3. L’avenir des modalités de travail flexibles

Depuis quelques années, et surtout depuis la pandémie de COVID-19, on observe un recours accru aux modalités de travail flexibles au sein de la fonction publique. Celles-ci existaient déjà, mais elles se sont largement généralisées pendant la pandémie et les confinements entraînés par cette dernière dans différentes régions du monde. Pour la plupart des agents publics, cette flexibilité s’est traduite de deux façons : l’adaptation des horaires de travail et/ou l’adaptation du lieu de travail, qui passait souvent par le travail à domicile. Les premiers jours de la pandémie de COVID-19 ont représenté un moment déterminant pour les administrations publiques, qui leur a permis de mieux percevoir les aspects positifs de cette flexibilité tout comme les limites et les risques associés.

À présent que la pandémie perd du terrain, l’administration est à la croisée des chemins. Les modalités de travail flexibles instaurées pendant la crise du COVID-19 peuvent être adaptées ou pérennisées, ce qui est susceptible d’accroître la productivité et la satisfaction du personnel. Dans le secteur privé comme dans le secteur public, la question du « bon nombre de jours » où les salariés devraient raisonnablement être présents au bureau suscite beaucoup d’interrogations. Il s’agit d’un sujet important, mais se concentrer uniquement dessus reviendrait à négliger les enjeux plus vastes sous-tendant l’évolution essentielle qui attend la fonction publique.

À l’avenir, les administrations publiques devront trouver un juste milieu entre le retour à l’organisation pré-pandémie (c’est-à-dire n’autoriser le travail à distance que dans des circonstances exceptionnelles) et la définition d’une « nouvelle normale » axée sur une individualisation accrue des modalités de travail, notamment plus de flexibilité s’agissant des horaires et du lieu de travail. Cette individualisation fait naître de nouvelles interrogations : quels emplois sont plus adaptés aux modalités de travail flexibles ? Comment promouvoir la confiance dans les relations interpersonnelles ? Et quelle est la meilleure méthode de gestion du personnel dans ce nouvel environnement ?

La Recommandation de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique aborde certaines de ces questions en appelant les adhérents à la Recommandation à étudier et à mettre en place des dispositifs d’emploi public réactifs et adaptables.

Cette « nouvelle normale » en est encore à ses balbutiements dans la plupart des pays de l’OCDE : des analyses approfondies et à plus long terme sont menées en ce qui concerne ses implications pour la productivité, le bien-être et les environnements de travail des employeurs comme des employés (voir  (Edelmann, Schossboeck et Albrecht, 2021[2]) pour un aperçu de la recherche récente). La Recommandation de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique souligne que les administrations publiques doivent s’efforcer de « mettre en place des formules de travail adaptables et à distance, lorsque c’est possible et que cela correspond aux besoins de l’organisation, afin de renforcer la productivité » (OCDE, 2019[1]). Cette recommandation, adoptée avant la pandémie, insiste sur l’intérêt que présentent les modalités de travail flexibles pour renforcer la mobilité et l’adaptabilité des agents publics.

Dans le présent chapitre, on utilise les données issues de l’enquête de l’OCDE sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique pour décrire la situation actuelle en ce qui concerne les modalités de travail flexibles dans tout l’OCDE.

Les modalités flexibles permettant d’adapter les horaires et le lieu de travail dans les administrations publiques ne sont pas apparues avec la pandémie de COVID-19. Des expérimentations en matière de travail à distance ont été menées dans l’administration aux États-Unis dès les années 1970, et en 1996, l’administration fédérale américaine lançait la National Telecommuting Initiative (« initiative nationale pour le télétravail »). Cette dernière avait pour objectif d’instaurer le travail à distance à temps partiel pour 60 000 agents fédéraux au plus tard en octobre 1998, chiffre qui devait passer à 160 000 avant la fin de l’année 2002 (Wendell Joice, 2000[8]). Plus récemment, lors de la présidence autrichienne du Conseil de l’Union européenne en 2018, le réseau des administrations publiques européennes (EUPAN) a publié un rapport sur les modalités de travail flexibles dans les administrations publiques de l’UE (Korunka, Kubicek et Risak, 2018[7]). Ce rapport accordait une attention particulière aux types de modalités proposées, aux personnes qui en bénéficiaient et à l’étendue des systèmes en place. L’étude montre qu’avant la pandémie, de nombreuses méthodes d’adaptation des horaires et du lieu de travail étaient mises en œuvre dans l’UE mais qu’elles ne concernaient généralement qu’un petit nombre d’agents publics. Beaucoup de pays possédaient donc déjà la base juridique et opérationnelle pour appliquer ces modalités, qui ont ainsi pu être adaptées et utilisées à une plus grande échelle assez rapidement lorsque la pandémie s’est déclarée. Toutefois, il est difficile de comparer ce jeu de données avec celui qui figure dans le présent rapport en raison de la différence de portée des questions et du nombre de personnes interrogées.

Alors que les administrations publiques devaient s’adapter, souvent du jour au lendemain, à la pandémie de COVID-19 et aux confinements imposés dans plusieurs pays de l’OCDE, le travail à distance a perdu son caractère exceptionnel pour devenir l’organisation par défaut d’un grand nombre d’agents publics. Dans près des deux tiers des pays de l’OCDE, plus de 60 % du personnel de l’administration centrale/fédérale a travaillé à distance pendant la première vague de COVID-19 (OCDE, 2020[9]). Cette situation est devenue la nouvelle norme dans beaucoup d’administrations publiques de la zone OCDE : en 2020, seules 14 % d’entre elles prévoyaient une diminution du recours aux modalités de travail à distance.

L’ampleur prise par les pratiques de travail à distance pendant la pandémie a montré qu’il était possible de continuer d’y avoir recours à la sortie de la crise et à plus long terme. Mais certaines limites du travail à distance dans les administrations publiques ont tout de même été mises en évidence :

  • premièrement, celui-ci n’est pas adapté à tous les postes. Environ deux tiers des emplois relevant de la catégorie « administration publique et défense » seraient compatibles avec le travail à distance. Les postes moins compatibles correspondent généralement à des emplois manuels. Le travail à distance est davantage possible dans des domaines comme la finance (93 % des emplois), la communication (79 %) ou l’éducation (68 %) que dans l’agriculture, la construction ou les activités extractives, puisque moins de 20 % des emplois y sont compatibles avec ce mode d’organisation (Centre commun de recherche, 2020[10]) ;

  • deuxièmement, tous les emplois pouvant être exercés à distance ne le sont pas obligatoirement. Ce décalage est parfois dû à des directives données explicitement par l’employeur ou par des attentes implicites de la part de l’encadrement ou des collègues concernant la présence au bureau ;

  • troisièmement, tous les salariés ne sont pas nécessairement intéressés par les modalités de travail flexibles. Une étude menée avant la pandémie de COVID-19 a montré qu’en moyenne, les salariés étaient prêts à accepter une diminution de salaire de 8 % s’ils pouvaient travailler à distance, pourcentage qui a pu augmenter depuis. Ce résultat est toutefois nuancé par le fait que 20 % des salariés témoignaient peu d’intérêt pour le travail à distance en l’absence de compensation financière (Mas et Pallais, 2017[11]).

Le travail à distance pendant la pandémie a eu deux effets principaux sur la relation entre employeurs et salariés. Dans l’ensemble, l’organisation du travail était alors plus flexible pour tenir compte des contraintes liées à l’école à la maison pendant les confinements, à l’état de santé des agents et aux soins éventuels qu’ils devaient apporter à leurs proches. Puisque les responsables n’avaient que peu de moyens de surveiller l’activité des agents travaillant à distance, la relation employeur-salarié reposait davantage sur la confiance que si ces derniers avaient été au bureau. Cette évolution s’est répercutée sur trois types de relations : celle entre le salarié et son responsable, entre le salarié et ses collègues, et entre le salarié et l’organisation dans son ensemble.

  • Relation responsable-salarié : beaucoup d’agents publics souhaitent bénéficier de modalités de travail flexibles, et les cadres dirigeants doivent donc posséder les compétences et les outils adaptés pour gérer des effectifs en format hybride. Afin de garantir l’efficacité des équipes hybrides, il convient de prendre en considération différents enjeux, tels que l’intégration des personnes travaillant à distance pour qu’elles ne soient pas injustement pénalisées par rapport aux agents sur place. Les responsables doivent avoir accès à une formation, à des directives et à des outils leur permettant de communiquer efficacement et de bâtir la confiance avec leurs équipes s’ils veulent s’adapter aux modalités de travail flexibles.

  • Relation entre les salariés : l’absence d’interactions en face à face, ou leur rareté, peut également nuire aux relations interpersonnelles entre collègues. Le travail à distance complique l’organisation d’interactions informelles en face à face, qui sont de toute façon plus artificielles que les rencontres fortuites à la machine à café. Lorsque les agents ont des horaires de travail différents, prévoir des moments en commun pour permettre les interactions en face à face peut contribuer à rendre les modalités de travail hybrides plus épanouissantes.

  • Relation salarié-organisation : enfin, les salariés doivent être confiants quant au fait que leur employeur (l’organisation) élaborera et appliquera des modalités de travail flexibles de façon équitable pour l’ensemble des effectifs. Si les salariés ne sont pas ou peu consultés, les modalités de travail flexibles peuvent saper la confiance dont jouit l’organisation et provoquer des frictions entre les équipes.

Dans toute la zone OCDE, la fonction publique essaie désormais d’appliquer les enseignements tirés de la pandémie à une « nouvelle normale » dans laquelle les agents publics réclament un meilleur accès aux modalités de travail flexibles. Aujourd’hui, une grande majorité de pays de l’OCDE s’attendent à voir les agents publics solliciter et utiliser davantage les modalités de travail à distance, soit à temps partiel, comme dans 86 % des pays, soit à temps plein, comme dans 59 % des pays (Graphique ‎3.2). Les données suggèrent l’émergence d’un consensus autour d’un modèle hybride permettant aux agents publics de travailler partiellement à distance et de venir au bureau le reste du temps. Néanmoins, les effets de la pandémie sur le recours aux horaires de travail flexibles restent à déterminer. Une majorité de pays prévoient une demande stable pour ce type de modalités ou ne sont pas en mesure de se prononcer. Dans les deux cas, presque aucun pays de l’OCDE ne s’attend à voir diminuer les demandes de recours aux modalités de travail flexibles de la part des agents.

Dans l’ensemble, les administrations publiques ont pu s’appuyer sur des modalités déjà existantes pour faire face aux nouveaux enjeux liés à la pandémie et pour répondre aux nouvelles attentes des agents concernant le renforcement de la flexibilité après la pandémie. Peu d’éléments indiquent que des mesures et outils inédits ont été mis en place pendant la pandémie afin de faciliter l’adaptation des horaires de travail des agents, comme le montre le Graphique ‎3.3. Toutefois, certains pays tels que la Finlande et la Lituanie ont élaboré de nouvelles mesures susceptibles de perdurer à long terme pour la quasi-totalité des modalités de travail flexibles mises en avant. La situation est différente en ce qui concerne le travail à distance, puisque de nouvelles mesures ont été mises en œuvre pendant la pandémie dans plus de 75 % des pays de l’OCDE. Toutefois, 35 % des pays prévoient de revenir sur les modalités récemment introduites régissant le travail à distance à temps plein.

La pandémie de COVID-19 a également permis aux administrations publiques d’analyser les avantages et les risques liés aux modalités de travail flexibles. Le Graphique ‎3.4 met en lumière les facteurs qui promeuvent le développement des pratiques de travail flexibles : parmi les pays de l’OCDE, 78 % évoquent l’amélioration de la productivité de l’organisation comme un élément clé en faveur des mesures de flexibilité du travail, tandis que 72 % citent l’amélioration du bien-être des salariés, 61 % l’évolution des attentes des salariés et 50 % l’évolution des attentes des candidats. En d’autres termes, ces modalités de travail flexibles sont considérées comme des outils pour rendre la fonction publique plus efficace et capable d’attirer et de retenir les talents dont elle a besoin. Au Portugal, par exemple, l’administration a demandé aux hauts fonctionnaires et aux autres agents publics de donner leur avis sur leur expérience du travail à distance. Les agents publics hors hauts fonctionnaires ont indiqué que le temps de transport gagné et l’amélioration de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle étaient les principaux avantages des modalités de travail flexibles. Parmi les inconvénients, le manque de contacts professionnels, l’augmentation des coûts à la charge des agents et l’allongement du temps de travail ont été cités en priorité (DGAEP, 2021[12]). Il est probablement encore trop tôt pour déterminer si les avantages des modalités de travail flexibles l’emportent sur leurs inconvénients, mais on peut affirmer sans hésiter que celles-ci comportent des points positifs et des points négatifs évidents. Si l’on souhaite en exploiter tous les avantages et atténuer tous les risques qui y sont liés, il est nécessaire d’instaurer une communication fluide entre les agents et l’encadrement, ainsi que de continuer à expérimenter et à collecter des données pour trouver un terrain d’entente.

Récemment encore, le travail à distance était l’exception plutôt que la règle. Cependant, aujourd’hui, après la pandémie de COVID-19, tous les pays de l’OCDE autorisent dans une certaine mesure le travail à distance à temps partiel (généralement en imposant un nombre minimal de jours de présence au bureau). Plus des trois quarts des pays (76 %) ont même mis en place le travail à distance à temps plein sous certaines conditions (Graphique ‎3.5). Avant 2020, le travail à distance n’était pas une pratique répandue dans les administrations publiques. Toutefois, l’ampleur qu’il a pris pendant la pandémie de COVID-19 a montré que la confiance, autant entre les responsables et les agents qu’entre les agents et leur organisation, était un facteur essentiel de flexibilité en matière d’adaptation des horaires et du lieu de travail. Nombre d’administrations publiques ont encore des difficultés à définir le « bon nombre » de jours de travail à distance par semaine, mais il est important d’intégrer ces modalités dans une stratégie cohérente d’attraction, de mobilisation et de rétention du personnel.

Si l’on compare avec les modalités de travail à distance, les administrations publiques semblent avoir utilisé ou mis en place moins de mesures favorables à la flexibilité des horaires de travail pendant la pandémie de COVID-19 (mais les données ne rendent pas compte des arrangements informels entre cadres dirigeants et agents ayant permis à ceux-ci d’adapter leurs horaires pour s’occuper de leurs enfants pendant le confinement, par exemple). Pourtant, certaines modalités visant à adapter les horaires de travail existaient depuis longtemps et nécessitaient donc moins d’adaptation sur le plan technique. Par exemple, les horaires individualisés sont d’usage dans 94 % des pays de l’OCDE. Le système d’horaires individualisés s’organise concrètement de la façon suivante : les agents publics doivent obligatoirement travailler pendant une plage horaire définie, et peuvent organiser leur temps de travail à leur convenance sur les autres plages horaires. En Norvège, par exemple, la plupart des agents publics doivent être au bureau entre 9 h et 14 h 30, mais organisent le reste de leurs heures de travail comme ils le souhaitent. Le travail à temps partiel est également une pratique ancienne : 94 % des pays de l’OCDE l’autorisent sous conditions, et 44 % permettent à tous les agents publics de travailler à temps partiel. Ce dispositif est important pour les personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas travailler à temps plein, souvent en raison de leur situation familiale, car il peut représenter leur seul moyen d’accéder au marché du travail. Dans la zone euro, la fonction publique possède un taux plus élevé de travail à temps partiel que d’autres branches de l’économie (Banque centrale européenne, 2018[13]). Cette modalité, qu’elle soit volontaire ou subie par les salariés, est largement utilisée sur le marché du travail général dans la zone OCDE : en moyenne, 16.5 % des salariés sont concernés, pourcentage qui monte à 36 % aux Pays-Bas (OCDE, 2022[14]).

La semaine de travail comprimée et le temps de travail fondé sur la confiance sont des modalités d’organisation du temps qui demeurent moins proposées que d’autres, et elles ne concernent généralement qu’une part réduite des agents publics. Par exemple, au Portugal, seules certaines professions chargées de missions spécifiques, comme la réalisation d’études, peuvent bénéficier du temps de travail fondé sur la confiance.

Toutefois, même si elles sont moins utilisées que les modalités relatives au lieu de travail, les modalités concernant les horaires font l’objet d’expérimentations dans l’OCDE et gagnent du terrain. En France, le ministère de la Transition écologique et le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales ont mené une expérience concernant la semaine de travail comprimée entre 2019 et juin 2022. Les agents souhaitant reprendre progressivement une activité à temps plein après un changement de situation familiale se voyaient offrir la possibilité de condenser une semaine de travail en quatre jours.

Au sein de la zone OCDE, la prise de décisions au sujet de modalités comme le temps de travail fondé sur la confiance et le travail à distance à temps partiel et à temps plein est répartie quasi équitablement entre les niveaux central et ministériel (Graphique ‎3.6). 56 % des pays de l’OCDE organisent le travail à temps partiel au niveau national. Lorsque cela est possible, les différents ministères sont chargés de fixer les conditions dans lesquelles la semaine de travail comprimée ou les horaires individualisés peuvent être instaurés. Dans tous ces cas, même lorsque la réglementation est conçue au niveau national, sa mise en œuvre relève souvent des ministères. Cela garantit un niveau minimum d’accord sur ce qui est possible et dans quelles conditions, les ministères étant responsables de l’application concrète des textes en fonction du contexte et de la réalité du terrain. L’administration centrale peut avoir un rôle particulier à jouer pour assurer la cohérence de la mise en œuvre dans tous les ministères et pour apporter un soutien aux organisations et aux responsables. Ce soutien peut, par exemple, prendre la forme d’orientations sur le travail à distance ou de formation en gestion inclusive pour limiter les préjugés éventuels contre les agents choisissant de travailler à temps partiel.

Au sein de l’OCDE, dans la plupart des cas où des modalités de travail flexibles sont proposées, les employeurs peuvent empêcher leurs salariés d’y avoir recours (Graphique ‎3.7). Seuls le Mexique et la Corée considèrent au moins trois modalités comme des droits pour les salariés. Par conséquent, l’intégration de modes de travail flexibles exige un dialogue constant entre les employeurs et les salariés. Dans plus de 70 % des pays de l’OCDE, les employeurs publics n’ont pas besoin de justifier les refus opposés aux demandes des salariés qui souhaiteraient bénéficier de semaines de travail comprimées, d’horaires individualisés ou d’une organisation du travail fondée sur la confiance. Le travail à temps partiel est une exception car il s’agit d’un droit que les agents publics peuvent faire valoir dans 26 % des pays de l’OCDE, et d’une possibilité dont le refus doit être justifié dans 26 % des pays.

Cela souligne la nécessité de trouver un équilibre entre l’autonomie devant être accordée aux salariés pour qu’ils utilisent ces outils à leur convenance, et le contrôle que les responsables doivent conserver sur le recours aux dispositifs flexibles en fonction des besoins opérationnels. Pour gérer cette situation, il est essentiel d’instaurer un dialogue honnête entre l’encadrement et les agents au sujet des meilleures méthodes de travail. Dans ce contexte, certaines institutions australiennes ont mis en place une stratégie dénommée « si c’est non, il faut une raison » (if not, why not) : les responsables doivent justifier tout refus d’une demande émanant d’un salarié. En outre, même si le travail à distance est répandu au sein des administrations publiques, il ne représente un droit pour les agents qu’en Corée, en Italie et en Slovénie. Les employeurs sont toutefois contraints d’en faire bénéficier certains membres du personnel, comme les personnes en situation de handicap. Cette distinction est assez courante au sein de la zone OCDE, puisqu’une protection renforcée est accordée aux agents qui viennent d’avoir un enfant, s’occupent d’un parent ou sont en situation de handicap.

Pour les administrations publiques, l’objectif n’est pas seulement de proposer à leurs agents des modalités de travail flexibles, mais aussi de faire en sorte que leur utilisation s’inscrive dans une stratégie plus vaste de planification des effectifs. Intégrer les modes de travail flexibles dans des stratégies plus larges passe par l’équilibre entre la liberté des agents d’y avoir recours et les besoins en matière d’organisation, qui imposent d’établir certaines limites quant à leur utilisation par l’ensemble des effectifs. Les données relatives au travail à temps partiel et à distance sont respectivement collectées au niveau central ou ministériel dans 88 % et 76 % des pays de l’OCDE qui ont mis en œuvre ces modalités. Ces chiffres baissent en ce qui concerne les horaires individualisés (63 %), le temps de travail fondé sur la confiance (50 %) et la semaine de travail comprimée (41 %).

Collecter davantage de données et les utiliser plus efficacement contribue aussi à l’inclusion. Par exemple, les données peuvent servir à fixer le cap de l’action publique pour faire en sorte que le travail à distance ne devienne pas une charge pour certaines catégories de la population, pour des raisons personnelles ou économiques. On peut notamment citer les effets négatifs du travail à distance sur la répartition genrée des responsabilités domestiques et familiales, mis en lumière par la pandémie. Dans 25 pays de l’OCDE, 61.5 % des mères d’enfants de moins de 12 ans ont déclaré qu’elles assumaient la majorité ou l’intégralité du travail domestique supplémentaire, contre seulement 22.4 % des pères (OCDE, 2021[15]). Une autre étude menée au Royaume-Uni a révélé que pendant les confinements, les mères avaient été 50 % plus interrompues dans leur travail que les pères (Andrew et al., 2020[16]). Néanmoins, ces résultats traduisent une situation très spécifique, puisque la plupart des solutions de garde d’enfant étaient alors limitées ou inaccessibles.

Certains pays de l’OCDE se penchent également sur la question de l’inclusion en essayant d’atténuer les coûts liés au travail à distance généralisé : plus d’un tiers d’entre eux (38 %) ont pris des mesures pour compenser les dépenses entraînées par le travail à distance, que ce dernier soit obligatoire, comme dans 32 % des pays, ou volontaire, comme dans 22 % des pays (Graphique ‎3.9). Les administrations centrales belge et française ont mis en place des indemnités à cet effet. En Belgique, les agents travaillant à distance au moins 5 jours par mois perçoivent une indemnité mensuelle de 50 EUR, tandis que cette indemnité s’élève à 2.88 EUR par jour de travail à distance en France (avec un plafond de 253.44 EUR par an). Alors que la majeure partie des pays de l’OCDE fournissent du matériel technique de base permettant de travailler à distance, comme des ordinateurs portables, d’autres éléments peuvent atteindre un montant bien supérieur à celui de l’indemnité obligatoire, notamment les casques téléphoniques, les chaises et bureaux ergonomiques ou l’éclairage.

La réglementation relative au travail à distance a connu une évolution radicale pour les salariés des secteurs public et privé (Eurofound, 2022[17]). Toutefois, les pays ont adopté des approches et des processus différents pour redéfinir les règles en vigueur. Certains, comme la France ou les Pays-Bas, ont choisi de fonder cette réglementation sur la négociation collective dans les secteurs public comme privé. Les pays nordiques, quant à eux, ont eu recours à des accords collectifs par secteur. Ces différentes approches soulignent la pertinence et l’importance de la négociation collective pour poser les fondements de l’avenir du travail.

La réglementation au sujet du travail flexible peut prendre la forme de chartes ou de codes de conduite permettant d’encadrer ses modalités et les attentes associées. Des chartes et des codes de conduite ont déjà été adoptés dans 65 % des pays de l’OCDE (Graphique ‎3.10). Parmi ces pays, dans 59 % des cas, seuls les ministères ont conçu et mis en œuvre ces textes, ce qui peut provoquer des variations concernant leurs implications. Les 41 % restants disposent d’une charte centrale qui peut être complétée et renforcée par des chartes ministérielles.

Les chartes relatives au travail flexible se concentrent sur les protocoles de sécurité applicables aux documents et aux données (dans 96 % des pays de l’OCDE), sur les horaires de travail attendus (79 %) et sur les protocoles permettant aux responsables de gérer les effectifs à distance (63 %), comme le montre le Graphique ‎3.11. L’accent mis sur les horaires de travail attendus souligne l’importance de la confiance dans la mise en œuvre des modalités de travail flexibles. Cela indique également que la frontière entre horaires travaillés et non travaillés est très fine, et qu’il est difficile de séparer l’espace de travail au domicile de l’environnement personnel. Tout cela peut créer une situation de « travail sans fin » (Eurofound et Bureau international du Travail., 2017[18]).

Le concept de « droit à la déconnexion » tente d’apporter une réponse à la question de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle dans un monde hybride. Il désigne le droit des salariés à s’abstenir d’avoir des échanges professionnels en dehors des horaires normaux de travail. Plus d’un tiers des pays de l’OCDE disposent déjà de dispositions légales pour garantir le droit à la déconnexion, dans le cadre de la législation ou d’accords collectifs (Graphique ‎3.12). L’une des difficultés associée est de trouver une définition des « horaires de travail » qui ne soit pas trop rigide, de façon à permettre une certaine flexibilité du point de vue des agents. Au Portugal, la loi n° 83/2021 du 6 décembre a modifié le régime du télétravail et amendé le code du travail. L'article 199-A ajouté au code du travail par cette loi mentionne que « l'employeur a le devoir de s'abstenir de contacter les travailleurs pendant la période de repos, sauf en cas de force majeure ». Ce droit récent n’est pas encore véritablement appliqué dans toute la zone OCDE.

L’augmentation de la flexibilité en matière d’horaires et de lieu de travail pousse les administrations publiques à repenser leur utilisation des espaces de bureaux. Au sein de la zone OCDE, 59 % des pays travaillent sur l’adaptation aux modes de travail flexibles, majoritairement en modifiant leur espace de bureaux actuel ou en repensant l’organisation des bureaux. En outre, 38 % des pays de l’OCDE cherchent à se tourner davantage vers une organisation flexible des bureaux ou à créer des espaces partagés entre les services ou les organisations (27 %). La Finlande prévoit d’utiliser toutes ces modalités en matière d’espace de bureaux, car le COVID-19 a renforcé une tendance à la déconcentration géographique des bureaux qui existait déjà dans une moindre mesure.

Les pays sont moins nombreux à envisager de tirer parti des modes de travail flexibles pour repenser l’organisation des bureaux, soit en réduisant l’espace de bureaux (27 % des pays de l’OCDE), soit en déménageant les bureaux dans d’autres régions (11 % d’entre eux). Alors que les aspirations des citoyens prennent une dimension de plus en plus locale, relocaliser les espaces de bureaux des capitales où la vie est chère vers des centres urbains plus abordables comporte plusieurs avantages : les services sont plus près du terrain, il est plus facile d’attirer les talents résidant hors des capitales et les dépenses opérationnelles sont réduites, comme le montre l’Encadré ‎3.3.

Les modalités de travail flexibles peuvent comporter de nombreux avantages, mais elles entraînent également des difficultés spécifiques pour les salariés et les employeurs. Davantage d’agents publics ont recours à des modes de travail flexibles plus diversifiés, et s’il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif de ces pratiques, quelques éléments marquants se dégagent.

Premièrement, il est manifeste que la confiance joue un rôle clé dans le développement des modalités de travail flexibles. Il peut donc être nécessaire d’aider les cadres dirigeants à adapter leur façon traditionnelle de gérer les équipes, afin qu’ils mettent l’accent sur la confiance plus que sur le contrôle. Les organisations peuvent également être conduites à mettre à jour les cadres de gestion de la performance pour valoriser les accomplissements et les résultats. Il est important de garantir la fluidité de la communication entre salariés et cadres dirigeants (ainsi que leurs représentants au sein des associations professionnelles, syndicats, etc.) au sujet de l’évolution des préférences et des besoins en matière de travail, afin d’alimenter des échanges constructifs.

Deuxièmement, l’efficacité des modes de travail flexibles peut dépendre du degré d’autonomie dont les salariés ont l’impression de disposer. La réglementation garantissant un droit à la déconnexion, par exemple, peut manquer son but si les salariés ressentent une pression implicite à consulter leur messagerie électronique en dehors des horaires de travail. Quant au travail à temps partiel, il peut également être dévoyé de son objectif si les salariés, ou certaines catégories de salariés (plus vraisemblablement les hommes que les femmes), choisissent de ne pas y avoir recours de crainte que cela ne nuise à leur carrière.

Troisièmement, cette tendance à l’individualisation des préférences et des conditions de travail semble vouée à perdurer. Il est donc nécessaire de renforcer la consultation entre les hauts responsables, les cadres dirigeants et les services de ressources humaines pour mettre au point des mesures de gestion flexible des effectifs. Les modalités de travail hybrides sont populaires auprès de nombreux agents publics, mais elles ont aussi leurs détracteurs. Au moment de l’élaboration des futures modalités de travail flexibles, il convient d’écouter toutes les personnes concernées dans le respect des principes de productivité, de mobilisation et de bien-être.

Enfin, il est probable que les modalités de travail flexibles ne séduisent pas seulement les agents publics en poste, mais aussi d’éventuels et de futurs candidats. Face à un marché du travail saturé et concurrentiel, la fonction publique ne se rendrait pas service si elle faisait marche arrière sur certains facteurs clés de flexibilité. En effet, ces derniers relèvent désormais de l’évidence pour les profils très demandés qu’elle recherche, notamment dans les domaines numérique et informatique.

Références

[16] Andrew et al. (2020), « How are mothers and fathers balancing work and family under lockdown? Institute for Fiscal Studies ».

[5] Bambra, C. et al. (2008), « « A hard day’s night? » The effects of Compressed Working Week interventions on the health and work-life balance of shift workers: a systematic review », Journal of Epidemiology & Community Health, vol. 62/9, pp. 764-777, https://doi.org/10.1136/jech.2007.067249.

[13] Banque centrale européenne (2018), Economic Bulletin.

[10] Centre commun de recherche (2020), Who can telework today? The teleworkability of occupations in the EU.

[12] DGAEP (2021), A adaptação dos modelos de organização do trabalho na Administração Pública Central durante a pandemia COVID-19: Dificuldades e oportunidades.

[2] Edelmann, N., J. Schossboeck et V. Albrecht (2021), « Remote Work in Public Sector Organisations: Employees’ Experiences in a Pandemic Context », DG.O2021: The 22nd Annual International Conference on Digital Government Research, https://doi.org/10.1145/3463677.3463725.

[17] Eurofound (2022), Telework in the EU: Regulatory frameworks and recent updates, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg.

[3] Eurofound (2012), Fifth European Working Conditions Survey, Publications Office of the European Union, Luxembourg, https://www.eurofound.europa.eu/sites/default/files/ef_publication/field_ef_document/ef1182en.pdf.

[4] Eurofound (2009), European Company Survey 2009: Part-time work in Europe, Publications Office of the European Union, Luxembourg, https://www.eurofound.europa.eu/sites/default/files/ef_files/pubdocs/2010/86/en/3/EF1086EN.pdf.

[18] Eurofound et Bureau international du Travail. (2017), Working anytime, anywhere: The effects on the world of work.

[7] Korunka, C., B. Kubicek et M. Risak (2018), New Way of Working in Public Administration, Austrian Presidency of the Council of the European Union/Federal Ministry for the Civil Service and Sport DG III – Civil Service and Administrative Innovation, Vienna, In cooperation with Members of the European Public Administration Network (EUPAN), https://www.eupan.eu/wp-content/uploads/2019/05/Study_New_Way_of_Working_in_Public_Administration.pdf.

[11] Mas, A. et A. Pallais (2017), « Valuing Alternative Work Arrangements ».

[14] OCDE (2022), Taux d’emploi à temps partiel, https://doi.org/10.1787/daef0ffa-fr (consulté le 22 mars 2022).

[15] OCDE (2021), « Les responsabilités familiales et domestiques en temps de crise : Inégalités femmes-hommes en matière de travail rémunéré et non rémunéré pendant la pandémie de COVID-19 », Les réponses de l’OCDE face au coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4501fad6-fr.

[9] OCDE (2020), Enquête sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique.

[1] OCDE (2019), Recommandation du Conseil sur le leadership et les aptitudes de la fonction publique, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/gov/emploi-public/recommendation-on-public-service-leadership-and-capability.htm.

[6] Singe, I. et R. Croucher (2003), « The management of trust‐based working time in Germany », Personnel Review, vol. 32/4, pp. 492-509, https://doi.org/10.1108/004834480310477551.

[8] Wendell Joice (2000), The Evolution of telework in the Federal Government.

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