Avant-propos

De nos jours, l’éducation ne consiste plus seulement à dispenser des enseignements aux élèves, mais à les aider à créer un cadre fiable et les outils nécessaires pour évoluer avec confiance dans un monde de plus en plus complexe, instable et incertain. Nous vivons dans un monde où les notions faciles à enseigner et à tester sont devenues faciles à numériser et à automatiser, et où la société ne récompense plus les élèves uniquement pour leurs connaissances, car Google sait tout, mais pour ce qu’ils peuvent faire de leurs connaissances. Les enseignants d’aujourd’hui doivent aider les élèves à réfléchir par eux-mêmes et à travailler avec les autres, et à développer leur identité, leur capacité d’agir et leurs objectifs.

C’est la raison pour laquelle nous attendons beaucoup de nos enseignants. Nous nous attendons à ce qu’ils aient une compréhension approfondie et excellente tant des matières qu’ils enseignent que des personnes auxquelles ils les enseignent, car ce que les enseignants connaissent et qui leur tient à cœur fait toute la différence dans l’apprentissage des élèves. Ils doivent avoir des connaissances professionnelles, comme la connaissance d’une discipline, la connaissance du programme d’études de cette discipline et la connaissance de la façon dont les élèves apprennent dans cette discipline, ainsi que des connaissances sur la pratique professionnelle afin qu’ils puissent créer le type d’environnement d’apprentissage qui mène à de bons résultats. Ils doivent avoir également des compétences en matière d’enquête et de recherche qui les aident à apprendre tout au long de leur vie et à évoluer dans leur profession. Les élèves ont moins de chance de devenir des apprenants à vie s’ils ne voient pas leurs enseignants comme des apprenants à vie actifs.

Certains aspects rendent le travail des enseignants beaucoup plus difficile et très différent de celui des autres professionnels. Les enseignants sont tenus d’être des experts multitâches car ils répondent à de nombreux besoins différents des apprenants en même temps. Ils exercent aussi leur profession dans une dynamique de classe qui est toujours imprévisible et ne leur laisse que trop peu de temps pour réfléchir à la façon de réagir. Par ailleurs, les actions d’un enseignant, même avec un seul élève, sont observées par de nombreuses personnes et peuvent déterminer la façon dont il est perçu dans l’établissement à l’avenir.

Nous attendons beaucoup plus des enseignants que ce qui apparaît dans leur description de poste. Nous nous attendons aussi à ce qu’ils soient passionnés, compatissants et réfléchis, stimulent l’engagement et la responsabilité des élèves, qu’ils répondent aux besoins différents d’élèves de milieux différents et favorisent la collaboration et la cohésion sociale, qu’ils fassent des évaluations et des commentaires régulièrement aux élèves et s’assurent que ces derniers se sentent valorisés et inclus. Surtout, la plupart des gens se souviennent d’au moins un de leurs enseignants qui s’intéressait vraiment à leur vie et à leurs aspirations, qui les a aidés à trouver leurs identités et à découvrir leurs passions, et qui leur a transmis le plaisir d’apprendre. Il s’agit précisément de ces aspects qui motivent la grande majorité des gens à devenir enseignants : selon l’Enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS), dans les pays et économies de l’OCDE participants, ce qui motive principalement neuf enseignants sur dix à embrasser la profession est la possibilité d’influencer le développement des enfants et de contribuer à la société.

Il semble que de nombreux systèmes scolaires peuvent faire davantage pour aider les enseignants à accomplir cette mission. Tout d’abord, les systèmes scolaires devraient s’intéresser davantage au point de vue professionnel des enseignants en tant qu’experts de l’enseignement et de l’apprentissage. Des enquêtes comme TALIS, qui font la part belle au point de vue des enseignants sur la manière dont l’enseignement et l’apprentissage peuvent être organisés pour obtenir les meilleurs résultats, restent encore assez rares.

Les lois, les réglementations, les structures et les institutions sur lesquelles la politique éducative tend à se concentrer ne sont que la partie émergée d’un immense iceberg. La raison pour laquelle il est si difficile de faire évoluer les systèmes éducatifs est que la partie immergée est beaucoup plus grande. Cette partie immergée est composée des intérêts, des croyances, des motivations et des craintes des personnes impliquées, y compris des enseignants. C’est à ce niveau qu’ont lieu des chocs inattendus, car cette partie tend à échapper au radar des politiques publiques.

Les décideurs réussissent rarement les réformes de l’éducation sauf s’ils aident les gens à reconnaître ce qui doit changer et assurent une compréhension commune et une appropriation collective du changement ; sauf s’ils concentrent les ressources, renforcent les capacités et créent le bon climat politique avec des mesures de responsabilisation conçues pour encourager l’innovation et le développement, plutôt que la conformité ; et sauf s’ils s’attaquent aux structures institutionnelles trop souvent centrées autour des intérêts et habitudes des systèmes plutôt que des apprenants. Lorsque les enseignants ne participent pas à la conception des changements, ils contribuent rarement à la mise en œuvre de ces changements.

Les points de vue des enseignants exprimés dans TALIS en disent long sur l’écart entre la vision et la pratique pédagogiques, entre les aspirations professionnelles et une organisation du travail encore très industrielle. Pour répondre à la demande croissante d’enseignants de qualité, les pays devront redoubler d’efforts non seulement pour rendre l’enseignement plus attrayant sur le plan financier, mais surtout sur le plan intellectuel, en soutenant mieux un métier d’enseignant composé de travailleurs aux connaissances avancées qui opèrent avec un degré élevé d’autonomie professionnelle et dans une culture collaborative. Cela signifie aussi offrir aux enseignants de meilleures chances de se préparer au monde de demain. Selon TALIS, un peu plus de la moitié des enseignants des pays et économies de l’OCDE participants ont reçu une formation à l’utilisation de la technologie à l’appui de l’enseignement, et moins de la moitié se sentent bien préparés lorsqu’ils intègrent la profession. Par contre, les deux tiers des enseignants ont déclaré que les activités de développement professionnel les plus percutantes auxquelles ils ont participé étaient axées sur l’innovation dans leur enseignement.

Au XXIe siècle, les systèmes éducatifs performants doivent faire tout ce qu’il faut pour que les enseignants s’approprient la pratique professionnelle. Je rencontre beaucoup de personnes qui me disent que nous ne pouvons pas donner plus d’autonomie aux enseignants et aux chefs d’établissement, car ils n’ont pas les capacités et l’expertise nécessaires pour produire des résultats. Il se peut que cela soit vrai. Il ne suffit pas de perpétuer un modèle normatif d’enseignement pour produire des enseignants créatifs : les personnes uniquement formées à réchauffer des hamburgers précuits ont peu de chances de devenir de grands chefs. En revanche, lorsque les enseignants éprouvent un sentiment de maîtrise vis-à-vis de leur classe et les élèves un sentiment de maîtrise vis-à-vis de leur apprentissage, l’enseignement devient efficace. La solution est donc de renforcer à la fois la confiance, la transparence, l’autonomie professionnelle et la culture collaborative de la profession.

Le modèle industriel de la scolarisation rend le changement beaucoup trop lent dans un monde en rapide évolution. Même le meilleur ministre de l’Éducation ne peut plus répondre aux besoins de millions d’élèves, de centaines de milliers d’enseignants et de dizaines de milliers d’établissements. Le défi à relever consiste à tirer parti de l’expertise des enseignants et des chefs d’établissement et à les faire participer à la conception de politiques et de pratiques de qualité. Imaginez une communauté immense et libre d’enseignants au sein de laquelle ils peuvent échanger leurs idées et leurs pratiques, et qui libère la créativité des enseignants simplement en puisant dans le désir des gens de contribuer, de collaborer et d’être reconnus pour leurs contributions. Il s’agit du prochain projet TALIS dans le cadre duquel l’OCDE créera une vidéothèque mondiale de l’enseignement, appelée l’initiative « Regards sur les pédagogies dans le monde ».

Il est évident pour moi que la qualité d’un système éducatif ne peut jamais dépasser celle de ses enseignants. Ainsi, attirer, former et retenir les meilleurs enseignants est le plus grand défi que les systèmes éducatifs ont à relever. Pour le mener à bien, les gouvernements peuvent se tourner vers d’autres secteurs de nos sociétés afin de s’inspirer de la façon dont ils forment leurs équipes. Ils savent qu’ils doivent prêter attention à la façon dont le vivier de recrutement et de sélection de leur personnel est constitué ; au type de formation initiale que reçoivent leurs recrues avant d’être sur le marché du travail ; à la façon d’encadrer les enseignants débutant à l’aide du tutorat et de les initier à leur nouvel emploi ; au type de formation continue que reçoivent leurs employés ; à la façon dont leur rémunération est structurée ; à la façon dont ils récompensent leurs meilleurs éléments et dont ils améliorent les performances des personnes en difficulté ; et aux possibilités qu’ils peuvent offrir à leurs meilleurs éléments pour qu’ils obtiennent un meilleur statut et assument plus de responsabilités.

TALIS nous rappelle que de nombreux enseignants et établissements sont prêts à cela. Pour favoriser leur croissance, les politiques éducatives doivent inspirer, permettre l’innovation, identifier et permettre l’échange des meilleures pratiques. Ce changement de politique devra être ancré dans la confiance : il faudra faire confiance à l’éducation, aux établissements d’enseignement, aux écoles et aux enseignants, aux élèves et aux collectivités. Dans tous les services publics, la confiance est un élément essentiel de la bonne gouvernance. Les établissements qui réussissent sont toujours ceux où des employés formidables souhaitent travailler, où leurs idées peuvent se matérialiser au mieux, des établissements où ils inspirent confiance et dans lesquels ils peuvent avoir confiance.

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Andreas Schleicher

Directeur de la Direction de l’éducation

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