4. Le processus d’innovation au service du développement

Les recherches menées sur l’innovation dans un grand nombre de secteurs montrent que, si chaque processus d’innovation est unique, des tendances communes émergent concernant l’évolution des innovations, depuis l’idée initiale jusqu’à l’obtention d’un impact sur les activités opérationnelles et stratégiques. Selon l’enquête menée auprès d’eux, l’ensemble des membres du CAD ont connaissance des processus d’innovation par étapes à valider (modèle Stage-Gate) et sont conscients de leur rôle dans le passage du développement d’une idée à son expérimentation à échelle réelle.

Les organisations qui innovent avec succès sont celles qui sont à même de cerner les questions, problèmes et opportunités spécifiques auxquels il convient d’allouer des ressources. Dans certains contextes, cette capacité s’appuie sur la connaissance des besoins, sur la base des domaines dans lesquels les approches standard échouent depuis longtemps, de manière récurrente ou depuis peu. Dans d’autres contextes, le fait de savoir ou de découvrir qu’une nouvelle solution est envisageable peut permettre de prendre conscience qu’il existe une possibilité d’innover. La mise en évidence de problèmes et d’opportunités nécessite des ressources, des processus bien définis pour l’analyse des difficultés et les moyens de se mettre d’accord sur les priorités à observer pour déclencher des efforts ultérieurs en matière de recherche et de découverte.

L’enquête et les études de cas mettent en évidence une multitude de défis considérés par les membres du CAD comme des priorités pour l’innovation ; c’est le cas de la santé, du climat, de la biodiversité, des droits de la personne, du handicap, de la démocratie, de la gouvernance, du genre et des questions humanitaires. Certains membres voient en outre dans certaines solutions technologiques d’importantes pistes d’exploration (par exemple, les données, le numérique, les technologies d’avant-garde, etc.).

En dépit de l’existence de cadres tels que les Objectifs de développement durable de l’ONU ou les priorités de développement des ministères, la démarche suivant laquelle différents problèmes globaux sont choisis comme cibles des efforts d’innovation déployés dans l’ensemble d’une organisation n’apparaît pas toujours clairement. En l’absence de mécanismes plus formels, plusieurs facteurs peuvent être considérés comme ayant une influence :

  • des individus clés : au niveau des hauts responsables et des décideurs en particulier, certaines personnes ont une influence considérable sur le choix des domaines d’innovation qui bénéficieront d’investissements

  • les capacités organisationnelles existantes, y compris dans le domaine de l’innovation : lorsque des donneurs possèdent une solide expérience dans un domaine spécifique, ils sont généralement plus disposés à explorer de nouvelles possibilités

  • l’implication d’autres donneurs et de partenaires compétents : parfois, la priorité est accordée à certains problèmes du fait de l’attention que reçoit un domaine d’action particulier, plutôt que des véritables besoins en termes de développement ou d’action humanitaire

  • l’évolution du contexte et des besoins : des événements spécifiques, tels que l’urgence climatique ou l’apparition de nouvelles maladies, entre autres, peuvent orienter vers certains domaines l’intérêt et les investissements en matière d’innovation.

Au sein des secteurs ou domaines thématiques sélectionnés, les initiatives en matière d’innovation des pays visés par les études de cas commencent généralement par un processus de consultation destiné à déterminer les questions que l’innovation pourrait avoir intérêt à cibler. Ces exercices de grande ampleur ont permis d’aborder :

  • différentes problématiques sectorielles (telles que la santé mentale dans le monde ou l’amélioration de l’assainissement dans les zones rurales)

  • les grands défis mondiaux (urbanisation durable, prévention de la violence)

  • les problèmes contextuels rencontrés par une région ou un pays spécifique (par exemple, comment renforcer les indicateurs de développement humain en République-Unie de Tanzanie ou la transformation numérique dans la région Asie-Pacifique)

  • les possibilités offertes par les nouvelles avancées technologiques (telles que les technologies d’avant-garde).

Ces exercices de définition des priorités varient dans leur forme et leur portée, mais impliquent généralement certains, voire la totalité, des éléments suivants :

  • des processus de recherche documentaire approfondie, incluant des examens de la littérature et des synthèses des connaissances et des savoirs sur un sujet donné (par exemple, les travaux du ministère britannique du Développement international [DFID] sur les innovations dans le domaine de l’eau et de l’assainissement)

  • des consultations menées auprès des « acteurs habituels » d’un secteur donné et de quelques acteurs extérieurs (par exemple les efforts déployés dans le cadre des grands défis dans des domaines nouveaux, tels que les conflits, la redevabilité ou la possibilité d’exprimer son point de vue)

  • des approches ouvertes, communautaires, qui ont recours aux réseaux sociaux et à d’autres technologies pour définir des priorités grâce à un large éventail de parties prenantes, incluant le public (par exemple, utilisation de la production participative et d’outils similaires pour identifier les besoins en termes d’innovation)

  • la constitution de groupes consultatifs constitués d’experts qui fournissent des idées et des contributions en vue de la définition de priorités (par exemple, les groupes consultatifs stratégiques et techniques du Fonds mondial pour l’innovation).

Parmi ces efforts, trois questions reviennent constamment. Premièrement, la nature des problèmes qui requièrent des innovations est d’une ampleur très variable. Le travail conduit par Grand Challenges a mis en évidence quatre types de problématiques distinctes :

  • les problématiques habituelles (par exemple : mettre au point un nouveau traitement pour la diarrhée de l’enfant)

  • les nouvelles problématiques majeures (par exemple : comment surmonter des défis tels que la mise en place d’infrastructures urbaines durables ou l’utilisation d’une énergie abordable dans les zones rurales)

  • les problématiques de transformation systémique (par exemple : comment faire passer l’ensemble d’un pays ou d’un secteur à une économie circulaire, respectueuse de l’environnement)

  • les problématiques relatives aux écosystèmes d’innovation (par exemple : comment garantir que le système d’innovation lui-même fonctionne de façon efficace et inclusive).

Si, en principe, les membres du CAD sont disposés à travailler sur la totalité de ces domaines, les efforts d’innovation ont tendance à bénéficier de davantage d’impulsion de la part des institutions dans le premier domaine. Le fait de mettre l’accent, de manière compréhensible, sur ces « connus connus » peut contribuer à façonner les exercices de définition des priorités en influant sur les questions posées, le choix des personnes à qui elles sont posées et les réponses qui se dégagent le plus nettement.

Deuxièmement, les consultations menées pour définir les priorités laissent couramment de côté les acteurs des pays en développement. Si, dans certains cas, les pouvoirs publics et les organisations de la société civile peuvent être représentés, les communautés qui vivent sur les lieux où seront mises en œuvre des innovations dans les domaines du développement et de l’action humanitaire sont rarement associées à ces efforts, voire jamais. Ce constat met en évidence un point essentiel : les membres du CAD cherchent souvent à définir les priorités au moyen de consultations, alors que la situation des communautés pauvres et vulnérables appelle à mettre davantage l’accent sur une observation et une écoute actives et directes (voir Encadré 4.1). En dépit du leitmotiv de l’innovation centrée sur l’utilisateur, les efforts s’appuyant sur une immersion dans la vie des communautés ne sont pas encore monnaie courante pour établir les besoins en matière d’innovation.

Troisièmement, même les exercices de définition des priorités les plus efficaces ne sont pas toujours pleinement mis à profit lorsqu’il s’agit de concevoir des programmes au sein des membres du CAD. Dans certains cas, cela peut s’expliquer parce que ces efforts sont nécessairement agrégés à haut niveau : les priorités qui en résultent sont souvent de trop haut niveau et trop génériques pour pouvoir être mises en application concrètement. Par exemple, de nombreux exercices de définition des priorités peuvent préconiser des « innovations à même d’améliorer la participation des communautés », mais cela ne suffit pas pour décider de ce qu’il convient de faire.

Si l’on veut bien circonscrire les problèmes, il ne faut pas se contenter de dire « nous avons besoin d’innovation pour x » : il faut savoir analyser clairement les problèmes, évaluer les avantages et les inconvénients des solutions en place, et laisser du champ pour en découvrir de nouvelles. Ce type de « diligence raisonnable » en matière d’innovation brille par son absence. Les pressions institutionnelles et politiques ont souvent pour conséquence de sacrifier les conclusions des consultations au profit d’une action immédiate et ponctuelle. Bien que cela puisse constituer un moyen pragmatique de tirer parti des possibilités d’innovation, il s’ensuit souvent que les programmes sont lancés dans l’urgence, sans qu’il soit suffisamment prêté attention à leur conception, leurs présupposés et leurs théories du changement.

La recherche d’idées et l’élaboration de propositions est une composante indispensable du processus d’innovation. Elle suppose généralement de soutenir et de faciliter les activités axées sur la recherche, l’invention et l’élaboration de nouvelles idées, et comprend l’analyse de solutions possibles aux problèmes mis en évidence, la réalisation de prototypes de nouvelles approches, ainsi que la mise en œuvre d’exercices de validation de principe. L’élaboration de propositions est essentielle pour transformer les idées initiales en approches valables et vérifiables dans les contextes du développement et de l’aide humanitaire.

Lorsqu’il s’agit de définir et de développer des solutions innovantes, on peut remarquer une volonté explicite d’obtenir la contribution d’un grand nombre d’acteurs extérieurs à l’organisation intéressée – en particulier issu du secteur privé, des entrepreneurs et des scientifiques – et de les prendre en considération. Tous les répondants à l’enquête et les pays étudiés ont souligné l’importance d’établir des liens avec ces différents acteurs dans divers domaines d’innovation thématique, de la santé aux infrastructures.

L’un des enseignements clés tirés de l’ensemble des études de cas est qu’il n’existe pas ou peu de solutions innovantes prêtes à être reprises et appliquées dans des contextes de développement et d’action humanitaire. Si les salons consacrés à l’innovation et autres exercices similaires jouent un rôle important en élargissant le champ des possibles, presque tous ces acteurs doivent mettre en place un processus d’apprentissage itératif – avec les membres du CAD, leurs partenaires d’exécution et leurs homologues des pays en développement, pour comprendre véritablement comment leurs idées pourraient apporter une valeur ajoutée – ainsi qu’un processus d’innovation solide et adapté au contexte. Ce processus nécessite du temps, des ressources et de la patience et explique en grande partie pourquoi les efforts d’innovation dans ce secteur ne doivent pas se réduire à rechercher une solution miracle : non seulement ce raisonnement est erroné, mais il peut en outre susciter des attentes irréalistes parmi les acteurs qui sont nouveaux dans le secteur.

Là encore, les pays en développement se trouvent dans un angle mort, dans le sens où le potentiel des innovateurs de ces pays n’est ni reconnu ni exploité, et ce en dépit de l’existence d’approches tout à fait pertinentes, telles que l’« innovation frugale », qui puisent dans les idées et les compétences d’esprits novateurs issus des pays en développement. À de rares exceptions près, le secteur du développement a tardé à associer des innovateurs nationaux et locaux aux processus de recherche d’idées.

Sans contrôle, les efforts d’innovation au service du développement tels qu’ils sont actuellement conçus et déployés risquent de mettre davantage l’accent sur le transfert de technologies vers les pays en développement que sur des collaborations à l’appui de l’innovation avec ces pays. Il faut y voir une occasion manquée.

Ce stade du processus d’innovation porte sur la façon dont les solutions proposées sont mises à l’essai, déployées dans un projet pilote et soumises à une analyse systématique, et en fonction des résultats, les solutions passent à la phase de mise à l’échelle ou bien font l’objet d’un nouvel ajustement, d’itérations et d’une expérimentation. Les organisations innovantes sont celles qui disposent des ressources et des compétences leur permettant de mettre en œuvre et d’évaluer les approches innovantes et qui possèdent les moyens de faire progresser les innovations réussies.

Les quatre membres du CAD sujet à l’exercice d’apprentissage travaillent sur l’innovation à plusieurs niveaux :

  • Les projets d’innovation menés au niveau local impliquent directement des innovateurs et des individus dans des contextes spécifiques, fournissant un soutien et des investissements directs dans des domaines tels que le capital, la technologie, les compétences ou les processus de gestion des infrastructures et des innovations (par exemple toute la palette des efforts actuellement déployés dans la technologie du chaînage par blocs au service du développement ou dans la technologie mobile pour la cartographie des maladies).

  • Les programmes menés à un niveau intermédiaire expérimentent un éventail d’approches similaires dans divers contextes, les moyens étant mis en place pour tester et évaluer les progrès et les effets (par exemple la mise à l’essai de nouvelles approches communautaires en matière d’assainissement dans des contextes socio-culturels spécifiques).

  • Les programmes à grande échelle s’appuient sur les principaux enseignements pour déployer les innovations à l’échelle et prennent en considération les dimensions techniques et institutionnelles ou systémiques de la diffusion, notamment les conditions financières, juridiques et réglementaires, entre autres (par exemple les programmes de transferts monétaires ou les services financiers numériques).

Dans tous les cas, il a été constaté que les donneurs avaient du mal à dépasser le stade des initiatives locales d’innovation qui regroupaient ce type de projets. Le phénomène largement reconnu et déploré de la « pilotite » en témoigne. Ce terme désigne la « prolifération de petits projets pilotes techniques à travers l’Asie et l’Afrique – qui testent souvent des applications similaires » (Chamberlain, 2012[2]). Ceux qui, parmi les membres du CAD, dirigent des activités d’innovation considèrent de plus en plus qu’il importe de passer de la mise en œuvre de multiples projets locaux à davantage de programmes à moyenne et à grande échelle. Cependant, cela n’est pas toujours simple. Le juste milieu n’a pas été atteint entre les projets d’innovation créatifs, à haut risque mais à petite échelle, qui peuvent être vus comme relativement peu ambitieux, et des programmes plus conventionnels, à faible risque et à grande échelle, qui constituent la norme pour les donneurs des secteurs du développement et de l’action humanitaire.

Des initiatives telles que les fonds d’encouragement offrent un bon exemple d’application pratique de ce type d’approche émergente. Ces fonds prennent de plus en plus en considération le fait que des gains substantiels peuvent être réalisés dans la zone intermédiaire et exigent un effort spécialisé, ciblé et réfléchi pour combler les lacunes grâce au recueil d’éléments factuels et à l’adoption des conclusions de recherche (voir Encadré 4.2).

L’enquête auprès des membres du CAD a signalé la nécessité de disposer de données probantes pour les efforts d’innovation. Il n’existe pas encore de culture de l’innovation basée sur des données probantes, car l’évaluation et les éléments factuels font souvent défaut. Les divers stades du processus d’innovation exigent des méthodes de recherche différentes : les premiers stades concernent habituellement la validation de principe ; les stades ultérieurs nécessitent des évaluations objectives des données recueillies et de l’impact. En général, le travail effectué concernant les évaluations préalables au lancement de nouveaux projets pilotes est plus important que celui consacré aux efforts consentis ultérieurement pour évaluer les coûts et les avantages et justifier la poursuite de l’expérimentation et la diffusion.

Une initiative de collaboration intéressante, en cours au moment de la rédaction du présent document, est le marqueur de la politique d’aide concernant l’innovation au service du développement, élaboré par le CAD, qui est actuellement expérimenté par les membres du Comité. Il s’agit de mettre au point et de tester une méthode systématique de suivi de l’innovation, comme l’a proposé le Canada au Groupe de travail du CAD sur les statistiques du financement du développement en juin 2018. L’expérience pilote, qui s’est déroulée tout au long de l’année 2019, a permis de tester l’utilisation d’un marqueur innovation dans le Système de notification des pays créanciers de l’OCDE, permettant aux membres du CAD et aux parties prenantes internationales de mettre en évidence et de suivre de manière systématique les éléments innovants de nouveaux projets.

L’objectif de cette expérience pilote était double :

  1. 1. vérifier la faisabilité de la mise en évidence et du suivi des projets incluant des éléments innovants

  2. 2. nuancer le caractère innovant des projets en fonction de la méthodologie proposée pour le marqueur.

L’Australie, la Belgique, la France et la Slovénie expérimentent elles aussi la faisabilité et la méthodologie de ce marqueur. L’Allemagne, les États-Unis, l’Irlande, le Royaume-Uni et la Suède suivent de près son évolution et participent à titre consultatif. Le principal objectif est de collecter et de produire des données et des enseignements, et de diffuser des connaissances, y compris celles tirées d’innovations prometteuses susceptibles d’être mises en œuvre à plus grande échelle afin d’avoir un impact plus marqué sur la réduction de la pauvreté.

Comme indiqué plus haut, les donneurs se heurtent à des difficultés lorsqu’il s’agit de dépasser le stade de projets pilotes menés au niveau local et des initiatives qui regroupent de tels projets. La « pilotite » n’est pas bénigne : gaspillage, inefficacité et confusion dans tout le secteur sont quelques-unes de ses répercussions, mais aussi l’affaire tristement célèbre concernant les innovations en matière de santé mobile en Ouganda, dans le cadre de laquelle le gouvernement a instauré un moratoire interdisant toutes les nouvelles initiatives basées sur la téléphonie mobile. Cependant, il n’est pas toujours aisé de passer à des investissements à moyenne et grande échelle en matière d’innovation, et ce pour plusieurs raisons :

  • Les coûts de transaction et de personnel à moyenne et grande échelle sont relativement élevés : ces initiatives peuvent nécessiter des investissements monétaires limités mais exiger beaucoup de temps de travail de la part du personnel ; elles cadrent donc mal avec les exigences actuelles en termes de rapidité de décaissement.

  • Les compétences et les capacités sont différentes de celles nécessaires pour les expérimentations initiales : en plus des compétences techniques, il faut disposer de compétences politiques et de plaidoyer plus importantes, et il n’est pas toujours facile d’introduire simplement ces compétences dans un projet d’innovation qui est déjà en cours.

  • Les ressources : de nombreux fonds existants sont en concurrence pour soutenir les premiers stades des innovations, ce qui conduit à un désert notoire en ce qui concerne le financement des stades ultérieurs.

  • Le manque de données probantes : de nombreux projets pilotes ne mettent pas suffisamment l’accent sur un apprentissage rigoureux, si bien qu’ils ne sont pas en mesure de défendre une demande d’augmentation des ressources.

  • Les obstacles institutionnels : c’est lorsqu’une innovation prometteuse semble offrir de nouvelles possibilités que les minorités créatives doivent faire face aux groupes d’intérêts qui ont davantage à gagner du statu quo que d’approches novatrices.

Même chez les membres du CAD ayant une culture de la preuve relativement forte, le rôle du suivi, de l’évaluation et de l’apprentissage dans l’innovation est faible tant au niveau des projets que des portefeuilles. En général, les efforts d’innovation sont soutenus par des récits favorables et par une utilisation sélective des statistiques plutôt que par une analyse systématique. Certains programmes d’innovation utilisent des notions tirées de théories du changement et de théories de l’action pour établir des postulats, des hypothèses, des mesures comparatives des réussites et des échecs, ainsi que des idées de stratégies pour la mise à l’échelle. Mais ces programmes ont tendance à être l’exception et non la règle.

Cette partie du processus d’innovation voit les solutions se répandre largement grâce à divers mécanismes, dont la diffusion en open source, la réplication, l’incorporation dans les structures publiques et la commercialisation. Les capacités effectives en matière de diffusion, d’adoption et de déploiement à l’échelle comprennent des ressources et processus spécifiques visant à démontrer la valeur ajoutée et à disposer d’arguments en faveur de la diffusion et de l’adoption ; des investissements pertinents dans les compétences et les infrastructures permettant de soutenir les processus de déploiement à l’échelle ; et la création de l’espace et des possibilités nécessaires à la « destruction créatrice » des pratiques existantes et établies, ainsi que l’introduction de changements systémiques dans l’organisation et son écosystème au sens large.

Le cadre le plus répandu pour la diffusion des innovations, élaboré par l’universitaire Everett Rogers, s’est fondé sur de nombreuses études et recherches menées dans les pays en développement dans les années 50 et 60, y compris sur ses propres travaux portant sur les services de vulgarisation agricole dans les zones rurales. En partie au moins, cela tient au fait que « la technologie était supposée être au cœur du développement » (Rogers, 2005[4]). Mais la manière exacte dont la diffusion à l’échelle supérieure est réalisée reste plus ou moins une énigme dans de nombreux contextes de développement et d’action humanitaire.

Lorsque des innovations ont été déployées à l’échelle dans le secteur, notamment parmi les pays ayant fait l’objet des études de cas, cela peut être attribué à un processus d’apprentissage itératif et adaptatif dans trois domaines interdépendants : 1) les solutions techniques ; 2) les modèles organisationnels et commerciaux ; 3) les institutions, les normes et les politiques. Toutes les innovations les plus réussies en matière de développement et d’action humanitaire relevées dans le cadre de l’exercice d’apprentissage entre pairs du CAD impliquaient des efforts concertés dans ces trois domaines.

Par ailleurs, les travaux de Geoff Mulgan, ancien directeur général de la fondation britannique Nesta, définissent cinq voies distinctes permettant le déploiement à l’échelle, comme le montre le Tableau 4.1. Les enseignements tirés par les membres du CAD indiquent que la transposition à une échelle supérieure d’une innovation dans le domaine du développement ou de l’action humanitaire en vue d’obtenir un impact implique souvent une combinaison des stratégies énumérées ci-dessous, appliquées de manière réfléchie et continue dans les trois domaines pendant une période prolongée de manière à créer une dynamique, à obtenir des soutiens et à parvenir à une adoption généralisée.

Trois des pays étudiés – l’Australie, le Royaume-Uni et la Suède – ont joué un rôle actif en tant que membres du réseau de l’International Development Innovation Alliance (IDIA) pour créer un groupe de travail sur la mise à échelle des innovations.

Les travaux de ce groupe sont organisés en trois domaines distincts, mais néanmoins complémentaires et interdépendants :

  • Premièrement, la division du processus de déploiement à l’échelle en six étapes qui se chevauchent, dans le cadre d’un continuum allant de la naissance d’une idée à un déploiement durable à l’échelle.

  • Deuxièmement, huit bonnes pratiques ont été dégagées de ces étapes pour aider les bailleurs de fonds finançant des innovations en matière de développement à accroître l’impact de leur soutien (Graphique 4.1).

  • Troisièmement, un tableau a été créé pour présenter les facteurs d’influence qui accéléreront ou freineront le processus de déploiement. Il comporte des indications sur la manière dont les bailleurs de fonds peuvent utiliser ces facteurs pour réaliser une évaluation préalable – et continuer d’assurer un suivi – concernant l’évolutivité d’une innovation dans le temps.

Un enseignement est crucial pour le travail de déploiement à l’échelle : l’adoption généralisée d’une innovation à l’échelle souhaitée ou en croissance exponentielle est déterminée et influencée par l’ensemble de l’écosystème des acteurs. Les études de cas montrent des exemples de donneurs qui étudient les écosystèmes d’innovation et y investissent activement à différents niveaux. Par exemple :

  • au niveau mondial : investissements des gouvernements suédois et britannique dans la Global Alliance for Humanitarian Innovation (désormais fermée) ; pôles nationaux d’innovation tels que le Global Disability and Innovation Hub au Royaume-Uni (Pôle mondial Handicap et Innovation) ou d’autres situés en Norvège et aux Pays-Bas, entre autres

  • au niveau national : écosystèmes d’innovation dans les pays en développement

  • au niveau régional/local : écosystèmes d’innovation dans des villes ou des régions particulières.

Il s’agit généralement de domaines dans lesquels il existe un produit spécifique (par exemple vaccins contre le choléra, contraceptifs féminins, semences enrichies en vitamines). Cependant, les écosystèmes sont aussi essentiels dans des domaines où les produits n’ont pas encore fait leur apparition (par exemple traitements contre le virus Ebola) ou dans des domaines technologiques spécifiques, notamment le numérique.

Plusieurs des membres du CAD sont également membres du « Million Lives Club », initiative qui met en avant et répertorie les innovateurs dont les initiatives ont atteint au moins un million d’utilisateurs finals, et qui tire des enseignements de ces initiatives. Il doit jouer le rôle d’un « S&P 500 » pour l’impact social, aidant à promouvoir les efforts efficaces de déploiement à l’échelle et à mettre plus facilement en relation les innovateurs et d’éventuels partenaires pour le déploiement, tels que les autorités locales ou les investisseurs sociaux.

L’ensemble des membres du CAD devraient consacrer davantage d’efforts à réfléchir au cycle complet du processus d’innovation et aux résultats à en attendre. Il faudrait établir un continuum entre le stade des études pilotes et la phase de déploiement à l’échelle, et réfléchir et apprendre activement des trajectoires d’innovation lors de leur déploiement, en étudiant les facteurs et les acteurs qui les favorisent ou au contraire les entravent.

Si les membres du CAD ont une connaissance tacite des multiples moyens permettant de déployer les innovations à l’échelle, le propos se concentre néanmoins sur la mobilisation du secteur privé. Or, il existe en réalité de nombreuses théories en matière d’échelle, et celle-ci n’en est qu’un exemple. Il est essentiel que ces efforts de déploiement à l’échelle n’en privilégient pas une en tant qu’approche dominante. Cela nuirait aux efforts individuels d’innovation et conduirait à sous-évaluer les immenses capacités d’innovation que recèlent le secteur public et les secteurs à but non lucratif.

Pour l’heure, les membres du CAD ne bénéficient pas d’une coordination interne ou externe suffisante en ce qui concerne les efforts d’innovation. Il n’est pas accordé suffisamment d’attention à la façon dont les mécanismes internes peuvent permettre d’assurer la mise à l’essai et le déploiement à l’échelle des innovations efficaces, et, surtout, d’établir un lien clair entre le financement des innovations à une extrémité de la chaîne et le fait d’être prêt à utiliser du pouvoir d’achat pour des innovations éprouvées à l’autre extrémité.

Si les membres du CAD peuvent souvent se prévaloir d’innovations efficaces, ces succès ne conduisent pas toujours à tirer de façon plus systématique des enseignements des trajectoires d’innovation. La compréhension qu’ont les membres du personnel de la façon dont une innovation spécifique a évolué d’une idée à un déploiement à l’échelle est souvent très simpliste et n’aide pas les autres à saisir les particularités du contexte ou à reconnaître les instruments qui permettent une application efficace et pratique des approches nouvelles et créatives. Pour réunir des données probantes sur les moyens de transposer des initiatives à l’échelle supérieure, il serait bon d’examiner dûment les résultats déjà obtenus dans le cadre des expériences passées.

Les membres du CAD financent souvent toutes les composantes d’un écosystème d’innovation – recherche, enseignement, compétences, bourses d’études, programmes, partenariats, réseaux – mais ne cherchent pas activement à optimiser ces différents investissements dans le cadre d’une approche unifiée de l’innovation. De tels investissements dans des écosystèmes propices à une innovation qui permette l’anticipation et à visée transformatrice pourraient être une démarche utilement suivie par les donneurs, de façon à mettre en commun les fonds et à réduire les risques.

Références

[2] Chamberlain, S. (2012), Pilot-itis: What’s the Cure?, BBC, http://www.bbc.co.uk/blogs/bbcmediaaction/entries/e00fc35a-0c0f-3e35-8280-38d048c34487 (consulté le 1 janvier 2020).

[1] Global Emergency Group et al. (2017), Global Prioritisation Exercise for Research and Innovation in the Humanitarian System: Phase One Mapping, Elrha, Cardiff, http://www.elrha.org/researchdatabase/global-prioritisation-exercise-research-innovation-humanitarian-system-phase-one-mapping/ (consulté le 1 janvier 2020).

[6] IDIA (2017), Insights on Scaling Innovation, International Development Innovation Alliance, https://static1.squarespace.com/static/5b156e3bf2e6b10bb0788609/t/5b1717eb8a922da5042cd0bc/1528240110897/Insights+on+Scaling+Innovation.pdf (consulté le 1 janvier 2020).

[3] IPE Triple Line (2018), Evaluation of Sida’s Global Challenge Funds: Lessons from a Decade Long Journey, Agence suédoise de coopération internationale au développement, Stockholm, https://www.sida.se/contentassets/eb4c7e1c459a4ccbb8c3e6dbd1843219/2018_1_evaluation_of_sidas_global_challenge_funds.pdf (consulté le 1 janvier 2020).

[5] Mulgan, G. et al. (2007), Social Innovation: What It Is, Why It Matters and How It Can Be Accelerated, The Young Foundation, https://youngfoundation.org/wp-content/uploads/2012/10/Social-Innovation-what-it-is-why-it-matters-how-it-can-be-accelerated-March-2007.pdf (consulté le 1 janvier 2020).

[4] Rogers, E. (2005), Diffusion of Innovations, Free Press.

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