’exception mentionné à l’article 80 de la Constitution de 2014, ainsi qu’en cas de vacance du pouvoir politique. Son absence induit un degré important d’incertitude quant au maintien de l’État de droit et du respect des dispositions constitutionnelles dans des situations d’exception, telles que celles vécues par la Tunisie à travers le recours à l’article 80 dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-1926 ou de la crise politique (voir Section ‎3.4.6).

Le président de la République, le gouvernement et le Parlement devraient faire de la mise en place de la Cour constitutionnelle une priorité et trouver une solution à l’impasse actuelle qui empêche l’élection de ses membres. Il conviendrait également de renforcer les mécanismes de communication et de coopération, dans la ligne des attributions de la Direction de la relation avec les instances constitutionnelles, entre les différentes instances chargées des droits de l’homme, le gouvernement, et la société civile, afin de mettre en cohérence et de pleinement bénéficier des nombreux efforts et initiatives déployés par les différents acteurs. La Tunisie dispose d’une société civile très active sur les questions relatives aux libertés et, plus largement, à l’espace civique, qui devrait davantage être incluse dans les processus de décision et dans l’élaboration de politiques publiques et de stratégies de protection et de promotion des droits et libertés. En effet, le gouvernement et l’administration ne sont pas toujours au fait des nombreux travaux effectués par la société civile et le milieu académique dans ce domaine.27

La Constitution faisant du pouvoir judiciaire le garant du respect de la Constitution et de la loi, et notamment de la protection des droits et libertés publics qui constituent un pilier de l’espace civique, il est important d’analyser la question de l’accès à la justice. En particulier, il est pertinent d’examiner dans quelle mesure les Tunisiens peuvent utiliser les mécanismes et outils de la justice afin de porter plainte contre les éventuelles violations de leurs droits et libertés, et de demander réparation.

L’article 27 de la Constitution de 2014 garantit le droit à un procès équitable et stipule que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité dans le cadre d’un procès équitable, assurant toutes les garanties nécessaires à sa défense durant les phases de la poursuite et du procès » (République tunisienne, 2014[2]).

Au lendemain de la révolution, l’important chantier de la réforme de la justice a été entamé, afin de restaurer la confiance des citoyens et justiciables en une institution longtemps sous la coupe du pouvoir exécutif (Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l'indépendance des juges et des avocats, 2015[34]). Le ministère de la Justice a élaboré un plan d’action de réforme de la justice articulé autour de cinq axes : 1) Indépendance et autonomie du pouvoir judiciaire ; 2) Moralisation du système judiciaire et pénitentiaire ; 3) Qualité de la justice et protection des droits du justiciable ; 4) Accès à la justice ; et 5) Communication et partenariat des institutions judiciaires et pénitentiaires (Ministère de la Justice, 2015[35]). Ce plan d’action a été élaboré après un processus de consultation des parties prenantes du secteur de la justice et du grand public, afin d’identifier les principales problématiques rencontrées par les justiciables et les différents acteurs, et d’y répondre de manière adéquate (Ministère de la Justice, 2013[36]). La mise en œuvre de ce plan de réforme n’a pour l’heure pas donné lieu à une évaluation. La ministre de la Justice par intérim a cependant déclaré, à l’occasion d’un dialogue parlementaire en mai 2021, que le ministère a rencontré un certain nombre de difficultés dans la mise en œuvre, notant en particulier le non-achèvement du processus de réforme du cadre légal, ainsi que celui d’amélioration des infrastructures et des systèmes d’information.28 En plus de ces deux volets, la ministre a identifié le soutien et le renforcement des ressources humaines comme une des voies prioritaires d’action pour pallier les difficultés de mise en œuvre de la réforme de la justice.

D’après le ministère de la Justice, plusieurs progrès ont été observés au cours des dernières années pour renforcer l’accès à la justice, par exemple la décentralisation du tribunal administratif à travers la création de chambres régionales, alors que le seul tribunal administratif pour l’ensemble du territoire se trouvait à Tunis avant 2017.29 Les efforts de formation des juges ont également été renforcés par une formation continue sur les droits de l’homme et les conventions internationales pour les juges de premier grade (disposant de moins de dix ans d’exercice), étendue à partir de janvier 2022 aux juges de second grade (disposant de moins de seize ans d’exercice).30

Les entretiens menés dans le cadre de ce scan semblent cependant indiquer une certaine lenteur du processus de réforme de la justice, ainsi qu’une difficulté d’accès à la justice pour certains justiciables, notamment pour des raisons financières, mais également au regard de la répartition géographique des tribunaux et surtout de la saturation du système.31 Il en est ressorti que la lenteur des procédures au niveau judiciaire représente un des obstacles les plus importants à l’accès à la justice.32 Cette lenteur et ces retards sont en partie imputés au manque de ressources humaines dans le secteur de la justice, face à une augmentation du nombre d’affaires à traiter, ainsi qu’aux difficultés de gestion administrative. Les délais dus à l’engorgement du système judiciaire peuvent dissuader les dépôts de plaintes de la part d’individus, en particulier pour des faits de violences policières – qui n’aboutiraient que rarement –, de même que le manque de confiance et de connaissance du système judiciaire par les justiciables. L’enquête menée auprès du grand public par le ministère de la Justice en 2013, dans le cadre de l’élaboration d’une vision stratégique pour la réforme de la justice, a ainsi montré que 68 % des personnes interrogées considéraient que la magistrature tunisienne privilégiait certaines catégories de population sur d’autres (Ministère de la Justice, 2013[36]). De plus, les plaintes sont renvoyées par le procureur de la République au commissariat territorialement compétent, qui peut également être celui dans lequel les faits rapportés ont été commis. La neutralité des enquêteurs pourrait ainsi être remise en question, ce qui représenterait un facteur dissuasif. Enfin, si le tribunal administratif a rendu des jugements en faveur de justiciables, par exemple consacrant la liberté d’association (voir Chapitre 5), ces derniers ne seraient pas toujours appliqués, et il n’existe pour l’heure pas de sanction en cas de non-application du jugement, laissant le justiciable sans autre possibilité de recours. Face à cette problématique, le ministère de la Justice a mené des activités de sensibilisation des différentes administrations sur l’importance d’appliquer les décisions administratives dans le respect de l’état de droit. De plus, le ministère travaille actuellement à l’élaboration d’indicateurs sur la qualité de la justice, dont certains englobent la question de l’application des décisions de justice et permettraient de mettre en lumière ce phénomène à travers des données chiffrées, pour mieux y répondre.33

En outre, la Tunisie dispose d’un système d’aide légale, mis en place par la loi n° 2002-52 relative à l’aide judiciaire, modifiée et complétée par la loi n° 2007-27 du 7 mai 2007 (République tunisienne, 2002[37] ; République tunisienne, 2007[38]). Cette aide légale est accessible aux personnes physiques, mais également aux personnes morales poursuivant un but non lucratif, pour des affaires pénales ou civiles, ainsi que pour les pourvois en cassation. La loi pourrait cependant être complétée, puisqu’elle n’ouvre pas l’accès à l’aide légale en matière pénale à tout défendeur ou demandeur ne disposant pas des moyens financiers nécessaires, mais uniquement à condition que la peine encourue soit au moins égale à trois ans de prison et qu’il ne s’agisse pas d’un cas de récidive (article premier). Les étrangers peuvent bénéficier de cette aide en application d’une convention de coopération judiciaire en matière d’aide judiciaire conclue avec l’État dont ils sont ressortissants et sous réserve du respect du principe de réciprocité (article 2). Enfin, selon l’organisation Avocats sans frontières, les accusés ont l’obligation de prouver l’insuffisance de leurs ressources, une procédure qui peut se révéler difficile à mettre en œuvre lorsque l’accusé est déjà en situation de détention provisoire, alors que la loi ne définit par ailleurs pas de seuil d’indigence ou de pauvreté pour les personnes physiques comme pour les personnes morales (Avocats sans frontières, 2014[39]). D’après les entretiens menés dans le cadre de ce scan, le dispositif d’aide légale mis en place par l’État demeurerait sous-utilisé et gagnerait à être renforcé et simplifié, voire octroyé automatiquement sauf refus de la personne concernée, afin de proposer un accompagnement plus systématique aux victimes notamment en matière de violation de leurs droits et libertés.34

Enfin, en février 2016, le Parlement a adopté la loi n° 2016-5 modifiant le Code des procédures pénales, dite la loi 5 (République tunisienne, 2016[40]). Cette loi, saluée comme une avancée significative par les OSC ayant milité pour son adoption,35 garantit l’accès des personnes en état d’arrestation à un avocat et réduit la durée de la garde à vue sans chef d’inculpation de 72 h à 48 h pour les crimes, renouvelable une fois (Human Rights Watch, 2018[41]). Cependant, cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi 5, son application effective semble très limitée, et rares seraient les cas où les prévenus sont effectivement informés de leur droit à être assistés par un avocat, sans pour autant entraîner un vice de procédure (Inkyfada, 2021[42]).36

Afin d’améliorer l’accès à la justice, il pourrait être opportun de renforcer les programmes d’information et de sensibilisation des justiciables à leurs droits, ainsi qu’aux différents mécanismes de recours à leur disposition. Cela pourrait contribuer à encourager tout individu à porter plainte auprès des différentes instances judiciaires compétentes pour toute violation présumée, et ainsi consacrer dans la pratique la protection de ses droits et libertés publics. Le renforcement des efforts de transparence et de communication du ministère de la Justice sur les différents programmes entrepris et les avancées permises pourrait également aider à restaurer la relation de confiance entre les justiciables et la justice.

Au cours des dix dernières années, la Tunisie a accompli des progrès considérables vers la consécration des droits et libertés publics relatifs à l’espace civique. Ce constat est appuyé par l’évolution de sa notation dans différents classements relatifs aux droits et libertés publics. À titre d’exemple, dans l’indice de gouvernance de la fondation Mo Ibrahim, la Tunisie est le pays ayant connu la progression la plus importante sur la période 2010-19 pour le sous-indicateur relatif aux droits, bien que ce même rapport note un ralentissement depuis 2015 (Mo Ibrahim Foundation, 2021[43]).

Malgré ces avancées indéniables, des défis demeurent pour la pleine protection et promotion de l’espace civique en Tunisie. Comme le montrent les paragraphes suivants, les entretiens menés dans le cadre du scan ont ainsi révélé un décalage entre une Constitution garantissant pleinement les droits et libertés publics et conforme aux normes internationales, un travail entamé mais non achevé de réforme et d’harmonisation de la législation en vigueur avec les garanties constitutionnelles, et la mise en œuvre du cadre légal dans la pratique.

Comme indiqué en introduction de ce chapitre, la Tunisie a réalisé des progrès importants dans la consécration de la liberté d’expression depuis 2011, tant au niveau du cadre légal que dans la pratique. Ce constat est appuyé par le classement du Rapport mondial sur l’expression, établi par l’ONG Article 19, qui évalue l’état de la liberté d’expression dans le monde (voir Graphique ‎3.2). La Tunisie est ainsi passée d’un score de 6 en 2010, entrant dans la catégorie « en crise », à un score de 68 en 2011 et 72 en 2020, dans la catégorie « moins limité ». Elle enregistre ainsi la progression la plus importante sur dix ans pour ce classement, se positionne au 43e rang sur 161 pays évalués, et est le pays de la région MENA le mieux classé (voir Graphique ‎3.3).

Si des avancées considérables et indéniables ont été réalisées entre 2010 et 2012, la notation de la Tunisie révèle cependant une certaine stagnation, voire un léger recul dans les années qui ont suivi (Article 19, 2021[44]). La plupart des entretiens menés dans le cadre de ce scan ont fait état d’un sentiment de plus en plus prégnant de dégradation de la liberté d’expression, notamment pour les journalistes, les blogueurs et les simples citoyens qui expriment leurs opinions sur les réseaux sociaux concernant la situation politique du pays, et qui ont fait l’objet d’arrestations et parfois de condamnations, bien qu’un certain nombre de ces condamnations aient finalement été annulées.

C’est par exemple le cas pour les faits de diffamation, condamnés au titre du Code pénal et de la loi relative à la presse et l’édition. Si le Code de la presse ne met pas en place de peine de privation de liberté mais uniquement des amendes, des peines d’emprisonnement ont été requises pour des faits de diffamation sur la base du Code pénal (Human Rights Watch, 2019[45]). Un double chef d’accusation, en vertu de l’article 128 du Code pénal et de l’article 86 du Code des télécommunications, a dans plusieurs cas été requis contre des blogueurs et blogueuses (Human Rights Watch, 2019[46]). Ces faits pourraient contribuer à maintenir une certaine insécurité juridique, les peines encourues dépendant du choix effectué par le juge de se référer soit au Code pénal soit à des lois plus récentes, en ligne avec la Constitution.

De plus, si les normes internationales permettent de mettre en place une limitation de la liberté d’expression au nom du respect des droits et de la réputation d’autrui, les sanctions pénales, et notamment les peines de prison, présentent un risque beaucoup plus grand de conduire à des limitations importantes de l’espace civique, telles que la censure et l’autocensure, que des procédures au civil (Griffen, S., 2017[47]). Aussi, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont conclu que l’imposition de sanctions excessives constitue une ingérence disproportionnée dans la liberté d’expression des individus (McGonagle, 2016[48]).37 De même, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies appelle les États parties à « envisager de dépénaliser la diffamation » et précise que « dans tous les cas, l’application de la loi pénale devrait être circonscrite aux cas les plus graves et l’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée » (Comité des droits de l'homme, 2011[15]). Dans ce sens, dans le cadre des efforts menés pour la réforme du Code pénal et l’harmonisation du cadre légal avec la Constitution et les normes internationales (voir Section ‎3.4.6), la Tunisie pourrait mener une réflexion visant à éliminer les peines d’emprisonnement pour les faits de diffamation contenues dans le Code pénal. Cela permettrait en outre d’aligner les dispositions du Code pénal sur celles du décret-loi n° 2011-115, et ainsi de pallier l’insécurité juridique induite par le manque d’harmonisation entre les deux textes.

La question du discours de haine peut également constituer un obstacle à la liberté d’expression en Tunisie. Ce phénomène toucherait en particulier les journalistes et les activistes, qui sembleraient avoir été la cible de campagnes de harcèlement de la part de certains syndicats de police (voir Section ‎3.4.5). Les femmes sont particulièrement touchées : on peut par exemple citer les campagnes qui ont visé la présidente de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) à la suite de la publication des recommandations, certaines allant jusqu’aux appels au meurtre, ou encore les campagnes violentes visant deux journalistes femmes en 2020 (Jouini, 2020[49]). Face à ce phénomène, la Finlande a mis en place, avec l’appui de l’OCDE, un panel citoyen qui a exploré la question de l’équilibre entre la liberté d’expression et la lutte contre le discours de haine dans le domaine public, et a formulé un certain nombre de recommandations dont pourrait s’inspirer la Tunisie (voir Encadré ‎3.2).

Enfin, le second semestre de l’année 2021 a vu une augmentation du nombre de comparutions de civils devant les tribunaux militaires au titre du Code de la justice militaire, ce qui a renforcé les inquiétudes déjà exprimées par les acteurs de la société civile quant à un recul de la liberté d’expression dans la pratique et compte parmi les défis importants pour la protection et la promotion de l’espace civique. Comme indiqué dans la section ‎3.2.1 de ce chapitre, l’article 91 du Code de la justice militaire pénalise les faits « d’outrages au drapeau ou à l’armée, d’atteinte à la dignité, à la renommée, au moral de l’armée, ou d’actes de nature à affaiblir la discipline militaire, l’obéissance et le respect dus aux supérieurs, ou de critiques sur l’action de la hiérarchie militaire ou des officiers de l’armée, portant atteinte à leur dignité » (République tunisienne, 1957[6]).

Plusieurs organisations de la défense des droits humains, dont Amnesty International, ont attiré l’attention sur le nombre croissant de comparutions de civils devant les tribunaux militaires, indiquant qu’ « au cours des trois derniers mois seulement, ils sont plus nombreux dans ce cas qu’au cours des dix dernières années » (Amnesty International, 2021[52]). Ainsi, l’Alliance pour la sécurité et les libertés (ASL), une coalition d’OSC, a pour sa part recensé sept cas de poursuites de civils devant le tribunal militaire entre le 25 juillet 2021 (date de la mise en place de mesures d’exception au titre de l’article 80 de la Constitution de 2014) et octobre 2021 (Alliance pour la Sécurité et les Libertés, 2021[53]).

Des observateurs ont également indiqué que les tribunaux militaires pourraient être plus indépendants, au regard de la modalité de nomination des juges par le président de la République, malgré une réforme entreprise en 2011. Ils précisent que « les tribunaux militaires manquent également de transparence, l’accès à l’information des accusés étant limité pour des raisons manifestes de sécurité nationale. Les procès militaires sont davantage un outil de justice punitive et expéditive plutôt qu’un processus équitable considéré par toutes les parties comme impartial » (Grewal et White, 2021[54]). La compétence des tribunaux militaires sur les civils se fonde sur l’article 22 de la loi n° 82-70 du 6 août 1982 portant sur le statut général des forces de sécurité intérieure, qui stipule que toute affaire impliquant des agents des forces de sécurité intérieure à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et ayant trait à leurs attributions dans les domaines de la sécurité ou du maintien de l’ordre est du ressort des tribunaux militaires compétents (République tunisienne, 1982[55]). Cela entre en contradiction avec l’article 110 de la Constitution de 2014, qui prévoit que les tribunaux militaires sont des tribunaux compétents pour les infractions militaires (République tunisienne, 2014[2]). Les principes des Nations Unies pour la protection des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité prévoient par ailleurs que « la compétence des tribunaux militaires doit être limitée aux seules infractions spécifiquement militaires commises par des militaires » (Principe 29) (Orentlicher, 2005[56]).

La liberté de réunion pacifique et de manifestation est un élément essentiel d’un espace civique protégé et promu. Les individus et groupes peuvent ainsi exprimer leurs revendications et influer sur l’agenda politique et les priorités du gouvernement. Le droit à la liberté de manifestation revêt une importance particulière en Tunisie, puisque c’est un outil qui a été largement mobilisé dans le cadre de la révolution et qui continue aujourd’hui de représenter un mode d’expression répandu dans le pays. Là encore, la Tunisie a enregistré des progrès importants depuis la révolution, et se classe en 2020 en tête des pays de la région MENA pour l’indicateur de l’organisation V-Dem relatif à la liberté de réunion pacifique (voir Graphique ‎3.4).

Au cours des premiers mois de l’année 2021, la Tunisie a connu une série de manifestations et de mouvements de protestation dans plusieurs régions du pays. Si la date anniversaire de la révolution du 14 janvier est depuis plusieurs années l’occasion d’importantes manifestations, en 2021 se sont ajoutées des revendications liées à la détérioration de la situation socio-économique, notamment du fait de la pandémie de COVID-19. Les mouvements de protestation de janvier 2021 ont été marqués par une répression accrue de la part des forces de l’ordre, soulignée par plusieurs OSC et qui s’est traduite en une augmentation des tensions entre manifestants et forces de l’ordre.38

Dans son rapport mensuel relatif aux mouvements sociaux, suicides, violences et migrations, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a estimé à 1 492 le nombre de mouvements de protestation ayant eu lieu à l’échelle nationale pour le mois de janvier 202139 (FTDES, 2021[58]). D’après le même rapport, la majorité des revendications des manifestants étaient d’ordre économique et social (74 %), suivies par les demandes d’emploi (23 %), le droit au développement (19 %), l’application d’un accord antérieur (5 %) et le droit à l’eau (4 %).

D’après les chiffres officiels communiqués par la Direction générale des prisons et de la rééducation du ministère de la Justice au média d’investigation Inkyfada, 968 personnes – dont 141 mineurs – auraient été arrêtées entre le 14 janvier et le 17 février 2021 dans le cadre des manifestations (Inkyfada, 2021[42]). Parmi elles, 617 ont été relâchées et seules 47 ont été jugées, ce qui pourrait interroger quant au caractère excessif des arrestations lors des manifestations. Les OSC estiment quant à elles à plus de 2 000 les personnes arrêtées à l’occasion de ces mouvements de protestation de janvier à mars 2021 (Boussen, 2021[59]). Parmi elles, le nombre de mineurs était élevé, sans que leur tuteur en soit informé et sans qu’ils aient accès à un avocat au titre de la loi 5 (Avocats sans frontières, 2021[60]). Ces vagues d’arrestations ont particulièrement touché des activistes de la société civile et des défenseurs des droits humains, un certain nombre d’entre eux ayant été inculpés au titre de l’article 125 du Code pénal relatif à l’outrage à un fonctionnaire public (Avocats sans frontières, 2021[60]). Cette tendance semblerait marquer un durcissement de la part d’une partie des agents des forces de sécurité. Des témoignages et rapports ont par ailleurs soulevé le rôle joué par certains syndicats de police, qui auraient notamment pris pour cible en ligne des activistes, et diffusé leurs photos et informations personnelles sur les réseaux sociaux, entraînant une vague de lynchages (Elleuch, 2021[61]).

Les vagues d’arrestations qui ont eu lieu ont également montré que la justice et les procureurs pourraient jouer leur rôle de contre-pouvoir de manière plus marquée (Boussen, 2021[59]). Si peu de poursuites ont abouti, elles ont eu lieu du fait d’une décision des procureurs, ce que certaines des personnes interrogées dans le cadre du scan ont interprété comme une volonté d’intimider les manifestants, et ainsi de diminuer l’intensité des protestations, malgré l’absence de crime ou de délit.40

Le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a par ailleurs exprimé dans un communiqué son inquiétude face à la multiplication des incidents violents impliquant des forces de sécurité intérieure en 2021 (Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme en Tunisie, 2021[62]). Il a ainsi déclaré que « ces violations graves et répétées depuis le début de l’année révèlent des dysfonctionnements continus au sein des services de sécurité intérieure dont la résolution exige une volonté infaillible tant des pouvoirs exécutif et judiciaire aux fins de la redevabilité en conformité avec la loi qui est attendue par les Tunisiens et Tunisiennes ». Il appelle les autorités à ouvrir des enquêtes administratives et judiciaires transparentes et indépendantes sur les allégations de violences policières émises au cours du premier semestre de l’année 2021 (Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme en Tunisie, 2021[62]).

En effet, d’après les entretiens menés, l’impunité dont semblerait jouir une partie des forces de sécurité pourrait représenter une menace importante à l’espace civique en Tunisie.41 Dans les faits, les cas de violences policières documentés par les OSC et médiatisés n’auraient que rarement donné lieu à des condamnations (Amnesty International, 2019[63]). L’article 101 du Code pénal concernant l’usage de la torture n’a par ailleurs été appliqué qu’une seule fois depuis son adoption en 1999, la plupart des faits de torture étant requalifiés en violences policières, ce qui réduit les peines encourues.42 Les individus auraient davantage confiance en la justice si les enquêtes pour violences policières étaient menées plus rapidement et si les disparitions de dossiers – relayées dans la presse et les réseaux sociaux – n’avaient plus lieu, ce qui contribuerait à mettre fin au climat de défiance entre justiciables et forces de sécurité. Dans ce cadre, il est important de veiller à ce que tout éventuel abus commis par la police ou d’autres agents chargés de l’application des lois fasse l’objet d’une enquête approfondie et, en cas de culpabilité avérée, de poursuites judiciaires efficaces. Un dialogue permanent avec la société civile, autour de sujets tels que le droit d’organiser des manifestations et l’encadrement de l’utilisation de la force par la police lors des protestations, contribuerait également à apaiser les tensions et à favoriser la mise en œuvre de la liberté de manifestation pacifique dans la pratique. Un effort supplémentaire en matière de formation et d’accompagnement des forces de sécurité intérieure est à déployer pour prévenir les violences policières, notamment par l’accélération de la promulgation du code de conduite des agents de sécurité intérieur.

Les défis et les opportunités de réforme relatifs à la liberté d’association seront abordés dans le Chapitre 5, dédié à l’environnement dans lequel opèrent les OSC.

Comme présenté en section ‎3.2.4, la Tunisie s’est dotée d’un cadre légal solide régissant la protection des lanceurs d’alerte. Cependant, quatre ans après l’adoption de cette loi, son bilan demeure mitigé et les mécanismes de protection gagneraient à être renforcés. D’après les déclarations du président de l’INLUCC à l’occasion de la Journée nationale des lanceurs d’alerte, la protection effective des lanceurs d’alerte présente encore un certain nombre de défis (La Presse, 2021[64]).

D’après l’INLUCC, 859 dossiers de demande de protection ont été reçus jusqu’en janvier 2021, dont 182 ont été jugés recevables, alors que seules 55 personnes ont effectivement reçu une protection (La Presse, 2021[64]). Malgré les mécanismes mis en place et l’adoption d’un cadre légal adapté, les lanceurs d’alerte continuent à être victimes de harcèlement après la dénonciation de faits de corruption (La Presse, 2021[64]). L’association de lutte contre la corruption I Watch a également mis en avant les délais importants et supérieurs à ceux prévus par la loi pour la mise en œuvre effective des mécanismes de protection, ce qui expose les lanceurs d’alerte à des représailles, des attaques et parfois des violences (Directinfo, 2021[65]).

En outre, I Watch et Transparency International soulignent la persistance d’une tendance à la stigmatisation des lanceurs d’alerte et d’une certaine culture du secret (I Watch, 2020[66]). I Watch note également l’augmentation des campagnes de diffamation à l’encontre de dénonciateurs (I Watch, 2020[66]). Une sensibilisation accrue du public sur ce que sont les lanceurs d’alerte et leur contribution déterminante au renforcement de la responsabilité démocratique et de la redevabilité permettrait de progressivement résorber cette culture du secret et de légitimer leurs actions.

Enfin, la fermeture des locaux de l’INLUCC et la suspension de ses activités depuis le 20 août 2021 représentent un obstacle pour la mise en œuvre du cadre légal. L’INLUCC est en effet l’organe de référence dans le processus de demande de protection, qui ne peut de fait plus être enclenché et n’est donc plus effectif au moment de la rédaction de ce scan.

Dans le sillage de la révolution, la Tunisie a mené des efforts importants pour la réforme du secteur de la sécurité et a mis en place de nombreux programmes de formation, notamment aux droits humains, à l’adresse des forces de sécurité, y compris en partenariat avec des organisations internationales. Cependant, peu d’informations sont disponibles sur la trajectoire de carrière des personnes ainsi formées, et les entretiens ont mis en avant la nécessité de davantage mettre en cohérence les processus de formation aux droits humains avec les prises de fonction subséquentes, afin de véritablement voir les effets de ces programmes sur le terrain et de mesurer leur impact réel.43 De même, un projet de Code de déontologie et de mise en place d’une commission à même de recevoir les plaintes des citoyens a été envisagé dans le cadre du programme d’appui de l’Union européenne à la réforme et à la modernisation du secteur de la sécurité. Il n’a cependant pas abouti, notamment car certains syndicats des forces de sécurité n’y semblaient pas favorables (Lafrance, 2020[67]). Le ministère de l’Intérieur a par ailleurs mis en place, en 2018, une Direction générale chargée des droits de l’homme.

Malgré ces différentes initiatives, d’après les acteurs de la société civile interrogés, des pratiques et réflexes autoritaires persisteraient chez certains agents des forces de l’ordre.44 Le militantisme de certains syndicats de police contre les mécanismes de redevabilité se serait particulièrement illustré en février 2018. Dans le cadre de l’instruction d’une affaire mettant en cause quatre policiers pour des faits de mauvais traitement devant le tribunal de première instance de Ben Arous, un syndicat aurait appelé ses membres à ne plus assurer la sécurité du tribunal, et un large groupe de membres des forces de sécurité aurait occupé les locaux du tribunal, afin de faire libérer les policiers mis en cause (Amnesty International, 2019[63]). Ce même syndicat aurait par la suite publié une déclaration appelant l’ensemble des forces de sécurité à refuser d’assurer toute protection lors de procédures judiciaires mettant en cause des agents des forces de l’ordre, et à refuser de se rendre aux convocations dans le cadre de ce genre de procédures (Amnesty International, 2019[63]). Bien qu’un incident d’une telle envergure reste isolé, il montre l’influence que peuvent exercer les syndicats de police et le défi de protéger les victimes présumées de violences policières tout en leur garantissant un accès à la justice.

Dans un élan positif, des plaintes déposées par une OSC contre un chef de commissariat pour des faits de violences physiques et verbales ont donné lieu, en 2020, à une enquête de l’inspection de la police, qui a abouti à des sanctions disciplinaires. Cet exemple, évoqué lors des entretiens menés dans le cadre du scan, a été accueilli comme une avancée significative dans la lutte contre l’impunité.45

Enfin, ce sentiment d’impunité tendrait à être renforcé par le projet de loi n° 2015/25 relatif à la répression des atteintes contre les forces armées, présenté pour la première fois devant l’ARP en 2015 et plusieurs fois retiré puis remis à l’ordre du jour, mais pas encore adopté (Présidence du gouvernement, 2015[68]). Ce projet de loi, qui a rencontré une vive opposition de la part de la société civile et des défenseurs des droits humains (Inkyfada, 2015[69]), contient des dispositions qui limitent fortement la responsabilité pénale des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, y compris dans les cas où leurs actes entraîneraient des blessures graves ou la mort de manifestants (article 18) (Présidence du gouvernement, 2015[68]). Les nombreuses dispositions limitant de manière disproportionnée la liberté d’expression et d’information ont également été pointées du doigt, notamment parce qu’elles prévoient des peines de dix ans de prison pour des faits tels que la diffusion de « secret lié à la sûreté nationale », définie largement (Présidence du gouvernement, 2015[68]). De même, le « dénigrement » des institutions de l’État avec l’intention de « nuire à l’ordre public » est pénalisé. De plus, une autorisation préalable est requise pour filmer ou enregistrer tout établissement sécuritaire ou militaire, ainsi que les terrains d’opérations sécuritaires ou militaires, ce qui représente une entrave importante au travail journalistique et à l’accès à l’information, au vu des peines de prison de deux mois à deux ans requises en cas d’absence d’autorisation.

Le gouvernement tunisien pourrait reconsidérer les dispositions susceptibles de constituer une limite disproportionnée à la liberté d’expression et au droit d’accès à l’information contenues dans le projet de loi relatif à la répression des atteintes aux forces de sécurité. Il conviendrait également de renforcer les mécanismes de plainte à la disposition des citoyens pour les cas présumés de violations des libertés publiques, ainsi que les canaux de dialogue avec la société civile.

Plusieurs efforts et initiatives de révision et d’harmonisation du cadre légal à l’aune des nouvelles garanties constitutionnelles et des obligations internationales de la Tunisie en matière de droits et libertés publics et individuels ont été menés en Tunisie.

Dès 2014, le ministère de la Justice a ainsi mis en place deux commissions pour la refonte du Code des procédures pénales et du Code pénal. La première, chargée de la refonte du Code des procédures pénales, a rendu un rapport en 2019, adopté en Conseil ministériel, et qui attend encore d’être transmis à l’ARP. Cette commission a par ailleurs suivi une approche participative et impliqué des OSC dans ces travaux, notamment Avocats sans frontières.46 D’après les associations rencontrées dans le cadre de ce scan, la seconde commission, chargée de la refonte du Code pénal, n’aurait quant à elle pas suivi le même processus et aurait gagné à opérer dans une plus grande transparence, en coopérant davantage avec les OSC ou en communiquant davantage sur ses orientations.47 Elle n’a par ailleurs pas encore rendu de travaux. Si l’aspect participatif du processus d’élaboration de ce projet de réforme n’a pas été complètement satisfaisant, aussi bien du point de vue du ministère de la Justice que des associations de défense des droits humains, le stade de validation de ces projets pourrait comprendre une phase plus large et approfondie de consultation des différentes parties prenantes.48

De plus, le décret gouvernemental n° 2019-1196, publié au JORT le 8 janvier 2020, a mis en place un comité national pour l’harmonisation des textes juridiques relatifs aux droits de l’homme avec les dispositions de la Constitution et avec les conventions internationales ratifiées (Présidence du gouvernement, 2020[70]). Il est chargé des missions suivantes :

  • Fixer la cartographie des textes juridiques relatifs aux droits de l’homme exigeant l’harmonisation avec la Constitution et les obligations découlant des traités internationaux ratifiés.

  • Développer un plan d’action comprenant les objectifs, les axes, les thèmes, les étapes, la durée d’achèvement et le suivi de la mise en œuvre.

  • Coordonner les différentes parties prenantes dans la mise en œuvre du plan d’action et la proposition de fournir, le cas échéant, un appui technique en fonction des moyens disponibles.

  • Orienter et suivre les travaux des sous-comités du comité national, qui peuvent être formés conformément aux dispositions de l’article 8 du présent décret gouvernemental, et approuver les résultats de ces travaux.

  • Proposer la révision et la modification des textes juridiques.

  • Émettre son avis à propos des projets des textes législatifs et réglementaires en relation avec les droits de l’homme qui lui sont obligatoirement soumis.

  • Préparer les rapports périodiques sur l’avancement des travaux et les propositions du comité national (Présidence du gouvernement, 2020[70]).

Le comité est composé de trente-deux membres représentant les différents ministères, ainsi que d’un représentant de l’Assemblée des représentants du peuple et d’un rapporteur. Ce comité ne compte que deux représentants de la société civile, sélectionnés selon des critères relatifs aux associations les plus actives dans le domaine des droits de l’homme, et qui respectent les principes d’intégrité, de redevabilité et de transparence financière. Si les entretiens ont révélé un certain degré de transparence de la part du comité, les acteurs de la société civile interrogés ont néanmoins indiqué que la part de représentants d’OSC (deux seulement) pourrait être revue à la hausse, face à une surreprésentation des institutions publiques et du gouvernement. Par ailleurs, le comité n’a pas encore entamé la rédaction de textes, en partie en raison de l’instabilité politique et des différents remaniements qu’a connus le pays, ainsi que des changements à la tête des services chargés des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l’homme, qui a été supprimé et dont les services ont été rattachés à la Présidence du gouvernement.

Dans le même élan, le président de la République a mis en place la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) en août 2017, avec pour mission de préparer un rapport concernant les réformes législatives nécessaires en matière de libertés individuelles et d’égalité, conformément à la Constitution de 2014 et aux normes internationales des droits de l’homme (Présidence de la République, 2017[71]).

La Commission a adopté une approche participative dans l’élaboration de son rapport et des recommandations, à travers une collaboration étroite avec les ministères de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense nationale, de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des Droits de l’homme, des Technologies de la communication et de l’Économie numérique, de la Santé, de l’Éducation, et des Affaires religieuses et des Affaires sociales, ainsi que des consultations des principaux partis politiques, des OSC, des instances nationales indépendantes et des experts, et une ouverture aux organisations internationales et organes onusiens (Colibe, 2018[72]).

En août 2018, elle a ainsi rendu un rapport préconisant l’abrogation de l’article 230 du Code pénal pénalisation les relations homosexuelles, l’abolition des lois relatives à l’« atteinte aux bonnes mœurs » et à la « moralité publique », l’abolition de la peine de mort, ainsi que l’adoption de lois mettant en place l’égalité entre homme et femme dans l’héritage. Le rapport contient deux projets de textes : un projet de loi relatif au Code des droits et des libertés individuelles, et un projet de loi organique relatif à l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et des enfants (Colibe, 2018[72]). Les recommandations de ce rapport, saluées par la communauté internationale et par une part importante des OSC tunisiennes œuvrant dans le domaine des droits et des libertés, n’ont cependant pas été concrétisées à travers l’adoption de nouvelles lois ou l’amendement de la législation existante, malgré deux projets de loi déposés à l’ARP par un groupe de députés et par le président de la République relatifs respectivement aux libertés individuelles et à l’égalité successorale. Il semblerait donc opportun de relancer le débat autour des recommandations émises par la Colibe en vue de l’élaboration éventuelle de projets de loi et de réformes de la législation pour la mise en pratique de certaines de ses recommandations.

La nomination du Comité pour l’harmonisation est positive et ses travaux devraient être soutenus et accompagnés par les autorités de l’État au plus haut niveau. La Tunisie pourrait davantage tirer profit de l’expertise et de l’expérience des acteurs de la société civile en matière de droits et de libertés, et faire un effort plus systématique pour les impliquer dans les processus d’harmonisation de la législation. Les organisations de défense des droits de l’homme en Tunisie se sont en effet illustrées au cours des dernières années à travers des analyses et rapports détaillés sur l’état des libertés dans le pays, qui gagneraient à être davantage exploités dans l’élaboration de nouvelles lois et politiques publiques relatives à la protection et à la promotion des droits et libertés publics.

Dans l’attente d’une réforme du reste du cadre légal, le ministère de la Justice pourrait poursuivre et approfondir les efforts de formation continue des magistrats et des juges, et davantage conditionner l’avancement de leur carrière sur ce critère, afin de régulièrement mettre à jour leur pratique avec les nouvelles normes légales relatives aux droits et aux libertés publics, et de s’assurer de la traduction au sein des tribunaux des décrets et lois progressistes d’ores et déjà adoptés, mais pas toujours appliqués dans la pratique.

Comme vu dans l’analyse du cadre légal, la loi actuelle ne prévoit ni encadrement de la prorogation ni mécanismes de contrôle de l’état d’urgence. Malgré l’imposition de l’état d’urgence depuis 2015, les dispositions les plus extensives, telles que celles édictées dans l’article 8 cité précédemment, n’ont pas été utilisées. Cependant, leur existence même au sein du cadre légal tunisien en l’absence de tout organe de contrôle représente potentiellement une menace importante, qui pourrait être mobilisée par les autorités. De plus, le recours à des charges telles que « violation de l’état d’urgence » permet aux forces de l’ordre d’incriminer des individus sans plus de précision, et a notamment été mobilisé dans le cadre de la répression de manifestations du début de l’année 2021 (Inkyfada, 2021[42]).

En outre, des rapports d’Amnesty international et de l’OMCT ont mis en lumière de nombreux cas de restrictions du droit de circuler arbitraires, disproportionnées et discriminantes, dans le cadre de la procédure dite des fichés « S10 » et « S17 », mise en place par le ministère de l’Intérieur (Amnesty International, 2018[73] ; OMCT, 2019[74]). Le ministre de l’Intérieur a déclaré en 2019 que le fichage visait notamment les personnes sur lesquelles « le ministère disposait d’informations sérieuses affirmant leur relation avec des groupes terroristes », ainsi que les personnes faisant l’objet de décisions d’assignation à résidence (Amnesty International, 2018[73]). Dans les faits, beaucoup des personnes interrogées dans le cadre d’enquêtes menées sur le sujet rapporteraient ne pas connaître la raison de leur fichage. En outre, les rapports ont souligné le caractère parfois discriminatoire de ce fichage, qui semble se fonder dans certains cas sur l’apparence physique, les pratiques religieuses ou des antécédents de condamnations des personnes visées (Amnesty International, 2018[73]). Amnesty International estimait en 2018 à 30 000 le nombre d’individus victimes de ces restrictions sans autorisation judiciaire ou document officiel notifiant l’interdiction et sa base légale, fermant ainsi la porte aux possibilités de recours.

Par ailleurs, d’après le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, l’extension systématique de l’état d’urgence depuis 2015 constitue un état d’urgence permanent de fait, ce qui est contraire au droit international et pourrait mettre en péril les droits de l’homme et les libertés fondamentales. (Emmerson, 2018[75]). Ainsi, face à une menace terroriste bien réelle dans le pays, il conviendrait a minima de motiver et justifier publiquement la prorogation de l’état d’urgence, qui a eu lieu au cours des dernières années de manière quasi automatique et tacite, sans débat public ou consultation sur la question. De même, en plus d’une révision du cadre légal, dont la nécessité a été étudiée dans la première partie de ce chapitre, des alternatives à une imposition si prolongée d’un état d’exception devraient être examinées. Selon les entretiens menés, le cadre légal ordinaire, et notamment la loi de lutte contre le terrorisme, permet par ailleurs une lutte efficace contre le terrorisme.49

En plus de l’imposition de l’état d’urgence, la Tunisie dispose en effet de la loi organique n° 2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, qui a d’ailleurs été adoptée en 2015 malgré l’opposition d’une partie de la société civile et des défenseurs des droits humains à certaines de ses dispositions (ASF; LTDH; OCTT; OMCT, 2020[76]). La société civile a notamment dénoncé la définition extensive octroyée au terrorisme dans cette loi, qui laisse la porte ouverte à une large interprétation. Lors de sa visite en Tunisie en 2017, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a également souligné le manque de précision de cette définition, et indiqué que « toute définition du terrorisme devrait être limitée aux actes ou menaces de violence meurtrière qui sont commis pour des motifs politiques, religieux, idéologiques ou autres et qui visent à semer la peur ou la terreur parmi le public ou une partie du public ou contraindre une population, un gouvernement ou une organisation internationale à prendre ou à s’abstenir de prendre des mesures » (Emmerson, 2018[75]). La définition des infractions terroristes dans la loi tunisienne est au contraire large, et inclut par exemple l’incitation à la haine ou le fait d’en faire l’apologie, si cela vise à « répandre la terreur parmi la population ou [à] contraindre un État ou une organisation internationale ». Cette définition, qui n’est pas conforme aux normes internationales de sécurité juridique, pourrait être plus précise, car elle laisse en l’état une large place à l’interprétation (Emmerson, 2018[75]). D’après les OSC, l’inclusion du crime d’apologie du terrorisme ouvrirait la porte à des enquêtes lancées à l’encontre d’utilisateurs des réseaux sociaux pour des apparences, attitudes et pratiques jugées « religieuses » en l’absence de propos violents (ASF; LTDH; OCTT; OMCT, 2020[76])spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a également fait état d’impositions abusives d’assignation à résidence, ainsi que de fouilles et surveillances étendues et lancées sans mandat judiciaire et de nuit (ce qu’autorise la loi sur l’état d’urgence), qui instaureraient un climat peu propice au libre exercice des droits et libertés publics (Emmerson, 2018[75]).

Pour répondre à certains des défis relatifs au cadre légal et à la mise en œuvre de la législation antiterroriste, la Tunisie pourrait mettre en place un processus de consultation élargie des différents acteurs et parties prenantes impliqués des secteurs de la sécurité, de la justice et de la société civile, ainsi que des citoyens ordinaires, dans un effort de renforcer la transparence autour des politiques de sécurité et la redevabilité des acteurs. La Tunisie pourrait s’inspirer du processus de consultation mené par le gouvernement canadien en 2016 (voir Encadré ‎3.3).

Comme dans de nombreux pays, face à l’urgence à freiner la diffusion de la pandémie, la crise sanitaire due au COVID-19 a elle aussi donné lieu à une restriction importante des libertés (voir Encadré ‎3.4). Un confinement général a été imposé dans tout le pays du 22 mars au 4 mai 2020, en vue d’enrayer la propagation du COVID-19. D’autres mesures ponctuelles de confinement ont également été prises par la suite, notamment le jour de la célébration du dixième anniversaire de la révolution en janvier 2021.

Enfin, la Tunisie connaît, depuis le 25 juillet 2021, un état d’exception fondé, d’après le président de la République, sur l’article 80 de la Constitution de 2014, et qui a fait craindre à certains acteurs un possible recul des droits et libertés de l’espace civique en Tunisie (voir Encadré ‎3.5).

Références

[92] ADLI (2021), ADLI : Revue de presse, http://adlitn.org/revue-de-presse/.

[53] Alliance pour la Sécurité et les Libertés (2021), 50 jours après l’article 80 : Une rupture dans la continuité, https://ftdes.net/rapports/Rapport-50-jours-apres-larticle-80.pdf.

[81] Alliance pour la Sécurité et les Libertés (2021), Deux mois de lutte contre le COVID-19 en Tunisie : Analyse en matière d’État de droit, https://www.asf.be/wp-content/uploads/2020/06/ASL-Covid-19-1.pdf.

[52] Amnesty International (2021), Tunisie. Hausse très inquiétante du nombre de civil·e·s – poursuivis par les tribunaux militaires, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/11/tunisia-alarming-increase-in-number-of-civilians-facing-military-courts/ (consulté le 23 novembre 2021).

[14] Amnesty International (2020), Traduit·e·s en justice pour avoir exprimé leurs opinions en ligne : l’utilisation de lois archaïques et bancales pour limiter la liberté d’expression en Tunisie, https://www.amnesty.org/download/Documents/MDE3032862020FRENCH.pdf.

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[63] Amnesty International (2019), Tunisie: Quand fuir la police peut être mortel, https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2019/04/tunisia-where-running-from-police-can-be-deadly/.

[73] Amnesty International (2018), « On ne me disait jamais pourquoi » : Restrictions arbitraires de la liberté de circulation en Tunisie.

[44] Article 19 (2021), The Global Expression Report 2021: The State of Freedom of Expression around the World, https://www.article19.org/wp-content/uploads/2021/07/A19-GxR-2021-FINAL.pdf.

[76] ASF; LTDH; OCTT; OMCT (2020), Rapport alternatif pour l’examen du VIème rapport périodique de la Tunisie par le Comité des droits de l’homme, https://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CCPR/Shared%20Documents/TUN/INT_CCPR_CSS_TUN_41543_E.pdf.

[60] Avocats sans frontières (2021), Rapport conjoint de plaidoyer : Violences policières et criminalisation des activistes et des défenseur.e.s des droits humains, https://www.asf.be/wp-content/uploads/2021/03/RAPPORT-CONJOINT-DE-PLAIDOYER-VIOLENCES-POLICIERES-ET-CRIMINALISATION-DES-ACTIVISTES-ET-DES-DEFENSEUR.E.S-DES-DROITS-HUMAINS.pdf.

[39] Avocats sans frontières (2014), L’état de l’aide légale en Tunisie, https://asf.be/wp-content/uploads/2014/06/ASF_Tunisie_EtudeAideLe%cc%81gale_2014_6.pdf.

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[62] Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Tunisie (2021), Le Bureau du HCDH en Tunisie est très préoccupé par la persistance d’allégations de graves violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité intérieure, https://www.onu-tn.org/Publications/Communiques-presse/333_Le_Bureau_du_HCDH_en_Tunisie_est_tres_preoccupe_par_la_persistance_dallegations_de_graves_violations_des_droits_de_lhomme_commises_par_les_forces_de_securite_interieure (consulté le 4 août 2021).

[88] Business News (2021), « La dissolution du Parlement est possible à une condition, selon Wahid Ferchichi », Business News, https://www.businessnews.com.tn/la-dissolution-du-parlement-est-possible-a-une-condition-selon-wahid-ferii,534,113016,3.

[50] Citizen’s Panel (2021), Citizens’ Panel on the Freedom of Expression - Final Report Qualitative Assessment of the Possibilities for Civil Society to Operate in Finland, https://avoinhallinto.fi/assets/files/2021/03/Citizens_Panel_on_the_Freedom_of_Expression-Final_Report.pdf.

[72] Colibe (2018), Rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité.

[10] Comité des droits de l’homme (2020), Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (art. 21), Nations Unies.

[15] Comité des droits de l’homme (2011), Observation générale no 34 relative à l’article 19, https://undocs.org/fr/CCPR/C/GC/34.

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[28] Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales (s.d.), Site officiel, http://www.csdhlf.tn/budget-de-la-comite/?lang=fr (consulté le 12 juillet 2021).

[18] Conseil de l’Europe (2014), Recommandation CM/Rec(2014)7 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la protection des lanceurs d’alerte, https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805c5ead.

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[74] OMCT (2019), Être S : L’arbitraire des mesures de contrôle administratif en Tunisie, http://omct-tunisie.org/wp-content/uploads/2019/12/Etre-S_Rapport_FR.pdf.

[56] Orentlicher, D. (2005), Rapport de l’expert indépendante chargée de mettre à jour l’Ensemble de principes pour la lutte contre l’impunité, https://undocs.org/fr/E/CN.4/2005/102/Add.1.

[86] Présidence de la République (2021), « Décret présidentiel n° 2021-108 du 20 août 2021, portant cessation de fonctions du secrétaire général de l’Instance nationale de lutte contre la corruption », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 75, p. 2058.

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[83] Présidence de la République (2021), « Décret présidentiel n° 2021-69 du 26 juillet 2021, portant cessation des fonctions du chef de gouvernement et de membres du Gouvernement », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 64, p. 1984.

[85] Présidence de la République (2021), « Décret présidentiel n° 2021-72 du 27 juillet 2021, portant cessation de fonctions du secrétaire général du gouvernement », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 65, p. 1993.

[84] Présidence de la République (2021), « Décret présidentiel n° 2021-80 du 29 juillet 2021, relatif à la suspension des compétences de l’Assemblée des représentants du peuple », Journal officiel de la République tunisienne 64, p. 2004.

[78] Présidence de la République (2020), « Décret présidentiel n° 2020-24 du 18 mars 2020, instaurant le couvre-feu sur tout le territoire de la République », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 23, p. 750, https://legislation-securite.tn/fr/law/104750.

[79] Présidence de la République (2020), « Décret présidentiel n° 2020-28 du 22 mars 2020, limitant la circulation des personnes et les rassemblements hors horaires du couvre-feu », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 24, p. 762, https://legislation-securite.tn/law/104751.

[71] Présidence de la République (2017), « Décret présidentiel n° 2017-111 du 13 août 2017, portant nomination de membres de la commission des libertés individuelles et de l’égalité », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 65, p. 2613, https://legislation-securite.tn/law/56328.

[24] Présidence de la République (1991), « Décret n° 91-54 relatif au Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales », Journal officiel de la République tunisienne, vol. vol. 3, p. 40.

[70] Présidence du gouvernement (2020), « Décret gouvernemental n° 2019-1196 du 24 décembre 2019, portant création d’un Comité national pour l’harmonisation des textes juridiques relatifs aux droits de l’homme avec les dispositions de la Constitution et avec les conventions internationales », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 1, pp. 5 - 7, https://legislation-securite.tn/fr/law/104703.

[80] Présidence du gouvernement (2020), « Décret-loi du chef du gouvernement n° 2020-9 du 17 avril 2020, relatif à la répression de la violation du couvre-feu, de la limitation de circulation, du confinement total », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 33, pp. 798 - 800, https://legislation-securite.tn/fr/law/104794.

[20] Présidence du gouvernement (2018), Projet de loi organique n° 2018/91 relatif à l’organisation de l’état d’urgence, https://legislation-securite.tn/fr/law/104437.

[29] Présidence du gouvernement (2016), « Décret gouvernemental n° 2016-465 du 11 avril 2016, portant création du ministère de la Relation avec les instances constitutionnelles et la société civile et des Droits de l’Homme et fixant ses compétences et ses attributions », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 30, pp. 1186 - 1188, https://legislation-securite.tn/fr/law/45698.

[68] Présidence du gouvernement (2015), Projet de loi n°2015/25 relatif à la répression des atteintes contre les forces armées, https://legislation-securite.tn/fr/law/54196.

[97] Président de la Commission de Venise dans Ben Saïd, K. (2021), « Exclusif - Gianni Buquicchio, président de la Commission de Venise à La Presse : « Le décret 117 ne respecte pas les principes de l’état d’urgence démocratique » », La Presse, https://lapresse.tn/111273/exclusif-gianni-buquicchio-president-de-la-commission-de-venise-a-la-presse-le-decret-117-ne-respecte-pas-les-principes-dun-etat-durgence-democratique/.

[34] Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats (2015), Rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats.

[93] Reporters sans frontières (2021), Tunisie : Neuf journalistes victimes de violences policières en marge d’une manifestation, https://rsf.org/fr/actualites/tunise-neuf-journalistes-victimes-de-violences-policieres-en-marge-dune-manifestation (consulté le 6 octobre  2021).

[23] République tunisienne (2020), « Loi n° 2020-19 du 12 avril 2020, habilitant le chef du gouvernement à prendre des décrets-lois dans l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus (Covid-19) », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 31, pp. 762 - 763, https://legislation-securite.tn/fr/law/104786.

[8] République tunisienne (2018), « Loi organique n° 2018-50 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 86, pp. 3582 - 3583, http://www.iort.gov.tn/WD120AWP/WD120Awp.exe/CTX_3632-13-NSCeyfzhOJ/RechercheTexte/SYNC_144693314.

[31] République tunisienne (2018), « Loi organique n° 2018-51 du 29 octobre 2018, relative à l’Instance des Droits de l’Homme », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 89, pp. 3774 - 3781, https://legislation-securite.tn/fr/law/104424.

[17] République tunisienne (2017), « Loi organique n° 2017-10 du 7 mars 2017, relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 20, pp. 940 - 944, https://legislation-securite.tn/fr/law/55295.

[40] République tunisienne (2016), « Loi n° 2016-5 du 16 février 2016, modifiant et complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 15, pp. 487 - 489, https://legislation-securite.tn/law/45564.

[7] République tunisienne (2015), « Loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent », Journal Officiel de la République Tunisienne 63, pp. 1735 - 1761, https://legislation-securite.tn/law/44992.

[32] République tunisienne (2015), « Loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 98, pp. 2926 - 2933, https://legislation-securite.tn/law/45492.

[2] République tunisienne (2014), Constitution de la République tunisienne, Imprimerie officielle de la République tunisienne, https://lib.ohchr.org/HRBodies/UPR/Documents/Session27/TN/6Annexe4Constitution_fr.pdf.

[12] République tunisienne (2011), « Décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011, portant organisation des associations », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 74, pp. 1977 - 1982, https://www.acm.gov.tn/upload/1410083987.pdf.

[3] République tunisienne (2011), « Décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition », Journal Officiel de la République Tunisienne, vol. 84, pp. 2419 - 2429, https://legislation-securite.tn/law/45850.

[26] République tunisienne (2008), « Loi n° 2008-37 du 16 juin 2008, relative au Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 37, pp. 1923 - 1924, https://legislation-securite.tn/fr/law/41922.

[38] République tunisienne (2007), « Loi n° 2007-27 du 7 mai 2007, modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2002-52 du 3 juin 2002 relative à l’octroi de l’aide judiciaire », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 32, p. 1532, https://legislation-securite.tn/fr/law/105047.

[37] République tunisienne (2002), « Loi n° 2002-52 du 3 juin 2002, relative à l’octroi de l’aide judiciaire », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 46, pp. 1316 - 1318, https://legislation-securite.tn/fr/law/44288.

[5] République tunisienne (2001), Code des télécommunications, Imprimerie officielle de la République tunisienne, https://www.mtc.gov.tn/index.php?id=125.

[55] République tunisienne (1982), « Loi n° 82-70 du 6 août 1982 portant statut général des forces de sécurité intérieure », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 54, pp. 1698 - 1708.

[19] République tunisienne (1978), « Décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence », Journal officiel de la République tunisienne, vol. 7, p. 210, https://legislation-securite.tn/fr/law/41237.

[9] République tunisienne (1969), « Loi n° 69-4 du 24 janvier 1969 réglementant les réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements », Journal officiel de la République tunisienne, https://legislation-securite.tn/sites/default/files/lois/Loi%20n%C2%B0%2069-4%20du%2024%20Janvier%201969%20%28Fr%29.pdf.

[6] République tunisienne (1957), Code de la justice militaire et textes annexés, Imprimerie officielle de la République tunisienne, https://www.droit-afrique.com/uploads/Tunisie-Code-2017-justice-militaire.pdf.

[4] République tunisienne (1913), Code pénal, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, https://legislation-securite.tn/fr/law/43760.

[25] Résolution 48/134 de l’Assemblée générale (1993), Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (les Principes de Paris), https://undocs.org/fr/A/RES/48/134.

[95] SNJT (2021), Communiqué commun, http://snjt.org/2021/09/08/%d8%a8%d9%8a%d8%a7%d9%86-%d9%85%d8%b4%d8%aa%d8%b1%d9%83/ (consulté le 26 octobre 2021).

[57] V-Dem (2020), Variable Graph, https://www.v-dem.net/data_analysis/VariableGraph/ (consulté le 12 janvier 2022).

[11] Voule, C. (2019), Visite en Tunisie : Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, https://undocs.org/fr/A/HRC/41/41/Add.3.

Notes

← 1. La Tunisie a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1969, ainsi que son premier protocole facultatif en 2011. La Tunisie est également partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples depuis 1983. Par ailleurs, la Tunisie a signé, mais n’a pas ratifié, la Charte arabe des droits de l’homme.

← 2. Ce décret-loi a par la suite été abrogé et remplacé par la loi organique n° 2016-22 relative au droit d’accès à l’information, voir Chapitre 4.

← 3. Entretiens avec les services de la Présidence du gouvernement en charge de la relation avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’Homme, 7 mai 2021 et 18 mai 2021.

← 4. Il est à noter que le décret-loi n° 2011-115 a été adopté avant la Constitution.

← 5. Article premier du décret-loi n° 2011-115.

← 6. D’après l’article 246 du Code pénal, il y a calomnie lorsque 1) le fait diffamatoire a été judiciairement déclaré non établi ; et que 2) le prévenu ne peut rapporter la preuve dudit fait dans le cas où la loi l’y autorise.

← 7. Loi n° 2001-1 du 15 janvier 2001 portant promulgation du Code des télécommunications.

← 8. Loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent.

← 9. Ces droits sont énoncés au paragraphe 7 de l’article 5 du Code pénal.

← 10. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 11. Ibid.

← 12. Ibid.

← 13. Il s’agit du décret gouvernemental n° 2019-1123 du 9 décembre 2019, portant fixation des conditions et des procédures d’octroi des incitations en matière de prévention de la corruption, et du décret gouvernemental n° 2019-1124 du 9 décembre 2019, portant fixation des mécanismes, des modalités et des critères d’attribution d’une récompense pécuniaire aux lanceurs d’alerte.

← 14. L’état d’urgence a été proclamé par le président Béji Caïd Essebsi à travers le décret présidentiel n° 2015-251 du 24 novembre 2015.

← 15. La Tunisie a par ailleurs également connu plusieurs périodes sous état d’urgence en 2012, 2013 et 2014, avec quelques interruptions.

← 16. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 17. Entretien avec un membre du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 11 mai 2021.

← 18. Ibid.

← 19. Ibid.

← 20. Ibid.

← 21. Entretien avec la Direction des relations avec les instances constitutionnelles, Présidence du gouvernement, 22 mars 2021 ; table ronde avec des associations œuvrant dans le domaine des droits humains, 26 mai 2021.

← 22. Entretien avec un ancien membre du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 11 mai 2021.

← 23. Dialogue parlementaire avec l’Instance nationale de prévention de la torture, avril 2021, consultable ici : https://majles.marsad.tn/ar/event/2021/04/16/09/plenaryhttps://majles.marsad.tn/ar/event/2021/04/16/09/plenary.

← 24. Entretiens avec plusieurs instances indépendantes, mai, juin et novembre 2021.

← 25. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 26. Décret présidentiel n° 2020-28 du 22 mars 2020, limitant la circulation des personnes et les rassemblements hors horaires du couvre-feu.

← 27. Entretien avec les services de la Présidence du gouvernement en charge des droits de l’homme, 7 mai 2021.

← 28. Séance plénière de dialogue de l’ARP avec la ministre de la Justice par intérim, 20 mai 2021, consultable ici : https://majles.marsad.tn/ar/event/2021/05/20/09/dialogue_session.

← 29. Entretien avec le ministère de la Justice, 3 décembre 2021.

← 30. Ibid.

← 31. Entretien avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Tunisie, 20 mai 2021 ; table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 32. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 33. Entretien avec le ministère de la Justice, 3 décembre 2021.

← 34. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 35. Ibid.

← 36. Ibid.

← 37. Voir Cour européenne des droits de l’homme, Reznik v. Russia, no. 4977/05, jugement du 4 avril 2013, par. 45.

← 38. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 39. Le calcul effectué par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) pour estimer le nombre de mouvements de protestation s’appuie sur la méthodologie suivante : l’unicité d’un mouvement est définie par un mode d’action, un lieu et une journée ; une protestation se déroulant dans plusieurs lieux sera comptabilisée comme étant plusieurs mouvements ; un mouvement ayant lieu sur plusieurs jours sera comptabilisé chaque jour ; une protestation utilisant différentes modes d’action sera comptabilisée une fois pour chaque action (FTDES, 2021[58]).

← 40. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 41. Ibid.

← 42. Entretien avec un ancien membre du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 11 mai 2021.

← 43. Entretien avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains en Tunisie, 20 mai 2021.

← 44. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 45. Entretien avec une organisation de défense des droits, 6 mai 2021.

← 46. Table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

← 47. Ibid.

← 48. Entretien avec le ministère de la Justice, 3 décembre 2021.

← 49. Entretien avec les services de la Présidence du gouvernement en charge des droits de l’homme, 7 mai 2021 ; table ronde avec des OSC œuvrant dans la défense des droits humains, 26 mai 2021.

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